La lettre juridique n°618 du 25 juin 2015 : Sociétés

[Chronique] Chronique de droit des sociétés - Juin 2015

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N8034BU4

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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224)

le 25 Juin 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de droit des sociétés de Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224) (1) . L'auteur a sélectionné deux décrets des 18 mai 2015 (décret n° 2015-545 du 18 mai 2015, pris pour application de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, relative au droit des sociétés) et 3 juin 2015 (décret n° 2015-606 du 3 juin 2015) et quatre arrêts. Le premier arrêt concerne les associés de sociétés civiles qui n'ont aucun lien contractuel avec les cocontractants la société (Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-25.337, F-P+B). Le deuxième porte sur la garantie d'actif et de passif (GAP) et la connaissance du risque que peut en avoir le bénéficiaire, ce qui n'est pas de nature à faire échec à la GAP, sauf stipulation contractuelle inverse (Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13.234, F-D). Les deux derniers sont relatifs aux ventes d'actifs dans les sociétés : tantôt elles ne sont pas valables, lorsqu'elles portent atteinte à la poursuite de l'objet social (Cass. civ. 3, 2 juin 2015, n° 14-14.861, F-D), tantôt elles sont valables, lorsque précisément la poursuite de l'objet social n'est pas compromise malgré la vente des actifs (Cass. civ. 3, 2 juin 2015, n° 14-16.165, F-D).
  • Décret n° 2015-545 du 18 mai 2015, pris pour application de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés (N° Lexbase : L6362I87)

L'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 (N° Lexbase : L1321I4P) a apporté des modifications en droit des sociétés qui nécessitaient une intervention réglementaire en vue de les préciser. C'est chose faite avec un décret publié au Journal officiel du 20 mai 2015 (décret n° 2015-545 du 18 mai 2015, pris pour application de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés, prise en application de l'article 3 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises N° Lexbase : L6362I87).

Ce texte (2) vise d'abord l'opposabilité aux tiers des cessions de parts sociales composant le capital des SARL et des SNC. L'ordonnance de juillet 2014 avait légalisé la solution jurisprudentielle qui consistait à admettre l'opposabilité d'une telle cession même en l'absence de dépôt d'acte de cession au RCS, dès lors du moins que les statuts à jour -de la cession et donc de la nouvelle répartition du capital social- sont déposés au RCS (C. com., art. art. L. 221-14, al. 2 N° Lexbase : L8873I3Z). Le décret du 18 mai 2015 précise que, "en l'absence de publication des statuts modifiés au RCS, le cédant ou le cessionnaire peut, après mise en demeure du gérant d'effectuer cette publication, restée vaine au terme d'un délai de huit jours, et en justifiant de la saisine du président du tribunal en application de l'article L. 123-5-1 (N° Lexbase : L2182ATY) ou de l'article L. 210-7 (N° Lexbase : L5794AIG), déposer contre récépissé l'acte de cession de parts sociales au registre du commerce et des sociétés. A titre conservatoire et jusqu'à la décision du tribunal [du président du tribunal en réalité], ce dépôt rend la cession opposable aux tiers, sous réserve de l'accomplissement des formalités prévues à l'alinéa premier de l'article L. 221-14" (C. com., art. R. 221-9, nouv. réd. N° Lexbase : L6452I8H). S'agissant spécifiquement des SARL, le décret précise que c'est aussi bien le cédant que le cessionnaire de parts sociales qui peut procéder au dépôt de l'acte de cession (C. com., art. R. 223-13, nouv. réd. N° Lexbase : L6453I8I).

Ensuite, quant à la possibilité introduite par l'ordonnance de 2014 de demander au juge de proroger le délai de six mois pour l'approbation des comptes (C. com., art. L. 223-26 N° Lexbase : L8875I34) qui existait pour les SA (C. com., art. L. 225-100 N° Lexbase : L6003IS7) mais pas pour les SARL, le décret du 18 mai 2015 indique que le délai de six mois prévu pour la réunion de l'assemblée des associés peut être prolongé, à la demande du gérant (et semble-t-il à la seule initiative de ce dernier), par ordonnance du président du tribunal de commerce, statuant sur requête (C. com., art. R. 223-18-1, nouv. N° Lexbase : L6439I8Y).

