Lexbase Droit privé - Archive n°617 du 18 juin 2015 : Divorce

[Chronique] Chronique de droit du divorce - Juin 2015

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N7902BU9

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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var

le 18 Juin 2015

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique mensuelle de droit du divorce, réalisée par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var. Les deux arrêts qui ont retenu l'attention de l'auteur, ce mois-ci, concernent, le divorce pour faute, le plus demandé, et l'adultère, l'une des fautes les plus invoquées. Les juges rappellent régulièrement que les époux doivent avoir des relations sexuelles seulement entre eux... (CA Versailles, 7 mai 2015, n° 13/07873). Ils rappellent aussi, plus rarement, que les conjoints doivent avoir vraiment des relations sexuelles entre eux (CA Paris, 16 avril 2015, n° 13/16028). "Le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune" (C. civ., art. 242 N° Lexbase : L2795DZK). Les devoirs et obligations du mariage, dont le non-respect peut constituer une faute, ne sont pas limités à ceux expressément prévus par les articles 212 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L1362HIB). Les juges apprécient cette notion largement et considèrent que les époux doivent agir conformément à leur intérêt commun et à celui des enfants.

Ont par exemple été jugés fautifs :

- le fait de rendre le domicile conjugal inhabitable, par la prolifération d'animaux (1) ;

- le comportement gravement déloyal de l'épouse envers son mari, les deux époux exerçant des activités professionnelles concurrentes (2) ;

- l'insistance procédurière de l'épouse, devant le juge des tutelles, à l'effet de placer son mari sous un régime de protection, cela s'analysant en une injure grave (3) ;

- le fait d'avoir des activités syndicales particulièrement absorbantes, entraînant des absences prolongées (4) ;

- le fait, pour un mari, d'avoir changé de sexe, à la suite d'une opération chirurgicale (5), ainsi que l'attitude tendancieuse de l'époux ayant des relations extra-conjugales homosexuelles et une tendance au travestissement (6), à l'époque où le mariage homosexuel n'était pas admis.

S'agissant des relations sexuelles, deux comportements peuvent entraîner un divorce pour faute : le fait d'en avoir avec un tiers, c'est-à-dire le non-respect de "l'obligation de fidélité", et le fait de ne pas en avoir avec son conjoint, soit le non respect de "l'obligation conjugale".

Comme pour tous les comportements qu'un époux peut reprocher à l'autre, le non-respect de l'obligation de fidélité entraîne un divorce pour faute, aux torts de l'époux infidèle, à moins que les circonstances dans lesquelles l'adultère a été commis lui enlèvent le caractère de gravité qui peut en faire une cause de divorce. Cela relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Les décisions peuvent paraître surprenantes, notamment lorsqu'un enfant nait de l'adultère.

N'a pas été jugée fautive, par exemple, l'épouse qui avait eu un enfant avec un tiers, dès lors que son mari refusait d'en avoir un, ceci ne relevant pas d'un choix des époux (7).

De même, dans une affaire où une épouse avait eu une liaison pendant le mariage et où un enfant en était issu, le mari, qui avait eu connaissance de l'adultère et l'avait pardonné, lui reprochait, d'une part, de lui avoir assuré d'avoir mis un terme à cette relation alors qu'elle avait maintenu une double vie et habitait désormais avec son amant et, d'autre part, d'avoir attendu deux ans après la naissance de l'enfant pour l'informer qu'il n'en était pas le père, l'empêchant ainsi d'exercer éventuellement une action en contestation de paternité légitime. Selon lui, "non seulement sa femme l'avait trompé, par la présence de l'enfant adultérin, mais [...] au surplus elle s'était moquée de lui pendant toutes ces années alors qu'il essayait d'assumer son infortune vis-à-vis de ses collègues de travail, du voisinage et de sa famille, en entretenant une fausse relation de mariage pour conserver les avantages offerts par la vie avec lui tout en s'offrant la vie qu'elle souhaitait avec son amant". L'épouse, au contraire, arguait que, l'enfant étant métis, son conjoint avait toujours su qu'il n'en était pas le père biologique et l'avait traité comme son fils en toute connaissance de cause. De plus, ni la date à laquelle son épouse l'avait informée de ce qu'il n'était pas le père l'enfant, ni le fait que celle-ci avait continué sa liaison après la naissance n'était démontrée. Pour les juges du fond, et cela relevait de leur appréciation souveraine, la faute de l'épouse avait seulement consisté à renouer avec son amant pour vivre avec lui. Cela avait ainsi causé à l'époux un préjudice moral certain (évalué à 5 000 euros), alors qu'il avait pardonné l'adultère (8).

