Réf. : CE référé, 29 avril 2010, n° 338462, M. Jean-Hugues Matelly, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7844EWG)
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
le 07 Octobre 2010
Dans chacune des publications, M. X est cité strictement et exclusivement en tant que chercheur au CESDIP-CNRS. Néanmoins, et nonobstant le cadre scientifique de l'expression de la réflexion et des précautions prises pour séparer clairement cette oeuvre de l'esprit et son commentaire de ses fonctions d'officier, le militaire de 44 ans a fait l'objet, en juin 2009, d'une procédure disciplinaire pour "manquement grave" à son devoir de réserve, qui s'est conclue par sa radiation des cadres, c'est-à-dire sa révocation. C'est le ministre de la Défense qui engagea les poursuites disciplinaires le 7 janvier 2009, par un ordre de renvoi devant un conseil d'enquête (8). Ce dernier notifiait un avis, le 14 octobre 2009, qui indiquait "que le chef d'escadron [...] de la région de gendarmerie de Picardie, devait faire l'objet d'une radiation des cadres pour mesure disciplinaire" et, suivant cet avis, le Président de la République prononçait, par décret du 12 mars 2010, la radiation pour manquement réitéré au devoir de réserve.
Si l'intéressé a d'abord demandé au Conseil d'Etat d'annuler au fond ce décret du 12 mars 2010, il a aussi, dans un premier temps, introduit une demande de suspension de la sanction selon la procédure dite du "référé-liberté" prévue par l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT). Dans ce cadre, le juge des référés du Conseil d'Etat a, le 30 mars 2010, rejeté cette demande (9). Il a considéré que n'était pas constituée une situation d'urgence suffisamment caractérisée nécessitant une intervention du juge dans le délai de quarante-huit heures prescrit par ce texte, qui est seule de nature à permettre le recours au référé-liberté.
M. X a alors introduit une nouvelle demande de suspension, cette fois selon la procédure dite de "référé-suspension", prévue à l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS). Selon cet article, le juge peut suspendre la totalité ou certains seulement des effets de la décision contestée, si deux conditions sont remplies : il faut qu'existent à la fois une situation d'urgence, cette condition étant, toutefois, plus souple que dans le cadre du référé-liberté, puisqu'il n'est pas exigé que la protection d'une liberté fondamentale rende nécessaire l'intervention du juge des référés dans les quarante-huit heures, et un doute sérieux sur la légalité de la décision administrative contestée.
C'est à cette seconde demande de suspension que le juge des référés du Conseil d'Etat vient, en l'espèce, faire partiellement droit. Il juge, tout d'abord, que la condition d'urgence est remplie, en relevant à ce titre que la sanction a pour effet de priver l'intéressé de sa rémunération et de le contraindre à quitter son logement de fonction, sans que l'administration avance d'éléments contrebalançant l'importance de ces conséquences sur sa situation. Le juge estime, ensuite, que l'argumentation de M. X, fondée sur le caractère disproportionné, au regard des faits qui lui sont reprochés, de la sanction de radiation des cadres, la plus sévère susceptible d'être infligée à un militaire, crée un doute sérieux sur sa légalité. Compte tenu de ces éléments, le juge ordonne la suspension des effets les plus dommageables de la sanction infligée, à savoir la privation de rémunération et l'obligation de libérer le logement de fonction occupé. Pour le surplus, le décret contesté demeure donc applicable, en tant qu'il exclut l'intéressé du service.
Si le Conseil d'Etat reste saisi de l'affaire au fond et devra se prononcer définitivement sur la légalité du décret contesté, la décision du juge des référés sonne comme une première victoire pour M. X, car au-delà des vicissitudes de l'appréciation de la notion d'urgence dans le cadre des procédures de référés (I), la décision, même si elle ne préjuge pas du fond, s'analyse comme un prélude à la constatation de l'illégalité du décret prononçant la radiation du gendarme (II).
