La lettre juridique n°644 du 18 février 2016 : QPC

[Chronique] QPC : évolutions procédurales récentes - Octobre à Décembre 2015

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par Mathieu Disant, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Lyon Saint-Etienne

le 19 Février 2016

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence toujours abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Lyon Saint-Etienne, Directeur du CERCRID (CNRS / UMR 5137), chercheur associé au Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue. I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

1 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution

La décision n° 2015-508 QPC du 11 décembre 2015 (N° Lexbase : A0394NZM) mérite attention quant à l'appréciation de ce que l'on peut qualifier de "déjà jugé conforme" par simple référence.

Dans la mesure où l'escroquerie en bande organisée ne figurait pas dans les infractions visées à l'article 706-73 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7144KU7) lors de la décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 (N° Lexbase : A3770DBA), le 8° bis visant cette infraction ayant effectivement été rétabli postérieurement par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9), le Conseil constitutionnel a estimé qu'il ne pouvait, par principe, avoir déclaré par cette décision la référence au 8° bis au sein des 14° et 15° conforme à la Constitution.

Le Conseil écarte ainsi l'argument du Premier ministre estimant qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la QPC, dès lors que les dispositions contestées avaient déjà été déclarées constitutionnelles par la décision n° 2004-492 DC.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a jugé implicitement qu'il ne pouvait pas non plus être déduit de sa décision n° 2014-420/421 QPC du 9 octobre 2014 (N° Lexbase : A0029MYQ) que cette référence avait été déclarée inconstitutionnelle. Par sa décision n° 2014-420/421 QPC, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel le 8° bis au motif que l'escroquerie en bande organisée ne pouvait être regardée comme portant atteinte en elle-même à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. Une telle motivation n'impliquait pas que tout autre comportement répréhensible pénalement, articulé avec des faits d'escroquerie en bande organisée, soit apprécié de la même manière. Cela s'imposait avec d'autant plus de force qu'en QPC, le Conseil constitutionnel ne saurait contrôler d'autres dispositions que celles qui lui sont expressément renvoyées.

De sorte que, contrairement à ce qui était avancé par le Premier ministre, la déclaration d'inconstitutionnalité du 8° bis par la décision n° 2014-420/421 QPC n'avait pas entraîné l'inconstitutionnalité de la référence au 8° bis au sein des 14° et 15°. L'inconstitutionnalité du 8° bis ne s'oppose pas à un nouvel examen de constitutionnalité des dispositions du 14° et 15°, dans la mesure où le Conseil refuse de considérer que les effets de l'inconstitutionnalité du 8° bis s'appliquent nécessairement aux cas dans lesquels les dispositions du 8° bis ont été appliquées en combinaison avec d'autres dispositions de l'article 706-73.

Il appartenait donc au Conseil constitutionnel de trancher expressément la question du blanchiment, du recel ou de l'association de malfaiteurs en lien avec une escroquerie en bande organisée. Celui-ci a, en conséquence, jugé recevable la question de constitutionnalité qui lui était posée.

2- Applicabilité d'une disposition législative au litige

Une série de décisions du Conseil d'Etat écarte les QPC soulevées pour défaut d'applicabilité au litige de la disposition législative contestée. Elles témoignent parfois d'une rigueur nouvelle.

Il en est ainsi eu égard à l'objet de l'arrêté dont la légalité est contestée (CE, 2 novembre 2015, n° 386319 N° Lexbase : A6495NU4 ; CE, 27 novembre 2015, n° 394016 N° Lexbase : A9219NXQ ; CE, 11 décembre 2015, n° 393921 N° Lexbase : A2065NZI) ou à l'objet de la demande initiale (CE, 27 novembre 2015, n° 381826 N° Lexbase : A0975NYR), ou lorsque la disposition législative ne constitue pas le fondement du décret litigieux et est sans incidence sur sa légalité (CE, 11 décembre 2015, n° 393531 N° Lexbase : A2064NZH).

