Lecture: 8 min
N6340BUD
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse
le 17 Mars 2015
Ainsi résumée, la solution qui ressort de l'arrêt de la Cour de cassation ne fait que souligner un principe évident propre aux assurances de responsabilité. Ce principe est d'ailleurs régulièrement rappelé par la Cour de cassation (1). Il l'avait déjà été dans la présente affaire avec une formule beaucoup plus tranchée, mais il faut dire que la Cour de cassation rendait alors un arrêt de cassation : "l'assureur accorde sa garantie lorsque la responsabilité civile de l'assuré est engagée au cours ou à l'occasion des activités déclarées lors de la souscription du contrat" (2).
Un certain nombre de circonstances propres à l'espèce vont cependant venir compliquer le litige. L'assurance de responsabilité souscrite l'a été par un propriétaire pour couvrir l'activité de "propriétaire non occupant de bâtiments donnés en location pour entreposage de produits divers" et pour le compte du locataire pour l'activité d'"importateur et négociant de jouets en peluches". Le litige prend sa source dans le fait que le sinistre est né de la destruction par un incendie d'un entrepôt à peine construit dans lequel un préposé du locataire se livrait à l'installation d'étagères avec un fer à souder. L'activité d'installation n'étant pas couverte par le contrat, les juges finissent pas décider que la garantie n'est pas due. A priori, l'hypothèse ne souffre pas de complication, l'assuré a excédé le cadre des activités pour lesquelles il est assuré, il se trouve donc obligé d'assumer sur son patrimoine la totalité du dommage causé. La solution est une mise en garde pour ceux qui considèrent que l'assurance de responsabilité civile a vocation à couvrir assez largement les activités de la personne assurée. Il n'en est rien, comme pour tout risque, et si l'on laisse de côté la question des assurances obligatoires, les parties définissent librement les événements garantis. Rien n'est dû au-delà.
L'affaire se complique cependant d'une question d'interprétation du contrat. Les conditions générales du contrat prévoyaient en effet que "l'assureur garantit les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l'assuré peut encourir en raison de dommages corporels, matériels et immatériels consécutifs ou non, causés à des tiers et survenant du fait des activités déclarées par l'assuré et exercées librement par lui ou pour son compte par des sous-traitants", ce qui est un rappel du principe ci-dessus. Les conditions particulières prévoyaient, elles, que "les activités déclarées sont mentionnées à titre indicatif et non limitatif". On comprend tout de suite l'opportunité qu'a pu voir l'assuré pour compte dans la comparaison des deux formules. Il reprochait, dans son pourvoi, à la cour d'appel de ne pas avoir fait prévaloir les conditions particulières sur les conditions générales. On ne peut le suivre sur ce point.
La logique d'interprétation du contrat consiste d'abord à tenter de trouver un sens cohérent aux clauses présentant une ambigüité avant de les opposer (3). Dès lors on comprend que les juges aient voulu voir dans cet ensemble l'expression de l'idée que le contrat ne couvre que les activités déclarées par l'assuré, mais que ce dernier a la possibilité de demander que de nouvelles activités soient temporairement (comme ici l'installation), ou plus durablement, couvertes par le contrat. Une telle interprétation a déjà été adoptée dans un cas similaire (4).
On peut apprécier dans la motivation de la solution des juges du fond, largement reproduite dans l'arrêt de la Cour de cassation, la prudence amenant à préciser que le négoce de peluches n'impliquait pas directement ou indirectement l'usage d'un tel outillage. Il convient, en effet, de rappeler que la jurisprudence estime que le contrat d'assurance de responsabilité couvre l'activité déclarée et toutes les activités qui s'y rattachent (5). Dans notre affaire, les juges du fond s'étaient opposés sur cette activité d'installation sans lien a priori avec celle d'importateur et négociant mais, dans le cas précis, nécessaire à la mise en oeuvre de l'activité. La sagesse commande certainement cette solution aboutissant à considérer que la garantie n'est pas due dans la mesure où l'activité à l'origine du dommage est radicalement différente de celle que l'assureur a accepté de garantir. Il ne faut pas tromper la prévision contractuelle.
La question, on le sait, ouvre sur une casuistique sans fin dans la mesure où il faudra, au besoin, déterminer les tâches matérielles ou intellectuelles qui découlent logiquement ou non de l'activité principale garantie. On peut tout de même souligner que, généralement, le contrat d'assurance couvre non seulement l'activité de l'assuré mais des événements assez courants survenant à l'occasion de ces activités et engageant sa responsabilité.
Le problème ne se pose réellement que pour les activités sortant de l'ordinaire, comme en l'espèce, ou lorsque l'assuré anticipe un peu trop sur une diversification de ses activités. Dans ce dernier cas, on peut être amené à se demander si l'assureur et les intermédiaires ont correctement accompli leur devoir de conseiller l'assuré (6).
II - Procédure
Au mois de janvier 2009, une tempête endommage le bien appartenant à une personne. Elle fait une demande d'indemnisation à laquelle l'assureur ne répond pas de façon satisfaisante. L'assuré vend le bien en mars 2009 à une société dont il est associé et gérant. Le vendeur assigne l'assureur au mois de septembre 2009. L'assureur fait appel de la décision rendue au mois de mars 2009. La société ayant acquis le bien intervient volontairement à l'instance au mois d'août 2011. La cour d'appel estime que son action est irrecevable. La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que lorsque l'acquéreur est intervenu à l'instance, la prescription était acquise.
