Lexbase Affaires n°438 du 1 octobre 2015 :

[Jurisprudence] Un aval nul ne vaut pas promesse de porte-fort

Réf. : Cass. com., 8 septembre 2015, n° 14-14.208, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5967NNC)

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N9143BU8

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

le 01 Octobre 2015

Une société, représentée par sa dirigeante, ouvre un compte courant auprès d'un établissement bancaire. Ce dernier lui consent une facilité de caisse par découvert en compte courant et une ligne de crédit de trésorerie permanente, qualifiée de crédit de campagne, de 100 000 euros sous la forme d'un effet de commerce à échéance à un mois, à chaque fois renouvelé. La dirigeante de la société garantit cet effet de commerce par le biais d'un aval. La banque dénonce les conventions et clôture le compte de la société. Elle assigne ensuite l'avaliste en paiement du dernier effet émis par la société.
En appel, la cour de Paris déclare l'engagement de la dirigeante valable, et la condamne à payer la somme de 100 000 euros à la banque (1). La cour fonde sa décision sur un processus intellectuel assez intéressant. Elle commence par relever que l'effet de commerce litigieux n'était pas valable : ne comportant aucune signature du tireur, l'acte ne valait pas lettre de change. Par voie de conséquence, il n'y avait pas d'aval cambiaire valable. Pour autant, la dirigeante a rédigé la mention manuscrite d'aval, et a signé. Selon la cour, cet aval irrégulier constitue un engagement personnel de la part de sa signataire, par lequel elle promettait à la banque que sa société paierait à l'échéance convenue. La cour en déduit que la dirigeante de la société s'est portée fort de l'engagement de cette dernière. Un tel engagement n'étant soumis à aucun formalisme particulier, il était valable. Le résultat promis, c'est-à-dire le remboursement par la société, n'étant pas atteint, la dirigeante doit indemniser la banque.
Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 8 septembre 2015, qui estime au visa des articles L. 512-1 (N° Lexbase : L6735AIB) et L. 512-2 (N° Lexbase : L6736AIC) du Code de commerce, et 1120 (N° Lexbase : L1208ABD) du Code civil que "l'aval d'un effet de commerce irrégulier en raison d'un vice de forme est lui-même nul et ne vaut pas promesse de porte-fort". Cette solution, même si elle n'est pas expliquée outre mesure par la Cour de cassation (la formule est assez lapidaire), se justifie tant par le recours à la théorie des nullités (I) que par le droit des sûretés (II).

I - La justification de cette solution par la théorie des nullités

Les faits illustrent parfaitement les nullités par voie accessoire, parfois dénommée nullités en cascade. L'effet de commerce était nul, en raison d'une irrégularité de forme. Le tireur n'avait, en effet, pas signé l'effet litigieux, contrairement à ce qu'impose l'article L. 511-1 du Code de commerce au sujet de la lettre de change, et l'article L. 512-1 du même Code pour le billet à ordre.

L'une des particularités du droit cambiaire est que la nullité de l'effet de commerce n'entraîne pas systématiquement celle de l'aval qui le garantit, contrairement au cautionnement. L'aval est valable alors même que l'obligation garantie serait nulle, pour toute cause autre qu'un vice de forme (C. com., art. L. 511-21, al. 7 N° Lexbase : L6674AIZ).

En l'espèce, il s'agissait précisément d'une nullité pour vice de forme, à savoir une absence de signature du tireur. Dès lors, en application des textes, l'aval litigieux ne pouvait lui-même être valable, ainsi que le remarquent fort justement la cour d'appel et la Cour de cassation.

La question est alors celle de savoir s'il est possible de tirer des conséquences de cet aval nul. La réponse semble aisée : Quod nullum est, nullum producit effectum (ce qui est nul ne produit aucun effet). L'acte nul étant censé n'avoir jamais existé, il semble difficile d'en dégager la moindre conséquence.

Il faut, cependant, reconnaître que cette position, aussi cohérente soit-elle, n'a pas toujours été appliquée par la Cour de cassation. Ainsi, par exemple, dans un arrêt de 1997, elle a estimé que le cautionnement solidaire de l'épouse, bien que nul, valait consentement exprès au sens de l'article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU) à l'engagement de caution de son conjoint (2).

En outre, dans les faits ayant donné lieu à l'arrêt commenté, l'aval est nul par ricochet, en raison de la nullité pour vice de forme de l'effet de commerce qu'il garantissait. En d'autres termes, l'acte n'était pas nul pour une cause intrinsèque. A partir de là, il aurait été possible de considérer que la manifestation de volonté de l'avaliste de garantir l'engagement était claire et non viciée; et qu'il était donc envisageable d'en tirer des conséquences juridiques. Un tel raisonnement est inconcevable lorsque la garantie est annulée pour un défaut intrinsèque ; il devient moins saugrenu lorsque l'acte annulé ne l'est que par voie accessoire, puisqu'il est parfait en lui-même.