En outre, le décret du 18 mai 2015 prévoit la faculté pour les SARL d'avoir recours à un envoi électronique pour la convocation de l'assemblée des associés et décrit les conditions de mise en oeuvre de cette formalité simplifiée. Ainsi, "la société qui entend recourir à la communication électronique en lieu et place d'un envoi postal pour satisfaire aux formalités prévues aux articles R. 223-18 (N° Lexbase : L0114HZA), R. 223-19 (N° Lexbase : L0115HZB) et R. 223-20 (N° Lexbase : L6454I8K) en soumet la proposition aux associés soit par voie postale, soit par voie électronique. Chaque associé peut donner son accord écrit par lettre recommandée ou par voie électronique, au plus tard vingt jours avant la date de la prochaine assemblée des associés. En cas d'accord, la convocation et les documents et renseignements mentionnés aux dits articles sont transmis à l'adresse indiquée par l'associé" (C. com., art. R. 223-20, al. 2 nouv.). "En l'absence d'accord de l'associé, la société a recours à un envoi postal [...]. Les associés qui ont consenti à l'utilisation de la voie électronique peuvent, par cette voie ou par lettre recommandée, demander le retour à un envoi postal vingt jours au moins avant la date de l'assemblée suivante" (C. com., art. R. 223-20, al. 3 nouv.).

Par ailleurs, le décret retouche l'information des actionnaires relative aux conventions réglementées. L'ordonnance de 2014 est venue préciser que l'autorisation préalable du conseil d'administration en présence d'une telle convention doit désormais être "motivée en justifiant de l'intérêt de la convention pour la société" (C. com., art. L. 225-38, al. 4 nouv. (LXB=L8876I37]). Le décret du 18 mai 2015 prévoit que le président du conseil d'administration (ou du conseil de surveillance) doit désormais communiquer aux commissaires aux comptes de la société "pour chaque convention et engagement autorisés, les motifs justifiant de leur intérêt pour la société, retenus par le conseil d'administration" (C. com., art. R. 225-30, al. 1er compl. N° Lexbase : L7369I8G) ou "par le conseil de surveillance" (C. com., art. R. 225-57, al. 1er compl. N° Lexbase : L6457I8N). Le rapport spécial des commissaires aux comptes destiné à l'assemblée doit également mentionner, désormais, ces motifs. De plus, ce rapport doit contenir "l'énumération des conventions et engagements conclus et autorisés au cours d'exercices antérieurs dont l'exécution a été poursuivie au cours du dernier exercice" (qui doivent à présent être examinées chaque année par le conseil d'administration, en application du nouvel article L. 225-40-1 N° Lexbase : L8862I3M issu de l'ordonnance), "ainsi que, le cas échéant, toutes indications permettant aux actionnaires d'apprécier l'intérêt qui s'attache au maintien des conventions et engagements énumérés pour la société, l'importance des fournitures livrées ou des prestations de service fournies et le montant des sommes versées ou reçues au cours de l'exercice, en exécution de ces conventions et engagements" (C. com., art. R. 225-31, 6° et 7° mod. N° Lexbase : L7368I8E et R. 225-58, 5° et 6° mod. N° Lexbase : L6458I8P).

Enfin, le décret du 18 mai 2015 comporte des dispositions de droit financier, sur certaines valeurs mobilières, en particulier la publicité propre aux actions de préférence et la conversion des actions de préférence. Sont ainsi prévus le dépôt du procès-verbal de l'assemblée ayant prévu le rachat (C. com., art. R. 123-108, 4° nouv. N° Lexbase : L6466I8Y), l'annulation ou conversion au plus tard dans le mois suivant la clôture de l'exercice (C. com., R. 225-132 N° Lexbase : L6467I8Z), le registre des achats et des ventes (C. com., art. R. 225-160-4, nouv. N° Lexbase : L6441I83), le rapport du conseil d'administration en cas de rachat d'actions de préférence sur le fondement du droit commun (C. com., art. R. 228-19 N° Lexbase : L6468I83), le rapport sur la conversion prévue dans les statuts à propos des actions convertibles (C. com., art. R. 228-20 N° Lexbase : L6469I84) et l'avis de rachat d'actions rachetables (C. com., art. R. 228-22-1, nouv. N° Lexbase : L6442I84).

