Réf. : Cass. civ. 1, 15 janvier 2015, n° 13-23.566, F-P+B (N° Lexbase : A4599M99)
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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la cour
le 17 Mars 2015
Le législateur français n'a pas pris la peine de proposer une définition de la notion d'auteur. Cela étant, l'article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2838HPS) dispose que "l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous". Il s'en infère que la qualité d'auteur est dévolue à celui qui crée, les notions d'auteur et d'acte de création étant intimement liées (conception personnaliste) (4). En toute logique, seule une personne physique peut donc se voir attribuer la qualité d'auteur, faute pour une personne morale d'être en mesure d'un quelconque acte de création ("la personne morale, dépourvue d'incarnation physique, ne peut pas créer une oeuvre" (5)). L'analyse de la jurisprudence française, qui circonscrit l'éligibilité à la protection du droit d'auteur aux seules oeuvres de l'esprit portant "l'empreinte de la personnalité" de leur auteur (6), tend au même résultat.
Il convient, toutefois, de ne pas confondre les notions d'auteur et de titulaire des droits d'auteur. Cette distinction est fondamentale. Certes, lors de l'acte de création, les qualités d'auteur et de titulaire des droits sur l'oeuvre pèsent, en principe, simultanément sur la tête du créateur. Il n'en reste pas moins que, par la suite, les droits patrimoniaux d'auteur pourront être librement cédés à des tiers, sans que cette transmission ne prive de quelque façon que ce soit le créateur de sa qualité d'auteur.
La situation est naturellement différente pour la personne morale. Faute d'être l'auteur des oeuvres de l'esprit, elle ne saurait être investie à titre originaire des droits d'auteur afférents ; cela étant, la personne morale reste bien évidemment libre de se faire céder ces droits patrimoniaux par la suite, afin d'en organiser l'exploitation.
Ce principe fermement établi connaît, néanmoins, une exception notable s'agissant de l'oeuvre collective (7), laquelle est définie par l'article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3338ADY) comme l'oeuvre "créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé". L'on sait que la jurisprudence se montre relativement réticente à l'égard de cette figure juridique en décalage idéologique avec les grands principes qui irriguent par ailleurs le droit d'auteur (8). De façon tout à fait exceptionnelle, l'article L.113-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3341AD4) permet en effet à une personne morale d'être investie dès l'origine de l'ensemble des droits d'auteur sur l'oeuvre, pour autant que celle-ci ait été divulguée sous son nom.
Mentionnons également la présomption prétorienne de titularité des droits (9) : "l'exploitation non équivoque d'une oeuvre par une personne physique ou morale, sous son nom et en l'absence de revendication du ou des auteurs, fait présumer à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre, qu'elle soit ou non collective, du droit de propriété incorporelle de l'auteur" (10). A défaut d'actes d'exploitation paisibles et non équivoques, la personne morale devra justifier des conditions dans lesquelles elle a été investie de droits patrimoniaux de l'auteur (11).
II - Un arrêt conforme aux principes du droit d'auteur
L'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 15 janvier 2015 concernait deux logiciels consacrés au tracé de l'analyse céphalométrique et à l'aide au diagnostic médical. De façon classique, le litige portait sur la nature juridique de ces logiciels et la titularité des droits d'auteur afférents, que se disputaient la société Tridim (pour le compte de laquelle les logiciels avaient été développés) et les sociétés Orthalis et Orqual (ayant notamment participé à leur développement).
La lecture des motifs de l'arrêt (cassé) du 28 mai 2013 (12) laisse à penser que la cour d'appel de Rennes avait voulu retenir l'existence d'oeuvres collectives. En effet, si les dispositions de l'article L.113-5 n'y sont jamais visées, elle précise que "la conception du logiciel était prévue pour être collective" et s'attache manifestement à établir que l'ensemble des travaux effectués l'avait été au profit de la société Tridim (13), conformément au critère d'intégration verticale propre à l'oeuvre collective. Curieusement, la cour d'appel s'est, en revanche, dispensée de démontrer que les logiciels avaient été divulgués sous son nom.
