L'arrêt "Société Compagnie HLB" nécessite que l'on rappelle d'un trait le contexte dans lequel s'est développé ce contentieux opposant les contribuables à l'administration fiscale : lorsque cette dernière rectifie le bilan en augmentant l'actif ou en diminuant le passif, l'actif net est majoré d'autant ce qui entraîne une imposition en application des dispositions du Code général des impôts (CGI, art. 38-2
N° Lexbase : L3699ICY) prévoyant que le bénéfice net imposable est égal à la différence, pour un même exercice, entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture du bilan. Telle serait l'hypothèse d'une dette de l'entreprise inscrite au passif du bilan, alors même qu'elle serait prescrite. Cependant, il est de jurisprudence ancienne (CE 27 octobre 1958, n° 39769, RO (1) 226, BCD (2) 1959.111 ; GAJF, Dalloz, 5ème édition, 2009, p. 629 et s.) que l'administration doit corriger symétriquement les bilans successifs dans le cas où la même erreur -ou l'omission- s'y retrouverait. Pendant longtemps, la règle de la correction symétrique des bilans pouvait entraîner une absence d'imposition dans l'hypothèse d'un rattachement d'une erreur ou d'une omission à un exercice prescrit (3) jusqu'à l'instauration, en 1973, d'un butoir (CE Contentieux, 31 octobre 1973, n° 88207,
N° Lexbase : A7634AYE) : c'est la règle prétorienne de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit. Cette jurisprudence, qui a souvent joué au profit de l'administration fiscale (4), autorise ainsi, par exemple, la remise en cause d'une provision ou d'un déficit reporté même au titre d'un exercice prescrit (5). En d'autres termes, elle a permis, sans intervention du législateur entre 1973 et 2004, de faire échec aux règles relatives à la prescription.
En 2004, le Conseil d'Etat décide de reconsidérer l'application de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit (6) -sans abandonner pour autant la notion de correction symétrique des bilans- par une décision remarquée sous réserve de l'absence d'erreurs ou d'omissions délibérément commises par le contribuable (7) (CE Contentieux, 7 juillet 2004, n° 230169, SARL Ghesquière Equipement N° Lexbase : A0698DD9). Cette décision ne satisfaisant pas les intérêts budgétaires de la Nation, le législateur légalisa la règle applicable antérieurement, assortie toutefois d'exceptions (8) dont un droit à l'oubli si l'erreur ou l'omission entachant l'actif net est intervenue plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit.
Le débat s'est poursuivi devant le juge de l'impôt (v. notamment : CE 3° et 8° s -s-r., 13 février 2009, n° 296117, M. Saupic N° Lexbase : A1150EDX ; CE 3° et 8° s-s-r., 30 juin 2008, n° 288314, M. Lemoine N° Lexbase : A4484D9X ; CAA Nantes, 1ère ch., 1er octobre 2007, n° 04NT00220, SA Catimini International et SA Catimini N° Lexbase : A6119DZN ; CE 9° et 10° s-s-r., 16 mai 2007, n° 290264, SA Chambouleyron N° Lexbase : A3893DW4) et un contribuable a alors invoqué, au soutien de ses prétentions, la violation de l'article premier du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Dans cette décision "Société Getecom" (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 292948, Société Getecom N° Lexbase : A3127EBG), le Haut Conseil, s'inspirant de la jurisprudence européenne (CEDH, 10 novembre 2005, req. n° 60559/00, Eeg-Slachtuis Verbist, RJF, mai 2006, n° 650 ; CEDH, 16 avril 2002, req. 36677/97, SA Dangeville N° Lexbase : A5395AYH) a reconnu qu'"à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien" pour en refuser l'application en matière d'intangibilité du bilan d'ouverture puisque l'espérance légitime n'était pas compatible avec la hâte avec laquelle les autorités publiques avaient mis très rapidement un terme au revirement jurisprudentiel issu de la décision "Ghesquière Equipement".
Au cas particulier, la cour administrative d'appel de Paris (9) applique la jurisprudence "Société Getecom" et déboute le contribuable de ses demandes dès lors que l'enchaînement des évènements démontrait que la société requérante ne pouvait utilement se prévaloir d'une espérance légitime d'obtenir le remboursement d'une partie des sommes objets de ce contentieux : en effet, le gouvernement, avant même le dépôt en novembre 2004 du projet de loi, avait déjà communiqué sur ce sujet en exprimant sa volonté de revenir sur la jurisprudence "Société Ghesquière Equipement". Ainsi, les autorités publiques ont fait un coup double : réussir à mettre un terme à une jurisprudence n'abondant pas dans le sens de leurs intérêts en recourant au législateur mais également prévenir les effets de la jurisprudence européenne en communiquant à dessein.
(1) Recueil officiel de jurisprudence fiscale (DGI).
