La lettre juridique n°397 du 3 juin 2010 : Justice

[Evénement] L'action de groupe et l'avocat - Colloque du CNB du 28 mai 2010

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[Evénement] L'action de groupe et l'avocat - Colloque du CNB du 28 mai 2010. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210902-evenement-laction-de-groupe-et-lavocat-colloque-du-cnb-du-28-mai-2010
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010


L'action de groupe (ADG) est actuellement sous les feux de la rampe. Les sénateurs Laurent Béteille (UMP) et Richard Yung (PS) ont remis au Sénat un rapport portant sur le sujet, le 27 mai 2010, soit moins de deux mois après avoir déposé une proposition de loi sur le recours collectif. Le lendemain, le Conseil national des barreaux (CNB) tenait un colloque prospectif à la Maison de la Chimie, à Paris, -auquel a, d'ailleurs, été convié Richard Yung- sur le thème de l'"Action de groupe et l'avocat". Après avoir exposé le contexte particulier dans lequel se placent les débats actuels (I), les intervenants se sont penchés sur la nécessité de l'action de groupe et son champ d'application (II), avant de conclure sur la place de l'avocat dans une telle procédure (III).
I - Contexte

Si l'ADG compte de fervents partisans et tend à se "mondialiser" de plus en plus, elle est, également, redoutée par beaucoup, notamment aux vues des dérives du système américain (B). Néanmoins, ainsi que l'a souligné Thierry Wikers, président du CNB, dans son discours d'introduction, "la class action américaine n'est pas un modèle indépassable". Il est toujours possible d'opter pour un système qui respecte l'égalité entre le consommateur et le professionnel.

A - Les partisans de l'ADG face à l'inertie du Gouvernement

Les partisans de l'ADG, dont font partie tous les intervenants, à l'exception (logique) de Joëlle Simon, Directrice des affaires juridiques du MEDEF, soulignent qu'elle permet une mutualisation des moyens et une économie des coûts procéduraux ; la rendant, ainsi, bien plus attractive pour les particuliers qu'une action individuelle. Elle favorise l'accès au droit, qui n'est indéniablement pas assuré par les outils existants

La loi n° 92-60 du 18 janvier 1992, renforçant la protection des consommateurs (N° Lexbase : L6648HXI) (dite loi "Neiertz"), a introduit en droit français une action permettant à un groupe de citoyens de se défendre par l'intermédiaire d'une association agréées de consommateurs : l'action en représentation conjointe. L'objectif était de "faciliter l'action en réparation de dommages trouvant leur source soit dans une faute de caractère pénal ou une présomption de faute, soit dans une responsabilité de plein droit ou une responsabilité contractuelle". Ces associations peuvent agir en justice pour obtenir la réparation des préjudices individuels subis par plusieurs consommateurs (C. consom., art. L. 422-1 N° Lexbase : L6821ABA, et s.). Mais, cette procédure est lourde et compliquée (en pratique, il est par exemple difficile de récolter les mandats de représentation). Elle n'est, donc, que très peu utilisée.

La première revendication en matière d'ADG, rappelle Françoise Kamara, conseiller à la Cour de Cassation et présidente de la Commission des clauses abusives, fut formulée dès 1975 par Luc Bihl.

En 2005, le Président Jacques Chirac a indiqué, dans ses voeux, vouloir introduire le recours collectif en droit français. Depuis, chaque Gouvernement formule la même promesse sans jamais la tenir. Pourtant, indiquent Thierry Wickers et Richard Yung, plusieurs rapports ont mis en évidence la nécessité d'introduire dans notre droit une telle procédure (rapport "Attali" en 2008 et rapport "Coulon" de la même année). Parallèlement, dès 2006, le PS a déposé une proposition de loi qui n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour et a, finalement, été déclarée caduque en 2009. D'autres initiatives semblables ont été prises, chaque fois en vain.

Pourtant, l'enjeu est important. Il est, ici, question de la compétitivité de notre système juridique (et, a fortiori des avocats). Les avantages procéduraux aux Etats-Unis (discovery, pacte de quota litis, absence de condamnation aux dépens, dommages et intérêts punitifs, etc.) entraînent un phénomène de forum shopping : la personne qui prend l'initiative d'une action en justice peut, en effet, être tentée de choisir le tribunal en fonction de la loi qu'il devra appliquer. Or, cette attractivité est destructrice des équilibres obtenus, voire remet en cause de la souveraineté judiciaire et de la situation économique de l'avocat.

