La lettre juridique n°651 du 14 avril 2016 : Responsabilité

[Jurisprudence] De la reconnaissance du préjudice écologique à sa délicate évaluation par les juges du fond

Réf. : Cass. crim., 22 mars 2016, n° 13-87.650, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4317Q8E)

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par June Perot - Rédactrice en droit privé

le 14 Avril 2016

Dans un arrêt du 22 mars 2016, qui aura les honneurs d'une publication au bulletin, la Chambre criminelle de la Cour de cassation nous éclaire sur l'office du juge en matière d'évaluation du préjudice, en décidant qu'il incombe à la cour d'appel "de chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise, le préjudice écologique dont elle avait reconnu l'existence, et consistant en l'altération notable de l'avifaune et de son habitat, pendant une période de deux ans, du fait de la pollution de l'estuaire de la Loire". Et ce au quintuple visa des articles 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), L. 142-2 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L7969IM4), 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC), ensemble les articles L. 161-1 (N° Lexbase : L3005KTH) et L. 162-9 (N° Lexbase : L2167IBU) du Code de l'environnement. En l'espèce, à la suite d'une pollution au fuel dans l'estuaire de la Loire, occasionnée par une rupture de tuyauterie d'une raffinerie exploitée par la société Total raffinage marketing (la société Total), cette dernière, reconnue coupable de rejet en mer ou eau salée de substances nuisibles pour le maintien ou la consommation de la faune ou de la flore et de déversement de substances entraînant des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la faune ou à la flore, a été condamnée à indemniser de leurs préjudices, diverses collectivités territoriales et associations agréées de protection de l'environnement, à l'exception de deux associations. Les deux associations ont interjeté appel. L'arrêt de la cour d'appel est pour le moins étonnant dans la mesure où, s'il reconnaît bien l'existence d'un préjudice écologique, il rejette toutefois les demandes d'indemnisation des deux associations concernant ce préjudice écologique (CA Rennes, 12ème ch., 27 septembre 2013, n° 12/02138 N° Lexbase : A5126RA4), au double motif, d'une part, que la LPO avait chiffré le préjudice sur la base d'une estimation du nombre d'oiseaux détruits, alors que cette destruction n'était pas prouvée et, d'autre part, parce qu'en évaluant son préjudice sur la base du budget annuel qu'elle consacrait à la gestion de la baie de l'Aiguillon, ce qui s'apparentait davantage à un préjudice économique, elle avait confondu son préjudice personnel et le préjudice écologique. Afin de casser l'arrêt d'appel, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans une motivation très détaillée, rappelle la définition du préjudice écologique pour, dans sa solution, préciser en quoi il a consisté et le rôle des juges dans son évaluation (II) mais elle se prononce également sur la question de la recevabilité d'une action de droit commun des associations de protection de l'environnement (I). I - La recevabilité de l'action civile des associations de protection de l'environnement

A l'heure des discussions du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, au travers duquel le Parlement envisage d'insérer dans le Code civil la notion de préjudice écologique, cet arrêt est intéressant à plusieurs égards. D'abord, parce qu'il fait application de la jurisprudence "Erika" (Cass. crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3030ITE), en prenant soin de rappeler la définition du préjudice écologique et la possibilité pour une association agréée d'en obtenir la réparation, ensuite parce qu'il vient l'affiner considérablement, en précisant le rôle des juridictions du fond dans l'évaluation de ce préjudice dont la spécificité n'est pas contestée. Il permet ainsi de combler les lacunes de la jurisprudence "Erika", qui, en son temps, si elle avait consacré le préjudice écologique, avait fait l'économie de précisions relatives à son évaluation et sa réparation en se réfugiant derrière la réparation du préjudice moral.

Une responsabilité spécifique. La loi n° 2008-757 du 1er août 2008 a transposé la Directive (UE) 2004/35 du 21 avril 2004 (N° Lexbase : L2058DYU), sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. Elle a mis en place un régime de responsabilité spécifique concernant certains dommages dits "environnementaux", qui repose à la fois sur la prévention des dommages (en amont et en cas de menace imminente) et sur leur réparation (en aval soit en cas de réalisation). L'objectif était d'assurer la protection de la biodiversité, de l'eau et des sols pour permettre à titre préventif et curatif la remise en état des atteintes à l'environnement en s'assurant systématiquement que quelqu'un paye (principe pollueur-payeur). Seuls les dommages environnementaux sont pris en compte, à l'exclusion des dommages dits "traditionnels" (c'est-à-dire des dommages causés aux biens et aux personnes) (1).

