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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Le juge a, tout d'abord, rappelé que la BCR et la Fédération de Russie sont des personnes juridiques distinctes dont les patrimoines respectifs ne se confondent pas. Il a, ensuite, déclaré infructueuse et nulle la saisie attribution effectuée sur les avoirs financiers détenus par la BCR, sur le fondement de l'article L. 153-1, alinéa 1er, du Code monétaire et financier. Le créancier a fait appel de cette décision, mais n'a pas plus obtenu gain de cause. La solution rendue par la cour d'appel de Paris confirme en tous points la décision attaquée.
Les enjeux sont de taille, autant du point de vue de l'espèce -compte tenu de l'identité des parties et des montants en cause-, que de façon plus générale : les avoirs détenus par les banques centrales étrangères sur la Place financière de Paris représentent des sommes souvent vertigineuses. En consacrant le principe d'insaisissabilité des biens des banques centrales étrangères, le juge renforce la compétitivité de la place financière française, vis à vis de Dublin, par exemple. Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Pascale Poupelin, Partner, Catherine Joffroy Counsel et Richard Marty, Maître de conférences des Universités et Of Counsel du cabinet Salans, conseil de la BCR dans le cadre de l'instance, pour faire la lumière sur les aspects juridiques de cette affaire.
Lexbase : Quels étaient les arguments développés par l'appelant au soutien de sa contestation de la qualité à agir de la BCR ?
Pascale Poupelin, Catherine Joffroy et Richard Marty : Devant le juge de l'exécution, l'appelant avançait, tout d'abord, que la BCR détenait des fonds pour le compte de la Fédération de Russie de sorte que la propriété des fonds saisis reviendrait à cet Etat. Dès lors, les fonds saisis sur un compte ouvert au nom de la BCR étaient, selon lui, légitiment appréhendés pour appartenir à son débiteur, la Fédération de Russie. Le raisonnement n'a pas été suivi par les premiers juges, ni par la cour d'appel, qui ont réaffirmé, d'une part, la distinction des personnalités juridiques de l'Etat et de la BCR et l'absence de confusion de leurs patrimoines, et, d'autre part, la propriété des fonds saisis par la BCR, dès lors qu'ils étaient placés sur un compte ouvert à son nom. Ainsi, un créancier ne peut pas se payer sur les avoirs financiers d'une banque centrale étrangère. Admettre le contraire reviendrait à laisser les banques centrales étrangères à la merci de tous les créanciers des Etats dont elles relèvent.
En appel, la société Noga s'est surtout concentrée sur la qualité à agir de la BCR. Si elle admettait que l'Etat et la BCR étaient bien des personnes distinctes, la solution devait, néanmoins, lui être favorable. La société invoquait, en effet, l'impossibilité pour le tiers saisi, qualité qu'elle prêtait unilatéralement à la BCR, de contester la saisie-attribution, seul le débiteur saisi, en principe, ayant la qualité et l'intérêt à le faire. Le tiers saisi a, quant à lui, un devoir de réponse à l'égard du créancier muni du titre requis. Si la BCR était distincte de la Fédération de Russie et, alors, n'était pas le débiteur saisi, elle aurait été le tiers saisi auquel fait référence le droit des voies d'exécution, de sorte qu'elle n'avait pas qualité à agir.
Le juge a également rejeté cet argumentaire : la BCR est un tiers, première victime de la saisie, et non pas le tiers saisi qui, en l'espèce, était la Banque française. Le droit français consacre, en effet, le principe de la titularité du compte bancaire, sauf preuve contraire. Or, la BCR n'est pas une émanation de la Fédération de Russie et le compte sur lequel figuraient les sommes saisies était ouvert à son nom dans les livres de la Banque française. La BCR n'est donc, ni le débiteur (qui est la Fédération de Russie), ni le tiers saisi (qualité prêtée à la Banque française), mais bien un tiers à proprement parler, dont les fonds ont été saisis. La BCR avait, donc, qualité et intérêt à agir, afin de protéger son patrimoine, comme le lui reconnaît le droit positif.