L'assuré vendeur étant en même temps gérant de la société acquéreuse du bien, il tentait de jouer sur la confusion possible des qualités par le biais de l'article L. 223-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L0906I7P). Les juges estiment cependant que l'assignation a été délivrée en son nom personnel. De ce fait, il ne remplissait plus les conditions exigées par l'article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43). On sait que, dans cette hypothèse, une régularisation est possible si la personne ayant qualité pour agir intervient à l'instance (7). La société est, en l'espèce, intervenue volontairement en appel, mais trop tard dans la mesure où le délai de prescription biennal est écoulé (il expirait en janvier 2011). Cette solution a déjà été adoptée par la Cour de cassation : "l'action, engagée dans le délai de prescription par une personne n'ayant pas qualité pour agir, ne peut être régularisée en application de l'article 126 du nouveau Code de procédure civile, alinéas 1er et 2, que par l'intervention de la personne ayant cette qualité avant l'expiration du délai de prescription ; qu'en aucun cas la régularisation n'est possible après l'expiration du délai de prescription, et ce même si la personne ayant qualité pour agir acquiert cette qualité après la forclusion" (8). L'assignation n'interrompt donc pas le délai de prescription si la personne qui assigne n'a pas qualité pour agir.
Fondée au regard des principes du droit de la procédure civile, on peut se demander si la solution aurait pu être la même en application des règles du droit des assurances. Le contentieux se limitant à la première matière, on ne peut ici que conjecturer. Dans l'hypothèse, la personne morale tient ses droits de l'acquisition d'un bien, or on sait dans ce cas que l'article L. 121-10 du Code des assurances (N° Lexbase : L0086AAG) prévoit un transfert de la police avec le bien assuré lui-même. Cependant, il est classiquement admis que le vendeur conserve le droit à indemnité pour les sinistres antérieurs à la vente (9). La solution avantageait le requérant en l'espèce. La jurisprudence n'a cependant pas toujours appliqué cet effet avec rigueur, accordant parfois le droit à indemnité aux acquéreurs du bien (10). Par ailleurs, elle considère que "la continuation de plein droit de l'assurance au profit de l'acquéreur de la chose assurée permet à celui-ci d'invoquer les fautes commises par l'assureur à l'égard du souscripteur lors de la négociation du contrat et qui ont causé le dommage dont l'acquéreur recherche la réparation ; qu'en retenant qu'en cas de vente de l'objet assuré, l'assurance continuait au profit de l'acquéreur et, avec elle, les actions en responsabilité contractuelle en dérivant, la cour d'appel a fait une exacte application de l'article L. 121-10 du Code des assurances" (11). Sur cette question, on lira avec beaucoup d'intérêt les remarques du commentateur de la décision qui marque la différence entre le transfert des droits et actions attachées au contrat et l'absence de transfert du droit à indemnité pour un sinistre antérieur au transfert dans la mesure où, dans ce cas, c'est bien le patrimoine du vendeur (propriétaire au moment du sinistre) qui subit, a priori, la perte (12).
Doit-on déduire de la présente solution que la Cour de cassation favorise l'idée d'une transmission large des droits à l'acquéreur des biens assurés ? Rien n'est moins sûr. Il vaut certainement mieux s'en tenir aux enseignements de l'arrêt en matière de procédure.
(1) V. notamment : Cass. civ. 1, 4 juillet 2000, n° 98-10.977 (N° Lexbase : A5421AWP), RGDA, 2000, 899, note L. Fonlladosa. Cass. civ. 1, 5 février 2002, n° 99-14.934 (N° Lexbase : A9175AX4), RGDA, 2002, 396, note A. Favre-Rochex. Cass. com., 23 octobre 2012, n° 11-23.577 (N° Lexbase : A0468IWA), RGDA, 2013, 402, note M. Asselain.
(2) Cass. civ. 2, 14 janvier 2010, n° 09-12.290 (N° Lexbase : A3124EQR).
(3) J. Bigot, V. Heuzé, J. Kullmann, L. Mayaux, R. Schultz, K. Sontag, Le contrat d'assurance, LGDJ, 2014, 875.
(4) Cass. civ. 3, 19 novembre 1997, n° 96-12.739 (N° Lexbase : A2303CXL).
(5) V. notamment : Cass. civ. 3, 21 janvier 2015, n° 13-25.268, FS-P+B (N° Lexbase : A2647NAB) (à paraître au bulletin) : "l'activité de constructeur de maisons individuelles inclut la réalisation de travaux selon marchés".
(6) Cass. civ. 1, 4 février 2003, n° 00-15.204 (N° Lexbase : A9178A4P), RCA, 2003, comm. 157.
(7) C. pr. civ., art. 126 (N° Lexbase : L1423H4H).
(8) Cass. com., 24 septembre 2003, n° 00-11.010 (N° Lexbase : A6149C9M), Bull. civ. IV, n° 143 ; Joly, 2003, 1265, note P. Cagnoli.
(9) Cass. civ. 2, 7 avril 2011, n° 10-17.426 (N° Lexbase : A3614HN8), RGDA, 2011, 1111, note J. Bigot.
(10) Cass. civ. 2, 4 novembre 2010, n° 09-71.677 (N° Lexbase : A5669GDC), RGDA, 2011, 202, note S. Abravanel-Jolly.
(11) Cass. civ. 1, 9 mai 2001, n° 98-20.107 (N° Lexbase : A4307ATP), RGDA, 2001, 1051, note D. Langé.
(12) La situation est cependant plus compliquée quand le sinistre a un effet retard et qu'il manifeste ses conséquences après la vente. L'hypothèse se présente parfois en matière de conséquences de catastrophes naturelles ce qui explique peut-être les solutions rendues en la matière (notamment l'arrêt du 4 novembre 2010 cité).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:446340