Par ailleurs, il est logiquement jugé que "les dispositions d'une loi qui sont dépourvues de portée normative ne sauraient être regardées comme applicables au litige" (CE, 19 octobre 2015, n° 392400 N° Lexbase : A7043NTZ, s'agissant d'une QPC posée par l'association pour la neutralité de l'enseignement de l'histoire turque dans les programmes scolaires invoquant l'inconstitutionnalité de la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien).

Dans une application plus stricte, la Cour de cassation retient que "le juge de l'exécution, saisi d'une demande de nullité de l'opposition à tiers détenteur [...], ne peut statuer que sur les contestations portant sur la régularité de cette procédure d'exécution sans pouvoir se prononcer sur la validité du titre fondant celle-ci, de sorte que l'inconstitutionnalité alléguée de l'article L. 480-8 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9352IZE) serait sans incidence sur la solution du litige" (Cass. civ. 2, 17 décembre 2015, n° 15-19.118, F-D N° Lexbase : A8738NZN).

Dans une autre affaire, la Cour de cassation écarte l'examen d'une QPC au motif que "la disposition critiquée n'est pas applicable à la procédure ; qu'en effet, conformément à l'article 84 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2964IZS), le dessaisissement, au sein d'un tribunal de grande instance, d'un juge d'instruction au profit d'un autre, fût-il spécialisé, relève des attributions du président de la juridiction qui statue par une ordonnance insusceptible de voie de recours; que l'article 706-77 dudit code (N° Lexbase : L2776KGW) [qui était contesté] prévoit une procédure spécifique à caractère juridictionnel dans le cas où le dessaisissement d'un juge d'instruction au profit d'un magistrat spécialisé s'accompagne du transfert du dossier vers une autre juridiction, l'éloignement pouvant affecter les modalités d'exercice des droits de la défense" (Cass. crim. 18 novembre 2015, cinq arrêts, F-D, n° 15-82.642 N° Lexbase : A5404NXG, 15-82.645 N° Lexbase : A5371NX9, 15-82.641 N° Lexbase : A5574NXQ, 15-82.644 N° Lexbase : A5588NXA, 15-82.643 N° Lexbase : A5449NX4).

B - Normes constitutionnelles invocables

On notera plusieurs avancées dans la mise en oeuvre de certains droits ou libertés constitutionnels.

Ainsi, dans la décision n° 2015-502 QPC du 27 novembre 2015 (N° Lexbase : A9181NXC), le Conseil constitutionnel s'est, pour la première fois, expressément prononcé sur la question du respect du principe d'égalité entre organisations professionnelles d'employeurs et organisations syndicales de salariés.

Dans la décision n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015 (N° Lexbase : A4920NYU), de façon inédite également, le Conseil constitutionnel se prononce dans le sens d'un rattachement du secret du délibéré comme une composante du principe constitutionnel d'indépendance des juridictions. Il définit à cette occasion les atteintes pouvant être portées au secret du délibéré à l'occasion d'une saisie.

Dans la décision n° 2015-507 QPC du 11 décembre 2015 N° Lexbase : A0393NZL), le Conseil constitutionnel a estimé que le droit de grève ne pouvait, au sens constitutionnel, être invoqué pour les gérants indépendants. La cessation de travail des professions indépendantes est analysée comme un moyen de faire valoir des préoccupations relatives à leurs conditions d'exercice professionnel, et donc à leur liberté d'entreprendre.

II - Procédure devant les juridictions ordinaires

A - Instruction de la question devant les juridictions ordinaires et suprêmes

1 - Présentation de la requête

La Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle que, lorsque la QPC est soulevée à l'occasion d'un pourvoi en cassation, le mémoire distinct et personnel qui la présente doit être déposé dans les formes et délais prévus aux articles 584 (N° Lexbase : L4425AZW) et suivants du Code de procédure pénale. Un mémoire personnel, non signé par le requérant, n'est pas recevable (Cass. crim., 15 décembre 2015, n° 15-85.772, F-D N° Lexbase : A8558NZY).

Est également irrecevable le mémoire en QPC qui, en dépit d'une argumentation, ne précise pas expressément quel droit ou liberté que la Constitution garantit, au sens de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), serait méconnu (CE, 9 novembre 2015, n° 388286 N° Lexbase : A3624NW7).

