Réf. : Cass. crim., 6 janvier 2015, n° 14-86.719, F-P+B+I (N° Lexbase : A4588M9S)
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par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris
le 17 Mars 2015
Depuis plus de vingt ans, il est acquis que, si une partie à une procédure pendante devant la chambre de l'instruction ne peut avoir directement accès à son dossier, son avocat doit, tout au contraire, bénéficier d'un accès absolu au dossier de l'instruction, conformément aux dispositions de l'alinéa 3 de l'article 197 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2995IZX).
Cet article, issu de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, portant réforme de la procédure pénale (N° Lexbase : L8015H3A), prévoit en effet que "[...] le dossier est déposé au greffe de la chambre de l'instruction et tenu à la disposition des avocats des personnes mises en examen et des parties civiles dont la constitution n'a pas été contestée ou, en cas de contestation, lorsque celle-ci n'a pas été retenue".
Ce caractère impératif est désormais incontestable et il ne viendrait plus à l'esprit de quiconque de le remettre en cause, d'autant que l'article 197, alinéa 3, du code précité a été déclaré totalement compatible avec l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) qui impose les exigences à un procès équitable (Cass. crim., 17 juin 2008, n° 07-80.339, FS-P+F+I N° Lexbase : A2319D9R, Bull. crim., n° 149).
L'étendue de l'accès au dossier
La Chambre criminelle avait déjà eu, à de nombreuses reprises, à se prononcer sur ce droit d'accès, notamment dans une décision du 11 mai 2010 (Cass. crim., 11 mai 2010, n° 10-81.313, F-P+F N° Lexbase : A0287EZN, Bull. crim., n° 76) qui avait rappelé que l'avocat d'une partie devait pouvoir prendre connaissance de l'ensemble du dossier de l'information et, en temps opportun, produire devant la chambre de l'instruction tous mémoires utiles. Pour la Cour de cassation, il s'agit de prescriptions essentielles aux droits de la défense qui doivent être observées à peine de nullité.
Le dépôt doit porter sur le dossier de l'information, lequel comprend tous les actes d'information et toutes les pièces de la procédure.
Il résulte de l'article 81 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6395ISN) que : "le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge. Il est établi une copie de ces actes ainsi que de toutes les pièces de la procédure ; chaque copie est certifiée conforme par le greffier ou l'officier de police judiciaire commis mentionné à l'alinéa 4. Toutes les pièces du dossier sont cotées par le greffier au fur et à mesure de leur rédaction ou de leur réception par le juge d'instruction [...]".
Le dossier d'information comprend donc toutes les pièces cotées.
Mais, si ce principe semble ainsi gravé dans le marbre de la loi pénale, la jurisprudence était venue tempérer les ardeurs de certains praticiens prônant une vision plus élargie du dossier de l'information.
Tel était notamment le cas des documents saisis par le juge d'instruction, placés sous scellés et déposés au greffe à titre de pièces à conviction, que la Cour de cassation considère comme ne faisant pas partie du dossier de la procédure au sens de l'article 197 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 9 janvier 1996, n° 95 -85.279 N° Lexbase : A9264ABQ, Bull. crim., n° 7).
Une récente décision du 9 novembre 2011 avait ainsi illustré cette restriction en décidant qu'il n'était pas anormal qu'un avocat ne puisse avoir accès à un cédérom placé sous scellé, de fait exclu du dossier (Cass. crim., 9 novembre 2011, n° 11 -86.496, F-P+B N° Lexbase : A9971HZC, Bull. crim., n° 231)
S'était aussi posée la question du dépôt au dossier du réquisitoire du procureur général : il faut et il suffit que ces réquisitions soient jointes au dossier la veille de l'audience (Cass. crim., 27 octobre 2004, n° 04-81.513, FS-P+F [LXB=A8547DDW ], Bull. crim., n° 262), mais elles doivent y figurer.
Les nouvelles pièces de l'information parvenues à la connaissance de la chambre de l'instruction avant l'examen de l'appel, mais postérieurement à la transmission au procureur général, doivent également être communiquées.
En outre, il a été jugé qu'une copie du mandatement d'une commission rogatoire encore en cours d'exécution n'a pas à figurer au dossier (Cass. crim., 30 juin 1999, n° 99-81.426 N° Lexbase : A5749CK7, Bull. crim., n° 176)
Enfin, plusieurs arrêts considèrent que l'inobservation des prescriptions de l'article 197, alinéa 3, du Code de procédure pénale doit faire grief, n'entraînant la nullité de la procédure que lorsqu'il est démontré une atteinte portée aux intérêts de la partie concernée ou aux droits de la défense (Cass. crim., 17 février 2004, n° 03-87.170, F-P+F+I N° Lexbase : A4983DB8, Bull. crim., n° 42 et Cass. crim., 3 octobre 2012, n° 11-88.468, F-P+B N° Lexbase : A3377IUM, Bull. crim., n° 235).
C'est dans ce contexte qu'a été rendu l'arrêt du 6 janvier 2015, lequel concerne une fois encore l'accès à des cédéroms que le conseil d'une partie n'avait pu consulter, ce dont il s'était plaint à l'audience de la chambre de l'instruction.
Dans l'affaire qui était soumise à la sagacité de la Haute juridiction, l'avocat d'un mis en examen des chefs d'assassinat, violences aggravées en récidive, association de malfaiteurs et tentative d'enlèvement avait sollicité de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai la remise en liberté de son client.
Dans son mémoire, l'avocat s'élevait contre le fait que le dossier qui lui avait été transmis était incomplet, car ne comprenant pas trois cédéroms qui avaient été remis au juge d'instruction par les enquêteurs agissant en commission rogatoire.
Ces pièces étaient importantes pour la défense du mis en examen puisque figuraient sur les cédéroms en question l'intégralité des factures détaillées de téléphonie et des cellules activées pendant la période des faits.
La chambre de l'instruction devait écarter ce moyen de nullité en retenant que les trois cédéroms n'avaient en effet pas été annexés au procès-verbal remis au magistrat instructeur, car constituant seulement "des documents d'enquête à exploiter dans le cadre de la commission rogatoire". Partant, ils n'auraient pas fait partie de la procédure au sens de l'article 197 et il n'y aurait en conséquence eu aucune obligation de les communiquer.
Le mis en examen porte donc le litige devant la Cour de cassation qui devait avoir une toute autre analyse : en effet, il apparaissait que les trois cédéroms n'avaient pas été placés sous scellés et déposés au greffe à titre de pièces à conviction.
Ainsi, il est considéré par la Chambre criminelle qu'ils faisaient effectivement partie du dossier et qu'avait "été méconnue une disposition essentielle aux droits de la défense".
On aura donc compris que, non seulement toutes les pièces de procédure, à l'exception de celles placées sous scellés qui ne sont toujours pas considérées comme telles, font intégralement partie du dossier devant être mis à disposition avant l'audience.
Il s'agit là d'une décision très logique et qui ne peut qu'être approuvée, il en va du strict respect des droits de la défense que la Cour de cassation a manifestement à coeur de protéger.
Et même, de plus en plus semble-t-il, s'agissant de la communication de pièces non cotées et dont il n'est à aucun moment démontré que leur absence ait pu faire grief.
A suivre donc attentivement pour avoir confirmation que cette décision ne constitue pas un simple épisode jurisprudentiel isolé.
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