Une responsabilité de droit commun. Toutefois, en dépit des dispositions particulières de la loi de 2008, la possibilité d'une action de droit commun que peuvent exercer les associations habilitées, reconnues d'utilité publique, comme la LPO en l'espèce, n'est pas exclue. La Haute juridiction le souligne dans l'arrêt commenté en énonçant que "la remise en état prévue par l'article L. 162-9 du Code de l'environnement n'exclut pas une indemnisation de droit commun". Partant, l'action civile en réparation du préjudice écologique est fondée, non pas sur un régime autonome, mais sur le régime de responsabilité civile de droit commun, lequel suppose classiquement l'établissement d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité, qui seront étudiés infra. Comme toute action en justice, l'action en responsabilité civile pour atteintes à l'environnement suppose que les parties à l'action justifient d'un intérêt à agir personnel (C. proc. civ., art. 31 N° Lexbase : L2514ADH). Dans le domaine de la défense de l'environnement, les associations disposent d'un statut particulier puisqu'elles sont spécialement habilitées par le législateur pour agir. La loi "Barnier" du 2 février 1995 (N° Lexbase : L8686AGS) a instauré une habilitation générale en faveur des "associations agréées de protection de l'environnement" (C. env., art. L. 141-1 N° Lexbase : L3005KTH) pour exercer "les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant préjudice directe ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre en constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement, à l'amélioration du cadre de vie, à la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et paysages, à l'urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, ainsi qu'aux textes pris pour leur application" (C. env., art. L. 142-2). Cette faculté des associations de demander la réparation du préjudice indirect porté à l'intérêt collectif qu'elles défendent constitue donc une véritable dérogation au droit commun de l'action en responsabilité civile et permet, indéniablement, une meilleure prise en compte des atteintes à l'environnement. De plus, la jurisprudence a jugé que ces associations avaient la possibilité d'agir non seulement devant les juridictions répressives mais également devant les juridictions civiles (Cass. civ. 2, 7 décembre 2006, n° 05-20.297, F-D N° Lexbase : A8419DSM).

L'objectivisation du préjudice écologique. Cette dérogation au droit commun de l'action en responsabilité nous a permis d'assister à un mouvement d'objectivisation du préjudice écologique, initié par la cour d'appel de Paris dans son arrêt concernant l'affaire "Erika". En effet, dans son arrêt de 2010, elle avait opéré une distinction entre les préjudices subjectifs, c'est-à-dire ceux qui sont subis par des sujets de droit, dont relèvent les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux et le préjudice écologique qui serait un préjudice objectif en ce qu'il n'est pas subi par un sujet de droit (CA Paris, Pôle 4, 11ème ch., 30 mars 2010, n° 08/02778 N° Lexbase : A6306EU4). Tandis que le droit de la responsabilité distingue deux types de préjudices réparables : le préjudice patrimonial et le préjudice extrapatrimonial, qui tiennent tous deux au caractère personnel que doit revêtir le préjudice, la cour d'appel a admis, quant à elle, que le préjudice écologique était hors catégorie en ce qu'il ne pouvait être personnel. Et pour cause, l'environnement n'étant pas doté de la personnalité juridique, et n'étant pas une personne, ce préjudice ne pouvait se trouver dans l'une ou l'autre des catégories qu'il convenait donc de surpasser pour mieux l'appréhender. La cour d'appel ne s'est donc pas contentée d'ajouter ce préjudice à la liste des préjudices réparables mais a également conceptualisé une classification entre préjudices subjectifs et préjudices objectifs. Ce nouveau concept a donc permis de passer outre l'exigence du caractère personnel du préjudice environnemental et de ne pas entraver les actions des associations dans ce type de contentieux. Compte tenu de ce qui précède, dans l'arrêt commenté, la Chambre criminelle ne pouvait donc que censurer l'arrêt d'appel puisque les juges du fond avaient retenu, pour débouter l'association, qu'en plus de n'avoir pas chiffré correctement leur préjudice, elle avait confondu son préjudice personnel et le préjudice écologique, ses frais de fonctionnement n'ayant pas de lien direct avec les dommages causés à l'environnement...

