Lecture: 10 min
N5605A9H
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
le 07 Octobre 2010
L'actualité du droit de rétention résulte, avant tout, de l'introduction dans le Code civil d'un texte de portée générale reconnaissant le principe du droit de rétention. La place de ce texte dans le livre IV du Code civil intitulé "Des sûretés" suscite une controverse quant à la nature du droit de rétention. Il est pourtant douteux que le législateur ait entendu faire du droit de rétention une véritable sûreté. Cette qualification est, en effet, problématique faute de droit de préférence accordé au créancier rétenteur (3).
Le nouvel article 2286 du Code civil (N° Lexbase : L1312HIG) énonce trois cas dans lesquels le créancier peut se prévaloir d'un tel droit. Il faut, à cet égard, noter qu'à côté des situations traditionnelles de connexité juridique (art. 2286, al. 1, 2°) et matérielle (art. 2286, al. 1, 3°), le législateur consacre expressément l'hypothèse de la connexité dite conventionnelle (art. 2286, al. 1, 1°). Le législateur vise, ainsi, le gage avec dépossession, mais il consacre aussi le droit de rétention conventionnel (4).
La Cour de cassation réaffirme (5) que le droit de rétention est un droit réel (6). Dans l'espèce rapportée, une société donne en location un véhicule à une personne physique qui confie celui-ci en réparation à un garagiste. Impayé, le garagiste entend exercer un droit de rétention pour garantir sa créance de réparation et celle, consécutive de gardiennage. La Cour de cassation rappelle que "le droit de rétention est un droit réel, opposable à tous, y compris aux tiers non tenus à la dette et peut être exercé pour toute créance qui a pris naissance à l'occasion de la chose retenue". Elle souligne alors que la créance de frais de gardiennage du garagiste est effectivement née à l'occasion de la détention de la chose lui permettant ainsi d'exercer son droit de rétention et de demander au propriétaire le paiement de la créance. Ainsi, le droit rétention est opposable au propriétaire non tenu à la dette.
Par ailleurs, l'efficacité du droit de rétention ne saurait être remise en cause en cas de procédure collective, la Cour de cassation rappelant, en effet, que "si le droit de rétention n'est pas un privilège, il en a les effets en ce qu'il est opposable à la procédure collective et confère à son titulaire le droit de refuser la restitution de la chose jusqu'au complet paiement de sa créance ou d'être payé sur son prix en cas de vente par le liquidateur".
Notons sur ce point que le nouvel article 2287 du Code civil (N° Lexbase : L1115HI7), selon lequel "les dispositions du présent livre [le livre IV relatif aux sûretés] ne font pas obstacle à l'application des règles prévues en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou encore en cas d'ouverture d'une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers", pourrait conduire à remettre en cause une telle solution. Une application stricte du texte conduirait à subordonner l'opposabilité du droit de rétention à la procédure collective à une disposition législative expresse... (7).
B. Les sûretés réelles mobilières
En matière de sûretés réelles mobilières les évolutions les plus sensibles de la réforme ont assurément trait au droit du gage. L'ordonnance du 23 mars 2006 apporte, avant tout, une clarification d'ordre terminologique puisque, désormais, le terme de "gage" est réservé aux seules sûretés conventionnelles sur meubles corporels (C. civ., art. 2329, 2° N° Lexbase : L1153HIK). Le "nantissement" est alors défini comme "l'affectation en garantie d'une obligation, d'un bien meuble incorporel ou d'un ensemble de meubles incorporels présents ou futurs" ; le code y consacre un chapitre entier (8).
Pourtant, les évolutions ne sauraient être réduites à des questions purement sémantiques. Nous retiendrons, en autres grandes innovations (9), que la réforme bouleverse profondément le droit du gage qui n'est plus un contrat réel (10). La dépossession joue, désormais, le rôle d'une condition d'opposabilité (C. civ., art 2337, al. 2 N° Lexbase : L1164HIX) à moins que les parties ne préfèrent opter pour un gage sans dépossession dont l'opposabilité est subordonnée à une exigence de publicité (C. civ., art. 2337, al. 1er).