I - Une mesure provisoire de suspension qui témoigne de la différence d'appréciation de la notion d'urgence dans les procédures de référé
Le juge des référés du Conseil d'Etat s'est à la fois prononcé sur l'atteinte à une liberté fondamentale dans le cadre du référé-liberté (A), comme sur l'existence d'un doute sérieux sure la légalité de la décision dans le cadre du référé-suspension (B), confirmant, par la même, sa différence d'appréciation de la notion d'urgence dans le cadre de ses deux procédures de référé.
A - Le rejet du référé-liberté
Le référé-liberté demandant la suspension du décret présidentiel de radiation des cadres a été immédiatement rejeté dans le cadre de la procédure de "tri" de l'article L. 522-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3065AL4) pour défaut d'urgence (10). Pour le président de la Section du contentieux, Bernard Stirn, quelle que soit la gravité de la sanction, la mesure ne fait pas apparaître une situation d'urgence caractérisée qui rendrait nécessaire l'intervention du juge des référés dans les quarante-huit heures. Ce motif de rejet est très fréquent dans la mesure où, si le référé liberté peut être qualifié de "roi des référés" (11), l'urgence exigée n'est pas interprétée de la même manière que l'urgence requise au titre du référé-suspension. L'on peut dire, sans jouer sur les mots, que l'urgence du référé-liberté doit être d'un caractère plus urgent que celle du référé-suspension, eu égard au fait que, dans le cadre d'un référé-liberté, le juge doit, notamment, se prononcer dans un délai de quarante-huit heures. La notion d'urgence est donc susceptible de varier au gré des référés, à chaque référé son urgence, la jurisprudence semblant, en tout cas, clairement s'orienter dans cette direction (12).
Les affaires en ce sens, intéressant la fonction publique, ne sont pas très nombreuses, et même si le Conseil d'Etat a très tôt accepté la possibilité d'atteinte à une liberté fondamentale en matière de fonction publique (13), les atteintes réelles ont été très peu nombreuses. Il a, ainsi, pu être jugé qu'une exclusion temporaire d'un an, fut-elle illégale, ne constituait pas, en elle-même, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens des dispositions relatives au référé liberté (14).
L'on peut aussi citer tous les référés du juge Y, ce juge membre du syndicat de la magistrature ayant multiplié les injures et les recours à l'encontre d'autorités politiques ou judiciaires, qui avait tour à tour été révoqué, réintégré, puis révoqué à nouveau par les différents Gouvernements de droite et de gauche qui s'étaient succédés au pouvoir. Le juge invoquant, notamment, au gré de ses référés, par exemple, une atteinte grave et manifestement illégale au principe constitutionnel d'inamovibilité des magistrats du siège (15), ou à la liberté fondamentale que constitue son droit à pension tel que consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur le fondement de l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (N° Lexbase : L1625AZ9) (16).
Enfin, l'affaire "Centre hospitalier de Valence", jugée à propos d'un praticien hospitalier privé de l'exercice effectif de ses fonctions pouvait poser plus de difficultés puisque, privé d'exercer concrètement ses fonctions, le praticien soutenait que le centre hospitalier portait atteinte à sa liberté de travail. Il faisait, également, valoir à l'appui de sa demande de référé, que le caractère urgent tenait à ce que l'absence de pratique de la chirurgie risquait d'entraîner une régression dans l'exercice professionnel. Le Conseil d'Etat n'a pas suivi cette argumentation et a refusé de considérer cette situation comme constitutive d'une atteinte grave à une liberté fondamentale (17).
On l'a compris à la lumière de ces exemples, il y a application en l'espèce d'une jurisprudence classique mais sévère quant à la reconnaissance effective d'une atteinte à une liberté fondamentale. L'atteinte grave et immédiate à la liberté d'expression et à la liberté d'information du gendarme, alors même qu'il ne s'exprimait que dans le cadre de ses activités de chercheur, et nullement en sa qualité de militaire, s'ajoute à la longue liste de jurisprudence prise dans ce cadre, alors même qu'était établi un préjudice financier important puisque le décret le privait de son emploi, l'obligeait à prendre un nouveau logement, et avait des conséquences sur ses droits à la retraite.
