La lettre juridique n°299 du 3 avril 2008 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Seul un avenant interprétatif à une convention collective s'impose de manière rétroactive

Réf. : Cass. soc., 18 mars 2008, n° 07-41.813, Société Toupret c/ M. René Jardin et a., FS-P+B (N° Lexbase : A4964D7Y)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Comme n'importe quel autre contrat, la convention ou l'accord collectif de travail est de nature à comporter des stipulations dont le sens peut prêter à discussion. Dans une telle situation, les parties signataires de l'acte initial sont en droit de préciser quelle a été leur volonté commune lors de sa conclusion. Dès lors qu'il est conclu par l'ensemble des parties en cause, cet acte juridique doit être qualifié d'avenant interprétatif. Il s'impose alors à tous de façon rétroactive, à l'image d'une loi interprétative. Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans un important arrêt en date du 18 mars 2008, la qualification d'avenant interprétatif est exclusive de toute modification de l'accord initial. A défaut, l'acte juridique litigieux relève de la catégorie des avenants de révision et ne vaut que pour l'avenir. La Chambre sociale précise, en outre, dans cette même décision, que le juge prud'homal est compétent pour statuer sur une question préjudicielle relative à l'interprétation d'un accord collectif posée par le juge administratif dans le cadre d'un litige individuel opposant le salarié à son employeur.
Résumé

Le juge prud'homal, compétent pour connaître de l'interprétation d'un accord collectif lorsque celle-ci est nécessaire à la solution d'un litige lié au contrat de travail d'un salarié, est compétent pour statuer sur une question préjudicielle relative à l'interprétation d'un accord collectif posée par le juge administratif dans le cadre d'un litige individuel opposant le salarié à son employeur.

Attendu qu'ayant relevé que l'article 9.3.2 de l'accord du 22 décembre 1998 signé entre l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction, d'une part, et la Fédération des travailleurs de la céramique, des carrières et matériaux de construction CGT-FO, d'autre part, autorisait un employeur à mettre à la retraite un salarié âgé de moins de soixante-cinq ans, sous réserve que ce salarié puisse bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein versée par la Sécurité sociale et qu'il puisse faire liquider sa pension de retraite complémentaire sans abattement, et qu'aux termes de l'avenant conclu entre les mêmes parties le 21 mars 2001 et qualifié, par elles, d'interprétatif, la pension de retraite complémentaire doit s'entendre de celle acquise au titre des tranches A et B, à l'exclusion de celle acquise au titre de la tranche C qui ne peut être liquidée avant l'âge de soixante-cinq ans, la cour d'appel a décidé à bon droit que cet avenant modifie les conditions de mise à la retraite des salariés cadres cotisants au titre de la tranche C, qu'il est, dès lors, dépourvu de caractère interprétatif et ne peut s'appliquer à une mise à la retraite prononcée antérieurement.

Commentaire

I L'interprétation de la convention collective par le juge

  • Juridiction judiciaire ou juridiction administrative

Alors même qu'il produit un effet réglementaire, la convention ou l'accord collectif de travail reste, fondamentalement, un contrat de droit privé. Pour cette raison, son interprétation ou l'appréciation de sa validité ne peut qu'être soumise aux juridictions judiciaires.

Il en résulte, notamment, que, si l'interprétation d'une convention collective ou sa validité est contestée à l'occasion d'un recours dirigé contre un arrêté d'extension, le juge administratif, placé devant une question préjudicielle, doit surseoir à statuer (1). De même, lorsque, comme en l'espèce, le juge administratif est appelé à statuer sur le recours formé par un salarié protégé, contre la décision d'un inspecteur du travail ayant autorisé sa mise à la retraite, il doit surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur les questions préjudicielles ayant trait à l'interprétation de l'accord collectif sur le fondement duquel la mise à la retraite a été décidée. Reste alors à déterminer la juridiction judiciaire compétente.

  • Conseil de prud'hommes ou tribunal de grande instance

On sait qu'en vertu de l'article L. 511-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1723GZT, art. L. 1411-1, recod. N° Lexbase : L0263HXZ), le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître de tous les différends individuels nés du contrat de travail. Cette formule exclut, à l'évidence, les différends collectifs. Par suite, et s'agissant de l'interprétation d'une convention ou d'un accord collectif, si le litige oppose groupements patronaux et syndicats de salariés, il convient de saisir le tribunal de grande instance (2).