  • Décret n° 2015-606 du 3 juin 2015, relatif au temps nécessaire pour les administrateurs ou membres du conseil de surveillance élus ou désignés par les salariés pour exercer leur mandat et aux modalités de leur formation au sein de la société (N° Lexbase : L7527I8B ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E3825EYC)

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU) a institué l'obligation pour les SA et les SCA par actions répondant à certains critères (de taille) de désigner au sein de leur conseil d'administration ou de leur conseil de surveillance un ou deux membres représentant les salariés. Des droits ont été accordés, par cette même loi, à ces représentants : ils doivent disposer du temps de travail nécessaire à l'exercice de leur mission et peuvent demander l'accès à une formation adaptée à l'exercice de leur mandat (C. com., art. L. 225-30-1 (N° Lexbase : L0617IX7) et L. 225-30-2 (N° Lexbase : L0618IX8). Un décret du 3 juin 2015 fixe le temps nécessaire à ces administrateurs ou membres du conseil de surveillance pour exercer leur mission et détermine les modalités de leur formation. Ses dispositions sont entrées en vigueur le 6 juin 2015 (C. com., art. R. 225-34-2 N° Lexbase : L7268I8P à R. 225-34-6, R. 225-60-2, nouv. N° Lexbase : L7605I88 et R. 226-1, mod. N° Lexbase : L7612I8G). Ainsi, pour exercer leur mandat de représentation au sein du conseil d'administration ou de surveillance et de ses comités, les intéressés doivent disposer d'un temps de préparation qui ne peut être inférieur à quinze heures ni supérieur à la moitié de la durée légale de travail mensuel par réunion du conseil ou du comité considéré. Le conseil doit déterminer ce temps de préparation en tenant compte de l'importance de la société, de ses effectifs et de son rôle économique et, le cas échéant, de l'objet de la réunion. Le temps consacré à l'exercice du mandat est considéré comme temps de travail effectif et doit être rémunéré comme tel à l'échéance normale. Par ailleurs, la formation des administrateurs ou des membres du conseil de surveillance doit leur assurer l'acquisition et le perfectionnement des connaissances et techniques nécessaires à l'exercice de leur mandat. Elle doit porter principalement sur le rôle et le fonctionnement du conseil d'administration ou de surveillance, les droits et obligations des membres de ce conseil et leur responsabilité ainsi que sur l'organisation et les activités de la société. Le conseil d'administration ou de surveillance doit déterminer, pour la durée du mandat, le contenu du programme de formation après avis des membres concernés. Le temps consacré à la formation est également déterminé par le conseil d'administration, sans pouvoir être inférieur à vingt heures par an, au cours du mandat. Ce temps est pris sur le temps de travail effectif et rémunéré comme tel à l'échéance normale. Un accord d'entreprise ou, selon le cas, de groupe peut comporter des dispositions plus favorables. Il est aussi prévu que le conseil d'administration, après avis des administrateurs concernés, détermine le ou les organismes ou centres de formation chargés de dispenser la formation. L'organisme ou le centre de formation délivre, à la fin de la formation, une attestation d'assiduité que l'intéressé remet à son employeur. Le coût de la formation, y compris les frais de déplacement au titre de celle-ci, sont à la charge de la société et ne sont pas pris en compte dans le calcul des sommes consacrées à la formation continue. Ces dispositions sont applicables aux membres représentant les salariés au conseil de surveillance

  • La société civile, l'associé et le cocontractant (Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-25.337, F-P+B N° Lexbase : A2305NKL ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E1155AWP)

