Réf. : Cass. com., 20 octobre 2009, n° 08-18.233, Société Antilles industrie 12, F-P+B (N° Lexbase : A2672EMW)
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N5974BM9
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par Cécile Lisanti, Maître de conférences à l'Université Montpellier I, Centre du Droit de l'Entreprise
le 07 Octobre 2010
Les juges du fond, tant en première qu'en deuxième instance (CA Fort de France, 14 mars 2008) ayant accueilli cette demande, le cédant avait alors formé un pourvoi en cassation. Pour justifier le caractère irrecevable de l'action du cessionnaire à son encontre, deux arguments étaient avancés. D'une part, le cédant soutenait que la créance dont le paiement était demandé était éteinte. En effet, selon lui, le défaut de déclaration de la créance cédée par le cessionnaire au passif de la procédure du débiteur cédé avait emporté extinction de cette créance en application des anciens articles L. 621-43 (N° Lexbase : L6895AI9) et L. 621-46 (N° Lexbase : L6898AIC) du Code de commerce, dispositions applicables en la cause. Dès lors, la cour d'appel, qui avait considéré que l'absence de déclaration au passif ne s'opposait pas à l'action en garantie du cessionnaire contre le cédant, aurait violé, par fausse application, l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9257DYI). D'autre part, le cédant prétendait que la délégation de loyers réalisée au profit de la banque était assortie d'une clause qui limitait expressément le recours du délégataire contre le délégant à la seule mise en oeuvre des garanties et que, par ailleurs, s'agissant de délégation parfaite emportant novation, la banque n'avait plus qualité pour agir contre le cédant-délégant qui n'était donc plus son débiteur.
Cette analyse n'est pas suivie par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. S'agissant, d'abord, de l'argument relatif à la stipulation de renonciation au recours vis-à-vis du cédant, la Chambre commerciale l'écarte en reprenant la solution des juges du fond, qui avaient constaté que la stipulation de renonciation au recours contre le cédant-délégant était soumise à une obligation du cédant, obligation ici inexécutée. S'agissant, ensuite et surtout, de l'argument tiré du défaut de déclaration de la créance cédée, la Chambre commerciale ne le retient pas plus, au motif "que lorsque la cession de créance professionnelle est effectuée à titre de garantie d'un crédit, le cédant reste tenu, en sa qualité de débiteur principal, vis-à-vis de l'établissement cessionnaire lui ayant accordé le crédit, peu important que la créance cédée n'ait pas été déclarée au passif du débiteur cédé [...]".
Ainsi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation considère que l'absence de déclaration de créance par le cessionnaire dans la procédure collective ouverte à l'encontre du débiteur cédé n'empêche pas le cessionnaire de poursuivre le cédant. A l'appui de son raisonnement, elle se fonde sur la nature de la cession de créance, constituée à titre de garantie : c'est donc parce que le cédant demeure le débiteur principal à l'égard du cessionnaire, que la déclaration de la créance cédée au passif de la liquidation judiciaire du débiteur cédé est jugée non nécessaire.
Il est donc très clairement énoncé par la Chambre commerciale que la déclaration de créance au passif de la procédure collective du débiteur cédé n'est pas une condition du recours du cessionnaire contre le cédant. Si cette solution ne paraît pas complètement nouvelle, elle présente toutefois l'intérêt d'être précisée par la Cour de cassation pour une cession de créances professionnelles à titre de garantie.
La solution n'est pas surprenante dans le sens où elle avait été précédemment posée par la Chambre commerciale à propos de la cession à titre d'escompte (1). Pour ce type de cession, la Cour de cassation avait considéré que le recours en garantie exercé par le cessionnaire contre le cédant sur le fondement de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier pouvait être mis en oeuvre même si le cessionnaire n'avait pas déclaré sa créance au passif de la procédure du débiteur cédé. Pour autant, la notification de la cession au débiteur semblait constituer une condition à l'action du cessionnaire contre le cédant, la Cour ayant en effet estimé que "le cessionnaire d'une créance professionnelle, qui a notifié la cession en application des dispositions de la loi du 2 janvier 1981, bénéficie du recours en garantie contre le cédant, garant solidaire, et sa caution, sans avoir à justifier préalablement d'une poursuite judiciaire à l'encontre du débiteur cédé, ou même de sa mise en demeure [...] dont il résulte que la banque, qui n'avait pas à déclarer sa créance à la procédure collective du débiteur cédé [...]". Postérieurement, la Chambre commerciale eut toutefois l'occasion d'indiquer que, même en l'absence de notification, la déclaration de créances au passif de la procédure collective du débiteur cédé ne conditionnait pas l'action en garantie du cessionnaire contre le cédant (2). La solution semble donc clairement posée : en cas de procédure collective ouverte à l'encontre du débiteur cédé, il n'est pas nécessaire que le cessionnaire déclare la créance cédée au passif pour pouvoir mettre en oeuvre son action en garantie contre le cédant exercée sur le fondement de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier.