Jean-Marc Baissus, magistrat et Directeur général de la Fondation pour le droit continental, a très bien illustré le problème : la France vient de présenter un mémoire à la Cour suprême américaine, dans une affaire de "forum shopping", qui a pour but d'alerter les juges sur les incidences que pourrait avoir leur décision sur l'ordre juridique français. "On en est là !".

Contrairement à la France, il existe, en Europe, un consensus sur l'ADG. Un Livre blanc, puis un Livre vert ont, récemment, été publiés, proposant de faciliter les recours dans les situations où un grand nombre de consommateurs ont été lésés par un même professionnel ayant commis des infractions au droit de la consommation. Ce dernier document a été soumis à la consultation entre mai et juillet 2009 et devrait aboutir dans un futur plus ou moins proche à une Directive :

- un projet a, effectivement, été rédigé par la Direction générale de la concurrence et concerne les entreprises qui ont des pratiques anticoncurrentielles ou font de la publicité mensongère ; et

- un autre projet a été préparé par la direction générale de la santé et des consommateurs.

Pour le président de l'UFC-Que Choisir, Alain Bazot, le Gouvernement français ne souhaite pas froisser le MEDEF, qui craint que l'introduction de l'ADG se fasse au détriment de l'activité économique. Il faut dire que le modèle américain connaît des abus qui font froid dans le dos.

B - La crainte d'une dérive semblable à celle des Etats-Unis

La class action américaine effraie. Aux Etats-Unis, des cabinets d'avocats se spécialisent dans ce type de recours et adoptent une politique agressive vis-à-vis des entreprises. Ils conviennent avec leurs clients des honoraires sur la réussite de leur action. Mais, dans une telle hypothèse, ils perçoivent des montants exorbitants allant de 30 à 50 % de l'enveloppe totale allouée au titre de la réparation. Le solde reste, alors, à partager avec les centaines, les milliers ou les centaines de milliers de victimes. Parallèlement, des hedge funds n'interviennent que sur ce segment et envisage l'Europe comme la prochaine place pour leur business.

D'autres dérives ont été constatées, concernant, notamment, le discovery : pour exemple, Vivendi a dû communiquer 10 millions de pages, dont 4 millions traduites pour des dizaines de millions de dollars de frais de procédures, qui resteront, quelle soit l'issue du procès, à sa charge. Les frais engagés par les entreprises à ce titre sont ainsi, souvent, sans commune mesure avec le principal.

Pour autant, le modèle américain n'est pas le seul. Le Québec, notamment, a adopté un dispositif de recours collectifs présentant de plus grandes garanties, tout comme l'Angleterre, le Portugal ou la Suède.

II - Nécessité de l'ADG et champ d'application

Le groupe de travail présidé par Laurent Béteille et Richard Yung a "estimé nécessaire d'instituer une procédure d'action de groupe à la française, protégée des dérives des class actions américaines car encadrée par les principes de la procédure civile française et les règles déontologiques de la profession d'avocat". Sur ce point, tous les membres de l'assemblée sont d'accord.

Pour ce faire, le rapport recommande, tout d'abord, d'être prudent et de limiter le champ de l'ADG à certains types de litiges, liés à la consommation, au droit de la concurrence et à "certains manquements au droit financier et boursier", étant précisé que le dispositif serait évalué dans trois ans et, alors, étendu, si nécessaire. D'autres intervenants (surtout, avocats) ont estimé que l'action devait être applicable, notamment, en matière d'environnement, de santé publique, de produits défectueux, de banque, d'assurance, etc..

Pour limiter le risque financier des entreprises, le texte préconise, également, de s'en tenir aux dommages matériels, en excluant les préjudices corporels, mais il ne fixe, toutefois, pas de plafond.

Et, pour éviter la multiplication d'actions abusives, les sénateurs envisagent d'ouvrir le recours qu'aux seules associations agréées de consommateurs, qui agiront devant quelques tribunaux de grande instance spécialisés désignés pour traiter ces contentieux de masse. Plus d'une quinzaine d'associations nationales répondraient, aujourd'hui, aux critères (en termes de nombre d'adhérents, de garanties de sérieux et de bon fonctionnement, etc.). La tendance, au grand mécontentement des avocats présents au colloque, serait plus de restreindre cette liste et les acteurs concernés, que de les étendre.

