Si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, la mise en oeuvre de ce principe peut affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi, en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action, de sorte que le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu'il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s'il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste. Tel est l'apport d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 6 avril 2016 (Cass. civ. 1, 6 avril 2016, n° 15-10.552 FS-P+B+R+I
N° Lexbase : A6051RBQ). En l'espèce, une commune avait confié à la société P. la construction et l'exploitation d'un crématorium situé dans un lieudit. Soutenant que le tract diffusé par un collectif, ainsi que la pétition que celui-ci avait mise en ligne sur Internet, contenaient des propos diffamatoires, la société P. et les consorts X avaient assigné les membres du collectif et l'hébergeur du site en cause, aux fins d'obtenir réparation de leur préjudice. Les assignations délivrées à la requête de la société et des consorts X visaient l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 (
N° Lexbase : L7589AIW), mais non l'article 32 et ne mentionnaient donc pas la peine applicable aux faits. En cause d'appel, la cour avait retenu la validité des assignations (CA Bastia, 12 novembre 2014, n° 12/01019
N° Lexbase : A6152M3A), en application de la jurisprudence de la première chambre civile, laquelle a considéré que la seule omission dans l'assignation de la mention de la sanction pénale encourue n'affectait pas sa validité (Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, n° 08-17.315, FS-P+B+R+I
N° Lexbase : A3176EL9). Toutefois, dans un arrêt du 15 février 2013 portant revirement, l'Assemblée plénière a consacré le principe de l'unicité du procès de presse et énoncé que l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 devait également recevoir application devant la juridiction civile (Ass. plén., 15 février 2013, n° 11-14.637, P+B+R+I
N° Lexbase : A0096I83). La Haute juridiction, énonçant la solution précitée, censure l'arrêt d'appel, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société et des consorts X, considérant que les assignations en cause, dont les énonciations étaient conformes à la jurisprudence de la première chambre civile, ont été délivrées à une date à laquelle les demandeurs ne pouvaient ni connaître ni prévoir l'obligation nouvelle de mentionner le texte édictant la peine encourue. Dès lors, l'application immédiate, à l'occasion d'un revirement de jurisprudence, de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutirait à priver ces derniers d'un procès équitable, au sens de l'article 6, § 1, de la CESDH (
N° Lexbase : L7558AIR), en leur interdisant l'accès au juge (cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E4099EYH).
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