La lettre juridique n°372 du 19 novembre 2009 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Adoption par une célibataire homosexuelle : l'agrément tant attendu

Réf. : TA Besançon, 10 novembre 2009, n° 0900299, Mme B. (N° Lexbase : A9120EMQ)

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N4599BMB

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

La décision du tribunal administratif de Besançon du 13 octobre 2009 constitue l'épilogue d'un processus administratif et judiciaire semé de décisions marquantes, qu'elles proviennent du Conseil d'Etat ou, surtout, de la Cour européenne des droits de l'Homme. Celle-ci avait en effet condamné la France dans cette affaire dans un arrêt "E. B." du 22 janvier 2008 (1), sur le fondement des articles 8 (N° Lexbase : L4798AQR) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU) de la CESDH, en considérant que "les autorités internes ont, pour rejeter la demande d'agrément en vue d'adopter présentée par la requérante, opéré une distinction dictée par des considérations tenant à son orientation sexuelle, distinction qu'on ne saurait tolérer selon la Convention". Le chemin restant à parcourir pour parvenir au terme du processus d'adoption risque cependant d'être encore long pour Madame B. tant on sait que l'obtention de l'agrément ne constitue qu'une étape, certes essentielle, mais totalement insuffisante de ce processus. La décision du tribunal administratif de Besançon est importante, non seulement, parce qu'elle a été abondamment commentée dans les médias, et le plus souvent déformée, compte tenu du symbole qu'elle constitue, mais également parce qu'elle témoigne de l'influence réelle de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme en France. Il est, cependant, étonnant de constater que la décision ne fait aucune allusion au contexte dans laquelle elle a été rendue, ni à l'homosexualité de la requérante alors que celle-ci affirmait que la décision était "entachée de détournement de pouvoir dès lors que la motivation réelle tient à son orientation sexuelle" (I). Le juge administratif annule en effet le refus d'agrément du président du conseil général en se fondant sur une mauvaise interprétation des faits de ce dernier (II). I - Le silence relatif à la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle

Appréciation du président du conseil général. L'article R. 225-4 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L2993HPK) impose au président du conseil général compétent pour délivrer l'agrément nécessaire à l'adoption d'un enfant (C. act. soc. fam., art. L. 225-17 N° Lexbase : L8978G9E), de "s'assurer que les conditions d'accueil offertes par le demandeur sur le plan familial, éducatif, psychologique correspondent aux besoins et à l'intérêt de l'enfant adopté". Le texte préconise, pour atteindre cet objectif, le recours à une évaluation psychologique et sociale. Le président du conseil général du Jura avait fondé son refus d'agrément sur ces évaluations qui, selon lui, faisaient apparaître une différence notable entre la requérante et sa compagne quant au projet d'adoption. Des divergences apparaissaient entre les deux femmes à propos de l'âge de l'enfant susceptible d'être adopté et sur la place que chacune d'entre elles était susceptible d'occuper par rapport à lui. Il relève, ainsi, que la position de la compagne de la requérante "reste ambiguë" et qu'elle "montre peu d'engagement affectif vis-à-vis de cet enfant et occupe un rôle de tiers dans cette relation mère-enfant".

Motif exclusif de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. L'argument du défaut d'investissement de la compagne de la requérante reprend celui déjà mis en avant précédemment et qui avait permis au Conseil d'Etat de considérer que le refus n'était pas discriminatoire car fondé sur une appréciation concrète de l'intérêt de l'enfant (2). Même la Cour européenne des droits de l'Homme avait reconnu que cet argument était étranger à toute considération sur l'orientation sexuelle de l'intéressée en considérant qu'il était tout à fait légitime et conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, que les autorités françaises prennent en compte l'attitude d'une personne qui, de fait, va participer à d'accueil de l'enfant adopté (3). Elle avait, cependant considéré, au prix d'un raisonnement critiquable, que l'autre motif sur laquelle avait été fondé le refus d'agrément, à savoir le défaut de référent masculin dans l'entourage de la requérante, était, en réalité, lié à l'orientation sexuelle de la candidate à l'adoption et que le caractère discriminatoire de ce dernier motif contaminait l'ensemble de la décision.

En abandonnant le motif fondé sur l'absence de référant masculin, qualifié de discriminatoire -ce dont on pourrait d'ailleurs discuter- par la Cour européenne des droits de l'Homme, le président du conseil général du Jura s'était donc conformé à la décision de la juridiction européenne et se pensait sans doute à l'abri d'une annulation de sa décision par le tribunal administratif.