2 - Juge des référés

L'article 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3) prévoit qu'une juridiction saisie d'une QPC "peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires" et qu'elle peut statuer "sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence".

Il résulte de la combinaison des dispositions des articles 23-5 et 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 avec celles du livre V du Code de justice administrative qu'une QPC peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance ou en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 (N° Lexbase : L3058ALT) de ce code.

Le Conseil d'Etat a précisé la portée de cette combinaison (CE, 11 décembre 2015, n° 395009 N° Lexbase : A2118NZH, Lebon). Il est retenu que le juge des référés peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une QPC est soulevée devant lui, rejeter une requête qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence. S'il ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour l'un de ces motifs, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'Etat de la QPC ou, pour le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel.

En outre, même s'il décide de renvoyer la question, il peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du Code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère.

Dans ces conditions, au cas rapporté, il est jugé que "la seule circonstance que la QPC soulevée par l'intéressé est renvoyée au Conseil constitutionnel n'implique pas d'ordonner immédiatement la suspension des effets de la décision d'assignation à résidence contestée, dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel à qui il appartient de se prononcer, en vertu de l'article 61-1 de la Constitution, sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la disposition législative critiquée et de déterminer le cas échéant, en vertu de l'article 62 (N° Lexbase : L0891AHH), les conditions et limites dans lesquels les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause".

B - Saisine directe du Conseil constitutionnel

Aux termes de la dernière phrase de l'article 23-7, "si le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation ne s'est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel". L'ordonnance reste toutefois silencieuse sur les modalités de transmission de la QPC en cas d'expiration et le Conseil constitutionnel avance à pas feutrés pour fixer, dans cette hypothèse, la marge d'action du justiciable.

La décision n° 2015-491 QPC du 14 octobre 2015 (N° Lexbase : A1934NTS) portant sur une demande de saisine directe du Conseil constitutionnel mérite, à cet égard, une attention particulière. Ce n'est pas la première fois que le Conseil se trouve saisi d'une telle demande, ce fut le cas en particulier dans sa décision n° 2012-237 QPC du 15 février 2012 (N° Lexbase : A3861ICY) (1).

Mais l'affaire n° 2012-237 QPC présentait une particularité liée à l'existence d'une procédure parallèle, incitant à une lecture prudente et pragmatique des textes applicables. Si bien que la question centrale avait été réservée : le Conseil constitutionnel peut-il être saisi par un requérant lorsque ce dernier estime que la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat a méconnu le délai maximum de trois mois auquel fait référence l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ?

L'examen des décisions rendues par le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation montre que les deux juridictions suprêmes transmettent automatiquement au Conseil constitutionnel les QPC dont elles sont saisies dès lors qu'elles sont confrontées à un cas où le délai de trois qui leur est imparti a été dépassé. Cette pratique est conforme à la lettre de la loi organique : le verbe "transmettre" semble en effet indiquer qu'il appartient non pas directement à l'auteur de la question, mais à la juridiction qui en est saisie de la transmettre au Conseil constitutionnel.

On est donc conduit à considérer que, si le requérant estime que le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation a méconnu le délai de trois mois et que la juridiction ne l'a pas déjà d'office transmise, il revient au requérant de s'adresser à cette juridiction et non de saisir directement le Conseil constitutionnel.

Une telle lecture des textes s'appuie sur plusieurs arguments.

D'une part, elle permet d'éviter que le Conseil constitutionnel ne soit saisi de questions dont l'irrecevabilité pourrait être contestée, comme dans l'affaire n° 2015-491 QPC, par une décision du Conseil d'Etat ou la Cour de cassation notifiée postérieurement à sa saisine directe par le requérant.

D'autre part, elle permet également d'éviter que le Conseil constitutionnel ne soit saisi d'un recours contestant l'analyse faite par le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation quant au point de savoir si un mémoire doit être regardé comme contestant le refus de transmission d'une juridiction subordonnée ou comme soulevant une nouvelle QPC.

Enfin, cette lecture est aussi la plus conforme au partage des rôles prévu par la loi organique et à la nature des relations qui se sont établies entre les juridictions suprêmes de chaque ordre et le Conseil constitutionnel pour le traitement des QPC.