B - L'approbation du référé-suspension
Se prononçant sur le référé-suspension, sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, le juge des référés du Conseil d'Etat suspend donc partiellement certains effets de la décision. Il considère, tout d'abord, la condition d'urgence remplie : la mesure de radiation des cadres porte une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa situation, car elle a pour effet de le priver de sa rémunération et de le contraindre à quitter le logement de fonctions (18). Dans le cadre de l'appréciation globale de l'urgence et de la mise en balance des intérêts en présence, le juge des référés estime que l'intérêt public avancé par le ministère, c'est-à-dire la circonstance que la radiation se fonde sur un manquement au devoir de réserve "dont le respect est nécessaire à la discipline et à la cohésion des armées" n'est pas suffisant pour contrebalancer l'atteinte constatée.
Si l'urgence est ainsi caractérisée en l'espèce, il faut noter qu'elle peut être constituée par l'immédiateté suffisante du préjudice mais, également, en raison simplement de la gravité du préjudice, sans pour autant que celui-ci soit nécessairement irréversible. La condition d'urgence est ainsi satisfaite à propos de la demande de suspension de toutes mesures faisant obstacle au versement au demandeur de son traitement. Il en va naturellement d'une décision de licenciement en fin de stage pour insuffisance professionnelle privant un agent stagiaire de son emploi et bouleversant, en conséquence, ces conditions d'existence (19). Il en est de même de mesures suspendant le versement du traitement d'un fonctionnaire et le privant de toute ressource (20), d'une décision mettant fin aux fonctions d'un agent (21), d'une mesure d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de six mois dont trois avec sursis (22), ou encore même d'une décision rejetant une demande de congé de longue durée, faisant donc obstacle au versement du traitement (23). Il n'y a, en revanche, pas urgence lorsque est en cause une décision infligeant un blâme, en l'absence de toute circonstance particulière (24), ou quand est querellée une sanction disciplinaire sans conséquence sur la rémunération du policier municipal averti (25).
S'agissant du doute sérieux sur la légalité, le juge des référés estime que la radiation des cadres, "la sanction la plus sévère qui puisse être infligée à un militaire", est "manifestement disproportionnée au regard des faits en cause". La qualification de "faute disciplinaire" pour les faits retenus n'est cependant "pas contestée" par le juge. Aucune mention n'est faite par le Conseil d'Etat sur la qualité de chercheur de M. X, utilisée pour les écrits ou les propos médiatiques qui lui sont reprochés. Par suite, le juge des référés ordonne la suspension de l'exécution du décret attaqué, "en tant seulement qu'il a pour effet de [le] priver [...] de sa rémunération et de la jouissance de son logement de fonction", mais rejette ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de le rétablir dans ses fonctions et dans l'ensemble des autres droits et prérogatives dont il a pu être privé".
Il faut rappeler que le juge des référés ne peut prononcer que des mesures provisoires. C'est pourquoi il prononce la suspension de certains effets de la décision de révocation -ceux ayant les effets matériels les plus dommageables-, mais ne peut, dans le cadre de son office, prononcer une décision qui aurait le même effet que l'annulation de la révocation. Mais, de ce fait, le requérant n'est pas réintégré dans ses fonctions, dans l'attente de la décision au fond. Comme a pu le préciser le Conseil d'Etat dans son communiqué sur la décision, il "reste saisi de l'affaire au fond et devra se prononcer définitivement sur la légalité du décret contesté". Mais lorsque la suspension de la décision litigieuse est accordée par le juge et, bien qu'il ne soit pas saisi du principal, l'on est fondé à penser qu'il sera très souvent difficile au juge du fond de ne pas constater l'illégalité de la décision. Dans l'esprit des requérants, à défaut de celui du juge, l'octroi de la suspension équivaudra à un "pré-jugement" du litige.