Peu de temps après avoir jugé, pour la première fois, que l'associé d'une société civile, qui désintéresse un créancier social en application de l'article 1857 du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP), paie la dette de la société et non une dette personnelle (3), la Cour de cassation juge, le 2 juin 2015, selon la même logique, et conformément à une solution déjà énoncée en 2000, que les associés d'une société civile immobilière ne sont pas contractuellement liés à ceux avec lesquels la société a contracté. Ainsi, la qualité d'associé tenu aux dettes sociales ne modifie pas sa qualité de tiers au contrat conclu par la société, de sorte qu'il peut, en tant que tiers, rechercher la responsabilité délictuelle des cocontractants de la société en invoquant un manquement dans l'exécution de ce contrat pour obtenir la réparation de son préjudice, et non pas leur responsabilité contractuelle, en conséquence de quoi son action se prescrit par dix ans après la manifestation du dommage.

En l'espèce, une SCI a confié à trois architectes la maîtrise d'oeuvre pour l'édification d'un ensemble immobilier. Après la mise en liquidation judiciaire de la SCI, son gérant et associé a été condamné à payer une certaine somme en sa qualité d'avaliste de lettres de changes souscrites dans le cadre de cette opération et une autre somme en comblement de passif. Invoquant des manquements commis par les architectes à leurs obligations contractuelles, il les a assignés ainsi que leur assureur et le liquidateur de la SCI, afin d'obtenir réparation de son préjudice. Les juges du fond avaient jugé son action contre les trois architectes prescrites. Au contraire, l'associé gérant faisait valoir que l'associé d'une société civile, lorsqu'il invoque un préjudice personnel et distinct, peut engager une action en responsabilité contractuelle à l'encontre du contractant de la société qui, par sa faute, a causé le préjudice, si bien que la cour d'appel n'aurait pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1843-5 (N° Lexbase : L2019ABE) du Code civil. Mais son pourvoi est rejeté.

La solution, juridiquement fondée et incontestable, est intéressante à trois titres. D'abord, sur le terrain de l'effet relatif des contrats, elle reprend au mot près un arrêt de cassation rendu au visa de l'article 1165 du Code civil (4). Elle découle de la personnalité morale de la société : certes, les associés de SCI sont tenus aux dettes sociales de manière conjointe et indéfinie, mais la société n'est pas moins un être juridiquement distinct, si bien que ses créanciers et ses cocontractants ne sont pas ceux de ses associés, même si ceux-ci peuvent être mis à contribution, subsidiairement. Ensuite, sur le terrain de l'action individuelle, étant donné que société et associés sont juridiquement distincts, ces derniers peuvent souffrir d'un préjudice personnel et ainsi en obtenir réparation. L'écran de la personnalité morale, même très étanche, permet une telle action (5). Il est rare toutefois, en pratique, qu'elle aboutisse, tout comme d'ailleurs dans les sociétés à risque limité, le préjudice individuel étant toujours très difficile à prouver. Enfin, concernant la prescription, la loi de 2008 ayant aligné nombre de prescriptions, dont celle contractuelle et délictuelle en matière de responsabilité civile, désormais de cinq ans, la question de la prescription est aujourd'hui devenue sans objet, pour tous les litiges postérieurs à l'entrée en vigueur de ladite loi. Néanmoins, la question se posait dans cette affaire, les faits étant antérieurs à la réforme de la prescription.

  • Garantie de passif et connaissance par son bénéficiaire des faits susceptibles d'affecter de manière substantielle les actifs qui y étaient visés (Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13.234, F-D N° Lexbase : A8766NH7 ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E0638EU8)

A la suite d'une cession de droits sociaux, le bénéficiaire d'une GAP en demande la mise en oeuvre. Elle la lui est refusée par les juges du fond au motif qu'il avait réalisé un audit de la société avant d'en acquérir les titres, qu'il se prévalait d'une spécialisation dans le domaine informatique et qu'il ne rapportait pas la preuve de manoeuvres du cédant destinées à le tromper. En d'autres termes, parce qu'il avait eu une connaissance précise du risque, les juges avaient décidé d'exclure l'acquéreur du champ de la garantie conventionnelle. L'arrêt est cassé au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) : "attendu qu'en statuant ainsi, alors que par la convention du 26 juillet 2006, [la cédante] avait garanti que toutes les informations qui y figuraient étaient exactes, sans distinguer selon que le bénéficiaire de la garantie avait ou non connaissance des faits susceptibles d'affecter de manière substantielle les actifs qui y étaient visés, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat et violé le texte susvisé".