La fiction liée à la rétroactivité de la nullité, qui aboutit à considérer que l'acte annulé est censé n'avoir jamais existé, doit cependant conduire à lui refuser toute conséquence.

La solution est également justifiée par le droit des sûretés.

II - La justification de cette solution par le droit des sûretés

L'idée de la cour d'appel de Paris de requalifier l'aval nul en porte-fort s'inscrivait dans une jurisprudence déjà ancienne, qui considère que lorsque l'effet de commerce est nul, son aval peut être requalifié en cautionnement de la promesse subsistante (3). La difficulté provient du fait que si l'aval doit alors être regardé comme un cautionnement, il faut évidemment qu'il en respecte les conditions de validité. Plus particulièrement, s'il est conclu par une personne physique au profit d'un créancier professionnel, l'acte devra alors comporter les mentions manuscrites exigées par les articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du Code de la consommation. La Cour de cassation a ainsi considéré que "l'aval porté sur un billet à ordre irrégulier [...] peut constituer un cautionnement ; qu'à défaut de répondre aux prescriptions [des articles L. 341-2 et L. 341-3], un tel cautionnement est nul" (4).

En l'espèce, l'aval, signé par une personne physique au profit d'un créancier professionnel, ne comportait pas les mentions manuscrites prescrites par ces textes. Demander la requalification en cautionnement ne servait donc pas les intérêts du créancier, puisque l'acte aurait été nul. C'est la raison pour laquelle le créancier, suivi en cela par la cour de Paris, invoquait une requalification de l'aval en promesse de porte-fort. Cette dernière n'est, en effet, soumise à aucun formalisme spécifique.

En retenant que "l'aval d'un effet de commerce irrégulier en raison d'un vice de forme est lui-même nul et ne vaut pas promesse de porte fort", la Cour de cassation rejette cette argumentation, et exprime clairement une idée fondamentale : le porte-fort ne se présume pas. Le donneur d'aval avait consenti un aval, et non une promesse de porte-fort. Il est impossible de déduire du consentement à l'un le consentement à l'autre.

Ce faisant, la Cour calque cet aspect de la promesse de porte-fort sur le cautionnement, qui, lui non plus, ne se présume pas (C. civ., art. 2292 N° Lexbase : L1121HID).

A ce sujet, qu'il nous soit permis de critiquer la jurisprudence initiée par l'arrêt précité du

24 avril 1990, et qui voit dans l'aval de l'effet de commerce nul un cautionnement. Puisque le cautionnement ne se présume pas, cette solution est juridiquement infondée. Elle pouvait encore se justifier lorsque la jurisprudence avait tendance à assimiler l'aval au cautionnement. Mais depuis que la Cour de cassation distingue nettement les deux garanties (5), il n'est guère soutenable que l'aval d'un effet nul puisse être perçu comme un cautionnement. De ce point de vue, la solution qui consiste à imposer les mentions manuscrites exigées par le Code de la consommation doit être défendue : si le garant a recopié les mentions telles qu'elles sont prévues par les articles L. 341-2 et L. 341-3, il y a incontestablement consentement exprès à conclure un cautionnement.

Toujours est-il que la Cour de cassation semble élaborer, progressivement, un régime juridique du porte-fort d'exécution (6). En considérant que, à l'instar du cautionnement, la promesse de porte-fort ne se présume pas, on en vient à espérer que la Cour construise un droit commun, un régime primaire, des sûretés personnelles.


(1) CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 9 janvier 2014, n° 12/10185 (N° Lexbase : A1340KTS), JCP éd. G, 2014, doctr. 635, obs. Ph. Simler ; RD bancaire et fin. 2014, n° 2, p. 49, obs. A. Cerles.
(2) Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 95-14.500, JCP éd. E, 1999, p.1583, obs. Ph. Simler.
(3) Cass. com., 24 avril 1990, n° 88-15.114 (N° Lexbase : A3717AH7).
(4) Cass. com., 5 juin 2012, n° 11-19.627, FS-P+B (N° Lexbase : A3795INU), D., 2012, p. 1604, obs. X. Delpech ; RTDCom., 2012, p. 603, obs. D. Legeais ; Droit & patrimoine, 2013, n° 222, p. 76, obs. Ph. Dupichot, Gaz. Pal. 19 et 20 sept. 2012, p. 17, note M.-P. Dumont-Lefrand, Banque et droit, 2012, n° 145, p. 16, obs. Th. Bonneau.
(5) Cass. civ. 1, 19 décembre 2013, n° 12-25.888, F-P+B (N° Lexbase : A7415KSG), D., 2014, p. 518, note J. Lasserre-Capdeville et G. Piette ; F. Julienne, L'aval n'est pas soumis au principe de proportionnalité, Lexbase Hebdo n° 367 du 23 janvier 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N0318BUC).
(6) Sur ce point, v. notre étude, Le porte-fort d'exécution : bilan et perspectives, Lexbase Hebdo n° 426 du 4 juin 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N7644BUN).

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