L'analyse semble a priori techniquement justifiée au regard de la nature de l'action du cessionnaire contre le cédant. Rappelons que deux types d'actions peuvent être envisagés par le cessionnaire. Dans l'hypothèse particulière où le bordereau n'a pas été notifié, le cédant peut être poursuivi par le cessionnaire en sa qualité de mandataire chargé du recouvrement. Cette action n'est plus possible en présence de notification, cette dernière emportant révocation du mandat d'encaissement du cédant. Par ailleurs, que le bordereau ait été ou non notifié, le cessionnaire peut agir contre le cédant en sa qualité de garant solidaire sur le fondement de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier. En application de ce texte, sauf clause contraire, le cédant est tenu de payer le cessionnaire si le débiteur cédé ne le fait pas. La mise en oeuvre de cette garantie n'est assortie d'aucune condition particulière : ainsi, notamment, la notification de la cession par la cédé n'est pas nécessaire. En outre, pour exercer le recours en garantie, le cessionnaire n'a pas à justifier de l'existence de poursuites préalables contre le débiteur cédé, une demande amiable étant seulement nécessaire, sauf si un événement rend impossible le paiement (3). C'est pourquoi, en présence d'une procédure collective du débiteur cédé, la déclaration de créance ne constitue pas une condition de l'action en garantie du cessionnaire contre le cédant. Cette solution, très favorable au cessionnaire, a conduit certains auteurs à relever qu'en pratique, elle inciterait les cédants à écarter conventionnellement leur garantie, comme l'y autorise l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier (4).
La même solution, est appliquée en l'espèce à propos de la cession de créances professionnelles à titre de garantie. Selon la Chambre commerciale, le défaut de déclaration de créances au passif de la liquidation judiciaire du débiteur cédé, qui emporte extinction de la créance cédée selon l'ancien article L. 641-43 du Code de commerce, n'affecte nullement l'action du cessionnaire contre le cédant, qui est demeuré le débiteur principal à l'égard du cessionnaire.
L'analyse retenue semble logique du point de vue de son articulation avec les solutions antérieures relatives à la cession de créance intervenue à titre d'escompte. L'on ne voit pas comment, alors que la déclaration de créance n'est pas exigée pour le recours en garantie contre le cédant dans l'hypothèse d'une cession à titre d'escompte, la Cour aurait pu poser une autre solution pour la cession à titre de garantie. Il n'y a, a fortiori, aucune raison d'ériger la déclaration de créance en une condition du recours du cessionnaire contre le cédant. En effet, dans la cession à titre d'escompte, la propriété de la créance cédée est transmise définitivement au cessionnaire : le débiteur cédé devient alors le débiteur du cessionnaire, le cédant étant seulement garant solidaire du paiement en application de l'article L. 313-23 du Code monétaire et financier. A l'inverse, dans la cession à titre de garantie, le transfert de la propriété de la créance cédée présente un caractère provisoire (5). Ainsi, si avant l'échéance de la créance garantie, le cessionnaire est propriétaire de la créance cédée, à l'échéance de la créance garantie, la propriété de la créance cédée a théoriquement vocation à retourner dans le patrimoine du cédant. Concrètement, si le cessionnaire reçoit paiement de la part du cédant, ce dernier, redevenu propriétaire de la créance, recevra paiement de la part du débiteur cédé. En d'autres termes, ce n'est qu'en cas de défaillance du cédant que le cessionnaire a vocation à être payé par le débiteur cédé. La créance cédée est seulement l'objet de la garantie de l'engagement principal du cédant. Il semble alors logique, dès lors que l'on juge la déclaration inutile pour l'exercice du recours en garantie contre le cédant dans la cession à titre d'escompte, de considérer a fortiori inutile cette déclaration lorsque la cession est intervenue à titre de garantie.
Il était donc prévisible que la Cour de cassation considère que "lorsque la cession de créance professionnelle est effectuée à titre de garantie d'un crédit, le cédant reste tenu, en sa qualité de débiteur principal, vis-à-vis de l'établissement cessionnaire lui ayant accordé le crédit, peu important que la créance cédée n'ait pas été déclarée au passif du débiteur cédé". La Chambre commerciale se fonde sur la nature particulière de la cession, intervenue en l'espèce à titre de garantie, pour considérer que la déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire du débiteur cédé ne conditionne pas l'action du cessionnaire contre le cédant. Cette solution invite à trois séries d'observations.
