La lettre juridique n°622 du 23 juillet 2015 : Droit social européen

[Jurisprudence] La loi choisie par les parties à un contrat de travail international ne peut l'emporter sur la protection, par hypothèse, meilleure, assurée au salarié par les dispositions impératives de la loi qui aurait été compétente à défaut de choix

Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2015, n° 14-13.497, FS-P+B (N° Lexbase : A7526NMP)

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[Jurisprudence] La loi choisie par les parties à un contrat de travail international ne peut l'emporter sur la protection, par hypothèse, meilleure, assurée au salarié par les dispositions impératives de la loi qui aurait été compétente à défaut de choix. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/25498307-jurisprudencelaloichoisieparlespartiesauncontratdetravailinternationalnepeutlemporter
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par Jean-Pierre Laborde, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Membre du COMPTRASEC (UMR CNRS-Université n° 5114)

le 23 Juillet 2015

Qu'elle relève de la Convention de Rome du 19 juin 1980 (N° Lexbase : L1180ASI), ou, plus récemment, et pour les contrats conclus à partir du 17 décembre 2009, du Règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 dit "Rome I" (N° Lexbase : L7493IAR), la règle de conflit de lois du contrat de travail international est passablement complexe. C'est pour l'avoir apparemment oublié que la cour d'appel de Paris voit son arrêt du 9 janvier 2014 (CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 9 janvier 2014, n° 12/01294 N° Lexbase : A1252KTK) cassé pour défaut de base légale. L'arrêt, fermement énoncé, rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 9 juillet 2015, mérite au moins un rapide commentaire.
Résumé

Le juge ne peut écarter l'application de la loi française, sous prétexte que le contrat rédigé en espagnol stipule que s'appliqueront à ce contrat le statut des travailleurs espagnol et la convention collective espagnole des personnels de bureau et cabinets et que le contrat signé prévoit qu'il prendra fin dans les formes prévues par la loi belge, alors que le lieu d'exécution habituel du travail est en France, et sans rechercher, comme il lui était demandé, si les dispositions des lois belge et espagnole choisies par les parties et relatives aux différents chefs de demandes de la salariée, étaient plus protectrices que les dispositions impératives de la loi française qui aurait été applicable à défaut de ces choix.

Les faits de l'espèce. En, l'occurrence la salariée vivant et travaillant, pour l'essentiel, en France, était liée par deux contrats de travail à deux employeurs distincts, mais vraisemblablement très proches l'un de l'autre. Comme l'article 3 de la Convention de Rome, applicable en l'espèce, le leur permettait, les parties avaient désigné comme loi compétente pour le premier contrat, la loi espagnole, et pour le second, la loi belge. Par la suite, et à deux dates très rapprochées, ces deux contrats furent rompus par l'employeur, ce qui conduisit la salariée licenciée à saisir les juridictions françaises, en indemnisations diverses. Elle se vit opposer par ses employeurs des dispositions du droit espagnol et du droit belge, défavorables à son action, tant sur le terrain du délai pour agir, que sur celui du fond.

La salariée chercha alors, mais sans succès, à faire appliquer le droit français, en l'occurrence plus protecteur, par les juges du fond, en faisant, pour l'essentiel, valoir que le choix des lois étrangères lui avait été imposé par ses employeurs et que son consentement, sous l'effet de la contrainte et de la fraude, n'avait donc pas été réellement libre. La cour d'appel de Paris énonça, au contraire, qu'elle ne faisait pas la preuve de ces allégations.

La solution de la Cour de cassation. Il faut croire que la rédaction du pourvoi fut mieux inspirée et en tout cas recentrée, puisque le premier des deux moyens suffit à entraîner la cassation de l'arrêt d'appel dans son ensemble. Ce premier moyen fait valoir que, à supposer que les droits espagnol et belge aient été réellement applicables, il revenait au juge français de vérifier que les dispositions de ces législations étaient plus protectrices que celles de la loi qui aurait été applicable à défaut de choix, et qui était, en l'occurrence, la loi française. N'ayant aucunement fait ce travail de nécessaire comparaison, l'arrêt d'appel était donc dépourvu de base légale.

Ainsi énoncée, la motivation de l'arrêt de cassation est indiscutable et elle correspond en tous points à la combinaison des articles 3 et 6 de la Convention de Rome, qui est d'ailleurs explicitement reprise par la Cour de cassation. Il est, en effet, tout à fait exact que, selon l'article 3 de la Convention de Rome, article qui n'est aucunement propre au contrat de travail mais qui s'applique à lui comme à tous les autres contrats, les parties ont la liberté de choisir la loi applicable à leur contrat, pour tout ou partie de ce contrat, et sont également libres d'en changer. Mais il est tout aussi exact, cette fois-ci selon l'article 6 de la Convention, qui, lui, est propre au contrat de travail, que ce choix ne peut avoir pour effet de priver le salarié de la protection que lui assureraient les dispositions impératives de la loi qui aurait été applicable à défaut de choix.

Quelle eût été cette loi ? C'est ici au paragraphe 2 de l'article 6 de la Convention de Rome qu'il faut se référer, qui donne, en principe, compétence à la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail. Or, les employeurs eux-mêmes ne semblaient pas contester que la salariée fournissait l'essentiel de son travail en France. C'est au regard de la loi française qu'il aurait fallu que l'arrêt d'appel compare les protections, manifestement inférieures en l'espèce, des droits espagnol et belge. C'est donc bien pour ne l'avoir pas fait que l'arrêt d'appel est cassé.

