La lettre juridique n°376 du 17 décembre 2009 : Procédure pénale

[Questions à...] Présence de l'avocat lors de la garde à vue - Questions à Maître Fabrice Orlandi, avocat et Président de l'association Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Le 30 novembre 2009, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bobigny (TGI Bobigny, 30 npvembre 2009, n° 2568/09 N° Lexbase : A4238EPN) a annulé une procédure de garde à vue, pour défaut d'assistance d'un avocat durant l'interrogatoire, au cours de l'audition, ainsi qu'au début de la privation de liberté. Placé en garde à vue à 20h05, le prévenu a tout de suite demandé à s'entretenir avec un avocat, qu'il n'a pu rencontrer que le lendemain à 12h55. Il était, alors, détenu depuis plus de seize heures et avait déjà été entendu par les services de police. Le juge reprend à l'identique les principes réaffirmés encore récemment en la matière par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) : "il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, lorsque les déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation".
Cette décision intervient, alors qu'en France, la garde à vue est montrée du doigt : elle atteint des records (plus d'un demi million de personnes concernées l'année dernière), faisant de cette mesure d'exception, monnaie courante susceptible de concerner tout un chacun. La situation est d'autant plus grave, que la présence de l'avocat au cours de la procédure est réduite à une peau de chagrin. Si l'article 63-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0962DYB) prévoit que, "dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat", le texte ne précise pas dans quel délai l'entretien doit avoir lieu. Il se borne à fixer, pour les infractions les plus graves, des délais planchers en dessous desquels l'avocat n'est pas autorisé à intervenir (jusqu'à 72 heures en cas de trafic de stupéfiants ou d'actes terroristes). La durée de la rencontre est, en outre, symbolique.

La décision du juge des libertés et de la détention du 30 novembre dernier alimente ce débat : elle a scandalisé le syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), à qui il a été aussitôt rétorqué qu'il n'appartient pas aux policiers de lire le droit ou d'interpréter une décision de justice. De son côté, le Garde des Sceaux, qui a souligné que "l'insulte et la caricature n'[avaient] pas leur place dans un débat démocratique", a profité de la rentrée de la cour d'appel de Paris le 4 décembre 2009, pour livrer le point de vue du Gouvernement : la garde à vue est un instrument d'enquête et doit être limitée aux seules hypothèses des crimes et des délits pour lesquels un emprisonnement d'au moins un an est encouru. Ainsi, pour les infractions les moins graves, une personne pourrait être entendue librement par les services enquêteurs, si l'audition intervient dans des délais très courts, étant précisé qu'elle pourrait à tout moment demander d'être placée en garde à vue pour bénéficier des droits afférents à ce régime. Le Garde des Sceaux concède que la présence de l'avocat pendant la procédure doit être renforcée. Le principe d'une intervention de celui-ci dès la première heure doit, ainsi, être pérennisé, mais il convient, également, de prévoir qu'en cas de prolongation de la mesure, il ait connaissance et accès aux procès-verbaux d'interrogatoire dressés en première partie. Enfin, le ministre souligne l'importance d'un régime dérogatoire en matière de lutte contre le terrorisme et de crime organisé, "la liberté de chacun doit aller de pair avec la sécurité de tous".

C'est, pour le moins, admettre que dispositif actuel est déficient et, en tous les cas, contraire aux décisions des juges européens, ainsi que nous l'expose Maître Fabrice Orlandi, avocat et Président de l'association Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat.

Lexbase : En tant qu'avocat intervenant dans des procédures de garde à vue, quel est votre sentiment sur le dispositif français ?

Fabrice Orlandi : L'article 63 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7288A4P) dispose que "l'officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l'enquête, placer en garde à vue toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction". La mesure ne peut se prolonger au-delà d'un délai de 24 heures, sauf les infractions les plus graves (pour lesquelles la privation de liberté peut atteindre jusqu'à 96 heures). Le texte accorde à la garde à vue une application très large, puisqu'il permet son recours, dès lors qu'il existe un soupçon, quelle que soit l'infraction en cause. Le placement en garde à vue est, ainsi, laissé à la libre appréciation des forces de l'ordre. Or, aujourd'hui en France, le constat est fait d'une augmentation sans précédent du nombre de gardes à vue et d'une dégradation des conditions de traitement des prévenus.

