Lecture: 8 min
N4583BMP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les mentions qui ne doivent plus figurer sur un CV anonyme ?
Eric Lemaire : Depuis le 26 janvier 2005, les champs suivants remplis par les candidats sont "anonymisés" : nom, prénom, coordonnées, date de naissance, nationalité, âge et sexe. Pour résumer, sont anonymisées toutes les informations qui pourraient être discriminantes ou donner lieu à une discrimination. A une petite chose près nous concernant, puisqu'on laisse apparaître le numéro du département, l'idée étant de répartir les CV en fonction de leur zone géographique.
Nous l'avons expérimenté pour toutes les candidatures à des postes de commerciaux, soit l'essentiel des postes à pourvoir dans notre société (environ 800 recrutements par an), adressées via internet. Cette "anonymisation" permet aux personnes en charge du recrutement de concentrer leur examen sur la formation et l'expérience professionnelle des candidats. Sur cette base exclusivement professionnelle, ils envoient automatiquement un mail aux candidats en répondant, soit que son profil ne correspond pas à nos recherches, soit l'invitant à prendre contact avec nous. En octobre dernier, nous avons décidé d'étendre la pratique du CV anonyme aux postes "administratifs".
Lexbase : Est-ce suffisant ? Prenons l'exemple d'un senior qui ne fait pas figurer ces mentions dans son CV, ses expériences professionnelles ne risquent-elles pas de le trahir ? Finalement, cet outil ne risque-t-il pas d'être pris à son propre piège ?
Eric Lemaire : C'est une question pertinente. Un senior peut effectivement trahir son âge par rapport à son expérience professionnelle. Il convient, cependant, de souligner le fait qu'un candidat n'est pas contraint de signifier toutes ses expériences sur son CV, il ne peut y faire figurer que les plus significatives au regard du poste sur lequel il postule. Je tiens, par ailleurs, à préciser qu'Axa France recrute également des seniors, par exemple, sur des métiers d'agents mandataires.
Lexbase : Vous utilisez depuis près de cinq ans ce dispositif pour recruter vos commerciaux et vos cadres administratifs, comment se passe, en pratique, le recrutement par CV anonyme ?
Eric Lemaire : Les CV anonymes sont des CV renseignés via le site internet, pour les autres CV (forum, cooptation), les candidats ont le choix de postuler de la façon qu'ils veulent, mais il est vrai que la part des CV internet devient ou sera amenée à devenir de plus en plus importante. Il y a un côté très "pratico-pratique". Le recruteur reçoit le CV, s'il l'intéresse, il décide alors de lever l'anonymat et un message de rendez-vous est envoyé, il n'a les informations qu'à ce moment. Si le CV a été refusé, l'anonymat n'est pas pour autant levé.
Lexbase : Quels sont les bénéfices d'un tel outil ?
Eric Lemaire : Nous expérimentons le CV anonyme depuis 2005, il a alors été mis en place pour les salariés commerciaux. Il fallait, en effet, un test significatif et les commerciaux constituent la plus grosse part des recrutements (20 % de nos salariés commerciaux ont été recrutés via le CV anonyme en 2008). Il a été généralisé en octobre dernier pour les autres postes.
Il faut savoir que c'est un outil simple d'utilisation pour nos recruteurs, qui permet d'aller directement à l'information, il constitue ainsi une facilité de lecture indéniable, le candidat intègre lui-même, via internet, les différents critères. C'est également une facilité de contact et puis une réactivité accrue. En résumé, on n'a pas, à ce stade, trouvé de contraintes majeures à l'utilisation d'un tel outil.
Par ailleurs, si, aujourd'hui, le comptage ethnique n'est pas autorisé par la loi, nous avons le sentiment que la mise en place du CV anonyme encourage les jeunes issus des minorités visibles à postuler par ce canal. Il y a, cependant, ici, un point important à souligner : la discrimination peut exister sous d'autres formes. Nous avons, par exemple, recruté une salariée (une femme avec deux enfants), via le CV anonyme, qui ne trouvait pas de travail dans le commercial du fait de sa situation familiale ; c'est aussi une forme de discrimination. La discrimination homme-femme peut exister, c'est pour cela qu'il faut mettre en oeuvre une politique globale pour lutter contre les discriminations, et pas seulement au niveau du recrutement.
Lexbase : Change-t-il réellement les choses ? Ne fait-il pas, finalement, que retarder la discrimination au moment de l'entretien d'embauche ?
Eric Lemaire : La question est récurrente de la part des détracteurs du CV anonyme et il n'existe pas de données permettant d'apprécier la "diversité" des personnes recrutées, la législation ne permettant pas d'identifier les critères ethniques, comme nous l'avons déjà souligné. Mais d'après une enquête anonyme menée en 2005 auprès d'un échantillon représentatif de 560 commerciaux de notre groupe, il apparaît que le CV anonyme a constitué un signal fort en direction des populations susceptibles d'être discriminées. En effet, nous avons estimé à 26 % la part des collaborateurs ayant une origine étrangère parmi les personnes recrutées après 2005, c'est-à-dire via le CV anonyme, contre 20 % pour les collaborateurs recrutés avant 2005 (hors CV anonyme donc). Par ailleurs, il faut souligner qu'au cours de cette enquête, 79 % des personnes qui connaissaient le CV anonyme ont estimé qu'il s'agissait d'une bonne initiative, et 64 % que cette initiative allait favoriser l'emploi des populations issues de la diversité. Nous sommes convaincus que le CV anonyme est un bon élément d'outil de lutte contre les discriminations.
En revanche, si l'on estime que cet outil est positif, il faut bien souligner qu'il ne saurait suffire à lui seul, il doit s'inscrire dans une politique plus globale de diversité et d'égalité professionnelle. Il faut bien insister sur ce point. Le CV anonyme ne saurait donc être une mesure isolée, il s'agit avant tout de diffuser un message clair sur l'égalité des chances et cette politique doit guider tous les aspects de la gestion des ressources humaines : le recrutement, via l'anonymisation des CV, mais, également, la formation, le management, la gestion des carrières ou, encore, la rémunération.
(1) Les Bouches-du-Rhône, le Bas-Rhin, la Loire-Atlantique, le Nord, le Rhône, la Seine-Saint-Denis et Paris.
(2) Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, pour l'égalité des chances (N° Lexbase : L9534HHL). Lire les obs. de S. Tournaux, Dispositions diverses : l'interdiction des enchères électroniques inversées sur le salaire - la mise en place du CV anonyme, Lexbase Hebdo n° 210 du 12 avril 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N6901AKS) : "mais cette mesure risque, surtout, de devenir un casse-tête pour les entreprises et autres cabinets de recrutement qui tâcheront de l'appliquer de bonne foi. Comment la mettre concrètement en pratique ? Faudra-t-il écarter les adresses électroniques, souvent construites autour du patronyme du candidat ? Le domicile fera-t-il partie des informations dont l'employeur ne devra pas tenir compte ? Beaucoup d'interrogations qui, nous l'espérons, trouveront certainement des réponses dans le décret d'application".
(3) Cet article ajoute un nouvel article L. 121-6-1 (N° Lexbase : L3151HIK), devenu L. 1221-7, (N° Lexbase : L0781H9S), au Code du travail.
(4) L'article L. 1221-6 du Code du travail prévoit que les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier sa capacité à occuper l'emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé ou avec l'évaluation des aptitudes professionnelles. Le candidat est tenu de répondre de bonne foi à ces demandes d'informations.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:374583