Tout ceci pourrait plaider en faveur d'une position tranchée, consistant à affirmer que le Conseil constitutionnel ne peut être valablement saisi d'une QPC soulevée devant une juridiction administrative ou judiciaire que sur transmission du Conseil d'Etat ou la Cour de cassation, même lorsque le délai de trois mois est dépassé.

A tout le moins, la position retenue dans la décision n° 2015-491 QPC du 14 octobre 2015 peut ne pas apparaître aussi catégorique, sans doute par économie de moyens. Il y est jugé que "le Conseil constitutionnel ne peut être saisi sur le fondement de la troisième phrase de l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 lorsque l'instance à l'occasion de laquelle la question a été posée est éteinte, pour quelque cause que ce soit". Le Conseil adopte une lecture combinée avec l'article 23-9 de cette ordonnance aux termes duquel : "Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi de la question prioritaire de constitutionnalité, l'extinction, pour quelque cause que ce soit, de l'instance à l'occasion de laquelle la question a été posée est sans conséquence sur l'examen de la question". En l'espèce, la demande du justiciable enregistrée au Conseil constitutionnel le 17 juillet 2015 est jugée irrecevable dès lors que le Conseil d'Etat a rendu la veille une ordonnance de non-admission du pourvoi.

Qu'en serait-il a contrario à défaut d'une telle extinction ou d'une extinction postérieure ? L'articulation des deux textes précités ne permet pas d'affirmer, dans l'immédiat, que le Conseil constitutionnel ne peut en aucune hypothèse être saisi directement par un justiciable d'une QPC attachée à une instance non (encore) éteinte à la date de sa saisine. On peut tout au plus retenir que l'extinction de l'instance couvre le dépassement du délai de renvoi... tant que le Conseil constitutionnel n'est pas saisi au sens de l'article 23-9.

III - Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Interventions devant le Conseil constitutionnel

Dans l'affaire n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015 (N° Lexbase : A4920NYU), le Conseil constitutionnel était saisi de deux demandes d'intervention qu'il a écartées... après qu'elles aient été versées à la procédure et que les intervenants aient été admis à présenter des observation orales en audience publique. C'est donc à la lumière des productions, après clôture de l'instruction, qu'elles ont été finalement écartées (2). La première pour défaut d'un "intérêt spécial" à intervenir, la seconde en ce qu'elle ne développait aucun grief à l'encontre des dispositions contestées telles que délimitées par le Conseil constitutionnel.

Cette dernière position repose sur deux pieds.

D'une part, la recevabilité d'une intervention doit s'apprécier au regard de l'objet de la QPC tel que le Conseil constitutionnel l'a délimitée et non tel qu'il résulte de la décision de renvoi. Ainsi que le précise le commentaire officiel, "en restreignant le champ de la QPC, le Conseil constitutionnel donne à celle-ci la portée qu'elle aurait dû avoir ab initio ou à laquelle le juge du filtre aurait dû la réduire ; il est donc normal que cette restriction rétroagisse et s'applique aux interventions".

D'autre part, la partie intervenante ne peut étendre le champ de la QPC. Elle peut bien entendu développer des moyens différents du requérant, mais ne saurait élargir le débat devant le Conseil constitutionnel.

B - Réserves d'interprétation

S'agissant de dispositions relatives aux modalités d'application de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, le Conseil constitutionnel a énoncé une réserve d'interprétation neutralisante en ces termes : "les dispositions contestées ne sauraient, sans créer de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que les salariés d'un groupement d'employeurs mis à disposition d'une entreprise utilisatrice soient pris en compte dans le nombre des bénéficiaires de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, lorsqu'ils sont dénombrés dans l'assiette d'assujettissement du groupement à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés" (Cons. const., décision n° 2015-497 QPC du 20 novembre 2015 N° Lexbase : A3248NXL). Cette réserve permet de préserver le principe d'égalité devant les charges publiques. Par clarté, le Conseil précise dans son commentaire que la formulation retenue permet de la lier au mode de prise en compte des salariés du groupement d'employeurs au dénominateur du ratio d'emploi des travailleurs handicapés "lorsqu'ils sont dénombrés dans l'assiette d'assujettissement du groupement à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés". Si bien qu'une telle réserve présente une portée ajustable, voire à durée déterminée ! Dans l'hypothèse où le législateur ferait un choix de comptabilisation des salariés d'un groupement d'employeurs mis à disposition d'une entreprise utilisatrice dans les seuls effectifs de cette entreprise, cette réserve serait neutralisée. En revanche, tant que ces salariés sont comptabilisés dans l'effectif du groupement d'employeurs, une telle réserve demeure valable.