II - Une mesure provisoire de suspension, prélude à la constatation de l'illégalité de la sanction disciplinaire
La mesure provisoire de suspension du décret infligeant la sanction disciplinaire ne préjuge pas du fond, mais comme a pu le souligner le juge des référés du Conseil d'Etat, la sanction apparaît nettement disproportionnée (A), et la question se pose de savoir si le cadre discipliné de l'expression militaire ne va pas s'en trouver bouleversé par la suite (B).
A - Une sanction disciplinaire qui apparaît nettement disproportionnée
Les dispositions combinées des articles L. 4137-1 (N° Lexbase : L2593HZ3) et L. 4137-2 (N° Lexbase : L6134IAG) du Code de la défense prévoient que les fautes ou manquements commis par les militaires les exposent à des sanctions disciplinaires réparties en trois groupes et qui sont, respectivement, pour le premier, l'avertissement, la consigne, la réprimande, le blâme, les arrêts et le blâme du ministre ; pour le deuxième, l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de cinq jours privative de toute rémunération, l'abaissement temporaire d'échelon et la radiation du tableau d'avancement ; et, enfin, pour le troisième groupe, le retrait d'emploi et la radiation des cadres.
Pour des faits similaires en 2003 (26), les supérieurs hiérarchiques de l'officier lui avaient déjà donné l'ordre de ne plus communiquer avec la presse avant, dans un second temps, de lui infliger un blâme pour s'être exprimé dans les médias sans en demander l'autorisation préalable à sa hiérarchie. Aucun des recours contre les deux décisions ne prospéra, ni contre la décision verbale (27), ni contre la sanction disciplinaire qui ne fut, cependant, annulée que pour une irrégularité de procédure (28).
Si le blâme (amnistié depuis) a été confirmé par le Conseil d'Etat, il le fut aussi par la Cour européenne des droits de l'Homme, compte tenu, notamment, de l'"analyse minutieuse des faits de la cause" par les autorités internes, le "caractère limité de l'interdiction de communiquer avec la presse" et "la gravité modérée" de la sanction disciplinaire (29). La Cour jugea, notamment, que l'ingérence dans la liberté d'expression était conforme à l'article 10 de la CESDH car elle était prévue par la loi française, poursuivait le but légitime de "défense de l'ordre dans les forces armées" et n'était pas disproportionnée. La Cour estima que les propos du requérant pouvait porter atteinte à la crédibilité du corps militaire et à la confiance du public dans l'action de la gendarmerie, la restriction de la liberté d'expression étant justifiée car nécessaire à la défense de l'ordre et de la discipline militaire.
Enfin un second blâme lui a été infligé en décembre 2007, également pour manquement à l'obligation de réserve (30), toujours pour des faits similaires, excepté le fait qu'après mise en demeure de sa hiérarchie de cesser de s'exprimer dans les médias, l'officier est de nouveau intervenu dans les médias (31). Le blâme a été prononcé en se fondant, notamment, sur ce qu'il n'avait pas tenu compte de cette injonction du respect du devoir de réserve. Le Conseil d'Etat confirme cette sanction en écartant l'ensemble des arguments du requérant et en affirmant que la sanction était justifiée et proportionnée eu égard aux interventions médiatiques qui excédaient, selon la Haute juridiction, "par leur nature et leur tonalité, les limites que les militaires doivent respecter en raison de la réserve à laquelle ils sont tenus à l'égard des autorités publiques".
Si les décisions à l'encontre de M. X ont toutes été jusqu'à maintenant en sens contraire, il n'est pourtant pas sûr qu'il en soit ainsi pour la décision rendue au fond dans ce dernier cas d'espèce. La principale faiblesse de la sanction infligée au gendarme, quant à sa légalité, réside dans son caractère disproportionné. Il faut rappeler, à cet égard, le déclin du contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation au profit du contrôle entier dans le contentieux des sanctions, favorisant l'intensité du contrôle dans la vérification du caractère proportionné de la sanction (32). L'on peut se demander si la jurisprudence "Lebon", qui caractérise l'application d'un contrôle restreint du juge administratif sur les sanctions infligées sur les fonctionnaires ou agents publics (33), ne va pas être abandonnée pour l'occasion. Le contrôle normal est désormais exercé sur les sanctions infligées aux professionnels (34), aux élus (35), aux athlètes (36), voire, également, aux magistrats (37), toute l'évolution jurisprudentielle allant dans ce sens.