II - L'identification et la réparation du préjudice écologique

La définition du préjudice écologique. Dans son chapeau, la Cour de cassation, reprenant en ces termes la définition dégagée par l'arrêt du 25 septembre 2012 dans l'affaire de l'Erika, énonce que le préjudice écologique "consiste en l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction". Sur ce point, elle approuve la cour d'appel quant à sa définition. Le préjudice écologique est donc une atteinte portée à l'environnement, celle-ci pouvant être directe ou indirecte et devant trouver son origine dans une infraction. Pour sa part, le projet de loi "biodiversité" propose un nouvel article 1386-19-1 du Code civil prévoyant que le préjudice écologique résultant d'une "atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement", peut être réparé sur le fondement de la responsabilité délictuelle. La définition proposée est loin d'être celle retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté et l'inscription d'un tel préjudice dans le Code civil est peut-être très symbolique, le caractère nécessaire restant discutable, dans la mesure où un régime de responsabilité existe déjà dans le Code de l'environnement.

La faute. En matière de responsabilité environnementale, les fautes peuvent être de nature délictuelle (C. civ., art. 1382) ou quasi-délictuelle (C. civ., art. 1383 N° Lexbase : L1489ABR) mais peuvent également consister en l'inexécution fautive d'un contrat. L'exigence d'une faute implique donc la démonstration, par la victime, que l'auteur du dommage a commis un manquement relatif à l'environnement. En l'espèce, concernant la faute, la cour d'appel de Rennes la considérait, à juste titre, établie puisque la société Total avait fait l'objet d'une condamnation pénale devenue définitive.

Le préjudice. Cependant, s'agissant du préjudice, pour débouter l'association demanderesse, la cour d'appel avait retenu qu'elle le chiffrait sur la base d'une destruction des oiseaux et leurs coûts de remplacement. Mais que la destruction des nombreux oiseaux (énumérés dans l'arrêt) n'était pas prouvée, ce que la partie civile reconnaissait elle-même dans ses conclusions en mentionnant "une estimation fiable du nombre d'oiseaux touchés a été rendue impossible à évaluer. L'on sait cependant a minima que [etc.]". Subséquemment, la cour relevait que l'association prenait pour base son budget annuel de la gestion de la baie pour demander le remboursement de deux années de son action écologique.

L'atteinte. Cet élément constitutif, quoique général, ne surprend guère mais peut poser quelques difficultés pour la simple raison que toute modification de l'environnement n'est pas nécessairement dommageable et toute atteinte n'est donc pas un préjudice. Ce point mérite d'ailleurs que l'on s'y attarde puisque, avant d'envisager toute réparation, il convient d'identifier le préjudice et donc l'atteinte. Les professeurs Laurent Neyret et Gilles J. Martin ont défini, dans la Nomenclature des préjudices environnementaux (2), les préjudices causés à l'environnement comme "l'ensemble des atteintes causées aux écosystèmes dans leur composition, leurs structures et/ou leur fonctionnement". Cela comprend donc les atteintes aux sols et à leurs fonctions, les atteintes à l'air ou à l'atmosphère, aux eaux et aux milieux aquatiques et aux espèces. Dans l'arrêt commenté, et au même titre que dans l'arrêt "Erika", l'atteinte considérée consistait en la disparition de milliers d'oiseaux vivant dans la baie touchée par la pollution. Or, comment mesurer cette atteinte ? La solution pourrait être de comparer l'état de l'environnement avant et après l'atteinte. Mais pour effectuer cette comparaison, faut-il encore avoir connaissance de l'état initial de l'environnement considéré. L'article L. 162-9 du Code de l'environnement, au visa duquel notamment est cassé l'arrêt de la cour d'appel, fait déjà référence à cette notion d'état initial puisque, aux termes de cet article, il "désigne l'état des ressources naturelles et des services écologiques au moment du dommage, qui aurait existé si le dommage environnemental n'était pas survenu, estimé à l'aide des meilleures informations disponibles". L'article se réfère aux "meilleures informations disponibles" et nous renvoie à l'importance du rôle des différents acteurs de l'environnement dans la collecte de ces informations. Pour ce faire, il serait donc indispensable d'élaborer des bases d'informations comprenant toutes les données relatives à l'état de l'environnement recueillies par ces acteurs. L'exploitation de ces données permettrait d'apprécier l'état initial et mesurer l'atteinte dommageable portée au milieu naturel dans le cadre d'un contentieux environnemental. En l'espèce, c'est la LPO qui était l'acteur principal de cette connaissance de l'environnement touché par la pollution de l'estuaire puisqu'il s'agit d'une association de protection de l'environnement en charge de la baie naturelle et dont le but est la connaissance et la conservation de la biodiversité. Dans le cadre de cette mission, cette association est amenée à collecter de nombreuses informations qui permettent l'évaluation du statut de la conservation des espèces, via des enquêtes, des suivis qu'elle coordonne et dont les résultats font l'objet de publications scientifiques ou de documentations publiques. C'est donc grâce aux actions coordonnées de ces différents acteurs de l'environnement que l'on peut espérer avoir une meilleure connaissance de l'état initial du milieu touché pour apprécier l'importance de l'atteinte alléguée.