Par ailleurs, Noga a invoqué la renonciation de la Fédération de Russie à son immunité d'exécution étatique. A l'instar des juges de premières instances, la cour d'appel de Paris a rejeté cet argument, car le régime de l'article L. 153-1 du Code monétaire et financier consacre, à la fois, une insaisissabilité des biens des banques centrales étrangères et une immunité qui leur est propre, distincte de celle des Etats.
La renonciation par la Fédération de Russie à son immunité d'exécution étatique a donc été jugée comme indifférente à la solution du litige.
Lexbase : Pourquoi la Banque n'est-elle pas intervenue volontairement à l'instance ?
Pascale Poupelin, Catherine Joffroy et Richard Marty : Les banques françaises au sein desquelles les avoirs de la BCR ont été saisis se sont légitimement posées la question d'intervenir aux instances, mais elles ont finalement pris le parti de ne pas le faire. Cette décision nous semble justifiée. Tout d'abord, elles risquaient de voir niée leur qualité à agir, puisqu'elles étaient (discutablement) considérées comme des tiers saisis. Ceux-ci ne peuvent pas, en principe, comme nous l'avons vu, contester la saisie.
La position des banques françaises était d'autant plus inconfortable, qu'elles se trouvaient partagées entre leur responsabilité vis-à-vis de la BCR et leur devoir de réponse dans le cadre de la procédure de saisie-attribution.
La situation se compliquait encore par le fait que les termes de l'article L. 153-1 du Code monétaire et financier récemment introduit n'avaient, jusqu'alors, jamais été interprétés. Or, ces dispositions sont très larges, leur but étant de poser le cadre général d'un dispositif juridique d'insaisissabilité des biens des banques centrales étrangères pour renforcer la compétitivité de la place financière de Paris. Il n'était, par conséquent, pas évident d'anticiper la position du juge.
Enfin, on peut imaginer qu'en cas d'échec judiciaire, les banques françaises qui n'avaient aucune obligation d'intervenir à l'instance, auraient été placées dans une situation très délicate, tant pour leur image, qu'eu égard aux risques de retrait des fonds détenus par les banques centrales étrangères sur la place financière française.
Lexbase : Sur quels fondements la cour d'appel a-t-elle confirmé la nullité de la saisie-attribution ?
Pascale Poupelin, Catherine Joffroy et Richard Marty : Le juge de l'exécution et la cour d'appel de Paris ont fait une application stricte des dispositions du premier alinéa de l'article L. 153-1 du Code monétaire et financier, aux termes duquel "ne peuvent être saisis les biens de toute nature, notamment les avoirs de réserves de change, que les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères détiennent ou gèrent pour leur compte ou celui de l'Etat ou des Etats étrangers dont elles relèvent". Le texte déclare insaisissables les biens détenus par les banques centrales, leur appartenance étant indifférente. Ainsi, qu'ils soient, en réalité, la propriété de la banque centrale ou celle de l'Etat, les fonds détenus par une banque centrale ne peuvent pas être saisis. La théorie du mandataire/dépositaire des fonds de la BCR pour le compte de l'Etat dont elle relève avancée par l'appelant devient, ici, totalement inopérante.
La société suisse avait tenté d'invoquer initialement l'exception posée par le second alinéa de l'article L. 153-1 du Code monétaire et financier : "par exception [...], le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut solliciter du juge de l'exécution l'autorisation de poursuivre l'exécution forcée [...] s'il établit que les biens détenus ou gérés pour son propre compte par la banque centrale ou l'autorité monétaire étrangère font partie d'un patrimoine qu'elle affecte à une activité principale relevant du droit privé". Ultérieurement et par une argumentation prêtant à confusion, l'appelant avançait que la BCR détenait en grande partie de l'argent provenant de fonds monétaires créés par le Gouvernement russe, affectés, notamment, au financement des régimes de retraites des fonctionnaires et à des prises de participations de la Fédération de Russie, en particulier dans des entreprises pétrolières. Ces derniers investissements étrangers, confiés à la BCR, relevaient, selon le créancier, du droit privé, en ce qu'ils avaient des fins spéculatives pour l'Etat.