Quoi qu'il en soit, après avoir reproduit les dispositions de l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle ("la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée"), l'arrêt du 28 mai 2013 a jugé que la société Tridim était le seul auteur des logiciels en cause. Cette analyse a été très justement censurée par la Cour de cassation, rappelant qu'une personne morale ne peut pas bénéficier de la qualité d'auteur. Les mesures interdisant (sous astreinte) les sociétés Orthalis et Orqual de "se présenter comme propriétaires ou auteurs de ces deux logiciels" apparaissent tout aussi maladroites.
Soulignons d'emblée que la société Tridim n'a, semble-t-il, jamais prétendu bénéficier de la qualité d'auteur des logiciels mais, de façon plus orthodoxe, s'est bornée à revendiquer "la propriété et le droit d'auteur de ces logiciels" (14). Les mesures d'interdiction sollicitées par l'appelante semblaient quant à elles porter sur la seule revendication de la "propriété" des logiciels.
Quoi qu'il en soit, la cour d'appel de Rennes semble surtout avoir été victime d'une erreur de fondement textuel. Il est en effet constant que les dispositions de l'article L. 113-1 visé dans son arrêt (présomption de qualité d'auteur au bénéfice des auteurs personnes physiques) n'étaient pas en cause dans la présente espèce. A l'inverse, celles de l'article L. 113-5 organisant le régime juridique de l'oeuvre collective ne sont citées nulle part. Pour mémoire, le second alinéa de ce texte dispose que la personne physique ou morale sous le nom de laquelle l'oeuvre est divulguée "est investie des droits de l'auteur". La cour d'appel a donc tenté de se mettre dans les pas d'un fondement textuel qui n'était pas le bon. Si elle avait jugé que la société Tridim était investie des droits de l'auteur sur les logiciels en cause, plutôt que de retenir sa qualité de "seul auteur", son arrêt n'aurait vraisemblablement pas encouru la censure (sur ce point) de la Cour de cassation.
L'arrêt du 15 janvier 2015 vient donc rappeler que si, de façon exceptionnelle, une personne morale peut être investie dès l'origine de l'ensemble des droits sur une oeuvre, elle n'en acquiert pas pour autant la qualité d'auteur. Les notions d'auteur et de titulaire des droits d'auteur recoupent deux réalités juridiques distinctes, qui ne sauraient être confondues. Dès lors, si la société Tridim pouvait être reconnue comme titulaire des droits sur les logiciels, elle n'en était en toute hypothèse pas l'auteur. Bien plus, si la société Orqual n'était pas autorisée à se présenter comme auteur, ce n'était pas parce que cette qualité était dévolue à la société Tridim mais bien parce que, personne morale, elle est intrinsèquement inapte à être qualifiée comme telle ab initio.
Ainsi qu'il l'a été vu, la distinction entre qualité d'auteur et titularité des droits d'auteur est admise sans réserve par la jurisprudence. En pratique néanmoins, l'on constate un certain flou dans le choix du visa des décisions. S'agissant notamment de la présomption prétorienne de titularité précitée, de nombreuses juridictions continuent à renvoyer aux dispositions de l'article L. 113-1 (15), alors que celles-ci ont exclusivement trait à la présomption de qualité d'auteur des personnes physiques et ne sont donc nullement transposables à la question de la titularité des droits (16). Cela a été magistralement souligné par la cour d'appel de Paris aux termes d'un arrêt du 12 octobre 2012, ayant rappelé que "cet article instaure, certes, une présomption légale mais au profit du seul auteur, personne physique, dont le nom est porté à la connaissance du public lors de la divulgation de l'oeuvre ; il s'agit d'une présomption simple dont une personne morale ne peut revendiquer le bénéfice puisqu'elle n'a pas la qualité d'auteur" (17). La troisième chambre, troisième section, du tribunal de grande instance de Paris souligne quant à elle régulièrement qu'il "est constant que la présomption attachée à la première divulgation énoncée par l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle ne concerne que la seule qualité d'auteur et nullement celle de titulaire des droits patrimoniaux" (18). Il n'est plus qu'à souhaiter que la sagesse de ces juridictions fasse désormais florès.
