Réf. : Cass. civ. 1, 13 avril 2016, n° 15-13.312, FS-P+B (N° Lexbase : A6917RIZ)
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par Mélanie Jaoul, Maître de conférences, Laboratoire de droit privé (EA 707), Université de Montpellier
le 26 Mai 2016
Dans cette affaire, une femme décède, en décembre 1993, en laissant deux fils, Jacques et Michel, pour lui succéder. En 1987, celle-ci avait fait un testament olographe qui précisait que le partage de ses biens devrait se faire à l'amiable et que tout recours judiciaire, en vue de ce partage, aurait pour effet de réduire la part du demandeur ayant saisi le tribunal à la seule réserve légale. Après le décès de la mère, les deux frères opèrent différents partages amiables sur les biens de la succession de leur mère mais ne parviennent pas à trouver d'accord sur les biens immobiliers, demeurant ainsi en indivision pendant presque vingt ans. En 2010, Jacques a alors assigné son frère en partage d'immeubles demeurés indivis. Son frère conteste la demande sur deux fondements : l'un procédural, l'un au fond. D'abord, il soulève l'irrecevabilité de l'assignation, laquelle ne respectait pas les prescriptions de l'article 1360 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6314H7Y) qui, selon lui, doit porter sur l'ensemble de la succession y compris les biens ayant déjà fait l'objet d'un partage. Ensuite, il soulève que les droits de son frère devaient être réduits à sa seule réserve héréditaire en application de la clause pénale insérée dans le testament.
Saisie de la question, la cour d'appel de Grenoble (1) déboute le défendeur de ses deux demandes, décision qui est confirmée par cet arrêt de rejet rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation. Les termes même de la décision ne sont pas sans surprendre. Ainsi, la Haute juridiction énonce, d'abord, que "ayant exactement retenu que l'assignation en partage n'avait pas à donner la consistance du patrimoine existant à l'ouverture de la succession, la cour d'appel a souverainement estimé que cet acte contenait un descriptif sommaire des biens restant à partager" ; et considère, ensuite, que "la clause litigieuse est de nature à interdire, en raison de ses conséquences préjudiciables, la cessation de l'indivision en cas de refus d'un indivisaire de procéder à un partage amiable ou en l'absence d'accord sur les modalités de celui-ci ; qu'après avoir constaté qu'en dépit des partages partiels intervenus, les immeubles étaient indivis depuis plus de vingt ans, la cour d'appel a pu décider que cette clause, qui avait pour effet de porter une atteinte excessive au droit absolu, reconnu à tout indivisaire, de demander le partage, devait être réputée non écrite".
Sur l'aspect procédural, il n'est rien à ajouter : l'article 1360 du Code de procédure civile, issu du décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006 (N° Lexbase : L9637HT4) et applicable aux indivisions existantes et aux successions ouvertes non encore partagées au 1er janvier 2007, qui exige à peine d'irrecevabilité, un descriptif sommaire du patrimoine à partager ne vise que les biens n'ayant pas déjà fait l'objet d'un partage amiable. La solution est logique au vu de la rédaction du texte et la Cour de cassation, par cet attendu des plus sobres, rejette les prétentions du requérant. En effet, en visant le "patrimoine à partager" au moment de l'assignation en partage, on voit mal comment les magistrats auraient pu exiger que soient portés dans le descriptif des biens déjà attribués. La solution n'appelle donc pas beaucoup plus de commentaires sur ce point (2). Il en va autrement sur le second moyen au pourvoi. Cette décision vient en filigrane réaffirmer la validité des clauses pénales mais introduit un seuil de tolérance : si elles sont valables, elles ne sauraient attenter au droit constitutionnellement garanti de chaque indivisaire de provoquer le partage. Dans le cas où ces clauses franchiraient le Rubicon, la sanction ne se ferait pas attendre : la Haute juridiction les frappe du sceau de l'infamie et les déclare non écrites. Ainsi, l'épée de Damoclès pesant sur les héritiers obligés de se soumettre à la volonté du de cujus se fait moins menaçante.
Aussi, afin de voir les tenants et les aboutissants de cette décision, nous verrons, d'une part, que la validité de principe de ces clauses est désormais soumise à un contrôle de proportionnalité (I) et que, d'autre part, en cas d'atteinte disproportionnée au droit des indivisaires de provoquer le partage, la sanction résidera dans la nullité de ladite clause (II).