Dans la décision n° 2015-503 QPC du 4 décembre 2015 (N° Lexbase : A4918NYS) concernant les effets de la représentation mutuelle des personnes soumises à imposition commune postérieurement à leur séparation, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation en ces termes : "les dispositions contestées porteraient une atteinte disproportionnée au droit des intéressés de former une telle réclamation si le délai de réclamation pouvait commencer à courir sans que l'avis de mise en recouvrement ait été porté à la connaissance de chacun d'eux ; que, sous cette réserve, les mots 'notifiés à l'un d'eux' figurant dans la seconde phrase de l'article L. 54 A du LPF (N° Lexbase : L8549AED), qui ne méconnaissent ni les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution".

L'application dans le temps les effets de cette réserve est assortie d'une double précision. D'une part, il est prévu qu'elle "n'est applicable qu'aux cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu établies à compter de la date de publication de la présente décision". D'autre part, afin de préserver l'effet utile de la réserve pour les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu établies antérieurement à la date de publication de la décision commentée et qui n'ont été notifiées qu'à un seul des anciens conjoints, le Conseil constitutionnel a considéré qu'il convenait de prévoir l'ouverture d'un délai de réclamation propre au débiteur qui n'a pas été destinataire de la décision d'imposition à compter du premier acte de recouvrement forcé.

C - La décision du Conseil constitutionnel et ses effets

1 - Autorité des décisions du Conseil constitutionnel

Les dispositions de l'article 62 de la Constitution sont invocables à l'appui d'une QPC visant à faire respecter une précédente décision QPC. Deux décisions de renvoi du 25 septembre 2015 (CE, n° 391331 N° Lexbase : A8501NPK et n° 392164 N° Lexbase : A8503NPM) l'avaient souligné en jugeant recevable un moyen tiré de ce que la disposition législative contestée méconnaît l'autorité de chose jugée qui s'attache, en vertu dudit article, aux décisions du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel confirme cette lecture dans sa décision n° 2015-504/505 QPC du 4 décembre 2015 (N° Lexbase : A4919NYT) qui, entre temps, a été reprise par le Conseil d'Etat (CE, 30 novembre 2015, n° 392473 N° Lexbase : A1508NYI).

Si l'article 62 de la Constitution ne peut être strictement qualifié de disposition définissant un "droit et liberté que la Constitution garantit", le non-respect d'une décision QPC du Conseil constitutionnel constitue, par nature, une atteinte au droit constitutionnel protégé par cette décision et, par hypothèse, une mise en cause du "droit et liberté" qui y avait été convoqué. On aurait mal compris que la QPC ne puisse permettre de vérifier, dans les cas sérieux, que le législateur a donné aux décisions du Conseil constitutionnel les suites qu'elles imposent sans, d'une façon ou d'autre, la contourner. Ce droit de suite constitue un atout majeur de la procédure QPC.

Dans l'affaire n° 2015-504/505 QPC précitée, le Conseil constitutionnel s'est trouvé saisi de la question de la conformité à la Constitution de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987, relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés (N° Lexbase : L3698IPN), dans sa rédaction issue du paragraphe I de l'article 52 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale (N° Lexbase : L2087IZC), au motif, notamment, "que les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaissent l'autorité de chose jugée qui s'attache, en vertu de l'article 62 de la Constitution, à la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-93 QPC du 4 février 2010 (N° Lexbase : A1688GRX) [...] soulèvent une question présentant un caractère sérieux".

Les requérants soutenaient, sur ce point, que les dispositions contestées portent atteinte à l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel en ce qu'elles rétablissent une condition qui a été abrogée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2011.