B - La fin des mécanismes verrouillant toute expression critique des militaires ?
La liberté d'opinion ne se conçoit que si les opinions peuvent être exprimées, d'où la reconnaissance de la liberté d'expression des fonctionnaires. Cette liberté doit juste être conciliée avec l'obligation d'obéissance, plus forte pour le personnel en uniforme, avec l'obligation de réserve, et avec l'obligation de discrétion professionnelle et le principe de neutralité. L'exercice du droit à la liberté d'expression des militaires a traditionnellement été strictement encadré (38), et le juge administratif a interprété strictement ce devoir de réserve particulier eu égard aux missions spécifiques que les militaires doivent remplir. L'on retiendra que sont considérées comme enfreignant le devoir de réserve : l'utilisation de la fonction exercée comme instrument de propagande et les déclarations faisant douter de la neutralité et d'un minimum de loyalisme envers les institutions. En outre, le juge prend en compte deux facteurs : la diffusion des propos et la situation dans la hiérarchie, plus le militaire ayant de responsabilité et, en toute logique, d'expérience et de compétence, plus il est invité à se taire. Le Conseil d'Etat parait veiller, toutefois, à ce qu'aucun militaire ne soit sanctionné par sa hiérarchie, indirectement et en dehors des procédures prévues, pour des propos tenus en dehors du service (39).
De manière générale, il faut noter qu'au niveau européen la situation faite aux militaires s'est progressivement libéralisée. D'une part, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme va en ce sens (excepté la décision mentionnée préalablement), en consacrant un devoir de réserve relatif et en garantissant, au profit des policiers ou des militaires, fussent-ils gradés, un exercice large de la liberté d'expression (40). D'autre part, il faut noter qu'aujourd'hui une minorité des effectifs est appelé au combat et que la professionnalisation des armées nécessite un recrutement important. Il convient donc d'offrir aux militaires un statut plus libéral sur le plan des droits fondamentaux. Le statut général des militaires a aujourd'hui évolué (41), mais plutôt dans la continuité. Il n'y a donc pas de réels changements sachant, notamment, que l'article sur le devoir de réserve a été purement reproduit (42). Le seul changement positif étant la suppression du régime de l'autorisation préalable, il n'est plus nécessaire pour les militaires d'obtenir l'autorisation de leur ministre lorsqu'ils souhaitent s'exprimer publiquement notamment sur des questions politiques, le contrôle a priori étant remplacé par un contrôle a posteriori.
Reste le problème de la liberté de participation individuelle au débat public du militaire dont les idées ne sont pas en parfait accord avec les positions officielles. La réserve assignée aux militaires serait d'abord indispensable au maintien de la discipline et à l'efficacité de la défense. Il faut, à cet égard, reprendre les propos du requérant qui pose la question de savoir si c'est "la discipline ou la liberté qui est la force principale des armées ?" (43). Autre argument mis en valeur, une troupe muette serait nécessaire à la préservation de l'autorité et du prestige du chef. Toujours selon les propos du requérant, "les qualités mêmes du gradé, son intelligence, ses compétences ne lui permettraient-elles pas d'emporter la conviction et l'adhésion de ses subordonnés ? Quelle est la mission la plus noble : commander des robots ou mener des hommes ?" (44). Enfin, le silence imposé aux militaires serait indispensable à la préservation de la démocratie. Là encore, les propos du requérant apparaissent assez pertinents, ce dernier affirmant, qu'"au contraire, la liberté d'expression est la première condition de l'enracinement démocratique, parce qu'elle permet l'échange des idées, le dévoilement des erreurs ou des dévoiements. La liberté d'expression des militaires n'est-elle pas, en réalité, le meilleur moyen de contrôle permanent de la force armée ?" (45). Il reviendra au Conseil d'Etat de trancher le débat sur le fond. Nul doute que sa décision sera attendue avec impatience.
