Réf. : Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-44.734, M. Christian Cardon, F-P+B (N° Lexbase : A4777D73)
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N6199BEC
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de la seconde visite médicale de reprise du travail ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de lui verser, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail. Les motifs des juges du fond tirés de l'ignorance dans laquelle se trouvait l'employeur du premier avis médical d'inaptitude et du recours administratif en cours sont inopérants. |
Commentaire
I - Les conditions inopérantes en matière d'inaptitude
L'article R. 241-51 du Code du travail (N° Lexbase : L9928ACP) impose qu'il soit procédé à un examen médical du salarié "après une absence d'au moins huit jours pour cause d'accident du travail". En réalité, en application de l'article R. 241-51-1 du même code (N° Lexbase : L9929ACQ), deux visites médicales de reprise sont nécessaires lorsque le médecin du travail constate l'inaptitude du salarié à son poste de travail.
Ces deux visites sont indispensables pour déterminer quel sera le sort du salarié à la suite de la suspension de son contrat de travail en raison de l'accident (1). En effet, en application de l'article L. 122-32-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5523ACK), si le salarié est déclaré inapte, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités. Surtout, "si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de verser à l'intéressé, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension". Reclassement, licenciement ou paiement du salaire sans reprise du travail, ces mesures dépendent, en partie, de la visite de reprise, qui revêt donc une importance toute particulière dans cette procédure (2).
Quelques règles essentielles sont déjà établies s'agissant des conditions dans lesquelles ces visites de reprise doivent intervenir.
La Cour de cassation décide, ainsi, de manière habituelle, que l'initiative de la visite de reprise appartient, normalement, à l'employeur, même si elle peut, également, être sollicitée par le salarié (3). Les deux visites doivent, en outre, être espacées d'un délai minimal de quinze jours, à défaut duquel le licenciement prononcé en raison de l'inaptitude est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse (4).
Plus spécialement, le juge a, également, déterminé le régime applicable en matière de computation du délai d'un mois, au terme duquel l'employeur est contraint de reprendre le versement du salaire, en cas de contestation de l'avis d'inaptitude prononcé par le médecin du travail. Outre que l'annulation par l'inspection du travail de l'avis d'aptitude prononcé par le médecin du travail emporte un effet rétroactif, si bien que le contrat de travail se trouve à nouveau suspendu (5), l'employeur ne peut invoquer ce recours pour suspendre l'écoulement de ce délai. Le recours n'a donc pas d'effet suspensif (6).
En revanche, d'autres questions restent, jusqu'ici, en suspens. La Cour de cassation n'a, par exemple, jamais eu l'occasion de statuer, dans le silence des textes, sur la forme que doit revêtir la notification à l'employeur des résultats de la visite de reprise. Un simple courrier est-il suffisant ou est-il nécessaire que le médecin du travail adresse son avis par lettre recommandée ?
Victime d'un accident du travail, le salarié se présente à une première visite médicale de reprise devant le médecin du travail qui le déclare inapte au poste de chauffeur poids lourds. Quelques jours plus tard, le médecin informe l'employeur, par lettre simple, de ce premier avis d'inaptitude, courrier que l'employeur conteste avoir reçu. Le médecin du travail formule un second avis d'inaptitude définitive trois semaines après le premier avis, inaptitude faisant, alors, l'objet d'une contestation devant l'autorité administrative à l'initiative du salarié.
La cour d'appel estima que l'employeur demeurait dans l'ignorance de la tenue de la première visite de reprise et qu'il ne pouvait être tenu du second avis, compte tenu du recours introduit par le salarié. Elle refusa, dès lors, que les conséquences habituelles de l'écoulement d'un délai d'un mois sans reclassement ou licenciement se produisent, le salarié ne pouvant donc exiger la reprise du versement de son salaire.
La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cet arrêt. Par un chapeau de tête, elle rappelle la règle générale selon laquelle, "si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de la seconde visite médicale de reprise du travail ou, s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de lui verser, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail".
Elle en déduit que la cour d'appel a statué "par des motifs inopérants tirés de l'ignorance dans laquelle se trouvait l'employeur du premier avis médical d'inaptitude et du recours administratif en cours alors qu'elle avait constaté que le médecin du travail avait lui-même qualifié l'avis du 5 septembre 2001 de visite de reprise et que le second avis du 26 septembre 2001 confirmait l'inaptitude du salarié".
Cette solution appelle quelques éléments d'interprétation, qui permettent de mettre en exergue son fondement insidieux, celui de l'initiative incombant à l'employeur de provoquer les visites de reprise.
II - Des conséquences de l'initiative incombant à l'employeur de la visite de reprise
La Cour de cassation estime que, est inopérante l'argumentation des juges d'appel, se fondant sur l'ignorance de l'employeur de la tenue de la première visite et l'effet suspensif du recours administratif du salarié.
Le motif inopérant est habituellement celui qui a été rendu au sujet d'une question qui n'avait pas été posée au juge. Autrement dit, à moins qu'il ne s'agisse d'un moyen d'ordre public que le juge peut soulever de lui-même, le motif inopérant se caractérise par une réponse du juge à une question qui ne lui était pas posée (7).
Cette précision est essentielle car elle conditionne l'importance qu'il faut donner à l'éviction par la Cour de cassation de l'argumentation liée à l'absence de formalité d'information de l'employeur de l'avis d'inaptitude mais aussi au caractère suspensif du recours.
Il peut déjà être souligné que ces questions ne relèvent pas, pour la Cour de cassation, d'un moyen d'ordre public. Le juge ne sera donc pas tenu de relever de lui-même, à l'avenir, de telles questions.