L'espèce rapportée retient l'attention en ce qu'elle démontre clairement que le créancier inscrit est en mesure de préserver la valeur de sa sûreté. Les faits sont relativement simples, un créancier inscrit invoque la violation de l'article L. 143-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5694AIQ). Ce texte impose la notification, aux créanciers antérieurement inscrits, de la demande de résiliation du bail commercial. Le créancier inscrit, dans l'impossibilité d'obtenir un paiement de son débiteur placé en liquidation judiciaire, peut-il obtenir réparation en cas de non-respect des ces exigences ? Les juges du fond rejettent une telle possibilité ; ils relèvent, en effet, qu'"il n'est pas patent que la société C2T [le créancier inscrit] aurait eu à cette époque un intérêt à régler la dette de loyers pour maintenir l'activité financière saisonnière de sa débitrice". La Cour de cassation se montre, au contraire, plutôt favorable à une telle analyse. Elle rappelle, en effet, que le "propriétaire qui poursuit la résiliation du bail de l'immeuble dans lequel est exploité un fonds de commerce grevé d'inscriptions doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits, que ceux-ci non tenus d'exploiter directement ont la possibilité de faire exécuter les obligations nées du bail". Ainsi, elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les résultats positifs dégagés ultérieurement par l'exploitation du fonds ne démontraient pas que celui-ci avait conservé son existence et sa valeur, en dépit de son absence d'exploitation.
Un transporteur se voit confier la livraison de marchandises par une société. Celui-ci, exerçant le privilège du voiturier, les retient en invoquant une créance antérieure au titre de factures impayées. Le commissionnaire de transport assigne le transporteur et invoque, notamment, le caractère abusif de la rétention. Les juges du fond rejettent sa demande et relèvent que "le propriétaire effectif de la marchandise, au moment où le transporteur a exercé son droit de rétention, était bien concerné par les transports impayés". La Cour de cassation censure les juges du fond au visa de l'article L. 133-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L5648AIZ), relatif au privilège du transporteur. Elle rappelle, en effet, que le transporteur ne dispose d'un privilège pour les créances nées à l'occasion d'opérations antérieures "que dans la mesure où le propriétaire des marchandises sur lesquelles il l'exerce est impliqué dans lesdites opérations". Or, la Cour de cassation relève qu'en l'espèce, les juges du fond n'ont apporté aucune précision sur l'implication du propriétaire des marchandises dans les opérations de transport antérieures. Un auteur avisé (11) regrette que la Cour de cassation n'ait pas saisi l'occasion pour mettre fin aux incertitudes qui entourent la notion "d'implication".
C. Les sûretés réelles immobilières
La réforme des sûretés introduit dans notre Code civil une nouvelle variété d'hypothèque : "l'hypothèque rechargeable" (12). Le nouvel article 1422 du Code civil (N° Lexbase : L1328HIZ) dispose, en effet, que "l'hypothèque peut être ultérieurement affectée à la garantie de créances autres que celles mentionnées par l'acte constitutif pourvu que celui-ci le prévoit expressément". L'objectif de la réforme est de réduire le coût de l'emprunt puisque l'affectation hypothécaire peut désormais garantir des crédits successifs. Pour reprendre la formule du Professeur M. Grimaldi, l'hypothèque rechargeable crée une "une enveloppe qu'il sera loisible au constituant d'utiliser à son gré" (13). L'hypothèque rechargeable est ouverte à tous y compris au consommateur. Le principe de son fonctionnement est simple : jusqu'à l'extinction de l'hypothèque, celle-ci peut être réutilisée pour garantir n'importe quelle créance, et ce, quand bien même la créance initialement garantie n'aurait pas été exécutée. A noter que l'hypothèque rechargeable doit être distinguée de l'hypothèque garantissant de créances futures (14), lesquelles sont mentionnées dans l'acte constitutif.
La Cour de cassation rappelle, à travers cet arrêt, qu'en matière d'hypothèque judiciaire conservatoire, l'inscription doit être accomplie dans un délai de deux mois à compter du jour où la décision au fond passe en force de chose jugée, et cela en application de l'ancien article 54 du Code de procédure civile (repris à l'article 263 du décret du 31 juillet 1992 N° Lexbase : L3678AHP). Ainsi, et contrairement à ce qu'a, vainement, soutenu un plaideur en l'espèce, l'inscription n'est pas subordonnée à la signification préalable de la décision rendue au fond. Le pourvoi soutenait, en effet, que l'inscription, intervenue plus de deux mois après la décision au fond n'en était pas moins valable pouvant être "utilement inscrite comme hypothèque définitive dans les deux mois de la notification et/ou de la signification de l'arrêt de condamnation". La Cour de cassation ne se laisse pas séduire par l'analyse ; elle rappelle que le délai de deux mois court à compter de la décision au fond et souligne alors que, sauf pourvoi en cassation, un arrêt d'appel a force de chose jugée dès son prononcé.