La solution n'est pas nouvelle (6), un créancier, même de mauvaise foi, n'en demeurant pas moins un créancier (7). Au regard de l'article 1134 du Code civil, elle est imparable. Pour autant, sur le fondement de ce même texte, il est possible de faire échec à cette jurisprudence et ce, par le contrat lui-même. En effet, s'il n'y a pas lieu de distinguer selon que le bénéficiaire est au courant ou pas du fait générateur de la GAP, c'est uniquement lorsque le contrat lui-même ne distingue pas. Or le contrat peut tout à fait opérer cette distinction. Tout comme doit-il, nous semble-t-il, prévoir la déchéance de la garantie (8). Car s'il ne prévoit ni l'un, ni l'autre, la garantie jouera pleinement dans tous les cas (9). La doctrine souligne qu'"il reste à savoir quelle doit être l'ampleur de la révélation et donc de la déception : doit-elle être totale et constituer ainsi pour l'acquéreur une mauvaise surprise ; ou bien peut-elle être seulement partielle, le cessionnaire pouvant connaître avec précision le risque finalement réalisé ?" (10). Il reste également la question du degré d'implication dans la connaissance du fait générateur. Elle peut être objectivement prévue : à l'instar de la déchéance qui peut être prévue pour une simple formalité non accomplie, ou par exemple un seul jour de retard dans le déclenchement de la garantie, la simple connaissance par le bénéficiaire peut suffire pour qu'il soit déchue de sa garantie. En d'autres termes, la mauvaise foi du créancier, même minime, peut l'empêcher de bénéficier de la GAP. Un créancier, même de mauvaise foi, reste créancier, sauf si le contrat prévoit de sanctionner sa mauvaise foi par la perte de sa qualité de créancier. Toujours d'un point de vue contractuel, n'est-il pas possible, par ailleurs, de prévoir différents faits générateurs, du moins grave au plus grave ? En indiquant "sans distinguer selon que le bénéficiaire de la garantie avait ou non connaissance des faits susceptibles d'affecter de manière substantielle les actifs qui y étaient visés", l'arrêt le sous-entend. Il pourrait donc bien être distingué entre les atteintes substantielles et celles non substantielles. Simplement, les atteintes non substantielles ne sont pas, a priori, de nature à déclencher la GAP. Le contrat peut tout oublier. Le contrat peut tout prévoir. Néanmoins, la précision comporte un risque : que la rédaction du contrat se retourne contre le rédacteur lui-même. Sans compter la phase de négociation, essentielle lorsque les rédacteurs, avec ou sans pression de la part de leurs clients, souhaitent rédiger de la meilleure des manières qu'il soit la GAP.

  • Vente de l'unique actif d'une SCI jugé contraire à l'intérêt social (Cass. civ. 3, 2 juin 2015, n° 14-14.861, F-D N° Lexbase : E9979A7Q ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E1781CT7)

Est contraire à l'intérêt social et doit être annulée, la décision prise par l'assemblée générale ordinaire de la vente de l'immeuble entraînant la fin de la pérennisation du seul actif de la SCI, alors que l'accord des associés pour conclure le contrat social s'était fait essentiellement sur cette pérennisation, conduisant inéluctablement à sa dissolution. Voilà ce que juge la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2015, dans lequel l'AGO des associés avait décidé de vendre l'immeuble qui constituait le seul actif de la SCI, rejetant le pourvoi contre l'arrêt d'appel ayant annulé la délibération qui avait décidé de la vente de l'immeuble.

