Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 11 mai 2015, n° 372924, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8895NHW)
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par Christian Louit, Professeur agrégé des Facultés de droit et Avocat
le 25 Juin 2015
Les conditions formelles du dégrèvement étaient établies par les dispositions de l'article 1647 C quinquies précité : ces immobilisations devaient être identifiées dans la déclaration des bases de la taxe professionnelle déposée avant le 1er mai de l'année précédant celle de l'imposition (CGI, art. 1477 N° Lexbase : L0237HMQ).
Au cas présent, une société, qui avait omis cette obligation formelle, a demandé par voie de réclamation à bénéficier de ce dégrèvement. Cette demande était rejetée par l'administration fiscale au motif que ce dégrèvement ne pouvait être sollicité que dans la déclaration prévue à l'article 1477 du CGI, sans possibilité de régularisation ultérieure par voie de réclamation.
La cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 18 juillet 2013, n° 12VE01587) ayant donné gain de cause à la société, le ministre délégué chargé du Budget s'est pourvu en cassation.
L'omission commise par erreur dans la déclaration prévue à l'article 1477 du CGI pouvait-elle être corrigée par voie de réclamation classique (article L. 61 N° Lexbase : L8192AE7 et R. 196-1 N° Lexbase : L4380IXI et s. du LPF), ce que soutenait le contribuable et niait l'administration ?
L'arrêt du 11 mai 2015 confirme l'assouplissement intervenu depuis plusieurs années dans la jurisprudence administrative. Cet assouplissement peut peut-être s'expliquer par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et, subsidiairement, par le droit communautaire.
Le principal considérant de l'arrêt est le suivant : "considérant que les dispositions qui prévoient que le bénéfice d'un avantage fiscal est demandé par voie déclarative n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu par l'article R. 196-2 du LPF, sauf si la loi a prévu que l'absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu'elle offre une option entre différentes modalités d'imposition".
I - Une jurisprudence initialement favorable à l'interprétation administrative
Jusque dans les années 2000, la jurisprudence administrative était sévère : lorsque la loi prévoyait, par exemple, avant le premier janvier de l'année suivant celle de la création d'une entreprise nouvelle, une demande d'exonération ainsi qu'une déclaration provisoire des éléments entrant dans le champ de l'exonération, une entreprise nouvelle qui demandait en temps utile le bénéfice de l'exonération, mais déposait tardivement la déclaration provisoire perdait son droit à exonération. L'entreprise n'avait fourni la déclaration provisoire, qui devait être déposée avant le 1er janvier 1993, que le 28 avril de la même année (CAA Paris, 16 octobre 2001, n° 98PA02419 N° Lexbase : A6624BMB ; Doc. adm. 6 E-13-91, n° 34).
Il est vrai que, s'agissant de régimes de faveur, le juge développe, de façon générale, une jurisprudence stricte.
On peut relever dans le même sens un jugement du tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 26 mars 2002, n° 98LY01947) : "Le pouvoir réglementaire n'a pas excédé sa compétence en imposant des conditions de déclaration aux contribuables prétendant au bénéfice de l'avantage reconnu par la loi (réduction d'impôt sur le revenu) ; que le législateur n'était pas tenu de préciser que ces obligations étaient substantielles ; que l'administration n'a pas fait une inexacte application des obligations précitées en refusant la réduction d'impôt sollicitée, nonobstant la circonstance que les mentions manquantes ont été complétées dans une attestation produite le 27 novembre 1997 par le requérant et que les conditions de fond ouvrant droit à l'avantage fiscal étaient remplies".
Le juge applique donc ici strictement les obligations déclaratives ouvrant droit à un avantage fiscal et prévues par la loi ou le règlement : les réclamations ne peuvent alors aboutir.
II - Une jurisprudence assouplie
L'arrêt du 11 mai 2015 est la confirmation et la continuation d'un revirement de jurisprudence intervenu au milieu des années 2000.
Ce revirement laisse cependant subsister une interrogation plus générale.
A - Une jurisprudence plus favorable au contribuable
Le revirement jurisprudentiel s'amorce avec un arrêt du Conseil d'Etat du 6 novembre 2006 (CE 9° et 10° s-s-r., 6 novembre 2006, n° 279831, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2889DSS) : "considérant que l'article 74 Q de l'annexe II au CGI pris pour l'application de l'article 150 B du même code, en prévoyant que le contribuable doit formuler sa demande d'exonération en même temps que sa déclaration de revenus (il s'agit de plus-values immobilières), n'a pas entendu faire obstacle à ce que cette demande soit présentée, après l'expiration du délai de déclaration, par voie de réclamation au service des impôts, jusqu'à l'expiration du délai de réclamation imparti par l'article R. 196-1 du LPF" (voir également CAA Versailles, 18 juillet 2013, n°12VE01587).