I - La validité des clauses pénales successorales sous réserve de proportionnalité
Depuis fort longtemps déjà (3), la Cour de cassation a admis la validité de principe des clauses testamentaires exhérédant les héritiers de leurs droits à la quotité disponible dès lors que ces derniers avaient recours à la justice étatique (Cass. civ., 25 février 1925). Ces clauses dites "pénales" (4) sont admises au sein des outils offerts au testateur (5) et ce afin de lui permettre de s'assurer que ses dernières volontés soient strictement respectées. En réalité, "à travers la qualification de clause pénale', ce que l'on vise le plus souvent, c'est le fait de contester en justice le contenu d'une donation, d'un testament ou d'une libéralité-partage" (6). Ainsi, par-delà le trépas, le de cujus peut imposer ses vues à ses héritiers et veiller à maintenir -au moins en apparence- la concorde entre eux.
Le mécanisme n'était pas sans créer quelques émois parmi les commentateurs en raison, principalement, des conséquences excessives de ce strict respect de la volonté des testateurs (7). Se fondant sur l'article 900 du Code civil (N° Lexbase : L0040HP8), la Cour de cassation admettait leur principe sous la seule réserve que celles-ci ne soient pas attentatoires à l'ordre public successoral. C'est ainsi que la première chambre civile a, dès 1970, énoncé qu'une clause pénale ne pouvait être valablement insérée dans une libéralité, et pour assurer l'exécution de ses dispositions, que lorsque celles-ci sont licites et ne touchent qu'a des intérêts privés et qu'il en allait autrement si ces dispositions étaient contraires aux prohibitions de la loi ou à l'ordre public (Cass. civ. 1, 10 mars 1970, n° 68-13.205 N° Lexbase : A8806CGA). L'atteinte à la réserve héréditaire étant depuis cette date considérée comme une atteinte à l'ordre public successoral et permettant à l'héritier ayant introduit l'instance en dépit de la clause de la faire déclarer non écrite (8). De même, elle réputait non écrite la clause pénale successorale privant de ses droits un héritier qui conteste les dispositions testamentaires, dès lors que son objectif tendait à assurer l'exécution de stipulations testamentaires portant atteinte à l'ordre public (Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 04-16.461, FS-P+B N° Lexbase : A2794DUZ).
Dans cette dernière espèce d'ailleurs, la Cour était venue préciser que si la clause pénale testamentaire ayant pour objet de sanctionner l'héritier qui demande la révocation d'un legs pour ingratitude (C. civ., art. 955 N° Lexbase : L0111HPS) est contraire à l'ordre public, cet héritier encourt, néanmoins, "les effets de la clause si sa contestation est jugée infondée". La solution est logique puisque la cause de ce type de clause pénale réside dans la prévention d'une contestation qui n'avait pas lieu d'être formée. Mais cette dichotomie tranchée entre les clauses portant atteinte à l'ordre public -par essence restrictif- et celles ne portant atteinte qu'à des intérêts privés conduisait à des extrémités aberrantes. En effet, l'héritier ne saurait introduire une instance aux seules fins que le juge vérifie que la disposition testamentaire ne porte atteinte à sa réserve. Celui doit nécessairement pouvoir prouver l'existence d'une atteinte effective à la réserve, faute de quoi, il se verra appliquer la clause et sera, ipso facto, exhérédé.
Cette posture favorable de la jurisprudence est d'autant plus critiquable qu'elle aboutit, de par son caractère comminatoire de nature à dissuader l'héritier de saisir le juge, à limiter, au moins dans les faits, son droit d'accès au juge, droit qui est en principe libre tant qu'il ne revêt pas un caractère abusif. Ici, il semble que la Cour opère une tentative de conciliation -déjà amorcée en 2015- entre sa position classique et la prise en compte des critiques portées à son endroit. Ainsi avec cet attendu, l'espoir d'une solution plus nuancée faisant le pont entre la protection des dernières volontés du testateur et celle des héritiers est permis. Cette lueur n'est toutefois pas sans créer une certaine surprise puisqu'elle se fonde sur une technique inédite : la proportionnalité.
