La lettre juridique n°656 du 26 mai 2016 : Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Procédure de régularisation en cours de vérification de comptabilité : la lecture trop rigoriste de l'article L. 62 du LPF

Réf. : CE 9° et 10° ch., 4 mai 2016, n° 383135, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4612RN7)

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[Jurisprudence] Procédure de régularisation en cours de vérification de comptabilité : la lecture trop rigoriste de l'article L. 62 du LPF. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/31798421-jurisprudence-procedure-de-regularisation-en-cours-de-verification-de-comptabilite-la-lecture-trop-r
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Directeur du Master 2 Fiscalité européenne et internationale à la Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité)

le 26 Mai 2016

Un arrêt, en date du 4 mai 2016, mérite intérêt au regard de trois éléments (CE 9° et 10° ch., 4 mai 2016, n° 383135, mentionné aux tables du recueil Lebon). Tout d'abord, le Conseil d'Etat accepte que les revenus perçus en 2008 par les associés de la SCI soient imposés dans la catégorie des BIC ; pour le juge, la requalification opérée par l'administration (BIC versus IS) est jugée régulière. Deuxièmement, les opérations de construction-vente réalisées par la SCI présentent bien le caractère de BIC en vertu de l'article 35 du CGI (N° Lexbase : L1705IZ8) ; le juge constate que les requérants n'ont pas démontré l'absence d'intention spéculative et de condition d'habitude. Mais (et enfin), le Conseil d'Etat estime que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit dans sa lecture (par trop rigoriste) de l'article L. 62 du LPF (N° Lexbase : L7621HEY) ; les requérants pouvaient, à bon droit, procéder à une régularisation via une déclaration complémentaire nonobstant la requalification de l'impôt évoquée en amont. Au cas présent, une SCI (dont les requérants sont les uniques associés) a exercé de prime abord (2002-2006) une activité de gestion immobilière dont les produits relèvent alors de la catégorie des revenus fonciers. A partir de janvier 2007, la SCI exerce (après modification de ses statuts) une activité de construction-vente d'immeubles dont les bénéfices sont soumis au régime des BIC ; au titre de l'exercice clos de 2007, les résultats de la SCI ont été déclarés dans la catégorie des BIC. Sur treize appartements construits dans le cadre d'un ensemble immobilier, neuf sont vendus et quatre sont loués, ces derniers étant conservés dans le patrimoine de la SCI. Au titre de l'année 2008, c'est une déclaration d'IS que la SCI souscrit. A la suite d'une vérification de comptabilité courant sur cette année 2008, l'administration réalise une proposition de rectification qui est en réalité une opération de requalification : sur le fondement de l'article 239 ter du CGI (N° Lexbase : L4961HLC), les résultats issus de la construction-vente des appartements sont imposés à l'IR dans la catégorie des BIC. Les requérants saisissent le tribunal administratif de Lyon aux fins d'obtenir la décharge des cotisations supplémentaires d'IR auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008 ; ils sont déboutés (TA Lyon, 9 avril 2013, n° 1105696). Interjetant appel devant la cour administrative d'appel de Lyon, ils voient leur requête rejetée (CAA Lyon, 22 mai 2014, n° 13LY01441 N° Lexbase : A0098MR3). Ils se pourvoient en cassation et le Conseil d'Etat rend la présente décision objet du présent commentaire.

Voyons les trois points qui méritent intérêt.

I - Article 239 ter du CGI et requalification régulière de l'impôt : imposition dans la catégorie des BIC des revenus issus de la construction-vente d'appartements et perçus par les associés de la SCI

Les résultats issus de la construction-vente des appartements sont imposés à l'IR dans la catégorie des BIC à la suite d'une opération de requalification ; la déclaration d'IS n'avait pas rencontré l'adhésion de l'administration.

