La lettre juridique n°651 du 14 avril 2016 : Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] La croyance légitime en l'engagement compromissoire du cocontractant

Réf. : Cass. civ. 1, 16 mars 2016, n° 14-23.699, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4889Q79)

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

le 14 Avril 2016

L'arbitrage est-il un colosse aux pieds d'argile ? Ce procédé performant de règlement des litiges, si performant que certains secteurs d'activité ne peuvent pas s'en passer et en font une clause de style, peut se trouver assujetti, en certaines circonstances, à certaines incertitudes ou ambiguïtés quant à l'existence ou la portée de l'engagement des parties à y recourir. L'arrêt du 16 mars 2016, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, contribue à instruire la question. Il est relativement fréquent qu'une partie prétende échapper à une procédure d'arbitrage en soulevant que son consentement à l'arbitrage ne serait pas suffisamment établi . La question se pose en particulier dans le contexte où l'arbitrage n'est pas un mode habituel de règlement du litige, et tout spécialement, il faut bien le reconnaître, lorsqu'une partie n'est pas rompue à la pratique et aux principes de l'arbitrage dont le premier en est la rapidité et l'efficacité.

Dans ce schéma, c'est bien entendu le défendeur qui soulève l'incompétence arbitrale, pour empêcher ou retarder la mise en oeuvre de la procédure. On sait, toutefois, que le principe de compétence-compétence permet d'éviter l'efficacité d'une telle manoeuvre dilatoire (1).

Il arrive également que l'absence de fondement contractuel de l'arbitrage soit invoquée après le déroulement de la procédure et la reddition de la sentence, à titre de motif de nullité de cette dernière. Cette stratégie concerne tous les types d'arbitrage ; la contestation de la compétence est alors instrumentalisée comme un mode de critique de la sentence.

Dans ces deux configurations d'une allégation d'incompétence arbitrale, la Cour de cassation a depuis longtemps choisi l'efficacité de l'arbitrage, surtout en matière d'arbitrage international (2), ce qui ne signifie pas, bien entendu, qu'une telle allégation soit toujours écartée. Mais la préférence pour la reconnaissance d'un engagement compromissoire, ou pour son interprétation en faveur de son efficacité est assez nette, au motif légitime de l'efficacité de ce mode de règlement des litiges.

On rencontre ici un troisième cas de figure de l'allégation d'incompétence arbitrale, plutôt inédit. Il ne s'agit ni de perturber le déroulement de l'instance, ni de contester la sentence ; il s'agit de contester les honoraires de l'avocat qui est intervenu dans la procédure d'arbitrage. Pourtant, rien ne permet a priori de considérer que la solution rendue par l'arrêt commenté ne devrait pas s'appliquer pareillement dans les deux premiers cas. Or, l'hypothèse est d'autant plus intéressante que l'argumentaire du débat et le motif de la solution sont eux-mêmes plutôt inédits.

Dans quelle mesure, en effet, cette préférence jurisprudentielle pour l'efficacité de l'engagement peut-elle s'exprimer dès lors que la question se pose sur le plan de l'apparence d'un engagement à l'arbitrage ? Sous bénéfice d'inventaire, c'est semble-t-il la première fois que la Cour de cassation est conduite à se prononcer sur cette configuration particulière.

On sait que l'apparence est une règle de fond du droit des obligations, une règle destinée à sauvegarder les finalités du système juridique. D'une situation certes spécialement circonstanciée, le juge tire des conséquences qui pourraient exactement être celles de l'expression d'une volonté juridique : création d'une obligation, prorogation d'un terme, renonciation à un droit, etc.. Le mandat apparent en est, en jurisprudence civile ou commerciale, l'illustration la plus remarquable, et d'ailleurs la plus fréquente. Encore faut-il bien entendu que les circonstances appropriées en soient caractérisées, parmi lesquelles la croyance légitime en l'engagement de la part du cocontractant. Telle était notamment la question posée en l'espèce.

Un opérateur, M. A, convient avec un cabinet d'avocats, le cabinet B., de l'assister et le représenter dans une procédure. En réalité, les choses se présentent différemment. C'est un autre cabinet d'avocats, le cabinet C., lequel est "chargé habituellement des intérêts des consorts A.", qui passe une convention en ce sens avec le cabinet B.. Cette convention comporte une clause compromissoire. Lorsque l'avocat B. présentera une note d'honoraires à M. A. ce dernier, aux fins de la contester, prétendra qu'il ne s'y est pas valablement engagé.

La clause compromissoire est mise en oeuvre. Le tribunal arbitral procède à une condamnation au paiement. M. A. conteste la sentence en soulevant l'argument en vertu duquel, selon son droit national, une clause compromissoire ne serait valablement signée par un mandataire que s'il est titulaire d'un mandat spécial à cet effet. Un tel mandat faisant défaut, il ne serait pas engagé par l'acte signé certes par son mandataire habituel, mais dépourvu du mandat spécial requis.