La Cour de cassation opère ainsi, sous l'impulsion de son premier président, sa révolution. Prenant acte de l'influence croissante du droit européen des droits de l'Homme, la Haute juridiction va vers l'admission du contrôle de proportionnalité comme instrument de régulation dès lors qu'il s'agit d'un contentieux relatif aux droits fondamentaux. Si d'autres juridictions (9) ont pour habitude d'user de ce type de contrôle, la Cour de cassation n'est pas coutumière du fait (10) : quelques décisions ont eu recours à la technique sans spécialement la nommer (11), même lorsque Monsieur Louvel exprime clairement que c'est elle qui a présidé à la décision (12). Pour le premier président, "ce contrôle de proportionnalité est bien de nature juridique puisqu'il procède d'une norme du traité. Mais il implique une appréciation d'ensemble des situations, de nature pluridisciplinaire, qui s'étend, au-delà des seuls aspects juridiques, aux réalités multiples du contexte, notamment social et économique, général et personnel, matériel et moral".
Déjà, en matière de clauses pénales successorales, la Cour de cassation avait posé une première pierre à l'édifice de ce contrôle de proportionnalité et opéré un revirement remarqué. Ainsi, dans une décision du 16 décembre 2015 (14) relative à une donation-partage, la première chambre civile est venue affirmer, sur le fondement de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), que les juges du fond devaient rechercher si l'application de la clause pénale "n'avait pas pour effet de porter une atteinte excessive au droit d'agir en justice" des héritiers. Si l'on pouvait penser que cette décision était spécifique à la situation, le doute n'est plus permis et il semble évident que la Cour de cassation institutionnalise un véritable contrôle de proportionnalité des clauses pénales successorales.
Ainsi, si la Cour ne dénonce pas expressément sa dichotomie classique entre intérêts privés et ordre public, qui nous l'avons vu est excessive, elle vient au travers de la notion de proportionnalité en nuancer les effets. Dans la décision de décembre 2015, le contrôle de proportionnalité avait conduit la Cour à exclure l'application de la clause pénale, alors même que celle-ci ne relevait pas de l'ordre public successoral, en raison de son atteinte au droit des demandeurs d'agir en justice. Ici, la méthodologie employée est la même mais vient sanctionner la violation du droit "absolu reconnu à tout indivisaire de demander le partage" (C. civ., art. 815 N° Lexbase : L9929HN3) lequel bénéficie d'une protection au niveau constitutionnel (15).
Nous le voyons bien, la Cour marque le pas d'une ère nouvelle et opère un glissement : là où leur validité était subordonnée à une violation d'une règle d'ordre public, elle le sera sur le fondement de la proportionnalité avec les droits fondamentaux. D'aucuns critiquent ce changement de paradigme considérant que le principe de proportionnalité "est à manier avec d'infinies précautions et seulement en cas de nécessité, car il peut conduire le juge à remettre en cause des règles de droit en fonction de son sens de l'équité et à s'ériger ainsi en concurrent du législateur. De plus, la possibilité d'écarter une règle au motif que son application entraînerait une atteinte disproportionnée (ou excessive) à tel ou tel droit subjectif est génératrice d'une grave insécurité juridique et nuit à la prévisibilité du droit" (16). Si l'on comprend la critique, nous tendons à considérer que cette démarche volontariste à l'égard des règles à valeur supra législative telles que la Convention et la Constitution. S'il est vrai que le principe de proportionnalité, si cher aux juges européen et constitutionnel (17), peut conduire le juge à écarter certaines règles de droit cela ne fait pas de lui un "législateur" : il ne fait arbitrer qu'entre deux corps de règles dont il n'est pas l'auteur dans un sens que commande la logique et la hiérarchie des normes.
La question de l'impact de ce contrôle de proportionnalité, à l'heure où la Cour européenne des droits de l'Homme incite la Cour de cassation à l'opérer (18) ne doit pas conduire à voir nécessairement dans le juge un perturbateur. En effet, la notion d'atteinte à l'ordre public a des contours mieux définis mais les excès auxquels elle avait mené suscitent tout de même un accueil majoritairement positif. Elle ne permettait pas d'éviter des atteintes graves aux droits de l'héritier. En outre, le droit au partage de l'indivision est garanti au travers du droit de propriété lequel a une valeur constitutionnelle et comme le souligne le professeur Dross, "le droit au partage est fondamental [...] parce qu'il permet la cessation de cette situation de concurrence de propriétaires perçue comme pathologique en permettant le retour à la propriété exclusive du Code civil" (19). La solution est perfectible comme nous allons le voir mais elle opère un arbitrage intéressant dans lequel nous ne voyons pas une remise en cause générale des clauses pénales mais seulement une limitation de leur efficacité dès lors que l'on est en présence de droits fondamentaux.