Ceci est, notamment, rendu possible par le peu de cas que fait le code de la présence de l'avocat au cours de la procédure, mais aussi par le peu de cas que font certains policiers de ces rares dispositions. L'article 63-4 n'accorde que 30 minutes à l'avocat, ce qui ne permet guère plus que de s'assurer que le prévenu ait bien eu connaissance de ses droits, qu'il ait bien pu prendre contact avec un proche, qu'il ait vu un médecin s'il l'a souhaité et qu'il ait été traité correctement. Et si la personne en garde à vue peut demander tout de suite à voir un avocat, il arrive trop souvent qu'elle en soit dissuadée par l'officier de police ou, alors, que l'avocat soit prévenu à la toute fin de la procédure, une fois que les auditions sont terminées. Il n'est pourtant pas compliqué de trouver un avocat de nos jours, nous sommes répertoriés dans l'annuaire, sur le site du conseil de l'Ordre, le Bâtonnier (qui doit être informé tout de suite de la demande du prévenu et par tous moyens) a toutes nos coordonnées. Dans ce cas de figure, je refuse de cautionner de telles méthodes et de rencontrer le client, puisque la rencontre ne s'inscrit pas dans le respect des droits de la défense, mais n'a pour seule fonction que de "légaliser" une procédure de garde à vue viciée.

Lexbase : Le rapport "Léger" sur la réforme de la procédure pénale rejette l'idée que l'avocat soit présent tout au long de la garde à vue, ceci, afin d'optimiser l'efficacité de l'enquête. L'accès de l'avocat aux pièces du dossier est, en outre, considéré comme irréalisable en pratique, puisque le dossier ne pourrait être matériellement constitué qu'à l'issue de la garde à vue. La solution préconisée par le rapport consiste en une intervention de l'avocat au début de la mesure, pour un entretien d'une demi-heure. L'avocat pourrait rencontrer une seconde fois son client à la douzième heure de la procédure, avec un accès au dossier. Enfin, en cas de prolongation de la mesure au-delà de 24 heures, l'avocat pourrait être présent aux auditions. Que pensez-vous de ces propositions ?

Fabrice Orlandi : Ces propositions me semblent, bien entendu, tout à fait insuffisantes.

La présence de l'avocat au cours de la garde à vue a été introduite voilà déjà dix ans. Je n'ai pas connaissance d'un cas où la présence de l'avocat ait causé un problème. Le secret de l'instruction est souvent avancé pour justifier une intervention minimale de l'avocat. C'est oublier les dispositions de l'article 63-4, aux termes desquelles "l'avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue". S'il viole cette règle, il engage sa responsabilité et sera sanctionné. Il me semble aussi important de souligner que le secret de l'instruction doit être préservé tant par l'avocat, que par le parquet, qui pourtant, compte à son actif, quelques fuites. Quant au dossier, il devrait être constitué au fur et à mesures des auditions et interrogatoires. La présence de l'avocat au cours de la garde à vue implique nécessairement qu'il puisse avoir accès au dossier de son client.

Il est regrettable que le groupe de travail "Léger", dont la mission était de se pencher sur la réforme de la procédure pénale, en soit arrivé à de telles conclusions. Alors même que le rapport fait mention de l'explosion des gardes à vue et de la nécessité de renforcer la présence de l'avocat, les propositions formulées sont sans commune mesure avec ce qui doit être envisagé. Nous demandons à ce que l'avocat soit présent dès le début de la garde à vue et tout au long de son déroulement. Dès lors qu'il y a privation de liberté, les droits de la défense doivent être renforcés.

Lexbase : Notre dispositif est-il conforme aux décisions de la CEDH ?

Fabrice Orlandi : Notre dispositif est en totale contradiction avec la jurisprudence de la CEDH. Les propositions formulées dans le rapport "Léger" le sont également.

Par une jurisprudence constante, encore réaffirmée récemment, la CEDH a estimé que l'article 6 § 3 c) (droit à l'assistance d'un avocat) combiné avec l'article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) exige que l'accès à un avocat, au besoin commis d'office, soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, le défaut d'assistance par un avocat aux premiers stades de son interrogatoire portant irréversiblement atteinte aux droits de la défense et amoindrissant les chances pour l'accusé d'être jugé équitablement.