Observations de la Halde. Pourtant, la Halde, dans des observations du 5 octobre 2009 (4) avait considéré que "certes la décision litigieuse ne fait pas directement référence à l'orientation sexuelle. Il n'en demeure pas moins que la teneur des arguments avancés par le président du conseil général, pour fonder sa nouvelle décision de refus en 2009, laisse présumer l'existence d'une discrimination que les justifications du mis en cause, recueillies dans le cadre de l'instruction, n'ont pas suffi à renverser, que le détournement de pouvoir est établi, que la décision du conseil général du Jura a été prise en violation des articles 8 et 14 de la CEDH". La Halde se fonde sur l'examen des pratiques des services sociaux qui, selon elle, "se rallient le plus souvent à la perception psychologique classique suivant laquelle les bonnes conditions d'accueil impliquent l'existence d'un couple parental composé d'un homme et d'une femme" et sur l'analyse du contentieux en matière de refus d'agrément qui montre que "l'implication d'une compagne ou d'un compagnon hétérosexuel est étudiée au cas par cas, et assez souplement, par le juge qui est conduit à se demander si le ou la candidate à l'adoption est susceptible de proposer une image de référent paternel ou maternelle à l'enfant accueilli" et que, au contraire, "l'homosexualité du candidat célibataire implique pour le juge la carence, de fait, de référent de l'autre sexe et justifie les refus d'agrément, l'argument de l'absence d'implication étant alors avancé". Plus précisément, la Halde fait état de décisions du conseil général du Jura accordant l'agrément à une personne hétérosexuelle dans laquelle il se montre beaucoup moins exigeant quant à l'implication du concubin dans le projet d'adoption.

La Halde reconnaît, elle-même, que "l'argument du manque d'implication n'est pas directement révélateur, à lui seul, de la prise en compte de l'orientation sexuelle de la réclamante", mais elle considère que "son examen ne saurait cependant être réalisé isolément, sans appréciation globale des autres motifs qui ont servi à fonder la décision du conseil général". Elle relève le fait que la requérante et sa compagne ont été interrogées sur les difficultés que l'enfant pourrait rencontrer "en lien avec leur couple".

Renversement de la charge de la preuve. On peut se demander si l'analyse de la Halde ne pêche pas quelque peu par excès et si le contexte dans lequel la décision a été rendue ne se voit pas conférer une place trop importante dans son jugement. D'ailleurs la Halde affirme qu'il "est difficile de ne pas rapprocher la prise en compte de telles considérations, propres à l'orientation sexuelle de Mme B., de celles qui avaient fondé la décision du même conseil général en 1998. Les termes mêmes du compte-rendu de la commission de 1998 montrent que les considérations liées à l'orientation sexuelle de la réclamante étaient, en réalité, prépondérantes et ce, alors même que la décision finale du président du conseil général ne comportait aucune mention liée à l'orientation sexuelle".

Le raisonnement consistant à considérer qu'il existe une présomption de l'existence d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle qui devrait être renversée n'est pas exempt de tout reproche en ce qu'il aboutit à faire peser sur l'auteur de la décision la preuve quasi impossible que cette dernière n'a pas été prise en considération de l'homosexualité du requérant. Surtout, cette présomption repose sur le postulat que les personnes impliquées dans la réalisation des évaluations ont un a priori négatif quant à la capacité d'un candidat à l'adoption vivant en couple avec une personne de même sexe, ce qui provoque un certain malaise.

Certes, le raisonnement de la Halde s'inspire sans aucun doute de l'article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39), selon lequel "toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination". Il n'en reste pas moins que dans l'affaire considérée les éléments objectifs et concrets permettant de présumer l'existence d'une discrimination étaient manifestement insuffisants, sauf à considérer, par principe, que tout refus d'agrément opposé à un candidat à l'adoption homosexuel est, en réalité, fondé sur son orientation sexuelle. Un tel raisonnement serait sans aucun doute peu conforme à l'intérêt des enfants dont il faut rappeler qu'il doit prédominer.

Prise en compte de l'identité de sexe du couple destiné à accueillir l'enfant. Même si on pouvait nourrir quelques doutes quant à l'impartialité du président du conseil général lorsqu'il a eu à connaître de la deuxième demande d'agrément, on ne peut, de manière générale, condamner le fait que les autorités compétentes se préoccupent de la manière dont la candidate à l'adoption entend gérer les difficultés que l'enfant pourrait connaître du fait de son homosexualité et de sa vie avec deux femmes, difficultés qui ne sauraient être niées. Il convient, certes, de se garder de tout jugement a priori, mais il paraît conforme à l'intérêt de l'enfant de s'assurer que la candidate à l'adoption est consciente de la situation particulière que celui-ci est appelé à vivre. Il paraît en tout état de cause excessif de déduire d'une interrogation de la commission d'agrément sur ce sujet, que le refus d'agrément est fondé sur l'orientation sexuelle de la candidate à l'adoption.