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Derrière l'apparente limpidité de l'arrêt de cassation du 15 janvier 2015, se cachait en fait une affaire plus complexe qu'il n'y paraissait, ouvrant la voie à de nombreuses questions (d'ailleurs reprises dans les moyens du pourvoi) concernant la notion même d'oeuvre collective et la dévolution des droits d'auteur afférents. La Haute Cour prononce finalement (à juste titre) la cassation sur le premier moyen qui lui était proposé, à raison de la confusion entre les notions d'auteur et de titulaire des droits d'auteur. Il appartiendra donc à la cour d'appel de Paris, saisie sur renvoi, de répondre aux intéressantes problématiques posées par le régime juridique des oeuvres collectives. A suivre...
(1) Rappelé dans une réponse ministérielle du 26 septembre 2013 (QE n° 07861 de M. Jean Louis Masson, JO Sénat 8 août 2013 p. 2310, réponse publ. 26 septembre 2013 p. 2818, 14ème législature N° Lexbase : L0831I8B), qui précise toutefois de façon malheureuse que l'auteur est "en principe" une personne physique.
(2) Au visa l'article 8 de la loi n° 57-298 du 11 mars 1957, par la suite codifié à l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3337ADX) : Cass. civ. 1, 19 février 1991, n° 89-14.402, publié (N° Lexbase : A4484AHK). A noter toutefois que dans un arrêt du 3 avril 2002 (Cass. civ. 1, 3 avril 2002, n° 00-13.139, FS-P N° Lexbase : A4276AYZ), la première chambre civile avait approuvé une cour d'appel d'avoir jugé que "la qualité et les droits d'auteur" sur une oeuvre collective appartenaient à la société Larousse.
(3) P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 9ème éd., 2015, n° 209 ; Ch. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd., 2009, n° 196 ; F. Pollaud-Dulian, Le droit d'auteur, Economica, 2005, n° 248. En sens inverse : F. Fouilland, CCE, n° 12, décembre 2008, Etude 24 ; très nuancé, M. Vivant et J-M. Bruguière, Droit d'auteur et droits voisins, Précis Dalloz, 2ème éd., 2012, n° 281 et 286.
(4) Ce lien est si fort qu'il ne saurait être brisé, conformément aux dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3346ADB "Le droit de l'auteur au respect de son nom et de sa qualité est inaliénable" : Cass. civ. 1, 4 avril 1991, n° 89-15.637 N° Lexbase : A4553AH4 ; cf. également Cass. civ. 1, 6 mai 2003, n° 01-02.237, FS-P N° Lexbase : A8234BSR).
(5) TGI Paris, 3ème ch., 5 décembre 2014, n° 13/01744 (N° Lexbase : A3361M7M) ; TGI Paris, 3ème ch., 24 octobre 2014, n° 12/12389 (N° Lexbase : A1920M3I).
(6) A titre d'exemples, Cass. civ. 1, 10 décembre 2014, n° 10-19.923, F-D (N° Lexbase : A6114M7L) ; Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B (N° Lexbase : A7370MHG) ; Cass. civ. 1, 22 janvier 2014, n° 11-24.273, F-D (N° Lexbase : A9782MCB).
(7) Par exemple, Cass. com., 5 novembre 1985, n° 83-15.017 (N° Lexbase : A4336AAT) ; Cass. civ. 1, 19 février 1991, préc..
(8) Il s'agit en effet de récompenser le promoteur, sans les investissements duquel l'oeuvre n'aurait pas pu être créée.
(9) Instituée par l'arrêt fondateur "Aéro" : Cass. civ. 1, 24 mars 1993, n° 91-16.543 (N° Lexbase : A3694ACS).