(1) Cf. loi n° 2009-971 du 3 août 2009, relative à la gendarmerie nationale (N° Lexbase : L6083IEZ), JO, 6 août 2009, p.13112. Cette loi a un caractère incontestablement "historique", puisque la précédente loi sur l'organisation et les missions de la gendarmerie datait de la loi du 28 germinal an VI (17 avril 1798), relative à l'organisation de la gendarmerie nationale (JO, 20 août 1944, p. 304), et les règles régissant le statut et les missions de la gendarmerie reposaient sur un simple décret du 20 mai 1903, portant règlement sur l'organisation et le service de la gendarmerie (JO, 19 juillet 1903, p. 4599).
(2) Il est coutumier de faire remonter à 2002 le début du processus de rapprochement entre les deux forces de sécurité. Le décret n° 2002-889 du 15 mai 2002, relatif aux attributions du ministre de l'Intérieur (N° Lexbase : L3761IMA) (JO, 16 mai 2002, p. 9245), a d'abord précisé que, "pour l'exercice de ses missions de sécurité intérieure, le ministre de l'Intérieur [...] est responsable de l'emploi des services de la gendarmerie nationale [...]. A cette fin, en concertation avec le ministre chargé de la Défense, il définit les missions de ces services autres que celles qui sont relatives à l'exercice de la police judiciaire, il détermine les conditions d'accomplissement de ces missions et les modalités d'organisation qui en résultent". De fait, cette disposition administrative lui attribue des pouvoirs substantiels puisque les missions de police de la gendarmerie représentent, évidemment, l'essentiel de son activité. Une nouvelle étape est franchie avec la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002, d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (N° Lexbase : L6285A4K) (JO, 30 août 2002, p. 14398), qui prévoit une nouvelle architecture institutionnelle de la sécurité intérieure, organisée au niveau national autour du Conseil de sécurité intérieure présidé par le chef de l'Etat, du Gouvernement et du ministre de l'Intérieur. Elle précise que cette architecture est transposée au niveau départemental, où le préfet assure la coordination de l'ensemble du dispositif. A partir de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 (N° Lexbase : L6429HET) (JO, 31 décembre 2005, p. 20597), les crédits de la police nationale et ceux de la gendarmerie sont regroupés dans une même mission interministérielle "sécurité". Puis, le décret n° 2007-997 du 31 mai 2007 (N° Lexbase : L6465HXQ), relatif aux attributions du ministre de l'Intérieur (JO, 1er juin 2007, p. 9962), établit une responsabilité conjointe du ministère de la Défense et du ministère de l'Intérieur, s'agissant de la définition des moyens budgétaires attribués à la gendarmerie nationale et de leur suivi.
(3) Cette crainte s'appuie, de même, sur les réductions d'effectifs qu'induit la révision générale des politiques publiques (RGPP). La suppression de postes d'ici à 2011 ne pouvant que favoriser une mutualisation des moyens humains et matériels peu propice à la préservation d'une dualité statutaire perçue, par beaucoup, comme contre-productive.
(4) La documentation française, n° 80, I/2009.
(5) Laurent Mucchielli et Christian Mouhanna, respectivement directeur et chargé de recherches au CNRS et au CESDIP.
(6) Site internet Rue 89.
(7) "Les rendez-vous d'Europe 1 soir" en début de soirée, en raison des indisponibilités des co-auteurs en cette nuit de réveillon, M. X s'avérant le plus à même de participer à l'émission, réunissant deux autres spécialistes, à savoir M. Jean-Yves Fontaine, sociologue et auteur de nombreux ouvrages sur les gendarmes, et M. Jean-Dominique Merchet, journaliste accrédité Défense et spécialiste des questions militaires au journal Libération.