S'agissant de l'absence d'effet suspensif, il est envisageable de penser que la solution va dans un sens identique à celui adopté par la Cour de cassation en 1999 (8). En revanche, s'agissant de l'ignorance prétendue de l'employeur de l'existence du premier avis d'inaptitude, toutes les interprétations restent ouvertes.
Une première interprétation consisterait à estimer que la Cour de cassation ne se prononce pas véritablement sur l'exigence que le médecin du travail informe l'employeur par un moyen plus solennel qu'un simple courrier, par exemple, par une lettre recommandée. La Cour écarte seulement la motivation, sans statuer au fond.
La seconde interprétation, certainement la plus audacieuse, serait de considérer que la Cour de cassation, dans cette affaire, dispense formellement le médecin du travail de notification solennelle, un courrier simple étant, alors, suffisant. Si cette interprétation ne peut raisonnablement pas être retenue à la seule lecture de l'arrêt, le replacement de la solution dans l'ensemble du régime juridique de l'inaptitude du salarié devrait permettre, malgré tout, de penser que c'est bien la solution vers laquelle les juges s'orientent.
Comme nous l'avons déjà rappelé, c'est à l'employeur que revient de prendre l'initiative de faire convoquer le salarié par le médecin du travail. De manière concrète, l'employeur étant destinataire de l'arrêt de travail prononcé par le médecin traitant du salarié, il lui incombe, à l'issue de cet arrêt, d'exiger que le médecin du travail reçoive le salarié et se prononce sur son aptitude.
De cette règle semble découler, tout à fait naturellement, que l'employeur ne peut pas être dans l'ignorance du résultat de la visite médicale de reprise. Plutôt, pour être plus précis, s'il peut être dans l'ignorance de l'issue de la visite en raison d'une négligence du médecin du travail ou d'une distribution défectueuse du courrier, il lui incombe de s'enquérir du résultat de la visite qu'il a lui-même provoquée (9). Cela paraît constituer une diligence minimale lorsque l'employeur sait les conséquences qu'il devra supporter en cas d'inaptitude avérée.
L'hypothèse dans laquelle la sollicitation d'une visite de reprise émanerait du salarié n'y changerait, d'ailleurs, rien puisque cette faculté laissée au travailleur est nettement dérogatoire aux yeux de la Cour de cassation (10).
Pour le reste, les conséquences de l'arrêt sont, dès lors, assez classiques. L'employeur n'ayant pas repris, comme le Code du travail le lui impose, le versement des salaires à l'issue d'un délai d'un mois écoulé après la deuxième visite de reprise déclarant l'inaptitude, cette abstention est constitutive d'une faute dans l'exécution du contrat de travail, qui justifie que le salarié puisse prendre acte de la rupture de son contrat aux torts de l'employeur (11).
(1) En cas d'avis d'aptitude, le salarié doit reprendre son emploi ou un emploi similaire, par application de l'article L. 122-32-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5520ACG).
(2) V. J. Savatier, La visite de reprise effectuée par le médecin du travail à l'issue d'une absence pour maladie ou accident du travail, Dr. soc., 1997, p. 3.
(3) Cass. soc., 12 novembre 1997, n° 94-43.839, Société Forges de Courcelles c/ M. Girardot (N° Lexbase : A1645ACW), Bull. civ. V, n° 365 ; RJS, 1997, p. 835, n° 1359 ; Cass. soc., 28 juin 2006, n° 04-47.746, M. Jean-Yves Grosboillot, F-P (N° Lexbase : A1080DQ3), Bull. civ. V, n° 229, p. 219 ; RJS, 2006, p. 784, n° 1055.
(4) Cass. soc., 3 mai 2006, n° 04-47.613, M. Guy Monin c/ M. Joseph Costa, FS-P+B (N° Lexbase : A2543DPU), Dr. soc., 2006, p. 800, obs. J. Savatier.
(5) Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-44.926, Société d'exercice libéral à responsabilité limitée Jim Sohm, prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Chaudronnerie-Tôlerie-Soudure-Maintenance (CTSM) c/ M. Georges Richard, FS-P+B ([LXB=8467DDX]) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Conséquences de l'annulation par l'inspecteur du travail de l'avis d'inaptitude délivré par le médecin du travail, Lexbase Hebdo n° 144 du 25 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3627ABX).
(6) Cass. soc., 4 mai 1999, n° 98-40.959, M. Carmouse c/ M. Alguacil (N° Lexbase : A4808AG8), Dr. soc., 1999, p. 743, obs. Ch. Radé.
(7) J. Boré, L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz action, 2003, n° 78-116, pp., 398-399.
(8) V., Cass. soc., 4 mai 1999, n° 98-40.959, préc..
(9) En forçant le trait, il peut, d'ailleurs, être considéré qu'il ne s'agit là que d'une application de l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans.
(10) V., Cass. soc., 12 novembre 1997, n° 94-43.839, préc..
(11) Cass. soc., 4 mai 1999, n° 97-40.547, Société Coulangeon c/ M. Bery et autre (N° Lexbase : A4695AGY), Bull. civ. V, n° 185, p. 134 ; Dr. soc., 1999, p. 741, obs. J. Savatier ; RJS, 1999, p. 497, n° 816.
Décision
Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-44.734, M. Christian Cardon, F-P+B (N° Lexbase : A4777D73) Cassation partielle, CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. B, 26 juin 2006 Textes visés : C. trav., art. L. 122-32-5 (N° Lexbase : L5523ACK), R. 241-51 (N° Lexbase : L9928ACP) et L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) Mots-clés : accident du travail ; inaptitude ; visite médicale de reprise ; contestation de l'inaptitude ; notification de la visite de reprise par courrier simple. Liens base : |
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