Réf. : Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW)
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par Daniel Dechriste, Bâtonnier de l'ordre des avocats de Colmar, Christine Laissue-Stravopodis, Bâtonnier élu et Dominique d'Ambra, avocat à la cour d'appel et Professeur agrégé à la Faculté de droit de Strasbourg
le 07 Octobre 2010
L'esprit de ce décret et les modifications des règles de procédure sont significatifs d'une méfiance caractérisée du législateur à l'encontre des justiciables et de leurs représentants.
Le décret ne tend pas à améliorer la qualité ou même la célérité de la justice mais constitue une volonté affichée de restreindre de manière drastique le recours possible à la juridiction d'appel.
1.1. Le projet de décret impose des délais raccourcis assortis de sanctions irrémédiables
Aux termes du nouvel article 902 du Code de procédure civile, la déclaration d'appel doit, à peine de caducité de l'appel, être signifiée dans un délai de un mois à compter de l'avis adressé par le Greffe, lorsque, après notification de l'acte d'appel par celui-ci, l'intimé n'a pas constitué Avocat dans un délai d'un mois. La volonté est de sanctionner l'avocat -et respectivement le justiciable- qui, pourtant, est tributaire du délai de transmission de l'avis du greffe, du délai d'acheminement de son assignation à l'huissier et du délai de délivrance de l'acte. Ceci est d'autant plus vrai que les huissiers, face à de nombreux impayés, exigent des provisions avant toute intervention. Ces diligences sont sous le coup d'une sanction irréversible et automatique qui est inacceptable.
Le nouvel article 908 du même code prévoit, quant à lui, que, à peine de caducité constatée d'office par ordonnance du conseiller de la mise en état, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure (sauf en cas de demande d'aide juridictionnelle le délai commençant à courir à compter de la décision d'admission ou de rejet). La sanction de la caducité prononcée d'office par le conseiller de la mise en état, sans débat ni contrôle, par son caractère irréversible, et automatique, n'est pas acceptable car proprement contraire à l'intérêt du justiciable, et ne concourt pas au bon fonctionnement de la justice.
Aux termes du nouvel article 909 du même code, l'intimé dispose, lui-même, d'un délai de deux mois à peine d'irrecevabilité relevée d'office à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour conclure et former le cas échéant appel incident.
Enfin, le nouvel article 910 dispose, en substance, que l'intimé à un appel incident, intervenant forcé, dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions pour conclure. Les parties ne pourront, donc, déposer qu'un seul jeu de conclusions, sauf si le conseiller de la mise en état estime qu'il convient de conclure plus longuement ou si les parties doivent répondre à un appel incident ou provoqué.
1.2. Le rapport entre droits des parties et pouvoir coercitif du juge est déséquilibré à l'avantage de ce dernier
Le nouvel article 564 du Code de procédure civile prévoit, désormais, que la cour d'appel doit soulever l'irrecevabilité d'office des nouvelles prétentions.
Cette disposition, a été présentée, par le rapport "Magendie 2", comme étant la volonté d'éviter le rallongement de la procédure d'appel et de favoriser le double degré de juridiction.
Or, cette disposition couplée au principe de concentration des moyens consacrés par l'Assemblée plénière, dans son arrêt du 7 juillet 2006, accentue la voie de l'appel comme voie de réformation et non plus voie d'achèvement du procès (Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, M. Gilbert Cesareo, P+B+R+I N° Lexbase : A4261DQU).
Il y a un risque de généraliser le principe établi en matière prud'homale d'unicité de l'instance sauf que, dans ce cadre-là, les demandes nouvelles sont toujours recevables à hauteur d'appel.
En outre, selon le nouvel article 954, les prétentions des parties doivent être formulées dans le dispositif faute de quoi la cour ne sera pas tenue de statuer. Les conclusions ne sont plus considérées dans leur ensemble pour déterminer les prétentions des parties. Celles-ci doivent expressément figurer dans le dispositif. Il n'y a donc plus de moyens implicites tirés des motifs des conclusions. En cas d'oubli de la reprise d'une prétention dans le dispositif, celle-ci serait écartée.
2. Le contexte procédural
Pour apprécier la portée du décret du 9 décembre 2009, il faut le situer dans le contexte procédural actuel.
2.1. Retour sur l'arrêt d'Assemblée plénière du 7 juillet 2006
Cet arrêt pose le principe de la concentration des moyens et consacre le principe de l'autorité de la chose non jugée (dixit le recteur Guinchard, L'autorité de la chose qui n'a pas été jugée à l'épreuve des nouveaux principes directeurs du procès civil et de la simple faculté pour juge de changer le fondement juridique des demandes, in Mélanges G. Wiederkehr, Dalloz, 2009, p. 379).
Aux termes de cet arrêt : "il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci" et, ayant introduit une autre demande en invoquant un fondement juridique différent, "il ne peut être admis à contester l'identité de cause des deux demandes en invoquant un fondement juridique qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile de sorte que la demande se heurte à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation".
En l'espèce, la première demande avait été introduite sur le fondement du salaire différé et la seconde sur l'enrichissement sans cause. Il faut, alors, citer un arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2007 qui, à la suite de la relaxe d'un médecin, une demande ayant été introduite au civil sur le fondement de la responsabilité contractuelle, le demandeur avait été débouté au motif qu'il aurait dû présenter sa demande devant le tribunal correctionnel (Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 06-19.524, FS-P+B N° Lexbase : A2533DZT).
2.2. Le décret du 20 août 2004
Le décret n° 2004-836 du 20 août 2004 (N° Lexbase : L0896GTD), entré en application à compter du 1er janvier 2005, permet au juge de soulever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.
2.3. Retour sur l'arrêt d'Assemblée plénière du 21 décembre 2007
Cet arrêt pose le principe selon lequel le juge n'a pas l'obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique des demandes des parties (Ass. plén., 21 décembre 2007, n° 06-11.343, M. Denis Dauvin c/ Société Carteret automobiles, P+B+R+I N° Lexbase : A1175D3W).
Dans le souci d'une bonne justice le principe de concentration aurait dû conduire à :
- ce que le juge dont l'office est de dire le droit soit contraint de soulever les moyens de droit ; tel n'est pas le cas au terme de cet arrêt du 21 décembre 2007 ;
- autoriser les demandes nouvelles en appel ; tel n'est pas le cas, au contraire, avec le décret du 9 décembre 2009.
Aussi, ce décret poursuit le travail de déconstruction procédurale entrepris par le décret du 28 décembre 2005 (décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, relatif à la procédure civile, à certaines procédures d'exécution et à la procédure de changement de nom N° Lexbase : L3298HEU) en transformant certaines règles de procédure en traquenards et en empêchant le justiciable et son représentant de rectifier des erreurs commises.
Le justiciable n'aura d'autre issue que de se retourner vers son avocat qui aura omis de soulever dès la première instance tous les fondements juridiques susceptibles de soutenir la prétention de son client.
Par ailleurs, si les avocats soulèvent en première instance tous les moyens juridiques même les plus fantaisistes les procès risquent de se compliquer et de s'éterniser.
Aucun des deux objectifs de célérité et qualité ne sera donc atteint.
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