L'antichrèse, qui semblait tombée en désuétude, connaît depuis quelques années un renouveau. Ceci explique sans doute que la réforme du 23 mars 2006 n'ait pas négligé cette sûreté en lui consacrant un chapitre entier (15). Force est d'admettre que les nouveaux textes ne bouleversent pas la matière mais rendent celle-ci plus lisible, concourant ainsi à une meilleure attractivité de cette forme de garantie. L'antichrèse est définie à l'article 2387 du Code civil (N° Lexbase : L1314HII) comme "l'affectation d'un immeuble en garantie d'une obligation ; elle emporte dépossession de celui qui la constitue". Concernant la formation de l'antichrèse, les textes renvoient en partie aux dispositions applicables à l'hypothèque (C. civ., art 2388 N° Lexbase : L1332HI8). C'est concernant la dépossession que le législateur innove puisqu'il consacre une figure imaginée par la pratique : celle de l'antichrèse-bail (C. civ. art 2390 N° Lexbase : L1333HI9). Le texte prévoit expressément la possibilité pour le créancier de donner l'immeuble à bail au débiteur lui-même qui exercera la possession pour le compte de son bailleur. Enfin, concernant la réalisation de l'antichrèse, le créancier bénéficie des mêmes prérogatives que le créancier hypothécaire et peut, ainsi, prendre l'initiative de faire vendre le bien par le bais d'une procédure de saisie immobilière ou se faire attribuer celui-ci judiciairement, voire au moyen d'une clause d'attribution (C. civ. art 2388 N° Lexbase : L1332HI8).
Géraud Mégret
Moniteur-Allocataire à l'Université Paris I
(1) Ordonnance du 23 mars 2006, n° 2006-346, relative aux sûretés, (N° Lexbase : L8127HHH).
(2) Pour plus de détails, le lecteur pourra se rapporter à une nouvelle base consacrée au droit des sûretés réelles après la réforme du 23 mars 2006 (N° Lexbase : E8366EPK).
(3) En ce sens A. Aynès, La consécration légale du droit de rétention, in La réforme du droit des sûretés, D. 2006, n° 19, p. 1301 et s.
(4) En ce sens A. Aynès, op. cit., loc. cit..
(5) La solution n'est pas nouvelle, dans le même sens v., notamment : Cass. civ. 1, 7 janvier 1992, n° 90-14.545, M. Novo c/ M. Soulard et autre (N° Lexbase : A5266AHI), Bull. civ. I, n° 4 ; RTD civ., 1992, p. 586 obs. P.-Y. Gautier ; JCP éd. G, 1992, I.3583 n° 16, obs. Ph. Delebecque.
(6) Sur la controverse relative à la nature réelle du droit de rétention v., notamment : L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés, La publicité foncière, Defrénois, 2ème éd., n° 453 p. 188.
(7) Il s'agit selon une doctrine avisée d'une simple "erreur de plume", L. Aynès et P. Crocq, op. cit. n° 449 p. 185 et s..
(8) Art. 2355 à 2366 (nouveaux) du Code civil.
(9) Sur lesquelles v. notamment Commentaire de l'ordonnance du 23 mars 2006 relative aux sûretés, JCP éd. G, 2006, supplément au n° 20 ; La réforme du droit des sûretés, D. 2006, n° 19, p. 1289 et s. Adde (N° Lexbase : E8555EPK).
(10) Article 2336 nouveau du Code civil : "Le gage est parfait par l'établissement d'un écrit contenant la désignation de la dette garantie, la quantité des biens donnés en gage ainsi que leur espèce ou leur nature".
(11) Ph. Delebecque, obs. sous l'arrêt rapporté, JCP éd. G, 2006.I.195, n° 22 p. 2273.
(12) Pour une étude détaillé v. M. Dagot, L'hypothèque rechargeable, Litec, Coll. Carré Droit, 2006.
(13) M. Grimaldi, L'hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire, in Commentaire de l'ordonnance du 23 mars 2006 relative aux sûretés, JCP éd. G, 2006, supplément au n° 20, n° 9 p. 33.
(14) C. civ., art. 2427 (N° Lexbase : L1327HIY).
(15) Articles 2387 à 2392 (nouveaux) du Code civil.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:265605