La vente de l'unique actif d'une société n'est pas en soi fautive, ni même interdite, dès lors du moins qu'elle ne compromet pas la poursuite de l'objet social. La jurisprudence s'est depuis longtemps déjà prononcée en ce sens, dans le contentieux des cessions de fonds de commerce, cession souvent décidée par le gérant seul, nonobstant d'éventuelles clauses limitatives de ses pouvoirs. Ainsi, dans l'arrêt "Villa Les Sources" (11), la Cour de cassation a-t-elle admis l'efficacité d'une promesse de vente portant sur une maison de repos puisque la société avait pour objet l'exploitation de "toute maison de repos". En revanche, elle avait censuré la cour d'appel de Paris pour ne pas avoir recherché si "la cession de son fonds de commerce par le gérant n'impliquait pas une modification des statuts quant à la détermination de l'objet social [...]" (12).
De même, dans la célèbre affaire du "Journal de Doullens", la Cour de cassation avait-elle jugé inefficace l'acte de cession portant sur ledit journal exploité par la SARL, car l'objet statutaire était l'exploitation d'un hebdomadaire du même nom (13).

Au cas d'espèce, ce n'est pas tant au regard de l'objet social, à propos duquel les statuts stipulaient "la propriété [...] de tous immeubles urbains ou ruraux, bâtis ou non bâtis [...]" que l'accord des associés qui se trouvait contrarié par ladite vente. En effet, la vente de l'immeuble entraînait la fin de la pérennisation du seul actif de la SCI, alors que l'accord des associés pour conclure le contrat social s'était fait essentiellement sur cette pérennisation. On observe ainsi un glissement de l'objet social vers l'accord des associés. Peu importe ; l'essentiel est de rechercher si la vente porte atteinte ou pas soit à la poursuite de l'objet social, soit à l'accord des associés qui ici s'était fait sur la pérennisation dudit immeuble. En réalité, poursuite de l'objet social et accord des associés sont intimement liés. A ce titre, comme il est relevé plus loin dans l'arrêt, "la vente envisagée au profit de la société hôtelière ne relevait pas de l'objet social de la SCI". Voilà ce qui est reproché : la vente de l'unique actif à un hôtel qui jusqu'à présent n'était que locataire de cet actif. Autrement dit, la SCI n'avait été constituée que dans le but de détenir la propriété d'un immeuble loué à un hôtel. Si bien que décider de vendre l'immeuble conduisait inéluctablement à la dissolution de la SCI. Parce que contraire à l'intérêt social, la vente était illégale. Elle a donc été annulée, la société n'étant pas engagée puisque nemo censitur ignorare legem. On relèvera, en outre, une suspicion de transfert ou de détournement d'actif : l'acheteur -la société hôtelière- n'était autre qu'une société gérée par le même gérant que celui officiant au sein de la SCI. La vente de l'unique actif pouvait donc faire raisonnablement craindre sa fuite de manière frauduleuse (14).

  • Vente de l'actif d'une SCI jugée conforme à l'intérêt social car ne compromettant pas la poursuite de l'objet social (Cass. civ. 3, 2 juin 2015, n° 14-16.165, F-D N° Lexbase : A2091NKN ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E1781CT7)

Contrastant avec la solution précédente, la même formation (troisième cambre civile) de la Cour de cassation a, au contraire, jugé dans cet arrêt que la vente des trois immeubles d'une SCI était valable.

Il s'agissait d'une SCI constituée entre un père de famille et ses trois enfants, lesquels possédaient chacun le quart du capital social. La SCI avait pour objet l'acquisition, l'administration et l'exploitation de tous immeubles et, éventuellement et exceptionnellement, l'aliénation des immeubles devenus inutiles à la société. L'un des enfants avait assigné ses associés et la société en annulation des résolutions des assemblées générales ordinaires ayant décidé la vente de trois immeubles de la société, en nomination d'un administrateur provisoire et en indemnisation. Mais son pourvoi est rejeté. D'une part, "ayant retenu que seuls les associés pouvaient apprécier le caractère utile ou non du bien dont la vente était envisagée, que les délibérations litigieuses, qui n'avaient pas été prises au profit exclusif des associés majoritaires et n'entraînaient aucune rupture d'égalité entre les associés, n'avaient pas pour objet ni pour effet de céder l'intégralité de l'actif social et que la société, qui restait propriétaire d'immeubles et avait la possibilité d'en acquérir d'autres, conservait son objet social, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises et qui a pu en déduire que les demandes d'annulation et d'indemnisation formées par M. Bernard [P.] devaient être rejetées, a légalement justifié sa décision de ce chef". D'autre part, "ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que la société, qui restait propriétaire d'immeubles et avait la possibilité d'en acquérir d'autres, conservait son objet social et que la divergence d'appréciation portée par M. Bernard [P.] sur les intérêts de la société par rapport à celle de ses associés ne caractérisait pas une atteinte à son fonctionnement, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise et qui a pu en déduire que la demande de désignation d'un administrateur provisoire devait être rejetée, a légalement justifié sa décision de ce chef".