Dans un arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, le 7 mai 2015 (arrêt commenté), il a été jugé que le fait d'avoir caché l'existence d'un autre enfant était fautif.

En l'espèce, un couple s'était marié en 1978 et avait eu deux enfants. La cour d'appel a estimé que l'attitude de l'époux, consistant à nier l'existence d'un autre enfant pendant 22 ans, démontrait un comportement injurieux à l'égard de l'épouse, restée dans l'ignorance. En 2013, un JAF avait déclaré l'épouse mal fondée en sa demande en divorce, sur le fondement de l'article 242 du Code civil (N° Lexbase : L2795DZK), et prononcé le divorce pour altération définitive du lien conjugal. La femme a interjeté appel de cette décision. Elle alléguait que son mari avait entretenu une relation extra-conjugale, pendant de nombreuses années, de laquelle était né un enfant en 1989, et qu'il avait niée pendant le mariage. Elle lui reprochait, également, un second adultère, qui avait conduit à la séparation du couple en 2006. L'époux répondait que l'épouse n'avait eu connaissance de ces faits qu'après la séparation des conjoints. Cette relation n'avait donc eu aucune incidence sur la rupture du couple, déjà consommée depuis plusieurs années. L'article 242 du Code civil ne pouvait trouver application.

La cour d'appel a retenu qu'il était établi que l'époux avait eu une relation extra-conjugale, en 1988, dont était née une fille, en 1989. L'épouse n'avait eu connaissance de cette relation que postérieurement à la séparation, bien qu'elle ait constaté des virements bancaires au profit de la maitresse de son mari dès 2003. Cette attitude, qui consistait à nier l'existence d'un autre enfant né 10 ans après le mariage, et ce pendant 22 ans, démontrait, selon la cour, un comportement injurieux de la part de l'époux, à l'égard de son épouse, constitutif d'une violation grave des devoirs et obligations nés du mariage, mais aussi renouvelée par le nombre d'années qui se sont écoulées pendant lesquelles épouse et enfants avaient été dans l'ignorance de l'existence d'une seconde cellule familiale, dans un autre pays. La cour d'appel a donc réformé le jugement. Elle a prononcé le divorce aux torts exclusifs l'époux et condamné ce dernier à verser 10 000 euros de dommages et intérêts à son épouse, pour le préjudice moral subi du fait de la découverte fortuite de l'existence d'un autre enfant.

Le fait de cacher l'existence d'un enfant adultérin est une faute, au sens de l'article 242 du Code civil, même si, lorsque le conjoint bafoué le découvre, les époux sont déjà séparés. La cour d'appel a expressément relevé que ce comportement était constitutif d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage et était imputable au conjoint défendeur, conformément aux deux premières conditions posées ce texte. Elle a sous entendu que la troisième condition était remplie, pour qu'un divorce pour faute soit retenu : le comportement de l'époux avait rendu intolérable le maintien de la vie commune.

Les juges rappellent ainsi que les époux doivent avoir des relations sexuelles seulement entre eux... ils rappellent aussi, plus rarement, que les conjoints doivent vraiment avoir des relations sexuelles entre eux.

Selon l'article 215 du Code civil (N° Lexbase : L2383ABU), les époux s'obligent à une communauté de vie. Or, cette dernière implique une communauté de toit (l'obligation de cohabitation) et une communauté de lit (le devoir conjugal). Cette communauté de vie, et notamment le devoir conjugal, est justifiée par le fait que l'un des buts du mariage est la procréation. Elle a pour corollaire le devoir de fidélité lequel, en imposant aux conjoints de ne pas avoir de relations sexuelles avec des tiers, permet à l'article 312 du Code civil (N° Lexbase : L8883G9U) de présumer que l'enfant né d'une femme mariée a pour père le mari.

