La lettre juridique n°618 du 25 juin 2015 : Procédure pénale

[Jurisprudence] L'enfant, un témoin comme les autres ?

Réf. : Cass. crim., 2 juin 2015, n° 14-85.130, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9225NII)

Lecture: 9 min

N8030BUX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] L'enfant, un témoin comme les autres ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/24882827-jurisprudence-lenfant-un-temoin-comme-les-autres
Copier

par Marie Le Guerroué, Rédactrice - Droit privé

le 25 Juin 2015

L'enfant est-il, au sein de la procédure pénale, un témoin comme les autres ? C'est ce que semble affirmer la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 2 juin 2015 (Cass. crim., 2 juin 2015, n° 14-85.130, FS-P+B+I). Par cet arrêt, la Cour vient prendre le contre-pied d'une jurisprudence que l'on pouvait penser, jusque là, établie. Elle affirme, désormais, que les dispositions de l'article 205 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1652H4X), prohibant les témoignages des enfants dans les instances en divorce, ne sont pas applicables devant la juridiction pénale. En l'espèce, le mari avait été poursuivi pour de multiples faits de violences sur son épouse. Une procédure de divorce avait été introduite par celle-ci et une ordonnance de non-conciliation était intervenue. La cour d'appel de Poitiers était, par la suite, entrée en voie de condamnation pour violences aggravées. L'époux condamné forme, alors, un pourvoi en cassation et reproche, particulièrement, à la juridiction d'appel de s'être, pour le déclarer coupable, fondée sur le témoignage de ses enfants. Il énonce, à l'appui de son argumentation, que la prohibition de ces témoignages est l'expression d'un principe fondamental applicable devant les juridictions pénales. Dès lors, deux solutions se présentaient aux juges du droit : préserver une règle fondamentale, justifiée par "un soucis de décence et de protection des intérêts moraux de la famille" ou faire primer la liberté de la preuve et, par conséquent, la répression des violences conjugales. Le juge choisit, ici, la seconde solution. Il affirme que la prohibition des témoignages des enfants dans les instances en divorce, n'est pas applicable devant la juridiction pénale (I) renforçant ainsi, et de manière opportune, le principe de la liberté de la preuve dans le contexte des violences conjugales (II). I - La recevabilité pénale des témoignages des enfants du couple en instance de divorce

L'article 205 du Code de procédure civile ne pourra, désormais, plus outrepasser les frontières de la matière civile. La Cour, dans l'arrêt commenté, vient circonscrire sa portée à ce seul contentieux (A) et considérer, contrairement à sa jurisprudence antérieure, que le lien familial est sans effet sur la recevabilité des témoignages des descendants (B).

A - Le domaine limité de l'article 205 du Code de procédure civile

Le législateur a, depuis 1804, toujours exclu le témoignage des descendants dans une procédure de divorce (1). Ainsi, l'article 205 du Code de procédure civile est explicite : "les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l'appui d'une demande en divorce ou en séparation de corps". Le terme "jamais" soulignant, s'il en était besoin, la stricte portée de l'interdiction.

La jurisprudence fait une rigoureuse application de ce principe. Elle refuse, par exemple, l'attestation du conjoint ou concubin des descendants (Cass. civ. 2, 30 septembre 1998, n° 96-21.110 N° Lexbase : A5147ACM ; Cass. civ. 2, 10 mai 2001, n° 99-13.833 N° Lexbase : A4294AT9), les attestations rapportant les propos tenus par l'enfant (Cass. civ. 2, 23 mars 1977, n° 76-11975 N° Lexbase : A6723CIT ; Cass. civ. 1, 3 novembre 2004, n° 03-19.079, F-P N° Lexbase : A7749DDD) ou, encore, les lettres adressées par un parent à son enfant (Cass. civ. 2, 5 juillet 2001, n° 99-15.244 N° Lexbase : A1346AUE ; Cass. civ. 2, 23 janvier 2003, n° 01-12.117, F-P+B N° Lexbase : A7302A49).

