La lettre juridique n°376 du 17 décembre 2009 : Éditorial

Garde à vue... en attendant la preuve du Génie Français

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Garde à vue... en attendant la preuve du Génie Français. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212256-garde-a-vue-en-attendant-la-preuve-du-genie-francais
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Il serait normal que les assassins signalent les crimes. Après tout, ils sont les premiers informés" - Michel Audiard, Garde à vue.

Cette semaine, je me dois de rapporter une anecdote qui m'est arrivée, il y a peu, pour cause de déficience du réseau satellitaire... tant elle consacre les contradictions du Génie français.

Merveille de la technologie, un ami basé à Kaboul m'appelle pour prendre de mes nouvelles et singulièrement des nouvelles de la France. La conversation va bon train, évoquant traditionnellement les fêtes de fin d'année, la crise et le plan de relance ; quand mon interlocuteur enchaîne pour me poser une question sur... plus rien, si ce n'est les balbutiements phonétiques de trois mots : "gar... d'... v(o)u"... et plus de tonalité.

"Gar... d'... v(o)u", "gar... d'... v(o)u" ? "Garde à vous" ? Ce pourrait-il que mon ami, actuellement en "Opex", ait lu cet arrêt rendu par le Conseil d'Etat, le 16 novembre dernier, pour lequel la preuve du décès du militaire par accident du service ne peut résulter d'une simple probabilité. Une triste histoire qui pourrait bien affecter l'un de ses co-légionnaires et qui pour reconnaître à Mme X le droit à une pension militaire d'invalidité sur le fondement de l'article L. 43 du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, la cour régionale des pensions de Douai, après avoir souverainement estimé qu'un certain nombre d'indices matériels lui permettaient de considérer que M. X, époux de la requérante, avait été exposé à des radiations nucléaires pendant ses années de service, a déduit, à tort, un lien de causalité entre l'exposition en question et le cancer broncho-pulmonaire ayant causé le décès de celui-ci. Salutaire Légifrance ! Qui donne ubi et orbi le la du droit français au bout du monde...

Non, je n'imagine pas mon ami, lieutenant, naviguer sur la toile pour tomber sur cet arrêt, tout mentionné au Recueil Lebon qu'il fut...

"Gar... d'... v(o)u", "gar... d'... v(o)u" ? "Gare à vous" ? Avec beaucoup d'humour, mon ami instructeur, père de deux adorables bambins, pourrait me rappeler les vertus de la menace suprême, auprès des enfants, à l'approche des fêtes : la transsubstantiation du Père Noël en Père fouettard... encore que ce dernier soit appelé à disparaître, faute d'objet social, à la suite d'une prochaine loi déposée à l'initiative de la Défenseure des enfants interdisant les châtiments corporels !

Non, je n'imagine pas, non plus, mon ami lieutenant-instructeur s'attarder sur une histoire de fessée ; il a bien d'autres chats à fouetter...

"Gar... d'... v(o)u", "gar... d'... v(o)u" ? C'est alors que je passai devant l'écran de télévision.... Ah ! Génie de l'exception culturelle française ou, tout simplement, joie d'une treizième rediffusion hertzienne ! Pour revoir cet excellent film de Claude Miller : mais, oui ! L'histoire de l'inspecteur Gallien, secondé par son adjoint Belmont, qui "reçoit" au commissariat le notaire Martinaud, au sujet du viol et du meurtre de deux jeunes filles...

Garde à vue ! Voilà, ce dont voulait me parler mon ami, pachtoune d'un moment, chargé, notamment, d'exporter le Génie pénal (et non civil, une fois n'est pas coutume) auprès des autorités afghanes renaissantes...

Enfin quoi ! N'avais-je pas lu toute cette polémique sur les droits de la défense pendant la garde à vue, sur l'accès à l'avocat, pour lui en toucher deux ou trois mots ?