(8) L'ordre de renvoi stipulant que, même si l'intervention du gendarme avait été présenté comme s'exprimant en qualité de chercheur, cette position ne le dispensait pas de l'exigence de loyalisme et de neutralité lié à son statut militaire, sa qualité de chef d'escadron de la gendarmerie nationale étant citée et diffusée par les médias. En conséquence, le gendarme commettait un manquement grave à l'obligation de réserve et un tel comportement était contraire à la déontologie et à l'éthique militaire.
(9) CE référé, 29 avril 2010, n° 338462, M. Jean-Hugues Matelly, mentionné dans les tables du recueil Lebon.
(10) Le juge administratif des référés tient de l'article L. 522-3 du Code de justice administrative le pouvoir de rejeter immédiatement une requête en référé sans instruction ni audience. En effet, l'article précité dispose que, "lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1".
(11) R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 10ème édition, 2002, p. 1234.
(12) Voir, par exemple, CE référé, 4 février 2004, n° 263930, Commune d'Yvrac (N° Lexbase : A2601DBX).
(13) Il a, à ce propos, jugé que, "si la décision mettant fin aux fonctions d'un agent public à la suite d'un refus de titularisation n'est pas, par son seul objet, de nature à porter atteinte à une liberté fondamentale, les motifs sur lesquels se fonde cette décision peuvent, dans certains cas, révéler une telle atteinte" (CE, Sect., 28 février 2001, n° 229163, Casanovas N° Lexbase : A0825ATQ, RFDA, 2001, p. 399, concl. P. Fombeur).
(14) CE référé, 27 juin 2002, n° 248076, Centre hospitalier général de Troyes (N° Lexbase : A8398EPQ), AJFP, 2002, n° 6, p. 50.
(15) CE référé, 10 juillet 2006, n° 294971, Bidalou (N° Lexbase : A6615DQ3), au motif que le décret de réintégration l'avait nommé à des fonctions du Parquet sans son consentement, le principe d'inamovibilité des magistrats du siège n'a pas un caractère absolu. Il ne fait pas obstacle à ce que soit prise à l'encontre d'un magistrat du siège, dans le respect des garanties prévues par la Constitution et la loi organique, une sanction disciplinaire pouvant consister, notamment, en un déplacement d'office, une mise à la retraite d'office, ou une mesure de révocation.
(16) CE, 20 octobre 2009, n° 332512, Bidalou (N° Lexbase : A8042EMS), où, pour justifier de l'urgence, il invoque le risque d'être privé de toutes ressources et de tous droits sociaux et qu'il atteindra le 9 janvier 2010 l'âge de la retraite de 65 ans. Toutefois, les circonstances invoquées et les documents produits par le requérant ne suffisent pas à justifier l'intervention, dans de très brefs délais, d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative.
(17) CE, 13 mai 2002, n° 246551, Centre hospitalier de Valence c/ Nouri (N° Lexbase : A9688EX4), JCP éd. A, 2002, n° 1012, note D. Jean-Pierre.
(18) Et ce, même s'il peut bénéficier d'un revenu de remplacement prévu à l'article L. 4123-7 du Code de la défense (l'équivalent des Assedic, l'Etat étant son propre assureur pour le chômage de ses agents involontairement privés d'emploi).
(19) CE, 3 novembre 2003, n° 254026, Baakrim c/ Ville de Lyon (N° Lexbase : A0964DAX).
(20) CE, 22 juin 2001, n° 234434, Creurer (N° Lexbase : A5277B8X) ou CE, 5 décembre 2001, n° 233604, Thomas (N° Lexbase : A7461AXM).
(21) CE, 25 avril 2001, n° 230439, Commune d'Angles (N° Lexbase : A7186B8N).
(22) CE, 6 avril. 2001, n° 230338, France Télécom (N° Lexbase : A2540ATA).
(23) CE, 18 décembre 2001, n° 240061, Mme Rücklin (N° Lexbase : A8393EPK).