Mais, si l'on s'en tient à la lettre du texte, des avoirs financiers peuvent faire l'objet d'une saisie attribution s'ils sont détenus ou gérés pour le propre compte de la banque centrale (et non celui de l'Etat) et s'ils sont affectés à une activité principale de droit privé. La première condition laisse supposer que les biens détenus ou gérés pour le compte de l'Etat sont tout le temps insaisissables, qu'ils soient affectés à des financements d'ordre privé ou public. Ainsi, si les fonds saisis sur les comptes français de la BCR sont destinés à financer des investissements étrangers pour le compte de la Fédération de Russie, l'exception ne devrait pas jouer, quand bien même la nature de l'activité financée par les fonds serait privée. Cela n'a, toutefois, pas été relevé par la cour.
Celle-ci, pour confirmer l'insaisissabilité des sommes détenues par la BCR (personne juridique autonome et indépendante) et déclarer nulle la saisie attribution, a observé que la société suisse ne rapportait pas la preuve de la confusion des personnalités juridiques de la Fédération de Russie et de la BCR et celle de leurs patrimoines. Les juges ont, en outre, noté que les sommes provenant du Fonds de Stabilisation faisaient partie du budget fédéral de l'Etat et étaient destinées à financer le déficit de celui-ci. Or, selon eux, financer ce déficit est une activité de droit public, non une activité de droit privé, seule exception prévue par le texte. Les fonds y affectés étaient, par conséquent, insaisissables.
Lexbase : Quelle est la portée de cette décision ? Cette affaire est-elle susceptible de connaître des suites ?
Pascale Poupelin, Catherine Joffroy et Richard Marty : L'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris est, en l'état des informations données par Noga, frappé d'un pourvoi en cassation. Il est clair que la Cour de cassation aura, ainsi, à trancher une question de droit de principe, aux conséquences économiques essentielles pour la place financière de Paris, compte tenu de l'objectif de sa compétitivité poursuivi par l'article L. 153-1 du Code monétaire et financier : selon la solution qu'elle viendra à retenir, les banques centrales étrangères risquent d'investir plus ou moins dans les banques françaises.
Par ailleurs, la cour d'appel de Versailles est saisie de la même affaire et doit rendre, en principe, son arrêt début janvier 2010. Elle conserve son entière liberté d'appréciation, d'autant qu'il se pose devant elle une nouvelle question tenant à l'intérêt pour agir de Noga.
La BCR a soutenu, en effet, que Noga aurait perdu sa qualité de créancier du fait de la cession par elle des créances nées des sentences arbitrales ici en cause, puis de cessions de créances successives ayant donné lieu à la révocation par le cessionnaire du mandat de recouvrement donné à la société suisse, comme de l'absence de tout droit de celle-ci à un solde résiduel quelconque sur les créances nées de ces sentences arbitrales, et ce par application des dispositions d'un concordat arrêté par le juge suisse saisi de l'ouverture de la procédure collective de la société de droit suisse Noga.
Les juges parisiens avaient, toutefois, rejeté cet argument, faute d'éléments probants suffisants. La cour d'appel de Versailles a, quant à elle, demandé à ce que lui soient communiqués tous les documents y afférents. Nous avons, dans ce cadre, produit des décisions récemment rendues par les juridictions new-yorkaises qui venaient de décider, pour les mêmes raisons, que la société suisse Noga n'avait plus intérêt à agir.
C'est donc une affaire de principe dont les épisodes judiciaires sont loin d'être clos.
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