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par Philippe Delebecque, Professeur à l'Université Paris 1, Panthéon Sorbonne
le 24 Septembre 2015
Il est très heureux que le législateur envisage assez largement la théorie de la représentation, en considérant comme inopposable au représenté l'acte accompli par un représentant démuni de pouvoir, en interdisant à un représentant d'agir pour le compte des deux parties ou de contracter pour son propre compte avec le représenté (C. civ., nouv. art. 1160) -dont acte pour de nombreux agents immobiliers- et accordant au tiers qui se préoccupe de l'étendue des pouvoirs du représentant une action interrogatoire (C. civ., nouv. art. 1157).
Tout aussi original et bienvenu est le droit pour le créancier victime d'une exécution imparfaite du contrat auquel il est partie, d'accepter la situation et de réduire proportionnellement le prix (C. civ., nouv. art. 1223), ce qui devrait intéresser beaucoup de praticiens. On se réjouira aussi de voir consacrer le droit pour le cocontractant victime d'une "inexécution suffisamment grave" de résilier unilatéralement le contrat. Sortir du contrat lorsque le partenaire ne joue plus du tout le jeu est une solution intelligente et qui épargne aux parties des discussions et des délais interminables.
Malgré ces évolutions satisfaisantes qui sont certainement de nature à donner au droit français des contrats le nouvel élan dont il a besoin, on se permettra d'exprimer les réserves les plus extrêmes sur deux dispositions phares du projet.
D'abord sur l'article 1169 qui transpose dans tous les contrats la théorie des clauses abusives pourtant conçues pour les contrats de consommation. Le législateur a jugé bon de consacrer la jurisprudence récente concluant à la nullité de toute clause privant de sa substance l'obligation essentielle du débiteur (C. civ., nouv. art. 1168), ce qui renforce si besoin était, les solutions qui ont interdit, notamment, aux transporteurs rapides de se dispenser de leur obligation de célérité (affaire "Chronopost"). Est-il besoin d'aller plus loin encore et de permettre au juge de "supprimer une clause qui crée un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au contrat", à la demande du cocontractant au détriment de laquelle elle est stipulée ? Cette atteinte à la liberté contractuelle, pourtant érigée au rang de principe directeur du droit des contrats (cf. supra), est difficilement acceptable et remet en cause la foi que l'on doit avoir dans le contrat.
Est tout aussi critiquable l'article 1196 qui revient sur la jurisprudence "Canal de Craponne" (1) et donc sur l'un des plus grands arrêts de la jurisprudence civile dont le message était particulièrement clair : aux parties -et aux seules parties- de prévoir les changements pouvant venir bouleverser l'équilibre contractuel. Le contrat doit rester la chose des parties. Le juge ou l'arbitre est simplement là pour assurer son respect et non pour le refaire.
Ne parlons pas, non plus, de l'article 1163 permettant au juge de fixer, en cas d'abus, le prix d'un contrat de distribution ! La réforme va ici au devant de contentieux bien délicats.
On aurait préféré une réforme plus ciblée, tant il est vrai que certaines questions contractuelles font difficulté (cf. caducité de l'offre ; réalité de la violence économique ; rétractation d'une promesse unilatérale de vente ; conditions de la rupture unilatérale du contrat ; jeu de la faute lourde dans les clauses d'exonération...). Ce n'est pas l'option qui a été retenue. On peut le regretter, car le contrat est l'outil le plus approprié de régulation des rapports sociaux et sa réforme, à la supposer nécessaire, passe par un bilan objectif et par une large consultation des professionnels eux-mêmes et de ceux qui pratiquent le droit des contrats, qu'ils soient ou non spécialisés.
On l'aura compris, la réforme ne va pas de soi, contrairement à ce que certains disent. Au-delà de ces brèves remarques, deux observations complémentaires méritent d'être faites.
D'abord, sur la forme, sans parler des lourdeurs de style et des répétitions :
Pourquoi confondre contrat et convention (cf. C. civ., nouv. art. 1101) ?
Pourquoi réécrire l'article 1165 (N° Lexbase : L1267ABK), référence de tous les juristes, devenu un laborieux article 1200 ?
Pourquoi parler de déséquilibre "significatif" (C. civ., nouv. art. 1169) ? "Significatif" ne renvoie pas à important, mais à ce qui exprime un sens. Le langage moderniste et consumériste ne doit pas être celui du Code civil.
Pourquoi parler de "contenu" du contrat pour désigner la théorie de l'objet qui relève des conditions de validité du contrat ? Contenu renvoie, semble-t-il, aux obligations créées par le contrat et donc à la question du dénombrement de ces obligations et à celle de l'appréciation de leur force.
Pourquoi aussi ce vocabulaire médical ? En cas d'inexécution, on ne devrait plus parler de sanction, mais de "remèdes".
Sur la portée de la réforme, ensuite.
Un sentiment de défiance envers le Code civil de 1804 transpire à travers les nouvelles dispositions. Il faut abolir la théorie de la cause, prétendument incompréhensible, tout en la maintenant au détour d'un article sur les contrats à titre onéreux (C. civ., nouv. art. 1167), détruire le "Canal de Craponne", dont l'eau est pourtant toujours limpide, consacrer et donc figer la notion d'interdépendance contractuelle (C. civ., nouv. art. 1186, al. 2) dont on ne saisit pas les limites et surtout donner au juge un pouvoir qu'il ne souhaite sans doute pas et pour lequel il n'est pas préparé.
Cet esprit donne à croire que le droit français a fait jusqu'à présent fausse route, en tout cas sur le rôle du juge dans le contrat ou sur les conditions de validité même du contrat (C. civ., art. 1108 originaire N° Lexbase : L1014AB8). On ne saurait le partager car il laisse penser à ceux -nombreux- qui ont étudié le droit civil et qui l'ont pris pour modèle que ce modèle précisément n'était pas le bon.
La richesse du monde est dans sa diversité. Les Anglais sont d'excellents juristes. Ils ont leurs méthodes, leurs juges, particulièrement reconnus, leur common law. Les Français ont leurs principes, leurs notions, leur rationalisme, qui leur viennent de l'héritage romain, du Grand siècle et du siècle des Lumières, ce qui permet, du reste, de comprendre, comme l'avait si bien dit Réné David, que le droit des contrats est devenu causaliste, lorsqu'il a cessé d'être formaliste. La famille romano-germanique est une réalité. Beaucoup s'y reconnaissent et y sont fidèles : pensons à nos amis d'Amérique du Sud, d'Afrique et du Maghreb. Ne les lâchons pas, au prétexte que la modernité n'est plus dans le droit civil. Les enjeux de la réforme ne sont pas franco-français. Ils sont beaucoup plus larges : il ne faudrait surtout pas l'oublier en ouvrant une nouvelle page du Code des contrats qui doit rester avant tout un Code civil, c'est-à-dire rationnel et prévisible.
(1) Cass. Req., 6 mars 1876, DP, 1876, 1, p.193.
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