(2) Bulletin des contributions directes (Dupont).
(3) "
Votre jurisprudence antérieure à la décision du 31 octobre 1973 n'avait en général pas hésité à aller jusqu'au bout de la logique de la correction symétrique et à admettre par conséquent, la rectification d'écritures d'exercices prescrits ou amnistiés, ce qui interdisait évidemment à l'Administration d'en tirer des conséquences fiscales", concl. M. Schricke sous CE Contentieux, 13 mars 1981, n° 12508, Caisse centrale (
N° Lexbase : A7037AKT), GAJF, 2003, 4ème édition, p. 586.
(4) "
Il est clair, qu'en pratique, les contribuables omettent plus souvent de déclarer des produits que de déclarer des charges, de sorte que la jurisprudence du 31 octobre 1973 est nécessairement plus souvent favorable au Trésor qu'au contribuable", concl. M. Schricke sous CE Contentieux, 13 mars 1981, n° 12508, Caisse centrale, préc..
(5) CE 9° et 7° s-s-r., 28 janvier 1976, n° 77909 (
N° Lexbase : A8826B8E) ; CE Contentieux, 27 juillet 1979, n° 11717 (
N° Lexbase : A2343AKY) ; CE Contentieux, 20 avril 1984, n° 37050, (
N° Lexbase : A2777ALG).
(6) "
Considérant qu'aux termes de l'article 38-2 du Code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : Le bénéfice net imposable est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt [...]
. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés' ; que lorsque les bénéfices imposables d'un contribuable ont été déterminés en application de ces dispositions, les erreurs ou omissions qui entachent les écritures comptables retracées au bilan de clôture d'un exercice ou d'une année d'imposition et entraînent une sous-estimation ou une surestimation de l'actif net de l'entreprise peuvent, à l'initiative du contribuable qui les a involontairement commises, ou à celle de l'administration exerçant son droit de reprise, être réparées dans ce bilan ; que les mêmes erreurs ou omissions, s'il est établi qu'elles se retrouvent dans les écritures de bilan d'autres exercices, doivent y être symétriquement corrigées, dès lors qu'elles ne revêtent pas, pour le contribuable qui les invoque, un caractère délibéré et alors même que tout ou partie de ces exercices seraient couverts par la prescription prévue, notamment, aux articles L. 168 (
N° Lexbase : L8487AE3)
et L. 169 (
N° Lexbase : L5459H93)
du Livre des procédures fiscales".
(7) Ce dernier aspect étant conforme à sa jurisprudence antérieure : "
Considérant qu'il est constant que, d'une part, la société requérante avait augmenté la valeur de son actif net comptable à la clôture des exercices antérieurs à 1964, notamment à la clôture de l'exercice 1963, en laissant figurer à l'actif, au poste travaux en cours', des sommes correspondant à des frais de fabrication supportés au cours de l'exercice et constituant purement et simplement des charges d'exploitation de l'exercice ; que, d'autre part, la société a entrepris à partir de 1964 de résorber' ce poste ne correspondant à aucun actif réel ; qu'enfin c'est précisément la diminution du montant de ce poste de l'actif entre l'ouverture et la clôture de l'exercice 1964 qui est la cause des résultats déficitaires litigieux ; Considérant qu'il résulte de l'instruction que, comme le soutient d'ailleurs la société requérante elle-même, ce n'est pas par erreur ou inadvertance, mais au contraire volontairement, eu égard aux inconvénients de toute nature qu'aurait entraînés la mise en lumière de sa situation réelle, que la société a surestimé, au moyen du poste travaux en cours', la valeur de son actif net à la clôture de l'exercice 1963 ; qu'en raison du caractère délibérément irrégulier de ces écritures, celles-ci n'étaient pas opposables à l'administration, qui s'est donc refusée à bon droit à regarder la perte comptable résultant de la remise en ordre opérée en 1964 comme constituant un déficit reportable de cet exercice", CE Contentieux, 27 juillet 1979, n° 11717, préc..
(8) "
En application du troisième alinéa du 4 bis de l'article 38, la règle de l'intangibilité du bilan ne s'applique pas en cas de correction d'omissions ou d'erreurs résultant : - de la pratique de dotations aux amortissements excessifs au regard des usages mentionnés au 2° du 1 de l'article 39 au cours de la période prescrite ; - de la passation à tort en charges au cours d'exercices prescrits de frais qui auraient dû venir majorer le coût de revient d'éléments de l'actif immobilisé ; - de la comptabilisation en charges au cours d'exercices prescrits de dépenses constitutives d'immobilisations", instruction BOI 4 A-10-06 du 29 juin 2006, § 39 (
N° Lexbase : X7004ADR).
(9) La CAA indiquera, également, qu'une correction est possible si "
les déficits des exercices prescrits eussent effectivement été reportés sur les résultats d'un ou plusieurs exercices non prescrits".
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