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N7129BMY
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le 07 Octobre 2010
Les droits moraux de l'auteur d'une oeuvre audiovisuelle ne peuvent être exercés tant que l'oeuvre audiovisuelle n'est pas achevée, tel est le principe rappelé avec fermeté par la Cour de cassation dans une décision rendue par la première chambre civile le 24 septembre 2009. En l'espèce, deux coauteurs ont cédé à une société de production leurs droits sur le scénario d'un documentaire qu'ils entendaient réaliser. Ladite société a conclu avec la société France 2 un contrat de coproduction pour la réalisation et la diffusion de ce documentaire. Toutefois, après avoir un temps suspendu le montage, la production du documentaire est définitivement arrêtée à l'initiative de France 2 en raison, d'une part, d'un dépassement budgétaire généré par l'allongement des délais de production et, d'autre part, du caractère inexploitable du documentaire parce que non accessible au téléspectateur non averti. Les deux coauteurs face à cet arrêt unilatéral de la production et à l'impossibilité de trouver une solution alternative avec la société France 2 l'ont assignée ainsi que France Télévision en responsabilité délictuelle. La cour d'appel, ce que ne remet nullement en cause la Cour de cassation en dépit du pourvoi, a retenu la responsabilité de la société France 2 après avoir caractérisé sa faute et le préjudice tant financier que professionnel subi par la victime (CA Paris, 4ème ch., sect. B, 11 mai 2007, n° 05/20638, M. Gilles Du Jonchay et autres c/ SA France 2 N° Lexbase : A9080DXL). Les coauteurs invoquaient, également au soutien de leur action, une atteinte à leurs droits d'auteur et principalement une atteinte portée à l'exercice de leur droit moral de divulgation. La cour d'appel a, cependant, refusé de faire droit à ces demandes au motif que l'exercice du droit moral supposait l'achèvement de l'oeuvre. Au soutien de leur pourvoi incident, les coauteurs ont invoqué une fausse application de l'article L. 121-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3350ADG) dès lors que l'inachèvement de l'oeuvre par la faute du producteur prive l'auteur de l'exercice légitime de ses droits moraux et notamment de son droit de divulgation. La question de savoir si l'auteur d'une oeuvre audiovisuelle non encore achevée pouvait invoquer une atteinte à son droit moral caractérisée par l'impossibilité d'exercer son droit de divulgation était clairement posée à la Cour de cassation.
Or celle-ci a rejeté le moyen aux motifs que "selon l'article L. 121-5 du Code de la propriété intellectuelle, l'oeuvre audiovisuelle est réputée achevée lorsque la version définitive a été établie d'un commun accord entre, d'une part, le réalisateur ou éventuellement, les coauteurs et, d'autre part, le producteur, que n'étant pas contesté que tel n'était pas le cas en l'espèce c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que les auteurs n'étaient pas fondés à se prévaloir d'une privation de leur droit de divulgation dès lors que celui-ci ne pouvait être exercé par eux que sur l'oeuvre audiovisuelle achevée". L'analyse que fait la Cour de cassation doit être, nous semble-t-il, approuvée. En effet, si le principe applicable en matière de droit d'auteur résulte de l'article L. 111-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3329ADN), selon lequel l'achèvement n'est pas une condition de la reconnaissance de l'oeuvre, le législateur a cependant prévu une exception contenue à l'article L. 121-5 du Code de la propriété intellectuelle en matière d'oeuvres audiovisuelles. Pour cette catégorie d'oeuvres particulières, l'achèvement a une portée juridique particulière dès lors qu'il conditionne l'exercice des droits moraux. Il convient de souligner que ce n'est qu'une exception relative dans la mesure où ce qui est soumis à la condition suspensive de l'achèvement c'est bien l'exercice des droits et nullement leur reconnaissance. Dès lors, si l'on ne peut invoquer, contrairement à ce que soutenaient les auteurs en l'espèce, une atteinte au droit moral de l'auteur d'une oeuvre audiovisuelle avant son achèvement, la protection contre cette atteinte ne pouvant s'analyser autrement qu'en un exercice de ce droit moral, il est néanmoins possible d'invoquer l'abus du propriétaire du support ou la faute du producteur à l'origine de l'impossibilité d'achever l'oeuvre. Le préjudice de l'auteur est alors, dans cette hypothèse, caractérisé par la perte de chance d'exercer le droit moral de divulgation, exercice qui aurait été rendu possible du seul fait de l'achèvement de l'oeuvre.