II - La sanction de l'absence de proportionnalité dans l'atteinte du droit au partage
L'admission de ce contrôle de proportionnalité ne doit pas être perçue comme une remise en cause pure et simple des clauses pénales. Faire une telle lecture serait une erreur tant par rapport à la lettre de la décision, qu'à son esprit. D'ailleurs, la Cour ne remet pas en cause la dichotomie entre les clauses atteignant l'ordre public et celle attentant à de simples intérêts particuliers. En effet, à lire cette décision -et celle du 16 décembre 2015-, on pourrait y voir une adjonction plus qu'un remplacement de critère. Ainsi, les clauses pénales peuvent parfaitement être déclarées non écrites lorsqu'elles violent une règle d'ordre public et/ou une règle à valeur constitutionnelle ou conventionnelle. En effet, écarter la validité d'une clause ne violant pas l'ordre public -dont l'efficacité était jusque-là absolue- en raison de son atteinte disproportionnée à une norme bénéficiant d'une valeur supérieure n'exclut pas que celle-ci soit maintenue en cas de proportionnalité de l'atteinte. Le critère de l'ordre public n'étant pas élusif de la question de proportionnalité, on peut admettre l'effectivité du critère classique dans les limites d'une atteinte proportionnelle au droit de demander le partage de l'indivision, limite somme toute raisonnable et cohérente en droit. Ainsi, on peut inviter les notaires à vérifier d'abord que la clause pénale insérée dans le testament ne vient pas porter atteinte à une règle d'ordre public comme la réserve héréditaire, avant de vérifier, ensuite, que la clause qui ne porte atteinte qu'à des intérêts privés ne vient pas attenter de manière excessive à une liberté fondamentale.
Là où la question pourrait poser plus de problèmes c'est dans le cadre de l'appréciation de la proportionnalité. En effet, dans cette décision -comme dans celle rendue en décembre 2015- c'est au juge du fond qu'appartient le pouvoir d'apprécier si l'atteinte au droit fondamental visé par la clause pénale successorale est une atteinte proportionnée ou non. De l'appréciation de cette proportionnalité dépendra donc la validité de la clause d'exhérédation : l'atteinte à des libertés fondamentales n'est pas interdite, seule l'atteinte disproportionnée est sanctionnée. Dans son appréciation, les juges du fond, ne sont pas seuls et l'interprétation que fait la Cour européenne des droits de l'Homme de la norme dont la violation est alléguée fournit une aide précieuse aux juridictions nationales.
En revanche, la Cour de cassation, tant dans cette décision que la décision précitée, nous donne les modalités de la mise en oeuvre du contrôle de proportionnalité. Ainsi, les juges du fond sont invités à vérifier in concreto si l'atteinte est proportionnée. Dans l'arrêt de revirement, la cassation avait été opérée pour défaut de base légale, les juges du fond n'ayant pas vérifié si l'atteinte au droit des demandeurs d'agir en justice était proportionnée ou disproportionnée, eu égard au droit de la donatrice de garantir le respect de ses volontés : la réponse à cette question constituant alors une pure question de fait. Là encore, nous le constatons, la Haute juridiction vérifie que les juges du fond ont opéré une appréciation in concreto de la violation d'un autre droit fondamental. Et la démonstration peut avoir de quoi surprendre. En effet, la première chambre civile énonce qu'en "dépit des partages partiels intervenus, les immeubles étaient indivis depuis plus de vingt ans" ce qui justifiait que la cour d'appel ait pu décider que cette clause avait pour effet de porter "une atteinte excessive au droit absolu, reconnu à tout indivisaire, de demander le partage".
En l'espèce, la Cour de cassation valide la posture des juges du fond qui caractérisent l'excès dans l'atteinte au droit au partage par la durée de l'indivision -soit vingt années- en se fondant sur les différents partages opérés sur d'autres biens de la succession ainsi que sur l'impossibilité de trouver un accord amiable après toute cette durée... Commentant la décision, un auteur souligne que s'il est "pleinement convaincu par l'assouplissement de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les clauses pénales testamentaires", il est "plus réservé sur la justification donnée au cas d'espèce" à savoir qu'il ne voit pas "en quoi l'écoulement du temps change quoi que ce soit au problème" et que si la clause pénale vient à constituer "une menace excessive à leur droit à demander le partage, cela doit être vrai in abstracto et non in concreto" (20). Cependant deux pistes doivent être évoquées à l'appui du raisonnement in concreto fondé, d'une part, sur la durée de l'empêchement et, d'autre part, sur les conséquences préjudiciables excessives attachées à la clause.