La cour d'appel de Bordeaux a, néanmoins, rappelé que cette prohibition ne s'appliquait qu'au seul cadre de la procédure en divorce ou en séparation de corps (CA Bordeaux, 16 janvier 2013, n° 11/06198 N° Lexbase : A2444I3W, Dr. Famille, 2013, comm. 62, P. Bonfils). Elle a donc déduit de cette exigence la recevabilité du témoignage d'un descendant dans le cadre d'une demande d'ordonnance de protection pour violences conjugales, sur le fondement de l'article 515-9 du Code civil (N° Lexbase : L7175IMP).

Si la règle s'applique sans encombre en matière de divorce, son invocation en matière criminelle pouvait, quant à elle, intriguer au regard, notamment, de l'autonomie affirmée de la procédure pénale. La Cour de cassation a, néanmoins, consacré son application, dans un arrêt du 5 février 1980 (Cass. crim., 5 février 1980, n° 79-90.936 N° Lexbase : A1489CGA), affirmant que "la preuve est libre en matière répressive hors les cas où la loi en dispose autrement, et qu'il en est ainsi de l'interdiction du témoignage des descendants sur les griefs invoqués par les époux à l'appuie d'une demande en divorce" et que "si la prohibition figure dans un texte étranger à la procédure pénale  [elle] n'est que l'expression, reprise de textes législatifs antérieurs, d'une règle fondamentale, qui ne saurait être tournée par le recours à une poursuite pénale". L'interdiction du témoignage des descendants avait donc, pour les juges du droit, valeur de règle fondamentale applicable à la matière pénale. Cette exception prétorienne avait été, depuis, confirmée par la Chambre criminelle (cf., Cass. crim., 4 janvier 1985, n° 82-93066 N° Lexbase : A9702CE3). Les juges du droit n'imposaient qu'une seule limite : que les descendants n'aient pas été personnellement victimes des faits sur lesquels ils déposaient (Cass. crim., 4 février 1991, n° 89-86.575 N° Lexbase : A5067ABB) (2).

Dans l'arrêt commenté, les Hauts magistrats reviennent sur le caractère fondamental de la règle de l'article 205 du Code de procédure civile. La règle, par cette décision, perd quelque peu de sa substance car elle pourra, désormais, être contournée par le recours à une poursuite pénale. Rien n'empêchera le conjoint qui le souhaite de se procurer, par cette voie dérivée, des éléments de preuve initialement prohibés par la procédure civile.

B - Le lien familial sans incidence sur la recevabilité des témoignages

Cette prohibition générale et absolue, saluée par la doctrine (3), se justifie par "un souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille" (4). Car témoigner dans le cadre d'un contentieux parental, place nécessairement l'enfant mineur ou majeur dans un conflit de loyauté inextricable et fait de lui l'arbitre du conflit parental. En outre, le risque d'instrumentalisation de l'enfant par l'un de ses parents n'en serait que renforcé. La Chambre criminelle faisait, jusque là, sienne cette justification.

Fort de cette exception, le pourvoi reprenait donc in extenso la règle de droit jurisprudentiellement consacrée à l'appui de son argumentation. En l'espèce, un des enfants du couple avait rapporté les violences exercées, à plusieurs reprises, par son père sur sa mère à son institutrice. Dans son arrêt, rendu le 12 juin 2014, la cour d'appel de Poitiers avait, pour retenir la culpabilité du mari, admis la recevabilité des témoignages. Le pourvoi en avait, par conséquent, déduit qu'en fondant sa conviction sur ces témoignages, la cour d'appel avait violé ledit principe. A tort, selon les juges du droit, qui reviennent par cette décision sur une jurisprudence de trente cinq ans et affirment, désormais, que les descendants peuvent être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l'appui d'une demande en divorce ou en séparation de corps dans le cadre d'une procédure pénale. L'existence d'un lien familial ne fait plus obstacle à la recevabilité de ces témoignages.