Si la Cour de cassation avait finalement admis le raisonnement des auteurs, il y aurait eu un risque important de voir se développer un contentieux là même où, par la lettre de l'article L. 121-5 du Code de la propriété intellectuelle, le législateur a souhaité l'empêcher en se fondant sur la distinction ténue entre existence et exercice des droits moraux de l'auteur. La seule voie de contestation possible pour l'auteur reste donc celle employée par les protagonistes, celle de la responsabilité civile lorsque l'achèvement de l'oeuvre a été rendu impossible par la faute du producteur (v. moyen principal) ou par un abus notoire du propriétaire du support qui refuse à l'auteur d'y accéder (CA Paris, 29 septembre 1995, RIDA, avril 1996, p. 293).
En l'espèce, une société a réalisé une compilation de plusieurs chansons d'Henri Salvador enregistrées entre 1948 et 1952. Cette compilation a été commercialisée auprès de la grande distribution au prix d'un euro. Afin de s'opposer à la commercialisation de cette compilation, l'artiste a saisi le juge des référés. Quoique ces chansons soient tombées dans le domaine public, l'artiste estimait que cette commercialisation portait atteinte à son droit moral d'interprète. De même, ayant composé six des dix-huit chansons reproduites, il invoquait également une atteinte à son droit moral d'auteur. Enfin, la société ayant utilisé une photographie le représentant pour illustrer la compilation, il invoquait une atteinte à son droit à l'image. Le juge des référés ayant fait droit à l'ensemble de ces demandes, la société a saisi la juridiction du fond. La cour d'appel a cependant également reconnu l'ensemble de ces atteintes au droit moral de l'artiste-interprète, au droit moral de l'auteur et à son droit à l'image. La société s'est donc pourvue en cassation en soutenant, tout d'abord, qu'en l'absence de toute détérioration ou dénaturation de la reproduction fidèle d'une interprétation tombée dans le domaine public et commercialisée au prix d'un euro, il ne pouvait y avoir atteinte au droit moral de l'artiste-interprète. La société invoquait, ensuite, que la compilation des oeuvres ainsi réalisée et commercialisée ne pouvait pas non plus constituer une atteinte au droit moral de l'auteur de ces oeuvres dès lors qu'il s'agissait d'une reproduction d'un enregistrement d'origine. Elle soutenait, enfin, que la reproduction d'une photographie posée dans le cadre professionnel ne constitue pas une atteinte au droit à l'image de la personne mais relève de l'activité d'information et de communication.
Sur cette dernière question, la réponse de la Cour de cassation ne surprend guère. En effet, dans un récent arrêt relatif à une affaire très semblable (Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 07-19.758, F-P+B N° Lexbase : A7210EIU et nos obs. in La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR - 8 octobre 2009, Lexbase Hebdo n° 366 du 7 octobre 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N0712BMC ) où la même société était d'ailleurs en cause mais en litige avec un autre artiste, elle avait déjà refusé d'admettre que l'utilisation commerciale d'une image même professionnelle ne pouvait constituer une activité d'information et de communication. C'est donc très naturellement qu'elle rejette le pourvoi fondé sur cet argument au motif que "chacun ayant le droit de s'opposer à la reproduction de son image hormis le cas de l'exercice de la liberté d'expression, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que la reproduction de la photographie de l'artiste sur la jaquette d'une compilation, qui constitue un acte d'exploitation commerciale et non l'exercice de la liberté d'expression, était soumise à autorisation préalable et que faute d'avoir été autorisée par l'intéressé, cette reproduction était illicite et portait atteinte au droit à son image".