Il convient de rappeler que, dans sa décision n° 2010-93 QPC, le Conseil constitutionnel avait censuré la condition de nationalité énoncée par l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987. En pratique, du fait du renvoi opéré à l'article 2 de l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962, relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, prises en application de la loi n° 62-421 du 13 avril 1962, cette condition ne visait que les supplétifs ayant un statut civil de droit local et ayant fait le choix de conserver la nationalité française. Pouvait, dès lors, se poser la question de savoir si le législateur n'avait pas rétabli, par l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013, une condition analogue à celle ayant été précédemment censurée.

Le Conseil constitutionnel a répondu par la négative. Il juge qu'"en adoptant les dispositions contestées, le législateur n'a pas méconnu l'autorité qui s'attache, en vertu de l'article 62 de la Constitution, à la décision du Conseil constitutionnel du 4 février 2011".

Il ne s'agit pas là d'une simple lecture formelle, limité au constat que les dispositions contestées en 2015 ont été conçues en termes distincts de ceux censurés en 2011. La question a en effet pour objet les mots "de statut civil de droit local", tandis que le Conseil constitutionnel avait déclaré contraire à la Constitution les mots "qui ont conservé la nationalité française en application [...]".

La position retenue dans la décision n° 2015-504/505 QPC repose sur deux temps d'analyse.

D'une part, l'article 52 contesté ne pouvait être analysé comme un retour pur et simple à la situation antérieure à la censure opérée par la décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2011, puisque la condition d'acquisition de la nationalité française n'était pas rétablie. C'est l'élément le plus factuel du contrôle du respect de ses décisions : le Conseil constitutionnel relève précisément que la loi du 18 décembre 2013 n'a pas réintroduit, d'une façon ou d'une autre, une condition de nationalité.

D'autre part, la circonstance que les effets de la nouvelle condition puissent, dans certains cas, être proches de ceux de la condition précédemment censurée par le Conseil n'a pas conduit ce dernier à considérer que l'objet de la nouvelle disposition était similaire à celui de l'ancienne disposition. En d'autres termes, la loi du 18 décembre 2013 a prévu une condition d'une nature différente.

Cette lecture repose, dans un premier temps, sur l'interprétation téléologique des dispositions précédemment déclarées contraires à la Constitution. Ainsi que le soulignait le Gouvernement, elles avaient un double objet. L'un explicite, qui était de subordonner l'attribution de l'allocation à une condition de nationalité en énonçant que "seuls peuvent en bénéficier les membres des forces supplétives qui avaient conservé la nationalité française en application de l'article 2 de l'ordonnance précitée". Ces dispositions avaient aussi un objet implicite qui était de réserver cette allocation aux membres des forces supplétives soumis au statut de droit local. En effet, seuls ces derniers devaient faire une déclaration de reconnaissance, en application des dispositions de l'article 2 de l'ordonnance du 21 juillet 1962, pour conserver la nationalité française. Les membres des forces supplétives soumis au statut civil de droit commun la conservaient eux de plein droit.

Dans un second temps, il ressort clairement des motifs de la décision n° 2010-93 QPC que ces dispositions n'ont été déclarées contraires à la Constitution qu'en conséquence du motif retenant que le législateur "ne pouvait, sans méconnaitre le principe d'égalité, établir au regard de l'objet de la loi de différence selon la nationalité". Le Conseil constitutionnel ne s'était donc nullement prononcé sur la condition tenant au statut de droit local, qui n'était d'ailleurs pas contesté et qui ne ressortait pas clairement des dispositions déclarées contraires à la Constitution. Les dispositions prévoyant désormais explicitement une telle condition, en des termes qui excluent désormais toute exigence de nationalité, ne pouvaient ainsi être regardées comme ayant un objet analogue à celui des dispositions déclarées contraires à la Constitution pour avoir prévu une condition de nationalité. En conséquence, ainsi que le retient le Conseil constitutionnel, le législateur pouvait introduire une condition tenant au droit local sans méconnaître l'autorité de chose jugée.

