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N4536BMX
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Ce n'est qu'en 1983, que l'Organisation mondiale de la santé a enlevé de la classification des maladies mentales... l'homosexualité. Alors, rien d'étonnant que, un quart de siècle plus tard, le débat fasse, encore, rage au sujet de l'adoption monoparentale, à l'occasion d'un jugement rendu par le tribunal administratif de Besançon, le 10 novembre dernier, ayant ordonné au président du Conseil général du Jura d'agréer une femme vivant en couple avec une autre femme en vue de l'adoption d'un enfant.
Pour mémoire, cette affaire, qui a défrayé la chronique, avait fait l'objet d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 22 janvier 2008, condamnant avec une extrême sévérité la France, en affirmant que les autorités internes avaient, pour rejeter la demande d'agrément en vue d'adopter présentée par la requérante, opéré une distinction dictée par des considérations tenant à son orientation sexuelle, distinction intolérable selon les termes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Et de préciser que, dès lors que la loi française permet l'adoption par une personne célibataire, l'accès à l'adoption ne peut être limité en raison de l'orientation sexuelle du demandeur. C'est donc sur la base de cet arrêt et d'une décision de la Halde présumant l'existence d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, que le tribunal a rejeté, comme inopérants, les motifs invoqués par le président du Conseil général du Jura pour refuser l'agrément requis.
Il n'est point besoin de souligner combien cette décision aura, à nouveau, soulevé les coeurs, malheureusement plus en vertu des consciences individuelles des ténors de l'échiquier politique, que pour les tenants juridiques que cette décision singulière met en relief.
Nous disons "décision singulière", parce que le tribunal qui, au demeurant, ne reconnaît pas expressément un droit à l'adoption homoparentale, s'applique, essentiellement, à réfuter, rapports sociaux et psychologiques à l'appui, les arguments selon lesquels l'enfant susceptible d'être adopté ne bénéficierait pas d'un foyer d'accueil stable et équilibré. C'est donc bien l'adéquation entre le foyer proposé par l'adoptante et les conditions légales d'agrément à l'adoption qui est caractérisée par le tribunal, au-delà de toute controverse sur son orientation sexuelle. D'aucuns minimaliseront cette décision en précisant, finalement, que le tribunal reconnaît l'adoption monoparentale, sans que ne soit pris en compte l'orientation sexuelle de l'adoptant considéré, en l'espèce, comme une célibataire. "Le jugement rendu n'est pas une reconnaissance du droit à l'adoption pour les couples homosexuels, mais le simple rappel qu'en droit français, un célibataire peut obtenir un agrément en vue de l'adoption", a souligné Michèle Tabarot, présidente du Conseil supérieur de l'adoption et députée UMP des Alpes-Maritimes. "Dans l'affaire en question, il n'y aura qu'une mère adoptive et sa compagne restera un tiers vis-à-vis de l'enfant", a-t-elle, à juste titre, insisté.
Ceci étant dit, il n'aura échappé à personne qu'aussi bien les moyens invoqués que les rapports sociaux et psychologiques font clairement état de la vie de couple homosexuel de l'adoptante. Et, une fois n'est pas coutume, sans doute par honnêteté de conscience, dans une affaire de cette importance, impliquant la construction psychologique d'un enfant, mais aussi par exemplarité, l'adoptante n'avait pas caché sa vie de couple et, ce faisant, son orientation sexuelle. C'est pourquoi le tribunal ne pouvait décemment pas passer sous silence cet état de fait et a explicitement statué sur la stabilité et l'équilibre social et psychologique d'un enfant accueilli par une femme, juridiquement célibataire, vivant en couple depuis 25 ans avec une autre femme. L'apport majeur de cette décision est bien là, mais il est factuel : elle reconnaît publiquement et juridiquement qu'un homosexuel peut offrir la stabilité et l'équilibre nécessaire à l'épanouissement d'un enfant, aux mêmes conditions qu'un hétérosexuel.