La réponse de la Cour de cassation était donc davantage attendue sur le point de savoir si la reproduction fidèle et sans détérioration, autre que l'altération causée par le temps qui passe, aux fins de commercialisation bon marché pouvait constituer une atteinte au droit moral tant de l'artiste que de l'auteur. Or, si la première chambre civile apporte ici des précisions importantes, celles-ci vont indéniablement dans le sens d'un renforcement de la protection du droit moral, direction qui semble être celle adoptée par la Cour de cassation depuis son arrêt de principe rendu en Chambre sociale le 8 février 2006 à l'égard de l'artiste-interprète (Cass. soc. 8 février 2006, n° 04-45.203, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7241DM7, Bull. civ. V, n° 64, D., 2006, jur. 1172, note Allaeys, et Pan. 3000, obs. Sirinelli ; RTDCom., 2006. 374, obs. Pollaud-Dulian, JCP éd. G, 2006, II, 10078, note Azzi, JCP éd. E, 2006, 1654, note Alleaume, CCE, 2006, comm. 57, note Caron ; Cass. civ. 1, 5 décembre 2006, n° 05-11.789, FS-D N° Lexbase : A8304DSD, CCE 2007, comm. 18, note Caron, RIDA, janvier 2007, p. 235, note Sirinelli). Il était acquis, depuis cette affaire, que la dénaturation d'une interprétation puisse constituer une atteinte au droit moral de l'artiste-interprète. La Cour de cassation renforce cet attribut extra-patrimonial de l'artiste comme de l'auteur, dès lors qu'elle considère que le caractère altéré de la reproduction de l'interprétation peut être constaté du fait "d'une qualité sonore d'une grande médiocrité" en dépit du fait que l'enregistrement soit d'origine et que cette qualité ne résulte que "de l'écoulement du temps et de l'évolution des techniques". Par ailleurs, la Cour de cassation renforce encore la protection du droit moral de l'auteur dès lors qu'elle admet que le contexte de commercialisation puisse, en soi, déprécier l'oeuvre et ainsi porter atteinte à la considération de l'auteur et à son droit moral. La Cour souligne, en effet, que "la commercialisation d'une compilation d'une qualité sonore de grande médiocrité, vendue au prix dérisoire d'un euro, sans commune proportion au prix du marché et comme un produit de promotion de la grande distribution, étranger à la sphère artistique" permet de caractériser l'atteinte au droit moral de l'auteur. Les droits des tiers sur une oeuvre, y compris lorsqu'elle est tombée dans le domaine public, sont donc extrêmement restreints au profit de ceux de l'artiste et de l'auteur.
Les droits de propriété intellectuelle sont, par principe, territorialement protégés, ce que rappelle l'article 30 du Traité CE . Toutefois, afin de permettre la libre circulation des marchandises au sein de l'Espace économique européen, règle énoncée à l'article 28 du Traité CE , la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a depuis longtemps consacré une exception aux droits de propriété intellectuelle : la règle dite d'épuisement des droits (v., notamment, les arrêts "Centrafarm" et "Terrapin/Terranova" : CJCE 31 octobre 1974, aff. C-15/74, Centrafarm BV et Adriaan de Peijper c/ Sterling Drug Inc N° Lexbase : A6931AUA, Rec. p. 1183 ; CJCE, 22 juin 1976, aff. C-119/75, Société Terrapin (Overseas) Ltd. c/ Société Terranova Industrie CA Kapferer & Co N° Lexbase : A7096AUD, Rec. p. 1039). En vertu de cette règle, les droits exclusifs de propriété intellectuelle peuvent toujours être invoqués par le titulaire des droits pour s'opposer à la commercialisation par un tiers de produits marqués et partant à la libre circulation des marchandises à la condition que ces droits s'inscrivent dans l'objet spécifique du droit de marque. La marque ayant pour fonction d'assurer au titulaire le droit exclusif de propriété intellectuelle pour la première mise en circulation d'un produit, l'objet spécifique du droit de marque ne peut comporter le droit "pour son titulaire d'empêcher l'importation dans un état membre d'un produit licitement mis en circulation sur le marché d'un autre Etat membre par le titulaire lui-même ou avec son accord" (CJCE, 22 juin 1976, préc.). La règle de l'épuisement des droits communautaire est ainsi contenue dans l'article 7 § 1 de la Directive CE 89/104 du 21 décembre 1988 (N° Lexbase : L9827AUI), en ces termes "le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce, sur le territoire d'une partie contractante [art. 65 § 2 de l'Accord sur l'Espace économique européen] sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement". Cette règle est, par ailleurs, reprise tant à l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3731ADK) qu'à l'article 13 § 1 du Règlement CE n° 40/94 du 20 décembre 1993 (N° Lexbase : L5799AUC). Il résulte donc de cette définition que la règle de l'épuisement des droits du titulaire de la marque sur les produits marqués suppose, d'une part, qu'il ait donné son consentement et, d'autre part, que la mise en circulation ait