(10) Cass. civ. 1, 10 juillet 2014, n° 13-16.465, F-D (N° Lexbase : A3997MUL) ; cf. également, TGI Paris, 3ème ch., 5 décembre 2014, préc. et TGI Paris, 3ème ch., 24 octobre 2014, préc. ; CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 23 septembre 2014, n° 12/22790 (N° Lexbase : A4185MXB) ; CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 4 décembre 2013, n° 12/12464 (N° Lexbase : A7097KQW).
(11) Pour des exemples : CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 7 novembre 2014, n° 13/22350 (N° Lexbase : A8609MZU) et CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 9 mai 2014, n° 13/16155 (N° Lexbase : A8901MKU).
(12) CA Rennes, 28 mai 2013, n° 11/05770 (N° Lexbase : A2366KED) infirmant le jugement rendu le 12 juillet 2011 par le tribunal de grande instance de Rennes).
(13) "Il apparaît ainsi que le développement du logiciel Tridim est le fruit du travail de ses associés, aidé d'une prestation à titre onéreux de la société Orthalis" ; de plus, dans son exposé du litige, la Cour rappelle que les demandes de la société Tridim visent notamment à voir dire et juger que les logiciels en cause "peuvent incontestablement recevoir la qualification d'oeuvre collective".
(14) Cf. exposé du litige de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 28 mai 2013, pages 4 et 5.
(15) Il est vrai que le visa de l'article L. 113-5 (N° Lexbase : L3341AD4), certes moins artificiel car ayant trait à la présomption de titularité, n'en reste pas moins quelque peu artificiel : cf. CA Nancy, 28 octobre 2014, n° 13/02018 (N° Lexbase : A5128MZX) ; Cass civ. 1, 10 juillet 2014, n° 13-16.465, F-D (N° Lexbase : A3997MUL); TGI Paris, 3ème ch., 10 juillet 2014, n° 12/10839 (N° Lexbase : A7675MW8) ; Cass. civ. 1, 28 novembre 2012, n° 11-20.531, F-D (N° Lexbase : A8620IXK) ; CA Toulouse, 20 novembre 2012, n° 11/01876 (N° Lexbase : A2161IXC). En définitive, l'article L. 111-1 (N° Lexbase : L2838HPS) fait figure de fondement textuel le moins inadapté, du fait de ses termes particulièrement généraux (en ce sens, Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-12.886, F-P+B+I N° Lexbase : A0817KCA).
(16) A titre d'exemples : TGI Paris, 3ème ch., 4ème sect. 30 octobre 2014,n° 13/11452 (N° Lexbase : A1941M3B) ; TGI Paris, 3ème ch., 4ème sect., 11 septembre 2014, n° 13/07769 (N° Lexbase : A7733MWC) ; CA Versailles, 28 février 2013, n° 11/04495 (N° Lexbase : A9042IT3) ; CA Douai, 30 novembre 2012, n° 11/05422 (N° Lexbase : A8235IXB) ; TGI Paris, 3ème ch., 1ère sect., 22 novembre 2011, n° 09/15210 (N° Lexbase : A3798H4G).
(17) CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 12 octobre 2012, n° 11/19924 (N° Lexbase : A3026IUM), Propriété Intellectuelle n° 46, page 75, comm. A. Lucas ; également CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 25 juin 2011, n° 10/08404 (N° Lexbase : A4848HU4).
(18) A titre d'exemples : TGI Paris, 3ème ch., 4 octobre 2014, n° 11/09489 (N° Lexbase : A3040ML8) ; TGI Paris, 3ème ch., 29 août 2014, n° 12/16151 (N° Lexbase : A7718MWR) ; TGI Paris, 3ème ch., 20 décembre 2013, n° 13/06239 (N° Lexbase : A7239KTB) ; TGI Paris, 3ème ch., 29 novembre 2013, n° 11/06307 (N° Lexbase : A2964KR9) ; cette formule est manifestement reprise d'un précédent arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 2 octobre 2009 (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 2 octobre 2009, n° 08/12456 N° Lexbase : A4291EQY).
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