La solution est différente de précédemment car la situation est différente. Autant précédemment la vente de l'unique actif de la société compromettait sa pérennisation, autant ici la vente des trois immeubles n'avait aucune incidence sur la poursuite de l'objet social. Ces deux arrêts du 2 juin 2015 s'inscrivent donc parfaitement dans la lignée des décisions rendues antérieurement par la Cour de cassation en matière de poursuite d'objet social en cas de vente d'actif social (15).


(1) bastien.brignon@univ-amu.fr ou bastien.brignon@free.fr.
(2) BRDA 10/2015, inf. 25 ; B. Dondero, Décret pris pour l'application de l'ordonnance relative au droit des sociétés (D. n° 2015-845, 18 mai 2015), JCP éd. E, 2015, act. 432 ; du même auteur, étude sur le décret, à paraître au JCP éd. E, 2015 ; R. Mortier et M. Roussille, Le décret du 18 mai 2015 : dispositions relatives aux titres et aux opérations sur titres, Dr. sociétés, juillet 2015, étude 13 ; M. Roussille, Dr. sociétés, juillet 2015, comm. 129, 130 et 131.
(3) Cass. civ. 3, 6 mai 2015, n° 14-15.222, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5368NHB), B. Saintourens, Obligation aux dettes de l'associé de société civile : l'associé paie une dette de la société et non une dette personnelle, Lexbase Hebdo n° 425 du 28 mai 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N7522BU7) ; Dr. sociétés, juillet 2015, comm. 127, note H. Hovasse ; Journal des sociétés, juin 2015, chron. CEDI, obs. A. Cerati-Gauthier, p. 51 ; Ann. des Loyers, 6/2015, p. 76, nos obs.
(4) Cass. 3ème civ, 8 nov. 2000, n° 95-18.331, publié (N° Lexbase : A7743AHA), Bull. civ. III, n° 168 ; D. 2000, AJ p. 444, obs. A. Lienhard ; Dr. sociétés, février 2001, comm. 21, note Th. Bonneau ; Bull Joly Sociétés, février 2001, p. 190, note F.-X. Lucas ; D., 2002, Somm. p. 478, obs. J.-C. Hallouin ; JCP éd. G, 2001, II, 10450, concl. J.-F. Weber, note Y. Chartier ; LPA, 7 mai 2001, n° 90, p. 12, note D. Gibirila ; LPA, 22 mai 2001, n° 101, p. 20, note O. Salati ; RDI, 2001, p. 248, obs. F. Magnin. Cf. égal. Cass. civ. 3, 12 juin 2002, n° 00-19.207, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9059AY8), Bull. civ. III, n° 134 ; BICC, 1er octobre 2002, n° 926, et les obs. ; D., 2003, Somm. 1288, obs. Lemée ; JCP éd. G, 2003, II, 10005, note Rakotovahiny ; Defrénois, 2002, 1312, obs. Ch. Atias : les membres d'une personne morale de droit privé (association syndicale libre) ne sont pas responsables à l'égard des tiers du passif de cette personne morale, dont le patrimoine est distinct de celui de ses membres.
(5) Cass. civ. 3, 22 septembre 2009, n° 08-18.7850, F-D (N° Lexbase : A3474ELA), D., 2009, AJ 2342 ; RTDCom., 2009, p. 750, obs. Cl. Champaud et D. Danet ; Dr. sociétés, 2010, n° 1, note M.-L. Coquelet (1ère esp.) ; LPA, 20 janvier 2010, note J. Granotier.
(6) Cass. com., 14 décembre 2010, n° 09-68.868, F-D (N° Lexbase : A2619GNC) ; Dr. sociétés, 2011, comm. 44, note M.-L. Coquelet ; RTDCom., 2011, p. 359, note A. Constantin et p. 371, obs. P. Le Cannu et B. Dondero.