eu lieu sur le territoire de l'Espace économique européen (EEE). Or si la jurisprudence de la Cour de justice s'est dans un premier temps montrée très rigoureuse quant à l'appréciation de ces conditions, elle semble désormais faire preuve de davantage de souplesse favorisant ainsi la libre circulation des produits sur la protection des droits exclusifs de propriété intellectuelle. En effet, elle a progressivement admis que le consentement donné par le titulaire de la marque pouvait n'être que tacite. Ainsi dans une affaire importante (arrêt "Zino Davidoff" : CJCE 20 novembre 2001, aff. C-414/99, Zino Davidoff SA c/ A & G Imports Ltd N° Lexbase : A5840AXL, Rec. p. I-8691 ; Cass. com. 29 janvier 2002, n° 98-20.778, F-D N° Lexbase : A8704AXN, PBD, 2002, n° 740, III, 186) à laquelle elle se réfère désormais expressément, la Cour de justice a décidé que la règle d'épuisement s'applique lorsque les produits, initialement mis en circulation hors du territoire de l'EEE par le titulaire ou avec son accord, sont introduits par la suite sur ce territoire avec son accord qui peut n'être que tacite. Elle a, à cet égard, précisé que le consentement tacite peut résulter "d'éléments et de circonstances antérieurs, concomitants ou postérieurs à la mise dans le commerce en dehors de l'EEE, qui, appréciés par le juge national, traduisent de façon certaine une renonciation du titulaire à son droit de s'opposer à une mise dans le commerce dans l'espace économique européen" (point 46). Le silence du titulaire ne peut cependant pas constituer cette acceptation tacite nécessaire à l'épuisement du droit résultant de l'importation sur le territoire de l'EEE. La question de l'appréciation du consentement tacite ou implicite du titulaire de la marque à la commercialisation d'un produit marqué vient d'être encore précisée par la CJCE, lorsque la première mise en circulation des produits marqués l'a été dans le territoire de l'EEE et non pas en dehors, à l'instar des faits de l'arrêt "Zino Davidoff". En effet, la décision rendue par la CJCE le 15 octobre 2009 s'inscrit dans cette construction qui vise à apprécier les conditions de la mise en oeuvre de la règle d'épuisement des droits. Sans surprise, l'interprétation retenue par la CJCE semble être en faveur de la libre circulation des marchandises au détriment, peut-être, de la protection de la propriété intellectuelle.
En l'espèce, une société, Diesel, est titulaire d'une marque verbale portant sur le nom "DIESEL" pour le Benelux. Par contrat de distribution, la société Difsa s'est vue reconnaître le droit de distribuer les produits revêtus de la marque pour l'Espagne, le Portugal et l'Andorre. Elle-même a, par la suite, conféré un tel droit de distribution à la société Flexi Casual. Quelques années après ce contrat, un administrateur de cette société a accordé par écrit à la société Cosmos une licence pour la production et la vente de certains produits marqués Diesel, sans avoir au préalable obtenu l'approbation de la société Diesel ou même encore de la société Difsa. La société Cosmos, qui a alors commercialisé lesdits produits, a revendu des chaussures marquées à deux entreprises espagnoles qui les ont elles-mêmes revendues à la société Makro. Ladite société a finalement mis en vente ces chaussures marquées sur le territoire hollandais sans le consentement explicite de Diesel. Cette dernière a alors assigné en contrefaçon la société Makro pour obtenir la cessation des atteintes ainsi réalisées tant à ses droits d'auteur qu'aux droits afférents à sa marque. Les juges du fond ayant fait droit à ces demandes, la société Makro s'est pourvue en cassation en soutenant que les droits de marque sur les produits litigieux avaient été épuisés dès lors que la société Cosmos avait commercialisé les produits avec le consentement du titulaire de la marque. La Cour de cassation hollandaise a préféré surseoir à statuer afin d'obtenir un éclairage de la Cour de justice sur l'interprétation à donner aux conditions d'application de la règle de l'épuisement des droits, et plus précisément sur l'appréciation du "consentement implicite" donné par le titulaire de la marque lorsque la première mise en circulation a eu lieu dans le territoire de l'EEE.
Afin de répondre à la question préjudicielle posée, la Cour de justice procède en deux temps. Elle a, tout d'abord, rappelé sa décision du 23 avril 2009 selon laquelle "le consentement qui équivaut à une renonciation du titulaire à son droit exclusif [...] doit être exprimée d'une manière qui traduise de façon certaine la volonté du titulaire de renoncer à ce droit", ce qui s'exprime par une formulation expresse dudit consentement. La Cour souligne, ensuite, qu'il est possible de prévoir des aménagements à un tel principe notamment lorsque le consentement peut être rapporté de manière implicite, "sur la base des critères énoncés au point 46 de l'arrêt Zino Davidoff".
