Réf. : Cass. com., 17 janvier 2006, n° 05-10.167, M. René Perruchot c/ Société Polyclinique les fleurs, F-P+B (N° Lexbase : A5678DMA) et Cass. com., 14 février 2006, n° 05-11.822, Société Bouffard-Mandon c/ Société Hauterive Saint-James, F-P+B (N° Lexbase : A9898DMK)
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par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires
le 07 Octobre 2010
En l'espèce, un actionnaire détenteur de plus de 5 % du capital d'une SA a posé, à son président du conseil d'administration, des questions écrites sur plusieurs opérations de gestion. Après que ce dernier eut répondu à ces questions, l'actionnaire, estimant que certaines réponses ne présentaient pas un caractère satisfaisant, a saisi le président du tribunal de commerce d'une demande de désignation d'un expert, sur le fondement de l'article L. 225-231 du Code de commerce. La Cour de cassation a, ainsi, approuvé les juges d'appel d'avoir rejeté la demande de l'actionnaire.
Dans une seconde affaire, du 14 février 2006, les Hauts magistrats ont estimé que l'actionnaire n'ayant "fait que s'interroger de façon générale sur la politique de gestion de la société sans demander de façon précise des explications sur des actes de gestion clairement identifiés, [sa] demande d'expertise de gestion ne pouvait être accueillie". Ici, aussi, la Cour de cassation approuve la cour d'appel de n'avoir pas accédé à la demande d'un actionnaire détenteur de plus de 5 % du capital social d'une société anonyme.
Ces décisions viennent, ainsi, apporter des précisions, pour l'une, sur les questions des actionnaires et, pour l'autre sur les réponses du président du conseil d'administration ou du directoire.
I - La demande d'"explications précises sur des actes de gestion clairement identifiés", condition préalable à la nomination d'un expert de gestion
L'article L. 225-231 précise que les actionnaires détenant au moins 5 % du capital social peuvent poser par écrit des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion.
L'absence de définition légale de la notion d'opération de gestion a contraint les juges à en préciser le sens.
On peut, alors, affirmer que la jurisprudence a retenu un critère organique pour définir cette notion. Ainsi, est une opération de gestion, l'opération émanant d'un organe de gestion tel, par exemple, le conseil d'administration d'une société anonyme. Aussi, la Cour de cassation refuse-t-elle toute demande portant sur un acte émanant de l'assemblée générale des actionnaires, qui n'est pas un organe de gestion (Cass. com., 30 mai 1989, n° 87-18.083, Madame Mauricette Nazarain c/ SARL Massis N° Lexbase : A4036AGL et 19 novembre 1991, n° 90-11.950, Société de participation Galtier et autres c/ Consorts Husson et autres N° Lexbase : A4112ABW).
Se pose, alors, la question de savoir si les actes relevant de la compétence des organes de direction, mais pour lesquels l'assemblée générale intervient, sont ou non des actes de gestion.
La Cour de cassation a répondu par l'affirmative, excluant les seuls actes relevant exclusivement de la compétence des assemblés générales de la notion d'actes de gestion. La Haute juridiction a, ainsi, estimé que les conventions réglementées, soumises à une autorisation préalable de l'organe de direction relevaient des actes de gestion (Cass. com., 9 février 1999, n° 96-17.581, M. Antoine Lurot et autres c/ Société Betjeman et Barton et autres N° Lexbase : A8739AYC).
Une certaine doctrine trouve là l'avantage d'une excellente visibilité puisque "il n'est pas nécessaire de s'interroger sur l'objet de l'acte considéré pour savoir s'il s'agit d'une opération de gestion, il suffit de prendre en considération la nature de l'organe qui l'a passé" (F.-X. Lucas, Bull. Joly 1999 § 42).