En revanche, et ainsi que le rappelle la Chambre sociale dans l'arrêt rapporté, le juge prud'homal est compétent pour connaître de l'interprétation d'un accord collectif, lorsque celle-ci est nécessaire à la solution d'un litige lié au contrat de travail d'un salarié (3). En outre, et la précision apportée par la Cour de cassation sur ce point n'est que la conséquence de ce qui vient d'être dit, ce même conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur une question préjudicielle relative à l'interprétation d'un accord collectif posée par le juge administratif dans le cadre d'un litige individuel opposant le salarié à son employeur. Tel était le cas en l'espèce, la question préjudicielle étant relative à la situation individuelle du salarié qui contestait les conditions de sa mise à la retraite, lesquelles étaient liées à l'interprétation de la convention collective applicable dans l'entreprise.

II L'interprétation par les parties signataires

  • L'avenant interprétatif

Lorsque le sens d'une disposition conventionnelle fait problème, les parties signataires de la convention ou de l'accord collectif peuvent éprouver le besoin de préciser quelle a été leur volonté commune lors de sa conclusion. L'acte conclu doit, alors, être qualifié d'avenant interprétatif. Celui-ci doit être soigneusement distingué d'un avenant de révision (4). Tandis que ce dernier conduit à une modification substantielle de l'acte juridique initial, le premier ne fait qu'interpréter une ou plusieurs de ses clauses.

La distinction entre avenant interprétatif et avenant de révision est fondamentale dans la mesure où, à l'image d'une loi interprétative (5), le premier va s'imposer de façon rétroactive aux juges, à l'employeur et aux salariés (6). La qualification de l'avenant conclu ne saurait, cependant, être abandonnée aux parties signataires. Ainsi qu'en témoigne l'arrêt sous examen, elle relève du pouvoir du juge.

En l'espèce, l'article 9.3.2 de l'accord du 22 décembre 1998, signé entre l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction, d'une part, et la Fédération des travailleurs de la céramique, des carrières et matériaux de construction CGT-FO, d'autre part, autorisait un employeur à mettre à la retraite un salarié âgé de moins de soixante-cinq ans, sous réserve que ce salarié puisse bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein versée par la Sécurité sociale et qu'il puisse faire liquider sa pension de retraite complémentaire sans abattement. Aux termes de l'avenant conclu entre les mêmes parties le 21 mars 2001 et qualifié par elles d'interprétatif, la pension de retraite complémentaire doit s'entendre de celle acquise au titre des tranches A et B, à l'exclusion de celle acquise au titre de la tranche C qui ne peut être liquidée avant l'âge de soixante-cinq ans. Selon la Cour de cassation, les juges d'appel ont décidé à bon droit que cet avenant modifie les conditions de mise à la retraite des salariés cadres cotisants au titre de la tranche C. Par suite, étant, dès lors, dépourvu de caractère interprétatif, il ne peut s'appliquer à une mise à la retraite prononcée antérieurement.

Cet arrêt confirme que seul un avenant interprétatif peut avoir un effet rétroactif à l'exclusion de tout avenant de révision. Les juges se doivent d'apprécier si l'acte juridique conclu modifie, ou non, les stipulations de l'accord initial. Si tel est le cas, la qualification d'avenant de révision s'impose et celui-ci ne peut produire effet que pour l'avenir.

Au-delà, il importe encore d'ajouter que la qualification d'avenant interprétatif ne peut être retenue que si l'acte juridique est conclu par l'ensemble des parties à l'accord initial (7). A défaut, cela n'a, cependant, pas pour effet de disqualifier l'accord en avenant de révision dès lors, à tout le moins, qu'il n'apporte aucune modification à l'acte initial. Celui-ci reste un avenant de révision. Toutefois, et faute d'être conclu par l'ensemble des parties signataires de l'acte initial, il ne lie pas le juge.

Une dernière question reste posée : celle de savoir si un avenant interprétatif est soumis au principe majoritaire. Dans la mesure où ce dernier relève de la catégorie des accords collectifs, une réponse affirmative paraît s'imposer (8). Ce raisonnement, un peu trop simpliste, peut, cependant être contesté. En effet, et ainsi qu'il a été vu, il ne s'agit nullement ici de créer des stipulations conventionnelles nouvelles, mais bien de préciser celles de l'acte initial. Ce qui importe donc, ce n'est pas tant de déterminer la légitimité des parties à l'acte, que de connaître leur volonté au moment de sa conclusion.