(7) Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-14.768, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A2234DXZ) ; Dr. sociétés, 2007, comm. 180, note H. Hovasse ; JCP éd. G, 2007, II, 10154, note D. Houtcieff ; D., 2007, p. 2839, note P. Stoffel-Munck et p. 2844, note P.-Y. Gautier ; RDC, 2007, p. 1107, note L. Aynès et p. 1110, note D. Mazeaud ; RTDCom., 2007, p. 786, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ; RTDCiv., 2007, p. 773, obs. B. Fages ; Defrénois, 2007, art. 38667, note E. Savaux.
(8) CA Versailles 10 mars 2015 n° 13/05649 (N° Lexbase : A9898NCL) : est valable la clause prévoyant la déchéance d'une garantie de passif pour non-respect par le bénéficiaire du délai d'information du garant dans le seul cas où ce dernier a ainsi été privé d'un recours.
(9) Cass. com., 20 janvier 2015, n° 13-28.266, F-D (N° Lexbase : A2711NAN) ; nos obs. in de droit des sociétés - Février 2015 (3ème com.), Lexbase Hebdo n° 412 du 12 février 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N5905BUA).
(10) En ce sens, Dr. sociétés, juillet 2015, comm. 126, note R. Mortier (sous Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13.234, F-D).
(11) Cass. com., 29 janvier 1979, n° 77-11.302 (N° Lexbase : A3378AG9), Bull. civ. IV, n° 35 ; JCP éd. E, 1979, II, 13184, obs. M. Dagot.
(12) Cass. com., 18 octobre 1994, n° 92-21.485 (N° Lexbase : A4888ACZ) ; Dr. sociétés, 1995, comm. 16 ; Rev. sociétés, 1995, p. 284, note F. Pasqualini et V. Pasqualini-Salerno ; JCP éd. G, 1994, IV, 2576 ; D., 1994, inf. rap. p. 250 ; Bull. Joly Sociétés, 1994, p. 1330, note B. Saintourens ; Defrénois, 1994, art. 35954, p. 1546, obs. H. Hovasse ; RTDCom., 1995, p. 141 ; RJDA 2/95, n° 161. Confirmé par Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-15.489, F-D (N° Lexbase : A8965IBN) ; Dr. sociétés, avril 2012, comm. 62, note M. Roussille : la cession de fonds de commerce ne relève pas des pouvoirs légalement réservés aux associés. Elle entre dans les pouvoirs du gérant, dès lors qu'elle n'implique pas une modification des statuts. Le gérant peut ainsi engager la société dans une promesse synallagmatique de cession du fonds, sans l'accord préalable de l'assemblée.
(13) Cass. com., 12 janvier 1988, n° 85-12.666 (N° Lexbase : A6415AAT), Bull. civ. 1988, IV, n° 24 ; Rev. sociétés, 1988, 263, note Y. Chaput ; Bull. Joly Sociétés 1988, p. 212, note L. Faugérolas.
(14) V. déjà Cass. com., 2 mai 1990, n° 88-15871, publié (N° Lexbase : A4131AG4), Bull. civ. IV, n° 131: doit être cassé l'arrêt qui met hors de cause une société constituée, à l'époque de la liquidation d'une autre société, entre l'épouse et le fils du gérant de cette dernière en retenant qu'aucun élément n'autorisait à affirmer péremptoirement qu'elle ait joué un rôle personnel dans l'anéantissement du patrimoine et des activités ou ait disposé, en parfaite connaissance de cause, des éléments ayant constitué le fonds de commerce géré par cette société distincte alors qu'il résultait de ses constatations qu'elle avait été créée en vue de recueillir les éléments d'actif frauduleusement soustraits à l'autre société.
(15) Notion sur laquelle v., nos obs. L'actif social - Plaidoyer pour la reconnaissance de la notion, préf. J. Mestre, PUAM, 2009.

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