Néanmoins, aussi importante soit-elle, la procréation n'est pas une condition du mariage (sinon les mariages posthumes ou in extremis n'existeraient pas). L'inaptitude d'un des conjoints à procréer peut être invoquée pour demander la nullité du mariage, pour erreur sur les qualités essentielles de la personne (C. civ., art. 180 N° Lexbase : L1359HI8) (9), mais ne constitue pas une faute, cause de divorce (10). De même, des magistrats ont considéré qu'il ne pouvait pas être reproché à une femme d'avoir refusé de se prêter à une fécondation in vitro (11). En revanche, la même cour a estimé que le fait de refuser de suivre un traitement médical ordinaire était fautif (12). Le devoir conjugal prime lorsque l'atteinte au respect du corps humain est légère et s'efface en cas de traitement médical lourd. Inversement, le fait de concevoir un enfant contre la volonté de son mari n'est pas constitutif d'une faute, au sens de l'article 242 du Code civil (13), sauf circonstances particulières, tel le décès de deux précédents enfants en bas âge, l'attitude de l'épouse constituant alors un manquement au devoir de loyauté (14).

Liée à la procréation, la consommation du mariage soulève des difficultés. La non-consommation de l'union ou la limitation dans les rapports intimes, imposée par l'un des conjoints à l'autre, est parfois jugée fautive. La jurisprudence l'admet depuis longtemps (15). En 1996, par exemple, dans une affaire où une épouse, qui prétendait être dépressive, refusait d'avoir des relations sexuelles avec son conjoint, la cour d'appel d'Amiens a jugé que s'il était admissible de refuser des relations sexuelles à son conjoint pendant quelques semaines, cela ne l'était plus quand le refus s'était installé pendant plus d'une année et qu'il n'était pas prévu d'y mettre fin un jour. Il s'agissait, selon les magistrats, d'une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage, rendant intolérable le maintien de la vie commune et justifiant que le divorce fût prononcé aux torts de la femme (16). De même, en 2011, la cour d'appel d'Aix en Provence a prononcé le divorce aux torts exclusifs d'un mari, et a condamné celui-ci à verser 10 000 euros de dommages et intérêts à l'épouse, pour absence de relations sexuelles pendant plusieurs années (17).

En avril 2005, la cour d'appel de Paris a estimé que l'absence ou la limitation des rapports charnels ne saurait constituer, en soit, une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage (arrêt commenté). En l'espèce, un couple était marié depuis 1992 et, en juillet 2013, un JAF avait prononcé le divorce aux torts de l'épouse. Cette dernière avait interjeté appel et demandé à la cour de prononcer, aux torts exclusifs de l'époux, à titre principal, la séparation de corps et, à titre subsidiaire, le divorce. Elle invoquait, notamment, la limitation des rapports intimes, du fait de l'absence d'érection de son mari à laquelle il n'a jamais cherché à remédier. Elle contestait, en outre, la violence morale et l'humiliation retenues par le premier juge pour prononcer le divorce à ses torts.

Pour que la cour confirme le jugement, l'époux invoquait la volonté de sa femme de porter atteinte à son honneur et de lui nuire, ainsi que son caractère difficile et les excès que celui-ci pouvait entraîner. Le grief de non consommation du mariage, invoqué après plusieurs années de vie commune, reposait, selon l'époux, sur des pièces irrecevables, comme ayant été obtenues par fraude et en violation du secret médical, et n'était, de plus, pas constitutif de faute. L'époux reprochait à sa femme de l'avoir harcelé, pendant des mois, pour le convaincre qu'il était la cause de tous les maux de leur couple, et qu'il devait abandonner sa part de leur appartement.