D'abord, l'argument de l'écoulement du temps. Selon nous, cet argument puise sa source dans la nature même du droit au partage. Ainsi que nous l'avons dit, ce droit fondamental est à valeur constitutionnelle et entre dans le champ du droit de propriété, qui est le seul droit inviolable et "sacré". Comme on protège le propriétaire d'un fond des abus du droit de propriété (21) du voisin, on protège le propriétaire indivis qui faute de bonne volonté de son "co-propriétaire" est maintenu contre son gré dans l'indivision successorale. Si ce maintien se fait sur une durée raisonnable, il n'y a pas disproportion parce que le droit de propriété individuel protégé par le droit de provoquer le partage de l'indivisaire ne subit qu'une atteinte limitée et temporaire. Ce n'est que lorsque l'état d'indivision -qui n'est pas "naturelle"- perdure un temps qui dépasse le raisonnable sans que cela résulte d'un commun accord que l'on va pouvoir caractériser l'atteinte disproportionnée au droit des indivisaires de provoquer le partage car ce qui est en jeu c'est le droit de jouir de son droit de propriété. Ainsi, la Cour caractérise deux situations qui sont de nature -si elles s'installent dans la durée- à porter atteinte au droit au partage : "le refus d'un indivisaire de procéder à un partage amiable" et "l'absence d'accord sur les modalités de celui-ci". La solution vient par cet argument établir une forme d'équilibre entre la protection du droit au partage et la protection du droit de disposer librement de son patrimoine à cause de mort dont l'un des héritiers (ou plusieurs) tire excessivement avantage.
Ensuite, la décision est également fondée sur l'argument de la liberté d'agir en justice, liberté qui, en l'espèce, était atteinte tant les conséquences économiques de la clause pénale était préjudiciables. Par son impact sur la vocation successorale -renforcée par la position extrêmement ferme adoptée par la Cour jusque-là- la clause pénale avait pour effet de priver l'indivisaire de la possibilité d'agir sans craindre que sa mise en oeuvre ne soit prononcée !
Ici, le contrôle de proportionnalité nous semble être une réussite de par le subtil équilibre qu'il pose dans ses critères. Néanmoins, ce n'est pas le seul apport de cette décision. La Cour vient également affirmer la nature de la sanction encourue par la clause qui vient attenter à un droit fondamental : la clause tombe ! La première chambre civile pose donc le principe de la clause réputée non écrite ! Ici, on pourrait être conduit à se demander si la Cour ne met pas en place une forme de "police" des clauses abusives en matière successorale : en effet, elle offre aux juges du fond la possibilité d'apprécier in concreto si la clause pénale crée un "déséquilibre significatif". Toutefois, il s'agit plus vraisemblablement de la volonté de maintenir la validité du testament malgré la nullité de la clause, ce qui en raison du caractère intrinsèquement autonome (22) des clauses pénales est possible
L'appréciation doit être faite in concreto par le juge saisi d'un litige portant sur un contrat déjà conclu, in abstracto par celui saisi d'une demande en suppression de clause dans un type de contrat. Elle est nécessairement faite in abstracto par le pouvoir réglementaire et par la Commission des clauses abusives. Ainsi sont élaborées des listes de clauses abusives.
Cette décision, mise en perspective, nous semble donc opportune mais, nous le voyons, la proportionnalité doit raison garder... Ainsi que l'a écrit un auteur, "Disproportio omnia corrumpit" (23)... et sous couvert d'un heureux pragmatisme, il ne faudrait pas tomber dans l'excès d'une posture dogmatique (24). Ainsi, gageons que la Cour de cassation saura encadrer la passion dévorante de la proportionnalité afin de conserver le fragile équilibre que ces décisions semblent établir.
(1) CA Grenoble, 16 décembre 2014, n° 13/04391 (N° Lexbase : A6066Q33).
(2) Sur les aspects procéduraux, voir les obs. de J. Casey, AJ Famille, 2016, p. 275.