  • L'avis d'une commission paritaire

Il est fréquent que l'interprétation des conventions ou accords collectifs, spécialement lorsqu'ils sont conclus au niveau de la branche, soit réservée, par la norme conventionnelle elle-même, à une commission paritaire, composée des personnes qui l'ont négociée et dont la mission devient, ainsi, permanente (9).

La Cour de cassation considère que l'avis donné par la commission paritaire ne lie pas le juge, sauf si la convention collective prévoit que l'avis en question a valeur d'un avenant à la convention. Dans ce cas, le juge n'a plus à interpréter une clause ambiguë, il doit appliquer une clause conventionnelle claire et précise (10).

Bien que la Chambre sociale n'ait, à notre connaissance, jamais été saisie de la question, il paraît pouvoir être avancé que le juge doit s'interroger sur le fait de savoir si l'avis donné par la commission paritaire revêt bien un caractère interprétatif. Si tel est le cas, et à condition que la norme conventionnelle aille en ce sens, il est lié par cet avis, qui s'impose à lui de façon rétroactive.


(1) CE, 4 mars 1960, Féd. Industr. Chim., Dr. soc., 1960, p. 342. La Cour de cassation retient le même point de vue : Cass. civ. 2, 12 juillet 1963, JCP 1964, II, 13495, note P. S. et Ch. G..
(2) Il en va de même lorsqu'est en cause la validité de la norme conventionnelle. Sur l'ensemble de la question, v., notamment, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 1322 et s..
(3) V., antérieurement, Cass. soc., 15 janvier 2002, n° 00-41.117, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ Mme Pascale Kempf-Dierstein, FS-P (N° Lexbase : A7932AX3), RJS, 4/02, n° 467.
(4) Lire, sur la question, nos obs., Précisions quant aux avenants interprétatifs des accords collectifs de travail, Lexbase Hebdo n° 47 du 14 novembre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4703AAG).
(5) Ce rapprochement peut être perçu comme une illustration du caractère réglementaire de la norme conventionnelle. Mais le caractère rétroactif de l'avenant interprétatif s'explique tout aussi bien au regard des principes les plus classiques du droit des contrats.
(6) Cass. soc., 1er décembre 1998, n° 98-40.104, Caisse d'allocations familiales de l'Essonne c/ Mme Castiaux et autres (N° Lexbase : A4795AGP), Dr. soc., 1999, p. 303, obs. J. Savatier. On se reportera à ces observations pour des précisions sur les conséquences de cet effet rétroactif. A titre d'exemple, on peut souligner que, lorsque l'avenant interprétatif est intervenu postérieurement à la décision des juges du fond et que celle-ci ne lui est pas conforme, la cassation est inévitable.
(7) V., en ce sens, Cass. soc., 1er décembre 1998, n° 98-40.104, préc..
(8) Ce qui peut entraîner de sérieux problèmes. En effet, et bien qu'elle soit peu envisageable en fait, l'hypothèse selon laquelle des syndicats majoritaires lors de la signature de l'acte ne le seraient plus lors de la négociation de l'avenant interprétatif n'est pas à exclure.
(9) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., § 813.
(10) Cass. soc., 11 octobre 1994, n° 90-41.818, Mme Longlade c/ Caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines et autre (N° Lexbase : A1206AAW), Bull. civ. V, n° 272 ; Dr. soc., 1995, p. 359, note M.-A. Moreau.


Décision

Cass. soc., 18 mars 2008, n° 07-41.813, Société Toupret c/ M. René Jardin et a., FS-P+B (N° Lexbase : A4964D7Y)

Rejet de CA Paris, 18ème ch., sect. C, 8 février 2007, n° 06/00981, SA Toupret c/ M. René Jardin (N° Lexbase : A1708DYW)

Texte concerné : C. trav., art. L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT, art. L. 1411-1, recod. N° Lexbase : L0263HXZ)

Mots-clefs : convention collective ; accord collectif ; interprétation ; avenant interprétatif ; caractère rétroactif ; interprétation par le juge ; compétence du conseil de prud'hommes ; juridiction administrative ; question préjudicielle.

Lien base :

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