Ainsi, dans une décision du 27 novembre 2008 (CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391 /02, Salduz c/ Turquie N° Lexbase : A3220EPX), la CEDH a réaffirmé que "quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable", l'accès à un avocat devant être consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sous peine de porter "une atteinte irrémédiable aux droits de la défense".

Moins d'un an après cet important arrêt, la cour "récidive" dans deux autres affaires :

- dans un arrêt du 24 septembre 2009 (CEDH, 24 septembre 2009, Req. n° 7025/04, Pishchalnikov c/ Russie N° Lexbase : A4246EPX), les juges énoncent que "le défaut d'assistance par un avocat aux premiers stades de son interrogatoire par la police a irréversiblement porté atteinte aux droits de la défense et amoindri les chances pour lui d'être jugé équitablement" ;

- et dans un arrêt du 13 octobre 2009 (CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03, Dayanan c/ Turquie N° Lexbase : A3221EPY), ils décident que "l'équité d'une procédure requiert que l'accusé, dès qu'il est privé de liberté, puisse obtenir toute la gamme d'interventions propres au conseil [...]. Or l'accusé, en vertu de la loi en vigueur à l'époque, n'a pas bénéficié de l'assistance d'un avocat lors de sa garde à vue. Une telle restriction systématique sur la base des dispositions légales pertinentes suffit à conclure à une violation de l'article 6 même si (M. D) est resté silencieux pendant sa garde à vue". Cette solution a été réitérée le 1er décembre 2009, dans une affaire similaire (CEDH, 1er décembre 2009, Req. 25301/04, Adalmis et Kilic c / Turquie N° Lexbase : A2901EP7).

Lexbase : Quelles sont les actions de l'association que vous présidez, Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat ?

Fabrice Orlandi : Nous sommes à la veille de la réforme de la procédure pénale et une fois n'est pas coutume, les avocats réagissent très en amont, encouragés par les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Francis Teitgen, Pierre-Olivier Sur et moi-même avons créé mi-novembre l'association Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat, pour parvenir à l'abolition de la garde à vue sans avocat.

Notre première action a été de rédiger et de diffuser un modèle de conclusions de nullité de procédure. Ces conclusions sont à la disposition de tous nos confrères, sur le site de l'association (www.jeneparleraiquenpresencedemonavocat.fr et http ://www.abolir-gardeavue.fr/). Nous les encourageons à demander systématiquement l'annulation de toute procédure à laquelle l'avocat n'aura pas pu assister de façon significative (1).

La deuxième action de l'association a été de présenter une proposition de loi, déposée par Manuel Aeschlimann (député, membre de la Commission des lois et avocat), à l'issue de la réunion publique de l'Assemblée nationale du 11 décembre 2009. Le texte préconise la présence de l'avocat aux côtés de toute personne placée en garde à vue, lors des auditions de police ou de gendarmerie et des autres actes de procédure, étant précisé que cette présence n'a de sens que si l'avocat a accès au dossier pénal. Cette proposition est soutenue par les anciens ministres Marylise Lebranchu, Elisabeth Guigou et Pascal Clément. Jean-François Copé a, quant à lui, confirmé, que ces "conclusions viendront nourrir [leur] démarche", en vue d'une loi, d'un amendement, ou d'une proposition reprise dans un projet du Gouvernement, d'ici à l'été, le mieux étant "une insertion du projet, par la ministre de la Justice, dans la réforme du Code de procédure pénale".

Afin de peser massivement dans le débat, nous avons fait valoir, au cours de la réunion de l'Assemblée nationale, une pétition recueillant plus de mille signatures (toujours mise en ligne sur le site de l'association), que nous avions envoyée par courrier électronique à tous les avocats inscrits au Barreau de Paris.

Nous souhaitons, maintenant, élargir le cercle des co-signataires et enrichir la proposition de loi.

Enfin, sur notre site, nous référençons tous les articles écrits sur le sujet et nous publions la jurisprudence de la CEDH en la matière.


(1) La Chancellerie a, de son côté, adressé une note aux parquets Argumentaire sur l'absence de l'avocat en garde à vue, venant en réponse aux demandes de nullités formulées par les avocats. L'interprétation du Garde des Sceaux des arrêts de la CEDH diffère de celle retenue par les avocats, puisqu'aucune contradiction entre le système français de la garde à vue et les exigences européennes n'est relevée.

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