Réf. : Cass. soc., 18 mars 2008, n° 07-40.269, Société Helvétia compagnie suisse d'assurances, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4953D7L)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
le 07 Octobre 2010
Résumé Lorsque les conditions de la mise en retraite sont remplies, la rupture ne constitue pas un licenciement. Si, en application de l'article L. 321-1, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L8921G7K), l'employeur, qui envisage de mettre des salariés à la retraite à l'occasion de difficultés économiques, doit observer les dispositions relatives aux licenciements économiques, en ce qu'elles impliquent la consultation des représentants du personnel et la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi lorsque les conditions légales en sont remplies, il n'en résulte pas que la décision de mise à la retraite prise par l'employeur entraîne les effets d'un licenciement. |
Commentaire
Le régime de la mise à la retraite obéit, désormais, à un corps de règles précises et complètes, codifiées à l'article L. 122-14-13 du Code du travail (N° Lexbase : L3219HW7), mais, sans pour autant, vider de sa substance un contentieux persistant et récurent. Un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 18 mars dernier en témoigne. En l'espèce, un salarié, employé depuis le 13 janvier 1969 par une société, a été mis à la retraite le 10 juillet 2000 avec effet au 31 janvier 2001. Pour condamner l'employeur à lui payer un solde d'indemnité conventionnelle de licenciement, les juges du fond (CA Versailles, 5ème ch. civ., 2 novembre 2006) avaient retenu que la mise à la retraite, s'inscrivant dans le cadre d'une réduction des effectifs motivée par des raisons économiques, doit être assimilée à un licenciement économique pour suppression d'emploi. L'absence d'opposition formulée par le salarié ne transforme pas sa mise à la retraite en un départ volontaire privatif de l'indemnité conventionnelle de licenciement. Au contraire, en application d'une jurisprudence bien établie, la Cour décide, par l'arrêt rapporté, que, lorsque les conditions de la mise en retraite sont remplies, la rupture ne constitue pas un licenciement. Si, en application de l'article L. 321-1, alinéa 2, du Code du travail, l'employeur, qui envisage de mettre des salariés à la retraite à l'occasion de difficultés économiques, doit observer les dispositions relatives aux licenciements économiques, en ce qu'elles impliquent la consultation des représentants du personnel et la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, lorsque les conditions légales en sont remplies, il n'en résulte pas que la décision de mise à la retraite prise par l'employeur entraîne les effets d'un licenciement.
I - Mise à la retraite hors licenciement économique collectif
A - Les conditions légales de mise à la retraite
Le régime de la mise à la retraite a été fixé précisément par le législateur (C. trav., art. L. 122-14-13 N° Lexbase : L3219HW7) (6).
Il en ressort, brevitatis causa, que tout salarié quittant volontairement l'entreprise, pour bénéficier du droit à une pension de vieillesse, a droit, sous réserve des dispositions plus favorables d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou du contrat de travail, à l'indemnité de départ en retraite prévue à l'article 6 de l'accord annexé à la loi n° 78-49 du 19 janvier 1978, relative à la mensualisation et à la procédure conventionnelle (N° Lexbase : L1361AIA) : un ½ mois de salaire après 10 ans d'ancienneté, 1 mois de salaire après 15 ans d'ancienneté, 1 mois et ½ de salaire après 20 ans d'ancienneté et 2 mois de salaire après 20 ans d'ancienneté (C. trav., art. L. 122-14-13, alinéa 1er).
Tout salarié dont la mise à la retraite résulte d'une décision de l'employeur a droit, sous réserve des dispositions plus favorables en matière d'indemnité de départ à la retraite contenues dans une convention ou un accord collectif de travail ou un contrat de travail, au versement d'une indemnité de départ en retraite équivalente, soit à l'indemnité de licenciement (prévue par l'article 5 l'accord annexé à la loi n° 78-49 du 19 janvier 1978, relative à la mensualisation et à la procédure conventionnelle N° Lexbase : L1361AIA), s'il remplit les conditions fixées pour en bénéficier, soit à l'indemnité minimum de licenciement (prévue à l'article L. 122-9 du Code du travail N° Lexbase : L5559ACU).
Cette indemnité est, également, due, dans les mêmes conditions, à tout salarié dont le départ à la retraite, avec l'accord de l'employeur, à partir du 1er janvier 2010 et jusqu'au 1er janvier 2014, conduit à rompre le contrat de travail à un âge inférieur à 65 ans (mentionné au 1° de l'article L. 351-8 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L7663DKZ). La mise à la retraite s'entend de la possibilité donnée à l'employeur de rompre le contrat de travail d'un salarié ayant atteint l'âge visé au 1° de l'article L. 351-8 du Code de la Sécurité sociale (65 ans).
Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 (N° Lexbase : L8098HT4), aucune convention ou accord collectif prévoyant la possibilité d'une mise à la retraite d'office d'un salarié à un âge inférieur à 65 ans ne peut être signé ou étendu. Les accords conclus et étendus avant la publication de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, déterminant des contreparties en termes d'emploi ou de formation professionnelle et fixant un âge inférieur à 65 ans, dès lors que le salarié peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein et que cet âge n'est pas inférieur à celui fixé au premier alinéa de l'article L. 351-1 du même code, cessent de produire leurs effets au 31 décembre 2009.
B - La rupture du contrat de travail pour mise à la retraite n'est pas un licenciement
En l'espèce, la Cour décide, par l'arrêt rapporté, que lorsque les conditions de la mise en retraite sont remplies, la rupture ne constitue pas un licenciement. Le juge du fond avait constaté que les conditions légales de la mise à la retraite du salarié étaient remplies et que cette mesure n'était pas intervenue dans le cadre d'un plan social prévoyant le versement d'une telle indemnité aux salariés mis à la retraite : aussi, la cour d'appel a violé l'article L. 321-1, alinéa 2, du même Code du travail.
La décision de mise en retraite d'un salarié par l'employeur n'a pas à être spécialement motivée, dès lors que l'intéressé remplit les conditions de mise en retraite (Cass. soc., 12 janvier 1993, n° 89-43.467, Mme Blot c/ Conservatoire municipal du XIe arrondissement de Paris N° Lexbase : A9449AA9).
II - Mise à la retraite dans le cadre d'un licenciement économique collectif
A - Départ volontaire
Toute rupture du contrat de travail pour un motif économique est soumise, pour sa mise en oeuvre, aux dispositions sur le licenciement économique, en vertu de l'article L. 321-1, alinéa 2 du Code du travail. La rupture d'un contrat de travail pour motif économique n'entraîne pas toujours les effets d'un licenciement. Ainsi, selon la Cour de cassation, le départ volontaire à la retraite dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi constitue une rupture à l'initiative du salarié et n'ouvre droit, ni à l'indemnité conventionnelle de licenciement (Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-18.907, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0132AZW, Bull. civ. V, n° 214 p. 206, RJS, 2002, n° 1154), ni à l'indemnité légale de licenciement prévue pour les journalistes par l'article L. 761-5 du Code du travail (N° Lexbase : L6797ACQ). Ces indemnités ne sont dues que lorsque le congédiement provient du fait de l'employeur (Cass. soc., 9 juillet 2003, n° 01-43.298, F-D N° Lexbase : A1109C9X, RJS, 2003, n° 1161).
Les salariés partant volontairement à la retraite dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi peuvent uniquement prétendre à l'indemnité de départ en retraite. Cette indemnité est d'un montant moins important que celui de l'indemnité de mise à la retraite et donc, a fortiori, de celui de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
Finalement, le départ volontaire à la retraite dans le cadre d'un plan social (plan de sauvegarde de l'emploi) constitue une rupture à l'initiative du salarié et n'ouvre pas droit à l'indemnité de congédiement mentionnée à l'article L. 761-5, laquelle n'est due que lorsque le congédiement provient du fait de l'employeur (Cass. soc. 9 juillet 2003, n° 01-43.298, préc. ; Cass. soc. 25 juin 2002, n° 00-18.907, préc.).
B - Départ non volontaire à la retraite dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi
Seule la mise à la retraite dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ouvre droit à l'indemnité conventionnelle de licenciement. Selon la jurisprudence, lorsque la mise en retraite est la conséquence de la mise en oeuvre d'un plan social (plan de sauvegarde de l'emploi), elle ouvre droit, pour le salarié concerné, au bénéfice de l'indemnité conventionnelle de licenciement (Cass. soc., 18 avril 2000, n° 97-45.434, Société Soderbanque et autres c/ M. Erger et autres N° Lexbase : A6378AGC ; Cass. soc., 2 novembre 2005, n° 03-46.325, Société marseillaise de crédit (SMC), F-D N° Lexbase : A3346DLI).
Dans une autre espèce, pour débouter un salarié de sa demande d'indemnités de rupture, les juges du fond avaient retenu que la mise à la retraite étant un mode autonome de rupture, il ne peut être fait grief à l'employeur d'avoir fait application d'un régime légal et conventionnel de rupture et de ne pas avoir inclus le salarié dans un licenciement pour motif économique collectif alors que la mise à la retraite est régulière. Selon les juges du fond, il n'existe pas de droit à bénéficier d'un plan social alors que la mise à la retraite est possible. Au contraire, la Cour de cassation relevait que la mise à la retraite du salarié était liée à la restructuration des services de l'établissement où il était affecté et s'inscrivait dans un contexte de licenciement économique collectif concomitant à un plan social (Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-42.781, FS-D N° Lexbase : A7454DYQ).