D'abord, dans sa formulation, elle semble néanmoins quelque peu maladroite. En effet, littéralement, elle paraît remettre en cause les solutions précédentes relatives à la cession à titre d'escompte, lorsque le cessionnaire exerce l'action en garantie de l'article L. 323-13, action dont il n'était pas question en l'espèce. En effet, pour la Chambre commerciale, c'est la qualité de débiteur principal qui semble fonder l'inutilité de la déclaration de créance. Or, dans la cession à titre d'escompte, le cédant est garant solidaire du paiement et non le débiteur principal du cessionnaire. Faut-il alors considérer que les solutions antérieures relatives à la cession de créance réalisée à titre d'escompte sont remises en cause ? Rien n'est moins sûr. Peut-être pourrait-on penser qu'il s'agit ici d'une formulation maladroite, qui ne constitue pas une limitation délibérée de la solution à la cession à titre de garantie.
Ensuite, la solution semble pouvoir être transposée par analogie aux autres mécanismes de garantie portant sur une créance. Tel sera le cas notamment, du nantissement de créance, ou de la fiducie-sûreté portant sur une créance. Pour toutes ces sûretés, lorsque le débiteur de la créance nantie ou cédée est l'objet d'une procédure collective, la déclaration de créance par le créancier bénéficiaire de la sûreté ne devrait pas constituer une condition de l'action de ce dernier contre le débiteur principal.
Enfin, à y regarder de plus près, on peut se demander si cette solution n'est pas quelque peu trop favorable à la préservation des intérêts du cessionnaire. En effet, le cessionnaire qui ne déclare pas la créance cédée ne porte-t-il pas atteinte à la conservation de l'objet de la sûreté ? En sa qualité de titulaire de la créance, dès la cession de créance, lui seul a qualité pour effectuer cette déclaration. En ne le faisant pas, la créance sera éteinte selon les dispositions antérieures du droit des entreprises en difficulté, inopposable à la procédure selon les textes actuels. Pourtant dans les deux cas, parce qu'il s'agit d'une cession à titre de garantie, la créance avait vocation à retourner dans le patrimoine du cédant. Or, le cessionnaire n'apporte pas tous les soins nécessaires à la conservation de l'objet de la sûreté. Le dispenser de la formalité de déclaration pour pouvoir agir contre le cédant témoigne, une fois encore, de la redoutable efficacité des propriétés-sûretés. Si en elle-même, cette efficacité n'est pas blâmable, c'est sans doute plus le "traitement hétérogène" des titulaires de sûretés (6) qu'il faut regretter.
(1) Cass. com., 14 mars 2000, n° 96-14.034, M. Tourriol c/ Société bordelaise de crédit industriel et commercial (N° Lexbase : A3701AUM), Bull. civ. IV, n°55 ; D., 2000, AJ, 236, obs. Faddoul ; JCP éd. E, 2000, n° 20, p. 774; RTDCom., 2000, 996, obs. M. Cabrillac.
(2) Cass. com., 11 décembre 2001, n° 98-18.580, M. Jacques Leblond c/ Société générale, FS-P (N° Lexbase : A6421AX4), Bull. civ. IV, n° 196 ; D., 2003, somm. 342, obs. Martin ; RD banc. fin., 2002, n° 92, obs. Cerles.
(3) Cass. com., 18 septembre 2007, n° 06-13.736, Crédit industriel d'Alsace et de Lorraine, F-P+B (N° Lexbase : A4231DYD) ; RTDCom., 2007, p. 821, obs. D. Legeais ; D. Robine, Les conditions du recours en garantie du cessionnaire Dailly contre le cédant, Lexbase Hebdo n° 277 du 18 octobre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N8785BCD).
(4) D. Legeais, obs. préc., sous Cass. com., 18 septembre 2007, préc..
(5) En ce sens : Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-15.669, M. Bruno Sapin, administrateur judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de la société Entreprise Jean Nallet c/ Banque du bâtiment et des travaux publics (BTP Banque), FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A7428DLP) ; M.-E. Mathieu, Propos autour de la cession Dailly, véritable cession fiduciaire de créances, Lexbase Hebdo n° 196 du 5 janvier 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N2770AKS) ; D., 2005, AJ, p. 3081, obs. X. Delpech ; RTDCom., 2006, p. 169, obs. D. Legeais ; Defrénois, 2006, p. 601, obs. F. Savaux ; RD banc. fin., 2006, comm. 16, obs. A. Cerles ; Banque et Droit, 2006, p. 67, obs. Th. Bonneau ; JCP éd. E, 2006, n° 14-15, p. 673, obs. M. Cabrillac.
(6) Plus généralement sur cette idée, N. Borga, Regards sur les sûretés dans l'ordonnance du 18 décembre 2008, Rev. banc. fin., 2009, étude 20.
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