Il convient de lire simultanément les articles 206 (N° Lexbase : L3845KWC) et 239 ter du CGI. En vertu de l'article 206 du CGI, relatif au champ d'application de l'IS (dans la version applicable au litige selon la formule consacrée), les sociétés civiles sont passibles de cet impôt si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 (N° Lexbase : L4844IQH) et 35 du CGI. En vertu de l'article 35 du CGI, relèvent des BIC pour l'application de l'IR les bénéfices réalisés par des personnes physiques qui, à titre habituel, achètent des biens immeubles pour édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre, en bloc ou par locaux. Les dispositions de l'article 206 du CGI s'appliquent sous réserve des dispositions de l'article 239 ter. Il n'y a point application de l'article 206 du CGI en présence de sociétés civiles qui ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente, aux conditions suivantes : les sociétés ne doivent pas être constituées sous la forme de sociétés par actions ou à responsabilité limitée, leurs statuts doivent prévoir la responsabilité indéfinie des associés au regard du passif social. Quant au régime applicable, il renvoie à celui des SNC : les sociétés visées sont soumises au même régime que les SNC réalisant d'identiques opérations, et leurs associés sont imposés dans les mêmes conditions que ceux de SNC.

Selon les requérants, l'article 239 (N° Lexbase : L4947HLS) du CGI ne pouvait recevoir application dès lors que la SCI était antérieurement une société de gestion immobilière relevant, de 2002 à 2006, du régime des revenus fonciers. Le Conseil d'Etat va opérer une lecture ductile de l'article 239-I du CGI : on ne saurait limiter l'application de cet article aux sociétés civiles de construction-vente issues de la transformation d'une SNC effectuant les mêmes opérations. Cela induit, selon le juge de l'impôt, qu'une société de construction-vente donnant à bail des appartements, même n'ayant pas trouvé acquéreur, ne peut prétendre être exclue du dispositif dérogatoire prévu à l'article 239 ter du CGI..., dès lors que son activité peut être qualifiée de nécessaire et accessoire. Appliquant son raisonnement à l'espèce, le Conseil d'Etat constate que la SCI requérante, après modification des statuts, avait proposé à la vente l'ensemble des appartements. Elle remplit les conditions prévues à l'article 239 ter du CGI et relève, ainsi, du régime dérogatoire prévu. Quant à la question de l'objet social, qui avait connu une mutation génétique, elle est évacuée par le Conseil d'Etat en peu de mots : le fait que cet objet social (relatif à la construction-vente) n'ait été adopté qu'à compter du début de l'année 2007 est sans incidence sur le régime d'imposition des bénéfices tirés de la vente des appartements. La cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.

II - Opérations de construction-vente présentant le caractère de BIC sur le fondement de l'article 35 du CGI : non démonstration par les requérants de l'absence d'intention spéculative et de condition d'habitude

Le second point qui mérite particulière attention représente une déclinaison du premier en ce qu'il est encore question de l'article 35 du CGI. En vertu de ce dernier, les opérations de construction-vente présentent le caractère de BIC à condition que surviennent deux éléments : une intention spéculative, un caractère habituel. Quid de la situation de la SCI dans l'espèce qui nous intéresse ? Après avoir acquis deux terrains en 2002 et 2005, la SCI a modifié son objet social à partir du 1er janvier 2007 aux fins de réaliser des opérations de construction-vente de tous biens immeubles. En 2007 et 2008, elle procède à la construction d'un ensemble immobilier de treize appartements dont neuf ont été vendus. Aux yeux des contribuables, tant l'intention spéculative que la condition d'habitude sont à exclure ; les profits réalisés doivent être regardés comme des plus-values privées. Pour le Conseil d'Etat, cependant, les opérations visées mettent en lumières les deux conditions mentionnées à l'article 35 du CGI, l'intention spéculative et la condition d'habitude. Dans une formule probatoire qui laisse songeur, le juge pose que "les requérants n'apportaient aucun élément contraire susceptible de permettre d'établir l'absence d'intention spéculative dans cette opération". Est classiquement retenue une logique de présomption fonctionnelle : par la réalisation des opérations de construction-vente, la présomption d'intention spéculative et la condition d'habitude est regardée comme établie. Une telle logique probatoire induit un renversement de la charge de la preuve, renversement établi par la formulation (là encore classiquement) négative retenue par le juge ("les requérants n apportaient aucun élément contraire"...). A défaut d'arguments pertinents en défense, le juge semble réceptionner la thèse de la logique déduction : puisque la SCI n'exerçait qu'une activité de construction-vente, il est loisible de déduire l'intention spéculative de l'objet social lui-même. Il est en quelque sorte procédé (vu l'objet social dépourvu d'ambiguïté) à une objectivisation de la présomption. De l'objet social théorique à la pratique, il n'y a qu'un pas, conduisant le juge à toujours sillonner un identique chemin. En principe, la condition d'habitude n'est pas remplie lorsqu'une SCI réalise une opération spéculative unique, la vente et revente, en l'état, d'un immeuble. Or, le schéma rencontré dans la présente affaire connaît des atours bien différents ; la SCI n'a-t-elle pas construit treize appartements pour les proposer à la vente ? La SCI n'a-t-elle pas vendu neuf de ces treize appartements ? La condition d'habitude semble s'imposer alors, naturellement (1).