2 - Effets dans le temps

a - Application immédiate aux instances en cours

De la même manière que dans les précédentes décisions de censure en matière de conditions d'ouverture d'une procédure collective, le Conseil a limité l'effet d'une censure à effet immédiat (notamment au regard de la complexité qui résulterait d'une application à des procédures collectives déjà ouvertes), en prévoyant qu'elle "est applicable à tous les jugements d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire à l'égard d'un dirigeant de droit ou de fait rendus postérieurement à cette date" (Cons. const., décision n° 2015-487 QPC du 7 octobre 2015 N° Lexbase : A7236NSS).

b - Report des effets de la décision

Le report des effets d'une décision d'inconstitutionnalité peut tenir au fait que l'abrogation à effet immédiat de la disposition incriminée aurait pour effet d'aggraver l'inconstitutionnalité constatée.

Ainsi, dans sa décision n° 2015-492 QPC du 16 octobre 2015 (N° Lexbase : A3693NTX), concernant les associations pouvant exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, le Conseil a relevé que l'abrogation des dispositions contestées "aura pour effet de faire disparaître, pour toute association ayant pour objet de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés, le droit d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité".

Il en est de même, dans sa décision n° 2015-494 QPC du 16 octobre 2015 (N° Lexbase : A3695NTZ), concernant une procédure de restitution, au cours de l'information judiciaire, des objets placés sous main de justice. L'application immédiate de cette annulation aurait eu pour effet de faire disparaître toute voie de droit permettant de demander, au cours de l'information, la restitution des biens placés sous main de justice. Dans cette affaire, le législateur se trouve devant une alternative qu'il est seul à pouvoir arbitrer : soit instaurer un délai, soit aligner le régime contesté aux autres demandes d'actes qui sont susceptibles d'être présentés.

Il en est de même, encore, dans sa décision n° 2015-499 QPC du 20 novembre 2015 (N° Lexbase : A3250NXN), dans laquelle l'abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait pu annuler ou empêcher la tenue d'un nombre important de procès d'assises, notamment pour l'ensemble des cours d'assises non équipées du matériel d'enregistrement des débats.

Il en est de même, enfin, dans sa décision n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015, s'agissant de la censure de dispositions relatives au respect du secret professionnel et des droits de la défense lors d'une saisie de pièces à l'occasion d'une perquisition.

Dans les première et dernière affaires citées, la date de l'abrogation des dispositions censurées est fixée au 1er octobre 2016 ; dans la deuxième, il s'agit du 1er janvier 2017 ; dans la troisième, il s'agit du 1er septembre 2016. Soit un délai respectivement d'un an, quinze mois, et onze mois. Cela illustre la marge d'appréciation discrétionnaire réservée au Conseil constitutionnel pour fixer, en tenant compte dans la mesure du possible des contingences, le temps imparti au législateur pour revoir sa copie et combler le vide juridique provoqué par l'abrogation.

On notera que, dans la décision n° 2015-492 QPC, de façon originale, le Conseil constitutionnel a suspendu "les délais de prescription applicables à la mise en mouvement de l'action publique par la partie civile en matière d'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi et au plus tard jusqu'au 1er octobre 2016". Il s'agit de préserver par projection l'effet utile de la déclaration d'inconstitutionnalité dans l'hypothèse où le législateur déciderait d'ouvrir la possibilité d'une mise en oeuvre de l'action publique pour certaines associations en ce qui concerne l'apologie de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Cette suspension des délais de prescription permet de préserver toute sa latitude de choix au législateur.

On notera aussi que, dans la décision n° 2015-506 QPC, le Conseil constitutionnel a conféré une portée utile à sa décision en édictant une réserve transitoire aux termes de laquelle : "les dispositions du troisième alinéa de l'article 56 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3895IRP) ne sauraient être interprétées comme permettant, à compter de cette publication, la saisie d'éléments couverts par le secret du délibéré".


(1) Lire nos obs., QPC : évolutions procédurales récentes, Janvier à Mars 2012, Lexbase Hebdo n° 245 du 9 mai 2012 - édition publique (N° Lexbase : N1731BTB).
(2) Voir déjà Cons. const., décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013 (N° Lexbase : A0762KBT).

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