Certains auteurs avaient pu voir un premier revirement dans un arrêt, rendu par la Chambre criminelle, le 21 février 2006 (Cass. crim., 21 février 2006, n° 05-84.015, F-P+F N° Lexbase : A4339DNZ) (5). Ledit arrêt avait confirmé la décision d'irrecevabilité des témoignages de la cour d'appel mais avait, cependant, noté une motivation erronée de la part de cette dernière, relative "à la prohibition du témoignage des descendants, laquelle n'était pas applicable en l'espèce, en l'absence de griefs invoqués à l'appui d'une demande en divorce ou en séparation de corps". La décision, si elle était sans incidence sur l'espèce, divisait la doctrine quant à son interprétation (6). L'arrêt commenté fixe, dorénavant, la règle.

En accueillant les témoignages des enfants du couple, la Haute juridiction vient, opportunément, restaurer la liberté de la preuve testimoniale en procédure pénale (II). Le lien familial étant désormais sans incidence.

II - La consécration opportune du principe de liberté de la preuve

L'attendu de principe de la Cour de cassation vient renforcer le principe de la liberté de la preuve en matière pénale et, ainsi, faciliter l'administration de la preuve dans le contexte particulier des violences conjugales. Une initiative opportune en raison du caractère décisif des témoignages (A) et qui vient donner une nouvelle interprétation de la protection de la famille au sein de la procédure pénale (B).

A - Le caractère décisif du témoignage des descendants

La quête de la vérité est un des enjeux majeurs du procès pénal. Le principe de la liberté de la preuve, qui profite à l'accusation comme à la défense, en constitue nécessairement le vecteur essentiel. Le principe est consacré par l'article 427 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3263DGX) qui dispose que : "hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve". A ce titre, le juge pénal est tenu de prendre en considération tout mode de preuve. C'est en référence à ce principe majeur que les magistrats de la Cour de cassation rejettent, dans l'arrêt commenté, le pourvoi.

La portée d'un tel revirement doit néanmoins être précisée, car, une telle consécration, au-delà de rappeler un principe fondamental, trouve particulièrement sa justification dans sa concrétisation pratique.

Si le témoignage des descendants est recevable, il semble peu probable que les juges fondent leurs décisions sur ce seul élément. La valeur probante des déclarations du cercle familial étant, de par leur nature même, très relative. Si ces preuves ne sont pas déterminantes en elles-mêmes, elles peuvent, en revanche, le devenir en venant étayer un faisceau de preuves.

Dans le contexte des violences conjugales, l'administration de la preuve est particulièrement délicate. Ces violences spécifiques se déroulent, majoritairement, dans l'intimité du domicile familial, à l'abri des regards. Il est donc peu aisé d'en rapporter la preuve. La seule production des certificats médicaux, établis a posteriori, est, insuffisante à démontrer la réalité des violences, le lien de causalité entre les faits de violences et les blessures devant être rapporté (7). Les enfants se révèlent souvent être les seuls témoins, visuels ou auditifs, des faits et leurs témoignages peuvent venir corroborer les certificats médicaux. Tel est le cas dans l'arrêt commenté. En l'espèce, les déclarations de l'enfant, reprises par la cour d'appel, étaient extrêmement circonstanciées : "Papa a pris Maman par la veste, l'a tapée contre le mur" ; "Papa a poussé Maman contre la voiture, il a dit qu'elle avait fait cela toute seule, il a menti" ; "J'ai peur que Papa se fâche contre Maman et la tape".

Aussi, si le témoignage des enfants a intrinsèquement une valeur limitée, il est, en revanche, décisif pour établir la réalité des violences. L'admissibilité des témoignages de l'enfant a, probablement, été, en l'espèce, déterminante pour retenir la culpabilité du père. Elle vient, en tout état de cause, opportunément justifier un revirement de jurisprudence.

