Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2014, n° 369101, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8547M83)
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par Florent Roemer, Docteur en droit de l'Université Paris II Panthéon-Assas, Ancien élève de l'Ecole Nationale des Impôts, Doyen de la Faculté de droit, économie et administration de Metz, et Membre de l'Institut François Gény (Université de Lorraine)
le 17 Mars 2015
Conformément aux dispositions de l'article 199 undecies B du CGI, les contribuables qui réalisent des investissements outre-mer bénéficient d'une réduction d'impôt sur le revenu. Pour cela, ils doivent être fiscalement domiciliés en France métropolitaine ou dans les départements d'outre-mer et doivent réaliser, à savoir acquérir, créer ou prendre en crédit-bail, des investissements productifs dans le cadre de leur entreprise ou, comme c'est le cas en l'espèce, être associés d'une société ou d'un groupement soumis au régime des sociétés de personnes qui réalisent de tels investissements.
Afin de bénéficier de la réduction d'impôt, la structure qui réalise l'investissement doit en être le propriétaire et l'exploitant. Cependant, si la structure n'est pas l'utilisateur du bien, comme c'est le cas en l'espèce, elle peut tout de même bénéficier de la réduction d'impôt à la condition que l'investissement soit mis à la disposition de l'entreprise utilisatrice dans le cadre d'un contrat de location d'une durée au moins égale à 5 ans ou à la durée normale d'utilisation du bien loué si elle est inférieure. Des conditions doivent tout de même être respectées. Le contrat de location doit revêtir un caractère commercial. L'entreprise locataire aurait dû être en mesure de bénéficier de la réduction d'impôt si elle avait acquis directement le bien, c'est ce qui pose question en l'espèce. Enfin, l'entreprise propriétaire doit avoir son siège en métropole ou dans les départements d'outre-mer. Il est à noter que le propriétaire de l'investissement doit rétrocéder une fraction de la réduction d'impôt à l'entreprise locataire sous forme de diminution du loyer et, le cas échéant, du prix de cession du bien à l'exploitant (3). Par ailleurs, les investissements doivent être conservés par l'entreprise et maintenus affectés à l'exploitation pour laquelle ils ont été réalisés pendant un délai de cinq ans ou bien pendant la durée normale d'utilisation si elle est inférieure. Lorsque l'investissement est réalisé par une société ou un groupement relevant du régime des sociétés de personnes, les associés ou membres doivent, en outre, conserver les parts ou actions de cette société ou de ce groupement pendant un délai de cinq ans à compter de la réalisation de l'investissement. Lorsque la durée normale des investissements donnés en location dans le cadre d'un schéma locatif est égale ou supérieure à sept ans, l'aide fiscale est applicable à condition que le locataire prenne l'engagement d'utiliser et de maintenir le bien dans son affectation initiale pendant au moins sept ans (4).
La réduction d'impôt est opérée au titre de l'année au cours de laquelle l'investissement productif est réalisé, en s'imputant sur l'impôt sur le revenu (5). Si l'investissement est cédé ou s'il n'est plus affecté à l'activité initiale, ou encore si l'entreprise cesse son activité, la réduction d'impôt fait l'objet d'une reprise au titre de l'année au cours de laquelle cet évènement est intervenu. Toutefois, la reprise de la réduction n'est pas effectuée si le bénéficiaire de la transmission s'engage à conserver ces biens et à maintenir leur affectation initiale pendant la fraction du délai de conservation restant à couvrir.
Dans le cadre de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014, un nouveau crédit d'impôt a été institué pour les investissements productifs réalisés outre-mer entre le 1er juillet 2014 et le 31 décembre 2017. Sont uniquement concernées par cette mesure les entreprises imposées d'après leur bénéfice réel, les entreprises exonérées (comme les entreprises nouvelles ou les entreprises créées pour reprendre une activité en difficulté dans une zone aidée), les entreprises exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale au sens de l'article 34 du CGI (N° Lexbase : L4844IQH). Dans ces conditions, sont exclues de cette mesure les entreprises relevant des dispositions de l'article 35 du CGI (N° Lexbase : L1705IZ8), ainsi que les structures dont les revenus sont imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Les investissements productifs qui entrent dans le calcul du crédit d'impôt sont déterminés dans les mêmes conditions que ceux éligibles dans le cadre des réductions d'impôt de l'article 199 undecies B du CGI, applicable aux personnes physiques, ou de l'article 217 undecies du CGI, applicable aux sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés. Il s'agit également des investissements dans le secteur du logement social des départements d'outre-mer réalisés par les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés et les organismes intervenant sur le marché immobilier aidé. L'assiette de ce crédit d'impôt est déterminée d'après le montant, hors taxes et hors frais, des investissements productifs, diminué de la fraction de leur prix de revient financée par une aide publique. Le crédit d'impôt ainsi calculé est accordé au titre de l'année au cours de laquelle l'investissement est mis en service. Le crédit d'impôt est imputé sur l'impôt dû par l'entreprise au titre de l'exercice au cours duquel le fait générateur est survenu mais, en cas d'excédent par rapport à l'impôt dû, celui-ci est restitué, ce qui constitue une différence avec la réduction d'impôt et qui peut justifier l'option pour ce nouveau crédit d'impôt. Il est à noter que si l'investissement remplace un investissement qui a lui-même fait naître la réduction d'impôt pour investissements productifs outre-mer, l'assiette du crédit d'impôt est diminuée de la valeur réelle de l'investissement qui est remplacé.