Les critères ainsi posés par cette décision ont vocation à revêtir une portée générale indépendamment du lieu de la première mise en circulation des produits. Dès lors c'est par l'affirmative que répond la Cour de justice à la question préjudicielle posée en décidant que "l'article 7 § 1 de la Directive CE du 21 décembre 1988 doit être interprété en ce sens que le consentement du titulaire d'une marque à une commercialisation de produits revêtus de cette marque effectuée directement dans l'EEE par un tiers n'ayant aucun lien économique avec ce titulaire peut être implicite pour autant qu'un tel consentement résulte d'éléments et de circonstances antérieurs, concomitants ou postérieurs à la mise dans le commerce dans cette zone qui, appréciés par le juge national, traduisent de façon certaine une renonciation du titulaire à son droit exclusif".
Le caractère implicite du consentement du titulaire n'est donc pas réservé à une première mise en circulation hors du territoire de l'EEE, comme une lecture restrictive des termes de l'arrêt "Davidoff" aurait pu le laisser penser. On assiste donc ici à une extension de l'admission du caractère implicite du consentement dès lors qu'il peut également prendre cette forme lorsque la première mise en circulation a été faite sur le territoire de l'EEE. La rigueur ne semble plus de mise quant à l'appréciation des conditions de mise en oeuvre de la règle de l'épuisement des droits, à l'instar de ce qui prévaut pour l'appréciation de la charge de la preuve de ces conditions. A l'origine, il appartenait à celui qui invoquait le bénéfice de l'épuisement des droits d'apporter la preuve que le consentement avait bien été donné par le titulaire ou un tiers autorisé par lui (CJCE 20 novembre 2001, préc. ; Cass. com. 29 janvier 2002, préc.). Toutefois, et face à la difficulté probatoire dans laquelle pouvait être le revendeur des produits lorsqu'il les avait obtenus à l'issue d'une chaîne contractuelle particulièrement complexe comme en l'espèce, la jurisprudence de la Cour de justice a finalement admis un renversement de la charge de la preuve. Ainsi dans un arrêt "Van Doren" (CJCE, 8 avril 2003, aff. C-244/00, Van Doren N° Lexbase : A6689A7U, Rec. p. I-3051), il a été décidé que dans l'hypothèse ou le revendeur poursuivi démontre qu'il existe "un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux [...] il appartient au titulaire de la marque d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l'EEE". Bien que cet assouplissement n'ait pas été repris par les juges nationaux qui analysent toujours avec rigueur la charge de la preuve de l'épuisement des droits en appréciant strictement cette notion "de risque de cloisonnement des marchés nationaux" (CA Paris, 4ème ch., sect. B, 31 octobre 2003, n° 2002/02952, SARL Sneakers USA c/ Société Nike international LTD N° Lexbase : A9246DAP, PIBD, 2004, n° 779, III, 73 ; CA Paris, 4ème ch., sect. A, 12 janvier 2005, n° 03/06117, SA Société Auchan France et autres c/ Société Maxicalzado N° Lexbase : A5283DGR, PIBD, 2005, n° 805, III, 208), la jurisprudence de la Cour de justice incline à penser qu'il faille tendre vers davantage de souplesse. Dès lors, si l'on associe l'absence de rigueur quant à l'interprétation des conditions de mise en oeuvre à cet assouplissement probatoire, force est de constater que la libre circulation des marchandises prévaut de plus en plus sur les droits exclusifs de propriété intellectuelle. On peut le regretter ou s'en réjouir selon l'intérêt que l'on juge supérieur, l'essor de la libre concurrence sur l'ensemble du territoire de la Communauté ou la protection du monopole d'exploitation conféré par le droit de propriété intellectuelle. Toutefois, il faut se garder de conclusions hâtives. En effet, le juge national, chargé d'apprécier les éléments et circonstances qui traduisent la volonté certaine du titulaire de renoncer à ses droits exclusifs, pourra faire preuve lors de cette appréciation in concreto d'une certaine rigueur sans pour autant adopter une sévérité excessive. En cette matière où doit prévaloir la conciliation d'objectifs a priori inconciliables, la voie de la mesure est certainement la meilleure.
Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR
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