B - Une nouvelle interprétation de la protection de la famille

La jurisprudence antérieure considérait que l'irrecevabilité du témoignage des descendants se justifiait, "par souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille". Il serait cependant excessif de considérer que, désormais, la liberté de la preuve en droit pénal prime sur la protection des intérêts moraux de la famille. Car, si l'attendu de la Cour de cassation ne laisse aucun doute sur la portée formelle de la règle, son caractère attentatoire à la protection morale de la famille peut, lui, être nuancé, particulièrement, dans le contexte spécifique des violences conjugales. Le droit pénal protège la famille et ses membres dans leur moralité comme dans leur intégrité. Dès lors, deux options se présentaient aux juges : préserver la neutralité de l'enfant ou assurer l'application du droit pénal garant de l'intégrité des membres de la famille. Les juges choisissent la seconde solution.

Si la première victime des violences conjugales est bien évidemment le conjoint qui en a souffert, les violences créent, également, chez l'enfant un traumatisme (8). Face à ces violences, il est à la fois témoin et victime (9). La protection de la famille, dans l'arrêt commenté, réside, pour la Cour, bien plus dans la condamnation des violences que dans la préservation de la neutralité des descendants. Par cette décision, la Cour modifie l'interprétation qu'elle avait pu faire de l'intérêt familial. Les magistrats viennent réaffirmer que la sphère privée n'est pas une zone de non-droit et que la famille n'est plus, pour la justice, constitutive d'une forteresse impénétrable (10).

Si la position de la Cour de cassation est louable, il aurait, peut-être, été judicieux de conditionner une telle solution aux seuls cas d'atteinte à l'intégrité des membres de la famille. Car, si la condamnation des violences conjugales doit être effective, on ne pourra que regretter que, par cette décision, la Cour fasse de l'enfant du couple un témoin comme les autres...


(1) Plus récemment, la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 (N° Lexbase : L2150DYB) réformant le droit du divorce a d'ailleurs ajouté à l'article 259 du Code civil (N° Lexbase : L2824DZM) : "toutefois, les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux".
(2) Cass. crim., 4 février 1991, n° 89-86.575 (N° Lexbase : A5067ABB) ; JCP éd. G, 1992, II, 21915, note Chambon ; RSC, 1992, 115, obs. Braunschweig ; RTDCiv., 1991, 505, obs. Hauser).
(3) P. Murat et al., Droit de la famille, Dalloz, 2015, p. 250 ; Cass. Crim. 4 février 1991, n° 89-86.575, RSC, 1992, 115, obs. Braunschweig.
(4) V., not., Cass. civ. 2, 23 mars 1977, n° 76-11975 (N° Lexbase : A6723CIT).
(5) F. De Saint-Pierre, Guide de la défense pénale, 2014, p. 586.
(6) Y. Mayaud, La preuve des violences conjugales, RSC, 2006, p. 830 ; C. Girault, Difficile preuve de la violence conjugale, AJ. pénal, 2006, 264 ; F. De Saint-Pierre, op. cit..
(7) V., part., l'arrêt du 21 février 2006 précité.
(8) C. Gatto, L'intérêt de l'enfant exposé aux violences conjugales, RTDCiv., 2014, p. 567 ; Le législateur conscient de cette réalité prend, de plus en plus, en considération l'enfant spectateur des violences, not., dans le cadre de l'ordonnance de protection comme en témoigne l'insertion dans l'article 515-9 du Code civil d'une disposition prévoyant que "lorsque les violences exercées au sein du couple [...] mettent en danger [...], un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection".
(9) V., particulièrement, sur ce point, R. Cario, L'enfant exposé aux violences familiales, Vers un statut spécifique ?, L'Harmattan, 2015.
(10) V., M. Couturier, Les évolutions du droit français face aux violences conjugales, De la préservation de l'institution familiale à la protection des membres de la famille, Dialogue, 2011, n° 191, p. 67.

newsid:448030

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.