(24) CE, 22 mars 2002, n° 244321, Matelly (N° Lexbase : A7454AYQ).
(25) CE, 3 novembre 2003, n° 252373, Commune de Vendargues (N° Lexbase : A0960DAS).
(26) M. X avait publié un article critique sur le management dans la gendarmerie et l'usage des statistiques dans une revue spécialisée (Les cahiers de la sécurité intérieure), repris dans un entretien au journal Libération.
(27) CE, référé, 5 février 2003, n° 253871, Matelly (N° Lexbase : A9689EX7) (référé liberté) ; CE, ord., 19 mars 2003, n° 254524 (N° Lexbase : A9708EXT) (référé suspension) ; CE, 10 novembre 2004, n° 256572, Matelly (N° Lexbase : A8937DDD) (au fond), et CE, 7 juin 2006, n° 275601, Matelly (N° Lexbase : A8339DPK) (au fond).
(28) CE, 19 mai 2004, n° 245107, Matelly (N° Lexbase : A2108DC3).
(29) CEDH, 15 septembre 2009, Req. 30330/04, Matelly c/ France (N° Lexbase : A1847EXP).
(30) CE 2° et 7° s-s-r., 9 avril 2010, n° 312251, M. Matelly, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5657EU3).
(31) L'édition du journal dans lequel il avait co-rédigé l'éditorial reproché a été imprimée et distribuée dans les derniers jours du mois d'octobre 2007, soit après la mise en demeure dont il avait fait l'objet.
(32) Voir, en ce sens, F. Melleray, De l'erreur manifeste d'appréciation au contrôle entier en matière de contentieux des sanctions, DA, 2010, n° 5, mai, comm. n° 82.
(33) CE, Sect., 9 juin 1978, n° 05911, Lebon (N° Lexbase : A6577B7Q), Rec. CE, p. 245, AJDA, 1978, p. 573, concl. B. Genevois.
(34) CE, sect., 22 juin 2007, n° 272650, Arfi (N° Lexbase : A8587DWX), Rec. CE, p. 263, concl. M. Guyomar.
(35) CE, 2 mars 2010, n° 328843, Dalongeville (N° Lexbase : A1656ETI).
(36) CE, 2 mars 2010, n° 324439, Fédération française d'athlétisme (N° Lexbase : A6450ESP).
(37) CE, 27 mai 2009, n° 310493, Hontang (N° Lexbase : A3389EHY), où le Conseil d'Etat opère un contrôle entier sur une sanction infligée à un magistrat du Parquet.
(38) Voir l'article 7 de l'ancien statut général des militaires de 1972 (loi n° 72-662 du 13 juillet 1972, portant statut général des militaires N° Lexbase : L6498AGR, JO, 14 juillet 1972, p. 7430), selon lequel "les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques sont libres. Elles ne peuvent, cependant, être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire".
(39) Cf. CE, 27 juillet 2005, n° 260139, Lewden (N° Lexbase : A1324DKA), où un médecin du service de santé des armées avait dénoncé certains dysfonctionnements dans ce service mais avait, néanmoins, été proposé au tableau d'avancement. L'inscription à ce tableau avait été refusée par le ministre, mais elle a été annulée par le Conseil d'Etat pour erreur manifeste d'appréciation.
(40) CEDH, 19 décembre 1994, Req. 34/1993/429/508, Vereinigung Demokratischer Osterreichs et Gubi c/ Autriche (N° Lexbase : A6640AWT), Série A, n° 302.
(41) Cf. loi n° 2005-270 du 24 mars 2005, portant statut général des militaires (N° Lexbase : L1292G8D), JO, 26 mars 2005, p. 5098.
(42) L'article 4 de la loi de n° 2005-270 ne faisant que reproduite l'ancien article 7 de la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972.
(43) J.-H. Matelly, L'incertaine liberté critique du militaire, AJDA, 2005, p. 2161.
(44) Ibid.
(45) Ibid.
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