La lettre juridique n°299 du 3 avril 2008 : Éditorial

Dépénalisation de la vie des affaires :
éviter Sisyphe

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N6219BE3

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Dépénalisation de la vie des affaires : éviter Sisyphe. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209971-depenalisation-de-la-vie-des-affaires-br-eviter-sisyphe
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


"Dépénaliser la vie des affaires, c'est ainsi réduire non seulement l'espace pénal, mais également le risque anormal et le temps. C'est retrouver une cohérence, une plus grande sécurité juridique, une confiance des acteurs dans la norme et la capacité à l'appliquer par les acteurs et les opérateurs juridiques". Le programme de la réforme présente bien, mais la pièce est-elle à la hauteur des attentes du milieu juridique et de celui des affaires ?

Lorsque, le 20 février 2008, le groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon, ancien Premier Président de la cour d'appel de Paris, remet son rapport sur la dépénalisation de la vie des affaires au Garde des sceaux, sur lequel Jean-Baptiste Lehnof, Maître de conférences à l'ENS Cachan, revient cette semaine, on était loin d'imaginer tout le spectre que les membres de la commission ad hoc allaient couvrir et, parfois même, réveiller.

Pourtant, la dépénalisation du droit des affaires n'est pas une "lubie" politique de dernière mandature présidentielle ou législative. L'ordonnance du 1er décembre 1986 en matière de concurrence supprima la plupart des infractions pénales en la matière ; la loi "NRE" du 15 mai 2001 dépénalisa une vingtaine de délits figurant dans la loi de 1966 ; les lois du 1er août 2003, sur la sécurité financière et sur l'initiative économique, procédèrent à la dépénalisation d'infractions qui punissaient la violation d'obligations formelles ; les ordonnances du 25 mars 2004, sur la simplification du droit et des formalités pour les entreprises, et du 25 juin 2004, sur les valeurs mobilières, entraînèrent à une nouvelle dépénalisation au profit de sanctions civiles ; autant de réglementations qui firent écho à la vision "pénale et commercialiste" de nombreux auteurs et parlementaires qui ont longtemps critiqué une pénalisation excessive des affaires, qualifiée "d'erreur de politique criminelle".

Mais, s'il ne s'agissait que de la cohérence juridique de l'arsenal dissuasif tourné à contre l'abus de confiance, l'abus de droit, l'escroquerie ou la tromperie, le rapport, dont la quasi-totalité des recommandations devrait être reprise dans un prochain projet de loi, n'aurait sans doute pas suscité l'émoi. Certes la suppression et la modification d'infractions pénales tombées en désuétude, obsolètes, ou pour lesquelles un dispositif civil efficace est déjà prévu s'inscriraient bien dans le cadre d'un simple toilettage. Mais, la suppression du cumul sanction pénale/sanction administrative en matière boursière et de concurrence, ainsi que la modification des règles de la prescription de l'action publique, posant comme point de départ intangible la date des faits et en allongeant les délais de prescription, semblent, pour certains magistrats et universitaires, aller contre la protection même des entrepreneurs, dont les droits de la défense sont topiquement garantis en matière pénale. En effet, "celui qui est mis en examen a le droit d'accéder à l'intégralité de son dossier et il est informé de tous les actes de la procédure, qu'il peut contester. Le déroulement de l'enquête administrative est quant à elle plus opaque, jusqu'à ce que soit adressée aux parties une notification de griefs et que s'ouvre la phase contradictoire". Par ailleurs, certains magistrats craignent de voir "enterrer" un certain nombre de délits fondés sur la "dissimulation" ou la "tromperie" et s'attendent à "un traitement clément des entreprises récidivistes". Enfin, "une entreprise agit d'une façon rationnelle : si elle s'engage dans une pratique abusive, c'est en fonction d'un calcul coûts/bénéfices où les gains escomptés sont pondérés par les risques financiers (le montant de l'amende qu'elle risque de payer). Elle anticipe même ce risque et inclue une prime au risque dans son calcul initial. Ce qui rend la sanction administrative quasi-indolore, à moins que l'autorité de régulation ne décide de montants d'amende très importants". Est-ce que le risque d'être condamné à verser une amende d'un montant titanesque concourt bien à la dépénalisation du droit des affaires et la confiance en l'économie, filigrane d'une telle réforme ?

"Les circonstances atténuantes sont une sourdine mise au Code pénal" écrivit Victor Hugo, dans Faits et croyances, marquant ainsi toute sa réticence à l'égard d'une relativité du droit pénal au service du bien public. Pour sûr, le rapport "Coulon", qui constitue, sans contestation possible, un remarquable travail de synthèse combinatoire en vue de préserver l'essence du droit pénal des affaires, sa modernisation au sein de l'économie mondiale et les nécessités de la prise de risque des entrepreneurs en matière d'investissement, devrait susciter de nouveaux débats au sein du Parlement, lors de l'examen de sa traduction législative. Gageons qu'il ne restera pas lettre morte ; même si la discussion doit laisser place à certains aménagements, il ne s'agit pas de remonter, sans cesse, pour voir redescendre cette réforme à l'allure tarpéienne.

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