La cour d'appel a relevé que l'épouse reprochait à son mari de ne pas avoir tenté de remédier à ses difficultés, en consultant un psychologue ou un sexologue. D'une part, elle en a déduit que l'épouse reconnaissait, ainsi, que son mari souffrait d'un problème pathologique. D'autre part, elle a retenu que l'épouse ne rapportait pas la preuve que l'époux eut refusé de consulter. Enfin, elle a conclu que cela ne suffisait pas à constituer une faute, dès lors que l'épouse reconnaissait avoir été informée de la situation avant le mariage, et qu'il était impossible de savoir quel accord avait pu être pris, alors, par les futurs époux, sur leurs attentes respectives quant à leur vie intime. Par conséquent, l'absence ou la limitation des rapports charnels, même si elle était avérée, ne pouvait constituer une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage, imputable à l'époux. En revanche, les propos indélicats tenus par l'épouse, notamment ceux dévoilant l'intimité du couple au frère du conjoint, traduisaient, selon les magistrats, un manquement au devoir de respect constituant une violation grave et renouvelée des obligations du mariage, rendant intolérable le maintien de la vie commune.

La faute, cause de divorce ou pas, relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Les solutions paraissent parfois divergentes, voire incohérentes. Ce qui fait la différence, c'est souvent la volonté (contrairement à la non-consommation du mariage, l'adultère n'est jamais involontaire) et la difficulté de la preuve (l'adultère, qui implique un tiers et a généralement lieu hors du foyer) est plus aisé à démontrer que la non-consommation du mariage, qui relève de l'intimité du couple. Si elle n'est pas pathologique, et prouver par un certificat médical, la non-consommation du mariage suppose, pour être démontrée, que l'époux qui en est à l'origine l'avoue... Or, la bonne foi entre conjoints, lors d'un divorce, est peu fréquente. Tout cela relève de l'appréciation souveraine des juges du fond et ceux-ci ont par exemple estimé, dans les deux arrêts relevés ce mois-ci :

- que le non-respect du devoir conjugal n'est pas fautif, lorsqu'il n'est pas imputable au conjoint, faisant ainsi une stricte application de l'article 242 du Code civil ;

- et que le non-respect du devoir de fidélité peut être fautif même si, au moment où l'époux bafoué le découvre, il n'y a plus de vie commune, faisant alors une application plus "souple" de ce texte.


(1) Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 09-72.079, F-D (N° Lexbase : A7366GZT).
(2) Cass. civ. 1, 17 octobre 2007, n° 06-20.701, FS-D (N° Lexbase : A8127DYN).
(3) Cass. civ. 2, 14 novembre 2002, n° 01-03.217, F-P+B (N° Lexbase : A7182A3E).
(4) CA Douai, 12 octobre 1984, D., 1985, 523.
(5) CA Nîmes, 7 juin 2000, Dr. Famille, 2001.
(6) CA Orléans, 24 février 2009, D., 2010, pan. 1243.
(7) CA Douai, 19 décembre 2013, n° 13/00009 (N° Lexbase : A8056KS8), Dr. famille, 2014, n° 22.
(8) Cass. civ. 1, 23 mars 2011, n° 10-17.153, F-D (N° Lexbase : A7764HIE).
(9) TGI Avranche, 10 juillet 1973, D., 1974, p. 174.
(10) CA Versailles, 2ème ch. , 12 janvier 1995, n° 8888/93 (N° Lexbase : A1674HYN).
(11) CA Bordeaux, 1er octobre 1991, RTDciv., 1992, p. 56.
(12) CA Bordeaux, 7 juin 1994, JCP èd. G, 1994, IV, 2207.
(13) CA Caen, 5 janvier 2006, Dr. Famille, 2006, n° 149.
(14) CA Nîmes, 2ème ch., 21 mars 2007, n° 05/03638 (N° Lexbase : A6196DY7), JCP éd. G, 2007, II, 10149.
(15) Cass. Civ. 2, 8 octobre 1970, Bull. civ. II, n° 238.
(16) CA Amiens, 3ème ch., 28 février 1996.
(17) CA Aix-en-Provence, 6ème ch., 3 mai 2011, n° 09/05752 (N° Lexbase : A9988HX9).

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