La cour d'appel de Paris (3) écarte le recours en annulation au motif qu'"en vertu d'une règle matérielle du droit de l'arbitrage international, l'existence et la validité d'une clause compromissoire sont appréciées, sans référence à une loi nationale, mais uniquement au regard de la volonté des parties de recourir à l'arbitrage, appréciée en fonction des circonstances de la cause".

La Cour de cassation rejette le pourvoi, fidèle en cela à sa position (4) que l'on peut qualifier désormais de classique et traditionnelle. Elle se place délibérément dans un schéma d'application pure et simple de la règle matérielle affirmée par la cour d'appel.

Il est d'ailleurs un peu curieux qu'elle s'abstienne de rappeler la règle avant d'en faire application. De cet oubli, au demeurant modérément critiquable, on pourra déduire que ladite règle matérielle lui semble évidente. Bien plus, cette évidence est telle que la règle est considérée comme relevant d'office de l'ordre arbitral international en sa qualité de l'une des règles matérielles les plus largement admises en la matière.

S'agissant de la mise en oeuvre de cette règle, la Cour de cassation se livre à l'identification et à l'interprétation d'un faisceau d'indices susceptible de qualifier "la volonté des parties en fonction des circonstances de la cause". Elle relève, à cet effet, la constatation de l'arrêt de la cour d'appel selon laquelle :

- 1°/ la convention a été signée par le cabinet d'avocats C. ;

- 2°/ l'avocat B. a adressé un message électronique au contrôleur financier du groupe de M. A. et à M. A. lui-même pour leur soumettre le projet de contrat stipulant la clause compromissoire ;

- 3°/ 35 jours plus tard, ledit contrat, signé par l'avocat A., a de nouveau été envoyé au contrôleur financier du groupe de M. A. et au cabinet d'avocat C. ;

- 4°/ le cabinet C., après l'avoir signé, l'a adressé encore à M. A. et au contrôleur financier ;

- 5°/ de surcroît, ce contrat a été ultérieurement exécuté par les consorts A. qui ont directement donné leurs instructions à l'avocat B. et réglé ses premières factures.

La Cour de cassation en déduit que l'arrêt de la cour a fait ressortir que les consorts A ont eu la volonté de se soumettre à l'arbitrage, que l'exigence de bonne foi pouvait leur être opposée et que les pouvoirs du cabinet C. étant apparents, la croyance de l'avocat A. à l'engagement des consorts A. était légitime.

Cette position de la Cour de cassation est cohérente avec sa jurisprudence antérieure (5) lorsqu'elle décide qu'une société est engagée dans une clause d'arbitrage signée, non par un dirigeant social, mais par le salarié de la société qui est l'interlocuteur du cocontractant. La solution est remarquable. En droit des sociétés en effet, le système des pouvoirs légaux, tel qu'il repose notamment sur la publicité légale de l'identité des "mandataires sociaux", est le seul en vertu duquel la société peut être engagée. La prise en compte de la croyance légitime du tiers en l'engagement compromissoire consenti par un salarié non délégataire d'un tel pouvoir est une exception remarquable au droit des sociétés. Le présent arrêt ajoute une autre exception du même genre.

Cela dit, ce n'est pas une révolution. Il s'agit d'une variante d'un principe plus large de bonne foi dans la formation de la convention d'arbitrage, qui recouvre l'apparence, la bonne foi, la croyance légitime, ou encore l'interdiction de se contredire au détriment des droits d'autrui, ainsi notamment que l'article 1466 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2253IP7) en affirme le principe.

Principe auquel d'ailleurs l'auteur du pourvoi pouvait également s'exposer compte tenu des données de l'espèce ; mais c'eût été à titre surabondant.

Ajoutons qu'avec ce positionnement, le droit de l'arbitrage fait figure de précurseur si l'on veut bien considérer la place de choix que l'ordonnance du 16 février 2016 (ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L4857KYK) confère à la bonne foi dans la formation du contrat. Pour une fois que la morale contractuelle rejoint l'efficacité économique, personne ne s'en plaindra.


(1) D. Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, Gualino, 2012, n° 81 s..
(2) Ch. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l'arbitrage interne et international, Montchrestien, 2013, n° 601 s.. ; D. Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, op. cit., n° 497 s..
(3) CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 24 juin 2014, n° 13/07955 (N° Lexbase : A7651MRS), Rev. arb., 2015, p.515, note S. Akhouad.
(4) Ch. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit., n° 621 : c'est surtout à propos de l'engagement compromissoire d'une société que la solution est régulièrement affirmée : la société est engagée même par une personne qui ne disposerait pas du pouvoir de le faire si l'on se référait à la lex societatis.
(5) Cass. civ. 1, 8 juillet 2009, n° 08-16.025, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7357EIC), Rev. arb., 2009, p. 529, note D. Cohen. Adde, D. Cohen, L'engagement des sociétés à l 'arbitrage, Rev. arb., 2006, p. 35.

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