III - Déclaration rectificative et requalification de l'impôt (LPF, art. L. 62). Censure de la lecture rigoriste de la cour administrative d'appel

Enfin, attardons nous sur l'article L. 62 du LPF. Celui-ci dispose que le contribuable peut, au cours d'une vérification de comptabilité et pour les impôts sur lesquels porte cette vérification, régulariser les erreurs, inexactitudes, omissions ou encore insuffisances dans les déclarations souscrites par lui dans les délais. Une telle procédure de régularisation spontanée, impliquant le paiement d'un intérêt de retard égal à 70 % de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du CGI (N° Lexbase : L9755I3P), ne peut recevoir application que si sont remplies trois conditions. Premièrement, le contribuable doit faire la demande avant que n'advienne une proposition de rectification ; deuxièmement, la régularisation ne saurait viser, selon une précautionne formule, une "infraction exclusive de bonne foi" ; troisièmement, le contribuable doit, lorsqu'il dépose sa déclaration complémentaire dans les trente jours de sa demande, acquitter l'intégralité des suppléments de droits simples et des intérêts de retard au moment du dépôt de la déclaration (2). La finalité de telles dispositions est louable : par un acte spontané, tout aussi louable, le contribuable est à même de régulariser une déclaration malheureusement inexacte en raison des "erreurs, inexactitudes, omissions ou insuffisance" (3). Cela dit, une telle déclaration complémentaire ne saurait, rappelle le juge en une évidente clause de sauvegarde, "pallier le défaut de souscription d'une déclaration" (4). Appliqué à notre espèce, l'article L. 62 du LPF tel que lu par le Conseil d'Etat conduit à la censure de l'arrêt de la cour administrative d'appel pour erreur de droit. La cour administrative d'appel avait, en effet, rejeté la demande des requérants regardant infondée la majoration pour dépôt tardif prévue à l'article 1728 du CGI (N° Lexbase : L9544IY7) : aux yeux du juge d'appel, la seconde déclaration accompagnant la demande de régularisation ne pouvait être considérée comme une déclaration "complémentaire" au sens de l'article L. 62 du LPF. La raison en est le changement d'impôt découlant du processus de requalification opéré par l'administration : la première déclaration visait l'IS, un changement de type de déclaration était survenu, une absence d'identité des contribuables était constatée. Dès lors, la césure IS versus BIC engendrait, toujours selon la cour administrative d'appel, une ontologique récusation de la seconde déclaration qui ne pouvait prétendre à la complémentarité. Une question de genre en quelque sorte appliquée au droit fiscal... Le Conseil d'Etat, fort noblement, redresse le bâton tordu. Il est possible, pour les associés de la SCI ayant déposé une déclaration d'IR, de régulariser celle-ci en vertu de l'article L. 62 du LPF : il leur suffit de déclarer, dans la catégorie des BIC, les sommes déclarées à tort au titre de l'IS. La déclaration seconde méritait bien, conformément aux prétentions des requérants, d'être adjectivée et de devenir complémentaire. Le Conseil d'Etat retient ici une lecture anti-formaliste de l'article L. 62 du LPF qui ne peut être que saluée.


(1) Pour la condition d'habitude, cf par exemple CE 7° et 8° s-s-r., 24 juillet 1981, n° 22950 (N° Lexbase : A3604AKP) ; ou encore CE 7°, 8° et 9° s-s-r., 25 juillet 1980, n° 12091, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6283AIK).
(2) Ou à la date limite de paiement portée sur l'avis d'imposition en cas de mise en recouvrement par voie de rôle.
(3) CE 9° et 10° ch., 4 mai 2016, n° 383135, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4612RN7).
(4) CE 9° et 10° ch., 4 mai 2016, n° 383135, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..

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