On comprend donc que le tribunal administratif de Besançon ait refusé de suivre la requérante qui prétendait que la motivation réelle du président du conseil général tenait à son orientation sexuelle. Aucun élément précis ne permettait, en effet, de conclure en ce sens, et le soupçon qui pesait sur la commission d'agrément du département et le président du conseil général ne pouvait être en lui-même suffisant.

Impartialité. Le tribunal aurait certes pu retenir l'argument de la requête selon lequel la commission d'agrément était composée de plusieurs fonctionnaires dont la présidente, qui avaient déjà eu à connaître du dossier en 1998 et que, partant, elle n'était plus impartiale. Le juge administratif ne répond pas à cet argument, ce que l'on peut regretter. Toutefois s'il avait admis le défaut d'impartialité de la commission d'agrément, il n'aurait vraisemblablement pas renvoyé la décision à une autre commission et aurait repris l'ensemble des éléments du dossier pour substituer son appréciation à celle du président du conseil général. Le tribunal parvient en réalité au même résultat sans porter de jugement a priori sur l'évaluation opérée par le président du conseil général, qu'il s'agisse de ses motivations profondes ou du processus lui ayant permis de prendre sa décision. Il procède en effet directement à une nouvelle appréciation de la situation de la candidate à l'adoption.

II - Le recours à une nouvelle appréciation des faits

Nouvelle lecture des évaluations. Le tribunal administratif, opérant un contrôle complet et détaillé, reprend les évaluations à partir desquelles le président du conseil général a fondé son refus de délivrer un agrément pour adopter à Mme B. et en fait une lecture tout à fait différente. Alors que le président du conseil général du Jura avait considéré qu'il existait un décalage entre cette dernière et sa compagne "concernant leur positionnement respectif vis-à-vis de l'enfant à adopter", le tribunal administratif note qu'au vu des rapports, "l'engagement de la compagne de Mme B. paraît réel et les fonctions du couple suffisamment définies", et que "si l'assistance sociale relève effectivement que Mme R. se positionne en tiers dans la relation mère-enfant elle n'en tire pour autant aucune conclusion négative".

Conclusions opposées. Le moins que l'on puisse dire est que les appréciations portées sur les mêmes rapports sont différentes ! De là à déduire que chacun des lecteurs a retenu les seuls éléments qui allaient dans le sens de la décision qu'il souhaitait prendre, le premier pour justifier un refus d'agrément qu'il considérait justifié pour des raisons non avouables, le second pour justifier une acceptation de l'agrément pour mettre fin à une affaire embarrassante, il n'y a qu'un pas... On peut à tout le moins considérer qu'une telle divergence d'appréciations sème le doute sur leur objectivité respective. On peut se demander dans quelle mesure le poids de la condamnation de la France par la Cour européenne a pesé sur la décision du tribunal administratif de Besançon. Sans doute l'a-t-elle au moins incité à reprendre l'ensemble des éléments du dossier, ce dont il faut se féliciter. Mais on se demande alors pourquoi une telle démarche intervient dans cette affaire aussi tardivement (5). Il est vrai que les évaluations à partir desquelles a été rendue la décision du tribunal de Besançon ne sont pas celles ayant fondé la première demande d'agrément qui a abouti à la condamnation européenne. Heureusement, le président du conseil général a annoncé qu'il entendait se soumettre -enfin- à la décision du tribunal.


(1) CEDH, 22 janvier 2008, req. n° 43546/02, E. B. c/ France (N° Lexbase : A8864D3P) et lire nos obs., Adoption par une personne célibataire homosexuelle : la sévérité de la Cour européenne des droits de l'Homme à l'égard de la France, Lexbase Hebdo n° 291 - édition privée générale (N° Lexbase : N0427BEK).
(2) CE 1° et 2° s-s-r., 5 juin 2002, n° 230533, Mlle B. (N° Lexbase : A8690AYI), AJDA, 2002, p. 615, concl. P. Frombert ; D fam., 2003, comm. n° 19, obs. P. Murat.
(3) Arrêt CEDH, préc..
(4) Délibération n° 2009-350.
(5) En réalité le tribunal administratif de Besançon avait déjà annulé le premier refus d'agrément du président du conseil général en 2000... et cette décision avait été infirmée par la cour administrative d'appel (CAA Nancy, 21 décembre 2000, n° 00NC00375 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 1198555, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CAA Nancy, 21-12-2000, n\u00b0 00NC00375", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A9656BKT"}}) !

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