(3) Ainsi, la Cour de cassation en avait admis le principe sous réserve que ces clauses pénales n'affectent que des intérêts privés (par opposition à l'ordre public et aux bonnes moeurs) : Cass. civ., 2 février 1935. Depuis la Cour de cassation n'hésite pas à valider les clauses pénales successorales ne portant pas atteinte à l'ordre public : Cass. civ. 1, 9 octobre 1961, n° 59-12.833 (N° Lexbase : A1670RQW), Bull. civ. I, n° 442 ; Cass. civ. 1, 28 mars 2006, n° 04-10.596, F-P+B (N° Lexbase : A8530DNA).
(4) T. Le Bars, Les clauses dites pénales en droit des libéralités ou le mariage de la carpe et du lapin, in Mélanges Patrick Courbe, Dalloz, 2012, p. 345 ; sur la définition de la clause pénale, voir D. Mazeaud, La notion de clause pénale, préf. F. Chabas, LGDJ, coll. Bibl. droit privé, T. 223, 1992, n° 258 s..
(5) En réalité, le Professeur Le Bars souligne la variété des sanctions dans les clauses pénales qui ne sont pas nécessairement des clauses visant la limitation des droits de l'héritier à la seule quotité disponible de la succession du de cujus, mais peut viser également la perte du bénéfice d'une libéralité.
(6) T. Le Bars, Revirement de jurisprudence sur les clauses dites pénales en droit des libéralités, D., 2016, p. 578.
(7) T. Le Bars, op. cit..
(8) Cass. civ. 1, 25 juin 2002, n° 00-11.574, FS-P (N° Lexbase : A0198AZD).
(9) Sur ces questions, voir notamment : X. Philippe, Le contrôle de proportionnalité dans les jurisprudences constitutionnelle et administrative françaises, Economica, PUAM, coll. Science et droit administratifs, 1990 ; J.-B. Duclercq, Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, LGDJ, Bibl. constit. et sc. politique, T. 146, 2015.
(10) N. Molfessis, L'indispensable réforme de la Cour de cassation, Les affiches parisiennes, 6 juillet 2015.
(11) Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-26.066, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5510KQ7), D., 2014, p.179, note F. Chénedé, 153 ; AJ Fam., 2014, 124, obs. S. Thouret ; AJ Fam., 2013, 663, F. Chénedé ; RTDCiv., 2014, p. 88, obs. J. Hauser ; RTDCiv., 2014, p. 307, obs. J.-P. Marguenaud ; Cass. crim., 3 juin 2015, n° 14-86.507, F-P+B+I (N° Lexbase : A9226NIK) ; G. Chetard, Cassation pour "méconnaissance du principe de proportionnalité", AJ pénal, 2015, p. 487.
(12) A propos de Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-26.066, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5510KQ7), Bull. civ. I, n° 234 : B. Louvel, Réflexions à la Cour de cassation, D., 2015, p. 1326.
(13) B. Louvel, ibid..
(14) Cass. civ. 1, 16 décembre 2015, n° 14-29.285, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3651NZA).
(15) Cons. const., 9 novembre 1999, n° 99-419 DC (N° Lexbase : A8783ACB), D., 2000, p. 424, obs. S. Garneri ; RTDCiv., 2000, p. 109, obs. J. Mestre et B. Fages ; Petites affiches, 1er décembre 1999, 6, chron. J.-E. Schoettl ; JCP éd. G, 2000, I, 210, chron. N. Molfessis.
(16) T. Le Bars, op. cit..
(17) M. Mekki, Chron., D., 2016, p. 566 et spéc., Nullité et proportionnalité : quand le discours pragmatique cache une posture dogmatique !.
(18) C. Jamin, Contrôle de proportionnalité : Juger et motiver. Introduction comparative à la question du contrôle de proportionnalité en matière de droits fondamentaux.
(19) W. Dross, Droit civil, Les choses, LGDJ, 2012, n° 161.
(20) A. Cayol, Dalloz actualité, 11 mai 2016.
(21) Cass. Req., 3 août 1915, n° 00-02.378 (N° Lexbase : A6986CKX), DP, 1917, 1, 79 ; F. Terré, Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 12ème éd., 2007, p. 435.
(22) D. Mazeaud, op. cit., n° 163 s..
(23) A. Bénabent, Un culte de la proportionnalité... un brin disproportionné, D., 2016, p. 137.
(24) M. Mekki, ibid..
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