La portée de l'arrêt. Arrivé à ce point de l'analyse, on pourrait être tenté de ne pas aller plus loin, la motivation ayant la force de l'évidence. Pour autant, et même s'il est justifié, l'arrêt du 9 juillet 2015 appelle quelques observations complémentaires.

La première est que, dans un contentieux relativement fourni, la question qu'il soulève n'est peut-être pas de celles qui surviennent le plus souvent (1). Ainsi les modalités, explicites ou implicites du choix de la loi, ou le rattachement en cascade en l'absence d'un tel choix -loi du lieu d'exercice habituel du travail, à défaut loi du lieu d'embauche à moins qu'une autre loi ne se détache en raison des liens plus étroits du contrat avec l'ordre juridique considéré (2)- ont, sans doute, davantage retenu l'attention des observateurs (3).

La deuxième est que, dans l'espèce, si l'existence d'un choix de la loi ne faisait guère de doute, c'est plutôt la qualité de ce choix qui était en cause. Et, si ici encore, ce n'est sans doute pas le problème le plus fréquent devant les tribunaux, on ne saurait s'étonner que le degré de liberté du consentement du salarié puisse être discuté en raison de l'infériorité économique dans laquelle il se trouve le plus souvent au moment de la conclusion du contrat et de la subordination juridique qui le caractérise lorsqu'il accepte un changement de la loi applicable, jusque là, au contrat.

La troisième est qu'il est heureux, pour la salariée en question, que la localisation en France du lieu d'accomplissement habituel du travail n'ait pas été réellement contestée par son employeur. Il est vrai qu'en l'occurrence cette contestation aurait eu, sans doute, peu d'aliment.

La quatrième tient à la règle de conflit elle-même. Il ne serait sans doute pas tout à fait exact d'affirmer qu'elle combine la compétence de la loi choisie par les parties et celle de la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail. La formulation précise de l'article 6 de la Convention de Rome laisse, en réalité, compétence à la seule loi choisie, étant cependant entendu que les dispositions de cette loi devront ensuite être comparées à celles de la loi qui aurait été compétente à défaut d'un tel choix. C'est alors un problème de prise en considération bien plus que de compétence de la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail.

Il reste que, la formulation retenue par la Chambre sociale n'est pas entièrement convaincante quand elle prescrit de rechercher si la loi choisie est plus favorable que la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail, alors que la formulation de la règle devrait plutôt inciter à rechercher si la loi choisie n'est pas moins protectrice que les dispositions impératives de la loi applicable à défaut de choix (5).

Une autre observation encore pour rappeler que les dispositions impératives dont il est question, ici, doivent être comprises comme l'ensemble des dispositions d'ordre public de l'ordre juridique considéré, et non pas seulement comme ses seules règles de police, et encore moins comme ses seuls principes fondamentaux (6). L'observation est importante pour le droit du travail (7) dont la plupart des règles, spécialement en matière de licenciement, sont en effet d'ordre public, et en ce sens, très large.

Une dernière observation, enfin, pour assurer que la solution eût été la même si le Règlement "Rome I" avait déjà été applicable, l'article 8 du Règlement ne modifiant pas en effet significativement le dispositif de l'article 6 de la Convention de Rome.


(1) Sur les différentes questions susceptibles de se poser, cf. notamment F. Jault-Seseke, Loi applicable aux salariés mobiles : la Cour de justice de l'Union européenne poursuit son travail d'interprétation de l'article 6 de la Convention de Rome, obs. sous CJUE 15 décembre 2011, aff. C-384/10 (N° Lexbase : A2895H8Q) ; RDT, 2012, 115.
(2) Convention de Rome du 19 juin 1980, art. 6 (N° Lexbase : L1180ASI) et Règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 dit "Rome I", art. 8 (N° Lexbase : L7493IAR).
(3) Encore faut-il préciser qu'un arrêt très récent de la Chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé, dans le même sens, que "le choix de la loi applicable ne peut priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix" (Cass. soc., 28 janvier 2015, n° 13-14.315, FS-D N° Lexbase : A7125NA7).
(4) On ne peut pas, en revanche, reprocher à la Chambre sociale de n'avoir pas indiqué les modalités adéquates de cette comparaison, puisque c'est l'absence d'une telle comparaison qui est à l'origine de la cassation.
(5) L'article 8.2 du Règlement "Rome I" est d'ailleurs, désormais, tout à fait explicite, puisqu'il prend bien soin d'énoncer que le travailleur ne peut être privé par un choix de la loi de la protection des dispositions de la loi applicable à défaut de choix "auxquelles il ne peut être dérogé par accord". Les règles impératives doivent donc être comprises comme toutes celles qui ne sont pas supplétives.
(6) Comp. F. Jault-Seseke, obs. sous Cass. soc., 4 décembre 2012, n° 11-22.166, FS-P+B (N° Lexbase : A5781IYR) ; RDT, 2013, 437.

Décision

Cass. soc., 9 juillet, n° 14-13.497, FS-P+B (N° Lexbase : A7526NMP)

Cassation (CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 9 janvier 2014, n° 12/01294 N° Lexbase : A1252KTK)

Textes concernés : Convention de Rome du 19 juin 1980 (N° Lexbase : L1180ASI) ; Règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 dit "Rome I" (N° Lexbase : L7493IAR).

Mots-clefs : droit du travail européen ; détermination de la loi applicable au contrat de travail ; lieu d'exécution habituel du travail ; dispositions impératives de la loi française applicable à défaut de choix des parties.

Lien base : (N° Lexbase : E5177EXZ).

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