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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 15 Octobre 2015
Si, dans un discours prononcé à Brest le 18 décembre 2014, le Premier ministre a entendu confirmer la "décision" de "transfert du siège social d'Ifremer" dans cette ville que son prédécesseur avait déjà annoncée le 13 décembre 2013, il y est spécifié qu'il s'agit d'un engagement à concrétiser. Par un courrier daté du 17 décembre 2014, les ministres de tutelle de cet établissement public, après avoir rappelé l'annonce du "principe d'un transfert du siège de l'Ifremer sur le pôle brestois" ont demandé à son directeur général de "préparer le transfert sur le campus Ifremer de Brest-Plouzané du siège". Ces annonces, qui sont dépourvues par elles-mêmes de tout effet juridique direct, ne révèlent pas l'existence d'une décision susceptible d'être attaquée par la voie du recours en excès de pouvoir. Dès lors, ces requêtes sont irrecevables et doivent être rejetées.
La propagande (électorale) a ceci de différent de la publicité qu'elle n'emporte aucune responsabilité quant aux discours, promesses et autres billevesées dispensées dans les meetings ou sur les marchés, bien que son cadre réglementaire soit des plus stricts. En effet, cette propagande est strictement encadrée par le Code électoral, mais uniquement au regard des moyens employés et non des propos tenus -liberté d'expression oblige, exception faite de la diffamation, etc.-. La jurisprudence, administrative comme constitutionnelle, est particulièrement riche, et montre que les irrégularités commises dans ce domaine conduisent, bien souvent, à l'annulation de l'élection. Si le citoyen lambda n'ira pas jusqu'à demander la tête du promettant, encore aurait-on pu penser qu'il puisse, dans un démocratie fondée, désormais, sur la communication politique, engager la responsabilité des pouvoirs publics, que ce promettant représente une fois élu, lorsque ses promesses non tenues emportent des conséquences réelles et graves sur leur quotidien.
A l'inverse, chacun sait que s'agissant des loteries publicitaires, la jurisprudence a considéré que l'annonce d'un gain d'argent par une société de vente par correspondance à sa cliente, reflétait la rencontre des consentements et l'engagement de cette société. Du coup, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer. Et l'on a même vu le tribunal d'instance de Lille condamner une société organisatrice de loteries, à non seulement délivrer le gain promis, mais aussi indemniser la victime au titre d'un "préjudice de déception". On n'imagine si publicité et propagande venaient à se confondre !
Heureusement, pour les politiques, l'article L. 52-1 du Code électoral veille au grain et pose le principe d'interdiction de la publicité par voie de presse.
Maintenant, ces promesses n'ont-elles véritablement aucun effet juridique, comme le prétend le Conseil d'Etat ?
Outre, le risque d'une déroute électorale aux prochaines élections, les engagements pris par un Gouvernement, avant même leur traduction législative ou réglementaire, peuvent emporter quelque effet juridique. L'exemple le plus topique relève en fait de la matière fiscale. D'abord, nombre de dispositifs fiscaux entrent en vigueur à compter des dates d'annonce de leur amendement ou de leur création, c'est-à-dire souvent lors de la présentation du projet de loi de finances. Mais l'on pourrait arguer que la loi fiscale, rétroactive presque par essence, fixe elle-même cette entrée en vigueur de manière anticipée : la hiérarchie des normes est sauve, la loi régularise le discours anticipé des gouvernants -au mépris du débat parlementaire-. Mais il y a mieux : la doctrine administrative -le BoFip- interprète et explicite, avant même que la loi ne soit adoptée, une simple promesse fiscale. Bien entendu, cette doctrine est, momentanément, contra legem, puisqu'elle va bien au-delà d'un texte législatif ou réglementaire qui n'existe même pas. Mais, d'une part, la loi adoptera finalement le dispositif étrangement selon les canons publiés par l'administration fiscale, elle-même -c'est là la cohérence de l'oeuvre du service de la législation fiscale- ; et, en réalité, personne, d'autre part, ne se plaindra d'une telle anticipation administrative, les dispositifs en cause concernant exclusivement des mesures de dépenses fiscales. Pour autant, voilà bien des promesses qui emportent intrinsèquement, même certes de manière indirecte, des effets juridiques.
Certaines initiatives populaires tentent, sur internet notamment, de recenser les promesses tenues et celles non tenues des candidats, une fois élus. Le besoin d'une concrétisation des engagements électoraux se fait de plus en plus pressant dans une démocratie de plus en plus médiatique. Il n'est donc pas incongru qu'un sursaut citoyen tente de responsabiliser des candidats ou gouvernants promettants, quand parfois le seul espoir qu'il reste à certains est la parole de leur représentant, la promesse d'un jour meilleur. Déjà, la Cour européenne des droits de l'Homme reconnaît que l'espérance légitime d'une créance ou d'un bien équivaut à ce bien lui-même et doit faire l'objet d'une protection spéciale, au titre des droits de l'Homme, sur le fondement de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH, relatif au droit de propriété. Certes, l'espérance légitime doit reposer sur une "base suffisante en droit interne". Assurément, nous dit le Haut conseil, une promesse politique n'est pas une base suffisante.
"De ses origines sentimentales, l'espérance (légitime) apporte au droit cette sensibilité qui renforce son effectivité", introduit encore Jean-Baptiste Walter. Mais, quelle est l'efficacité du droit, lorsque les pouvoirs publics peuvent renier leur parole et faire fi de leur promesses et discours électoraux, une fois élus ?
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