Un arrêt du Conseil d'Etat du 16 juillet 2008 (CE 9° et 10° s-s-r., 16 juillet 2008, n° 300839, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7341D9R) précisait : "En l'espèce, en confiant au pouvoir réglementaire le soin de fixer des obligations déclaratives, le législateur n'a pas autorisé le pouvoir réglementaire à prévoir que le non-respect de ces obligations au moment de la déclaration d'impôts interdisait toute régularisation ultérieure par dérogation au droit général de régularisation".
Cet assouplissement jurisprudentiel comporte cependant des limites : "Considérant qu'en application du II de l'article 1383 F du CGI (N° Lexbase : L0169IKH), le redevable qui entend bénéficier de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue au I du même article doit souscrire une déclaration comportant tous les éléments d'identification du ou des immeubles exonérés, avant le 1er janvier de la première année à compter de laquelle il peut, au titre de l'immeuble concerné, bénéficier de l'exonération ; que si cette disposition ne peut avoir pour effet d'interdire à un contribuable, qui n'a pas souscrit cette déclaration dans le délai prescrit, de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu à l'article R. 196-2 du LPF, le redevable qui n' a pas rempli cette obligation déclarative ne peut prétendre à l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties en l'absence de régularisation complète dans ce dernier délai" (CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2014, n° 365574, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9192MGK) (1).
B - Cette jurisprudence que reprend et confirme l'arrêt du 11 mai 2015, laisse subsister à notre sens une interrogation
Rappelons le principal considérant, cité supra : "considérant que les dispositions qui prévoient que le bénéfice d'un avantage fiscal est demandé par voie déclarative n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu par l'article R. 196-2 du LPF, sauf si la loi a prévu que l'absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu'elle offre une option entre différentes modalités d'imposition".
La lecture de l'arrêt amène à confirmer certaines solutions établies et à poser une question. La jurisprudence est désormais bien établie sur la réaffirmation d'un droit général de réclamation (l'arrêt du 16 juillet 2008 précité confirme bien par exemple l'existence de ce droit général) dès lors que la loi ne prévoit pas de restriction à ce droit. De même, le pouvoir réglementaire agissant sur délégation du législateur ne peut établir de restriction à ce droit.
Le Conseil d'Etat écarte, en revanche, dans l'arrêt du 11 mai 2015, l'exercice de ce droit dans l'hypothèse d'une option. Nous sommes en effet ici en présence d'une décision de gestion, prise par le contribuable et qui lui est opposable.
Cependant, pour le Conseil d'Etat, le droit à réclamation est écarté "si la loi a prévu que l'absence de demande dans un délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage".
Il y a donc ici, du fait de la loi, refus du droit à l'erreur. On sait, par ailleurs, que, de façon traditionnelle, le juge administratif se reconnaît juge de l'application de la loi, mais non juge de la loi.
En conséquence, dans cette hypothèse, et tout au moins devant le juge administratif, une demande de correction de l'erreur commise et de contestation du dispositif législatif ne sera pas reçue.
N'est-on pas, dès lors, en présence d'une violation législative du droit de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne ayant établi très tôt le "droit au juge" (CJCE, 23 avril 1986, aff. C-294/83 N° Lexbase : A4581AWL, rec. 1339) ?
Ne sommes-nous pas de même en contradiction avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (article 6 § 1) qui protège également l'accès au juge, même si certaines restrictions étatiques sont considérées comme légitimes (CEDH, 21 février 1975, Req. 4451/70 N° Lexbase : A1951D7E, série A, n° 18) ? Ainsi, est considérée comme une atteinte au droit d'accès à un tribunal, en matière pénale, un délai trop court imparti pour se pourvoir en cassation (CEDH, 10 juillet 2001, Req. 40472/98 N° Lexbase : A7607AWN, JCP éd. G, 2002, II, 10034, note D. Raimondo).
C'est d'ailleurs le juge français (CA Versailles, 3 mai 2007, n° 05/9223 N° Lexbase : A9286DWT, AJDA, 8-9/07) qui énonce que le droit d'accès au juge défini par l'article 6 § 1 de la CESDH constitue "non seulement un droit mais une garantie fondamentale à vocation universelle à laquelle il ne doit pas être porté atteinte".
(1) Rappelons que l'article 29 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013, de finances rectificative pour 2013 (N° Lexbase : L7404IYU), a supprimé l'exonération de taxe foncière prévue par l'article 1383 F comme l'exonération de cotisation foncière des entreprises prévue par l'article 1466 E du CGI, à l'exception des exonérations en cours.
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