Dans l'esprit des deux sénateurs et du groupe de travail, la procédure se déroulerait en deux phases :

- une déclaration de responsabilité. Il reviendrait au juge de statuer sur la recevabilité de l'ADG. Dans ce cadre, l'association agréée ne lui soumettrait qu'un nombre limité de cas exemplaires qui définiraient, au regard des préjudices qu'ils visent et des faits reprochés, les limites du groupe possible des plaignants. Sur la question de l'adhésion présumée ou volontaire au groupe ("opt in" ou "opt out"), le groupe de travail s'est prononcé en faveur de la seconde option qui stipule que seules les personnes qui ont expressément manifesté leur accord font partie de l'action de groupe ;

- une décision du juge sur l'indemnisation, après publicité et constitution d'un groupe, sauf à ce que les parties soient allées en médiation préalable et aient trouvé une solution alternative à leur litige, alors homologuée par le juge. Sur le point de la médiation, le président de l'UFC Que Choisir s'y dit favorable, dès lors qu'il s'agit d'une mode alternatif de règlement du conflit. Ce faisant, il s'adresse au MEDEF dont l'ambition est de voir la médiation se substituer totalement à l'ADG.

Dans les domaines ou intervient une autorité régulatrice (AMF, DGCCRF, etc.), il conviendra d'articuler la procédure d'ADG avec les décisions de cette autorité : soit l'autorité est reçue à l'action civile, comme amicus-curiae, lorsqu'elle n'a pas été elle-même saisie des mêmes faits, soit le juge sursoit à statuer quand l'autorité est appelée à rendre une décision sur les faits.

III - La place de l'avocat

La question de la place de l'avocat dans le cadre de l'ADP n'est pas évidente. Si ce professionnel est nécessairement associé à la procédure en tant que conseil des parties, certains, pointant les dérives connues aux USA, sont réticents à lui ouvrir la possibilité d'introduire l'action, au même titre qu'une association agréée de consommateurs.

La majorité des intervenants s'est, cependant, interrogée sur l'effectivité, dans de telles circonstances, du droit d'accès à la justice. Les avocats revendiquent, en outre, de pouvoir initier la procédure, parce qu'ils appréhendent la matière comme un nouveau champ d'activité, même s'ils reconnaissent la nécessité d'une formation spécifique.

Selon Claude Lazarus, avocat au Barreau de Paris, "en s'appuyant sur les pratiques des avocats américains spécialisés dans l'introduction de class action, certains groupes d'intérêts ont réussi à convaincre les pouvoirs publics qu'il fallait priver les avocats du droit d'initier une action de groupe, en réservant le monopole de cette initiative aux associations agréées de consommateurs. Or, aucune des critiques ou inquiétudes que pourrait inspirer le rôle de l'avocat dans une action de groupe à la française ne résiste à un examen sérieux : la déontologie très stricte des avocats en France assure la protection des intérêts de tous les justiciables, bien que des adaptations soient nécessaires". Thierry Wickers et Serge Guinchard, Professeur émérite de l'Université Paris II et Recteur honoraire, ont, naturellement, partagé ce point de vue.

Reste, encore, à régler la question de la rémunération de l'avocat. A ce titre, le groupe de travail de Laurent Béteille et Richard Yung exclut toute modification des règles déontologiques des avocats, en particulier, en matière de rémunération. Le coût du recours collectif et la nécessité de l'intervention d'avocats supposent, en effet, un encadrement du mode de rémunération de ces derniers. Ils envisagent, notamment, de prévoir une rémunération qui soit adossée au produit de l'action judiciaire, selon le principe des honoraires complémentaires.

Hervé Novelli, fin 2008, avait réitéré le souhait de voir l'ADG introduite en droit français, tout en expliquant que le contexte actuel de crise financière n'y était pas favorable. Pour que le projet "ne soit pas remis au calanques grecques", le CNB, en organisant cette manifestation, a pris le taureau par les cornes et alerte, de cette façon, l'attention des pouvoirs publics.

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