Alors, une première interrogation juridique surgit d'ici, de là : c'est celle de l'abus de droit. Force est de constater que, si un couple homosexuel ne peut pas adopter d'enfant, non pas parce qu'il est homosexuel, contrairement à ce que l'on entend à tort, mais parce qu'il n'est tout simplement pas un couple au yeux de la loi, aux termes de l'article 346 du Code civil, un seul des partenaires homosexuels peut parfaitement adopter un enfant qui vivra de facto avec le conjoint de celui-ci. D'aucuns parlent d'hypocrisie, de détournement de la loi et souhaitent même revenir sur l'adoption par les célibataires issue de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966... C'est oublier que l'abus de droit permet de sanctionner tout usage d'un droit qui dépasse les bornes de l'usage raisonnable de ce droit. Traditionnellement, abuse de son droit toute personne qui, entre plusieurs manières d'exercer son droit qui lui procurent le même bénéfice, choisit l'usage le plus dommageable pour les tiers. Le problème, c'est que, pour un couple non marié, quelle que soit son orientation sexuelle, il n'y a toujours aucun moyen légal d'adopter en commun ; par conséquent, il n'y a pas d'abus de droit, parce qu'il n'y a pas de droit à l'adoption commune... et au surplus, reste à prouver que l'adoption par un célibataire hétérosexuel ou homosexuel est intrinsèquement dommageable pour l'enfant. Ecartons, là, donc, l'abus-intention-de-nuire. Pour ce qui est de l'abus social, c'est-à-dire l'acte de détourner un droit vers une fin illégitime, contraire à l'objectif poursuivi par ce droit, la question est doublement épineuse. D'une part, il conviendrait de statuer sur le caractère illégitime, et non plus légal, de l'adoption d'un enfant par un célibataire... Et s'ouvre, alors, un nouveau procès de Valladolid, où il serait question de savoir si les célibataires, et plus singulièrement les homosexuels -puisqu'il est à noter qu'étrangement le prétendu abus de droit exercé par les célibataires hétérosexuels ne provoque pas la même ire- ont l'âme suffisamment "pure" -entendons, pour d'aucuns, exempte du seul désir consumériste- pour adopter un enfant... D'autre part, au-delà de considérations métaphysiques sur la légitimité du désir profond d'avoir un enfant que l'on soit hétérosexuel ou homosexuel, il n'aura échappé à personne que la Cour de cassation, comme le Conseil d'Etat, s'orientent, à travers leur jurisprudence la plus récente, de plus en plus vers un contrôle de l'esprit de la loi ; à savoir si, au-delà du respect de la lettre de la loi, un justiciable n'enfreint pas les motifs généraux ayant procédé à l'adoption de la loi. Et, dans ce cadre une Cour régulatrice ne pourrait que se plier devant un simple fait : l'esprit de la loi relative à l'adoption est parfaitement muet sur l'existence ou le sort du conjoint de l'adoptant, et encore plus silencieuse sur l'orientation sexuelle de l'adoptant... et pour cause, un tel motif serait contraire aux droits fondamentaux internationaux.
Et puis, à lire Voltaire, "quand on ne voyage qu'en passant, on prend les abus pour les lois du pays". Alors certains argueront que la loi n'a pas vocation à officialiser une pratique ; c'est oublier qu'elle le fait depuis tout temps -par les lois de validation par exemple- et, plus singulièrement, depuis la loi introduisant le Pacs, lorsqu'il s'agit d'offrir un statut légal aux couples maritaux et, plus particulièrement, homosexuels. Aussi, la seconde interrogation a, plus volontiers, trait à la nécessité d'une réforme de la loi sur l'adoption. Car, au-delà de la décision du tribunal de Besançon, c'est la question fondamentale du statut du conjoint de l'adoptant qui doit être prioritairement posée ; qu'il s'agisse d'un couple homosexuel ou hétérosexuel, marital ou pacsé. Si la loi de 1966 prévoyait l'adoption par un célibataire pour répondre, selon la mythologie parlementaire, au cas d'une tante qui souhaitait adopter ces cinq neveux et nièces à la suite du décès de leurs parents, quid du déséquilibre de l'enfant à la suite du décès de l'adoptant... enfant qui aura été élevé également par le conjoint de l'adoptant, conjoint qui n'aura aucun droit issu de l'amour, de l'investissement et tout simplement de l'intérêt qu'il porte au développement de l'enfant ?
"Telle est la nature des choses que l'abus est très souvent préférable à la correction, ou, du moins, que le bien qui est établi est toujours préférable au mieux qui ne l'est pas" écrivit La Bruyère. Exception faite, qu'il y va, au bas mot, de l'intérêt d'un enfant qui, aux termes de l'article 24 de la Convention européenne, a droit à la protection et aux soins nécessaires à son bien-être. Et, cette protection doit aussi être d'ordre juridique, pour ne pas dire légal, et non sujette au no man's land.
Dans les pays européens, l'essentiel de la législation sur l'adoption est hérité du droit romain et a été intégré au droit canonique par le pape Nicolas Ier au IXème siècle... Est-ce à dire qu'au XXIème siècle laïc, la messe est définitivement dite ? On se souviendra d'un temps où un imperator romain, dont la bisexualité était légendaire, à lire aussi bien Catulle que Cicéron, avait adopté son neveu à qui il avait légué la majeure partie de ses biens : le premier s'appelait Caius Julius César, le second, Octave, premier des Césars, sous le nom d'Auguste. On ne sait décidément plus à quelle "Rome" se vouer...
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