Mais, selon la jurisprudence, si la rupture du contrat de travail pour un motif économique est soumise, pour sa mise en oeuvre, aux dispositions sur le licenciement économique (C. trav., art. L. 321-1, al. 2), il n'en résulte pas que toute rupture d'un contrat de travail procédant d'un motif économique entraîne les effets d'un licenciement.
En l'espèce, la Cour de cassation, dans la continuité de cette jurisprudence, et ce, de manière cohérente, décide que, si, en application de l'article L. 321-1, alinéa 2, du Code du travail, l'employeur, qui envisage de mettre des salariés à la retraite à l'occasion de difficultés économiques, doit observer les dispositions relatives aux licenciements économiques, en ce qu'elles impliquent la consultation des représentants du personnel et la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi lorsque les conditions légales en sont remplies, il n'en résulte pas que la décision de mise à la retraite prise par celui-ci entraîne les effets d'un licenciement.
Il est vrai que les textes assimilent mise à la retraite et licenciement, non pas au regard de leur nature juridique, mais en raison des effets indemnitaires, dont le statut (social et fiscal) est identique (7). En effet, l'indemnité de départ à la retraite est assujettie en totalité à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, relative au remboursement de la dette sociale, art. 14 N° Lexbase : L1330AI4). Elle obéit, par ailleurs, au même régime fiscal et social que celui de l'indemnité de licenciement (C. trav., art. L. 122-14-13). L'indemnité de mise à la retraite est soumise au même régime que l'indemnité de licenciement : exonérée de cotisations de sécurité sociale, elle est, en revanche, assujettie à la CRDS et à la CSG pour la partie excédant un montant fixé à l'article L. 136-2 II 5° du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3307HWE). En revanche, outre la CSG et la CRDS, l'indemnité de départ volontaire du salarié est soumise aux cotisations de sécurité sociale.
Mais, ce régime juridique ne s'applique que lorsqu'une convention ou un accord collectif étendu relatif à la mise à la retraite, conclu après l'entrée en vigueur de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites, et avant la publication de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007, prévoit la possibilité de rompre le contrat de travail à un âge inférieur à celui mentionné au 1° de l'article L. 351-8 du Code de la Sécurité sociale, dès lors que le salarié peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein et que cet âge n'est pas inférieur à celui fixé au premier alinéa de l'article L. 351-1 du même code (65 ans).
(1) Y. Moreau, F. Jeger, Avant ou après les retraites, réformer le travail, Dr. soc., 2003, p. 683 ; Y. Moreau, F. Von Lennep, Que nous enseignent les comparaisons internationales en matière de retraite, Dr. soc., 2004, p. 1123 ; T. Tauran, La loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites : réforme historique ou début de réforme ?, TPS, 2003, chron. n° 19.
(2) J. Barthélémy, Les retraites, Dr. soc., 2003, p. 1077 ; S. Caullychurn, Ce que change la loi du 21 août 2003 pour les entreprises, Semaine sociale Lamy, 29 septembre 2003, n° 1137, p. 5 ; Y. Chassard, Réforme des retraites : quelques idées glanées chez nos voisins européens, Dr. soc., 2003, p. 323 ; P. Concialdi, A. Math, L'évolution du mode de financement des retraites et des revenus des personnes âgées, Retraite et société, 2003, n° 38, p. 233 ; B. Gabellieri, Les perspectives européennes, Semaine sociale Lamy, 24 novembre 2003, n° 1145, p. 4.
(3) F. Favennec-Héry, L'accord national interprofessionnel relatif à l'emploi des seniors : un premier pas, JCP éd. S, n° 21, 15 novembre 2005, étude n° 1329, p. 14 ; P.-Y. Verkindt, Changer le regard sur le travail des seniors après l'ANI du 13 octobre 2005, Semaine sociale Lamy, 31 octobre 2005, n° 1234 ; nos obs., La place de l'accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 dans les politiques de vieillissement actif, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1192AKD).
(4) V. nos obs., Un nouveau contrat aidé : le "CDD senior", Lexbase Hebdo n° 226 du 7 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2470AL3).
(5) V. nos obs., LFSS 2008 : réforme des exonérations de charges sociales et des mesures d'âge, Lexbase Hebdo n° 287 du 10 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6093BDZ).
(6) J. Pelissier, Age et perte d'emploi, Dr. soc., 2003, p. 1061.
(7) Lire les obs. de O. Pujolar, Départ volontaire ou mise à la retraite : nature des indemnités et possibilités de saisie, Lexbase Hebdo n° 292 du 14 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N0835BEN).
Décision Cass. soc., 18 mars 2008, n° 07-40.269, Société Helvétia compagnie suisse d'assurances, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4953D7L) Cassation (CA Versailles, 5ème ch. civ., 2 novembre 2006) Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-13 (N° Lexbase : L3219HW7) et L. 321-1, alinéa 2 (N° Lexbase : L8921G7K) Mots-clefs : mise à la retraite ; contexte économique ; qualification de licenciement (non) Lien base : |
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