Mais ce critère organique ne fait pas l'unanimité. Ainsi, pour Paul Le Cannu "ce n'est pas parce que telle décision relève de l'assemblée et non des dirigeants qu'elle ne ressortit pas à la gestion. Le concept de gestion ne peut être enfermé dans une organisation légale qui change d'ailleurs suivant les types de société et que les statuts peuvent largement infléchir" (P. Le Cannu, Bull. Joly 1989 § 258)
On en peut, toutefois, en déduire que le président de la société questionnée n'aura pas à répondre à une question relative à un acte dont la compétence relève de l'assemblée ordinaire, ou extraordinaire, l'absence de réponse ne pouvant donner lieu à la nomination d'un expert chargé de présenter un rapport sur un tel acte.
Dans l'arrêt du 14 février 2006 rapporté ci-dessus, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a, en outre, précisé que la demande doit comporter des questions précises sur des actes de gestion clairement identifiés.
L'exigence relative aux actes de gestions clairement identifiés n'est pas nouvelle.
En effet, la Cour de cassation a déjà précisé que la demande d'expertise ayant une portée trop générale aboutissant ainsi à faire une critique systématique de l'ensemble de la gestion de la nouvelle direction sociale doit être rejetée (Cass. com., 18 octobre 1994, n° 92-19.159, M. Babeaud c/ Société La Générale du granit et autre N° Lexbase : A3949ACA). De même, l'expertise doit porter sur une ou plusieurs opérations de gestion, et ne peut remettre en cause la régularité et la sincérité des comptes sociaux (Cass. com., 20 décembre 1988, n° 87-14.767, Société Escogypse et autre c / Société anonyme La Rhénane N° Lexbase : A9830AAC).
La jurisprudence antérieure rejetait, ainsi, toute demande d'expertise, lorsqu'aucun acte de gestion spécifique n'était visé par les questions des actionnaires. Cependant, c'est, à notre connaissance, la première fois que la Haute juridiction exprime aussi clairement que l'acte de gestion "critiqué" doit être précisément identifié. Et d'ajouter que cette exigence de précision s'applique aussi aux explications attendues.
La rigueur que les juges attendent ainsi des actionnaires n'est pas sans rappeler l'appréciation du bien-fondé de la demande d'expertise qui n'aboutira que si elle revêt un caractère sérieux, qui résulte des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées (Cass. com., 22 mars 1988, n° 86-17.040, Consorts Fairier c/ Société Kaolinière Armoricaine et autres N° Lexbase : A3983AGM). Ainsi, le juge refusera-t-il de nommer un expert pour établir un rapport sur des opérations courantes conclues à des conditions normales (Cass. com., 18 juin 1991, n° 89-20.610, Epoux Mignen c/ SA Les Grandes Moulins d'Aizenay N° Lexbase : A9603ATT).
II - L'appréciation des réponses données par le président du conseil d'administration ou de surveillance
Après avoir demandé de façon précise des explications sur des actes de gestion clairement identifiés, l'actionnaire ne pourra saisir le juge d'une demande d'expertise de gestion que si le président de la société n'a pas donné de réponse, dans un délai d'un mois, ou si ses réponses sont insatisfaisantes.
Qu'est-ce qu'une réponse insatisfaisante ?
Bien sûr, le premier à juger de la qualité de la réponse donnée est le destinataire de celle-ci, c'est à dire l'auteur de la question.
Mais, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 17 janvier 2006, reconnaît, également, aux juges du fond le pouvoir de vérifier le contenu des réponses données et d'en apprécier le caractère satisfaisant ou non.
On peut alors, légitimement s'interroger sur les critères d'appréciation de ce caractère satisfaisant.
Rappelant, une nouvelle fois, que la condition essentielle du bien fondé de la demande de nomination d'un expert de gestion réside dans la présomption d'irrégularité de l'acte, on peut penser que la réponse insatisfaisante sera celle qui n'aura pas levé le doute sur cette irrégularité. Ainsi, si, à la suite des réponses transmises par le président de la société, des présomptions graves de risques pour l'intérêt social perdurent, les juges devront constater l'insuffisance des réponses. Si, au contraire, les réponses apportées ne laissent subsister aucun doute, l'on pourra les juger satisfaisantes, ne justifiant pas, alors, la demande de nomination d'un expert.
Encore faut-il attendre, sur ce point, les décisions des juges du fond.
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