A cet égard, le projet de loi sur la reconquête de la biodiversité propose d'ajouter un article dans le Code de l'environnement relatif à la création d'un "inventaire du patrimoine naturel", conçu pour inventorier les richesses écologiques, faunistiques, floristiques, géologiques, pédologiques, minéralogiques et paléontologiques. Cet inventaire serait animé par l'Etat et l'article prévoit que "les maîtres d'ouvrages, publics ou privés, doivent contribuer à cet inventaire national par la saisie ou, à défaut, le versement des données brutes de biodiversité acquises à l'occasion des études d'évaluation préalable ou de suivi des impacts réalisées dans le cadre de l'élaboration des plans, schémas, programmes et autres documents de planification mentionnés à l'article L. 122-4 et des projets d'aménagement soumis à l'approbation de l'autorité administrative" (article 3 ter du projet de loi). Par ailleurs, dans un rapport de l'Association des Professionnels du Contentieux Economique et Financier (APCEF) rendu public en mars 2016, et intitulé "la réparation du préjudice écologique en pratique", la commission de réflexion sur le préjudice écologique, animée par le Professeur Laurent Neyret, proposait d'officialiser une liste de critères d'évaluation du préjudice écologique qui serait expressément applicable en cas de procédure judiciaire en réparation de ce préjudice (proposition n° 8).

En second lieu, la Cour de cassation déclare que l'atteinte peut être directe ou indirecte. Cela implique que, contrairement au droit de la responsabilité classique où le lien de causalité doit être direct, le préjudice écologique peut donner lieu à une réparation même s'il n'est pas la suite directe du fait générateur de responsabilité.

La nécessité d'une infraction préalable. Enfin, dans son chapeau, la Haute juridiction rappelle que le préjudice écologique doit découler d'une infraction. Elle entend vraisemblablement, mais cela se discute, faire de l'infraction préalable une condition à l'action civile en réparation du préjudice écologique, dont dépendrait également l'existence du préjudice. Cela peut se comprendre dans la mesure où la réparation du préjudice écologique, actuellement, dépend de la recevabilité de l'action exercée par les personnes morales auxquelles le législateur a entendu confier la défense de certains intérêts collectifs dans le domaine environnemental. C'est le cas, comme nous l'avons vu plus haut, des associations de protection de l'environnement et particulièrement celle agrées. La Cour le rappelle dans la deuxième partie de son chapeau puisqu'elle énonce que "la remise en état prévue par l'article L. 162-9 du Code de l'environnement n'exclut pas une indemnisation de droit commun que peuvent solliciter, notamment, les associations habilitées, visées par l'article L. 142-2".

Solution de la Cour de cassation. En l'espèce, pour la Cour, le préjudice écologique invoqué par la partie civile, et reconnu implicitement par la cour d'appel, a consisté en l'altération notable de l'avifaune et de son habitat, pendant une période de deux ans, du fait de la pollution de l'estuaire de la Loire. Ainsi, elle constate à la fois l'atteinte, "l'altération notable de l'avifaune et de son habitat" et le fait générateur, c'est-à-dire l'infraction préalable nécessaire, à savoir la pollution de l'estuaire par la société Total. Le préjudice écologique étant constaté et établi, la Cour énonce également que la cour d'appel, en rejetant l'indemnisation du préjudice écologique, "par des motifs pris de l'insuffisance ou de l'inadaptation du mode d'évaluation proposé par la LPO alors qu'il lui incombait de [le] chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise [...] n'a pas justifié sa décision". Outre la question du préjudice écologique cet arrêt posait donc la question de l'étendue du rôle du juge dans l'évaluation de ce préjudice.