J'aurais pu lui dire, ainsi, qu'il avait un blanc seing pour exporter notre droit français de la garde à vue, sans avoir de problème de conscience ! Avec 577 816 gardes à vues, en 2008, soit 1 % de la population, on sait de quoi on parle en France ! Et, le Garde des Sceaux nous le confirme, par la voix d'Arthur Dreyfuss, son porte-parole adjoint : "l'arrêt de la Cour européenne [celui du 27 novembre 2008, s'entend ] condamne le système judiciaire turc, qui n'a rien à voir avec le système judiciaire français. La lecture de l'arrêt dit qu'un accusé doit avoir un avocat au plus vite, or ça tombe bien, c'est ce que prévoit le Code pénal français depuis dix ans". Le ministre de la Justice et des Libertés, invitant les avocats à ne pas faire dire aux décisions de la CEDH "plus qu'elles n'exigent". Et hop, la messe est dite... Où comparaison n'est pas raison, on ne va mettre sur le même plan un régime pénal qui prévoit, selon l'article 63-4 du Code de procédure pénal, que le gardé à vue peut s'entretenir avec un avocat pendant 30 minutes, et cela, dès la première heure -certes l'avocat n'ayant pas accès au dossier- avec Midnight express !

Alors ouiiii, des voix s'élèvent... pour défendre qu'il faut annuler toutes les gardes à vue, au grand émoi du ministre de l'Intérieur qui demande expressément au Garde des Sceaux de préciser la portée exacte de deux décisions du 30 novembre dernier, prises par les magistrats de Bobigny, de ne pas renouveler certaines gardes à vue au motif de la non présence d'un avocat au début de la procédure. "J'ai été amené à refuser, comme juge des libertés et de la détention (JLD), une prolongation de garde à vue après 48 heures, en application de deux arrêts de la CEDH", nous explique Hervé Lourau, vice-président au tribunal de Bobigny. "Je ne suis pas le seul à l'avoir fait et ce refus n'était que la stricte application du droit".

La voix du Bâtonnier du Barreau de Paris, Christian Charrière-Bournazel, s'est faite également entendre, lors de la Rentrée solennelle du 4 décembre 2009, afin d'ouvrir le débat sur une réforme de la garde à vue, aux vues d'une contradiction apparente entre le régime français et la Convention européenne des droits de l'Homme... Même, le Premier ministre François Fillon, a jugé indéniable la nécessité de "repenser " les conditions de garde à vue. Et, le Parlement de s'autosaisir, enfin, pour déposer une proposition de loi, par l'intermédiaire du député Manuel Aeschlimann en "co-production " avec l'association "Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat", pour permettre aux avocats d'assister à tous les interrogatoires et d'avoir accès au dossier dès le début de la garde à vue.

Avec cette "visite de courtoisie", la loi du 4 janvier 1993 mettant le droit français en conformité avec la Convention européenne des droits de l'Homme croyait s'en tirer à bon compte ! Mais, lorsque le président du Conseil constitutionnel, en charge du respect suprême des droits fondamentaux, gardien du Génie Français des Lumières, cite, au Théâtre du Châtelet, et reprenant à son compte, le doyen Vedel pour lequel "la garde à vue viole les droits de la défense, car elle permet qu'un suspect soit interrogé sans l'assistance d'un avocat", n'est-ce pas, là, le désaveu d'un régime inquisitoire mollement légitimé en 1958 pour répondre, au grand dam de l'intervention, jugée incongrue par certains syndicats de police, des avocats, défenseurs des libertés, lors de ces interrogatoires... parfois musclés...

"Je ne me souviens plus qui a dit : On cesse d'être en sécurité dès qu'on passe la porte d'un commissariat. Avec vous, composer le numéro de la police donne déjà la chair de poule" nous livre Maître Martinaud dans Garde à vue.

Alors, "les avocats seront associés à la concertation" sur la réforme de la garde à vue qui sera dévoilée en janvier 2010. "Je suis prête à les écouter", nous promet Michelle Alliot-Marie.

En attendant, je ne saurai que conseiller à mon ami téléphonique d'attendre, comme Robert Badinter, la prochaine réforme de la procédure pénale, à l'initiative du rapport de la commission "Léger", pour statuer définitivement sur le caractère "exportable" ou non de notre régime de garde à vue.

"Je suis devenu chrétien. Je n'ai point cédé, je l'avoue, à de grandes lumières surnaturelles ; ma conviction est sortie de mon coeur : j'ai pleuré et j'ai cru". A travers du Génie du christianisme, Chateaubriand cherchait à "prouver que le christianisme vient de Dieu, parce qu'il est excellent". Gageons qu'à la lumière de la prochaine réforme de la garde à vue, et plus généralement de la procédure pénale, l'on puisse dire que la Liberté et les Droits de la défense sont Français, parce qu'ils sont excellents !

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