L'étendue du rôle des juges du fond dans l'évaluation et la réparation du préjudice. La réparation en nature de l'atteinte constitue actuellement la solution idéale car elle permet au milieu concerné de retrouver son état initial. Ce mode de réparation est donc préféré et doit être privilégié autant que faire se peut. C'est ce que prévoit le projet de loi sur la biodiversité dans un nouvel article 1386-20 du Code civil, lequel disposerait que "la réparation du préjudice mentionné à l'article 1386-19-2 s'effectue par priorité en nature". Et ce n'est que subsidiairement, en cas d'impossibilité de fait ou de droit que le juge peut condamner l'auteur du préjudice à des dommages-intérêts. La loi de 2008 va encore plus loin puisqu'elle a fait de ce mode le seul admissible à l'exclusion de la réparation pécuniaire et aménage les modalités de remise en état selon que ce soit l'eau, les espèces et leurs habitats ou les sols qui sont touchés. Si l'on s'intéresse maintenant à la responsabilité de droit commun, la réparation en nature peut prendre diverses formes. L'exploitant de l'activité à l'origine du dommage doit prendre toutes les mesures afin de combattre, d'endiguer, d'éliminer ou de traiter les contaminants concernés et tout autre facteur de dommage et ce pour éviter la survenance de nouveaux dommages. En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Total avait exécuté cette réparation puisque les zones touchées ont été nettoyées et remises en état et qu'il a été remédié à la pollution en quelques semaines à l'aide de chantier et d'une main d'oeuvre conséquente.

Mais la réparation peut également être pécuniaire, même si cela est discuté compte tenu de l'absence de valeur marchande de l'environnement. C'est bien ici que l'évaluation du préjudice se complexifie. Comment quantifier, chiffrer l'environnement ? Comment fixer un prix pour la perte de certaines espèces d'oiseaux dans l'espèce présente ? La tâche est ardue pour les juges. Quant à la méthode d'évaluation, celle-ci est encore plus floue car la plupart du temps le montant de la réparation fait l'objet d'une évaluation forfaitaire, sans davantage de précisions. Sur ce point, la Chambre criminelle avait auparavant jugé que "la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la consistance du préjudice né des infractions et n'était pas tenue de préciser les bases de ses calculs, a justifié sa décision" (Cass. crim., 25 octobre 1995, n° 94-82.459 N° Lexbase : A8810ABW). Dès lors, cet arrêt, outre préciser l'étendue de l'office du juge, semble nous éclairer sur la méthode à adopter dans l'évaluation du préjudice puisque la Cour suprême, de façon inédite, mentionne la possibilité, "si nécessaire", de faire appel à une expertise pour le chiffrer. Tout ceci, en faveur d'une unification dans l'évaluation du préjudice écologique qui, jusque lors, était à géométrie variable selon les juridictions.

En l'espèce, les juges d'appel sont censurés sur ce point, la Haute juridiction estime que le rôle des juges du fond, dans le contentieux environnemental ici, ne saurait se résumer à la seule constatation du préjudice écologique puisqu'il leur appartient également de le chiffrer, cette tâche ne pouvant incomber au demandeur. A l'aide d'une expertise si besoin est. Concernant les expertises judiciaires, rappelons toutefois qu'actuellement, la nomenclature des experts de justice issue de l'arrêté du 10 juin 2005 ne contient aucune rubrique "environnement", ce qui démontre l'absence de spécialisation des experts actuels sur la question de l'environnement. Or, de la qualité de l'expertise judiciaire, dépend la réparation du préjudice écologique. C'est pourquoi la commission de réflexion dirigée par Laurent Neyret propose l'ajout d'une rubrique "environnement" et l'encadrement des experts judiciaires afin de garantir leurs compétences dans ce contentieux. Pourquoi pas en créant une Commission nationale du contentieux de l'environnement (propositions n° 21 et 22). Une meilleure indemnisation du préjudice écologique passerait donc à la fois par des outils techniques (inventaire du patrimoine naturel, rôle des acteurs de l'environnement etc.) et des outils juridiques (expertises judiciaires).


(1) A ce sujet lire, Quel bilan tirer des cinq premières années d'existence de la "LRE" ? - Questions à Jessica Makowiak, Maître de conférences en droit public à l'Université de Limoges, in Lexbase éd. pub., 2013, n° 301.
(2) L. Neyret et G.-J. Martin, Nomenclature des préjudices environnementaux, LGDJ, 2012.

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