Le crédit d'impôt mis en oeuvre à compter de 2014 est applicable aux entreprises qui exploitent l'investissement à condition que leur chiffre d'affaires soit supérieur à 20 millions d'euros. En dessous de ce seuil, l'entreprise doit opter si elle désire renoncer au bénéfice des dispositions de l'article 199 undecies B du CGI, l'option étant exercée par investissement et s'appliquant à l'ensemble des investissements d'un même programme. Enfin, il est à noter que, lorsque le montant total par programme d'investissements est supérieur aux seuils prévus pour les réductions d'impôts, le bénéfice du crédit d'impôt est conditionné à l'obtention d'un agrément préalable dans les mêmes conditions que pour la réduction d'impôt.
II - La nécessité d'un agrément du ministre du Budget
Certains investissements ne peuvent ouvrir droit à réduction d'impôt que s'ils ont reçu un agrément préalable du ministre du Budget (6). Il s'agit des investissements réalisés dans le secteur des transports, de la navigation de plaisance, de l'agriculture, de la pêche maritime et de l'aquaculture, de l'industrie charbonnière et de la sidérurgie, de la construction navale, des fibres synthétiques, de l'industrie automobile, de la rénovation ou de la réhabilitation d'hôtels, de résidences de tourisme, de villages de vacances classés. Il s'agit également des entreprises en difficulté ou nécessaires à l'exploitation d'une concession de service public local à caractère industriel et commercial. Il s'agit enfin des investissements dont le montant total par programme est supérieur à 250 000 euros pour les demandes d'agrément déposées à compter du 29 novembre 2009 (7), et 300 000 euros avant cette date (8), si les investissements sont réalisés par des personnes agissant à titre non professionnel (9) ou encore les investissements dont le montant total par programme est supérieur à un million d'euros.
Cette question est au centre de cette affaire dans la mesure où l'administration fiscale reproche au couple d'investisseurs de ne pas avoir sollicité l'agrément du fait du dépassement du seuil de 300 000 euros alors applicable. La question se pose de savoir si ce seuil s'applique aux personnes effectuant les investissements ou, comme l'affirme l'administration fiscale, aux entreprises qui inscrivent les investissements à l'actif de leur bilan, en l'espèce l'entreprise qui bénéficie du tracteur dont il a été fait acquisition. Une telle solution consisterait à déterminer l'ensemble des investissements dont bénéficierait une telle entreprise, plutôt que de rechercher le montant des investissements réalisés par celui qui fait l'acquisition des biens productifs. Serait ainsi pris en compte la situation de celui qui bénéficie de l'investissement, plutôt que la situation de celui qui bénéficie de la réduction d'impôt. A juste titre cette position est écartée par le Conseil d'Etat dans le présent arrêt qui affirme que l'agrément ministériel n'est pas nécessaire alors même que l'entreprise locataire avait la même année pris en location des biens d'un montant total supérieur à 300 000 euros. Le Conseil d'Etat affirme que le seuil au-delà duquel un agrément doit être sollicité s'apprécie au niveau de l'entreprise qui effectue l'investissement et qui bénéficie de la réduction d'impôt.
Comme le montre cet arrêt, l'administration fiscale est particulièrement attentive aux procédés de défiscalisation abusive pratiqués outre-mer. Des schémas de défiscalisation reposant sur une défiscalisation anticipée de plusieurs mois ou d'années avant la réalisation effective de l'investissement, dont la valeur pourraient en outre être surévaluée par rapport au prix du marché, seraient mis en place en évitant systématiquement la procédure d'agrément. Dans les cas les plus abusifs, les investissements ne seraient pas livrés ou ne seraient pas conformes à la réglementation en vigueur (10). D'une part, ces montages portent atteinte aux intérêts du Trésor du fait d'imputations sur l'impôt sur le revenu de réductions anticipées, voire même injustifiées. D'autre part, ces montages portent atteinte aux intérêts des collectivités locales d'outre-mer du fait de l'absence de réalisation des investissements. Si l'action de l'administration fiscale se justifie parfaitement par rapport à ces craintes, il ne convient pas qu'elle entrave l'application effective de ces avantages fiscaux offerts aux contribuables, comme le rappelle de Conseil d'Etat dans le présent arrêt.
(1) CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2014, n° 369101, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8547M83).
(2) Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014, art. 21 (N° Lexbase : L7405IYW).
(3) CGI, art. 217 undecies.
(4) CGI, art. 199 undecies B, I.
(5) CGI, art. 197-I-5 (N° Lexbase : L3019I7X).
(6) Sur l'agrément, voir CE 3° et 8° s-s-r., 7 mars 2012, n° 337529, mentionné au recueil Lebon (N° Lexbase : A3348IEQ) : RJF, 6/12, n° 574, et CE 3° et 8° s-s-r., 7 mars 2012, n° 336870, mentionné au recueil Lebon (N° Lexbase : A3347IEP) : RJF, 6/12, n° 575.
(7) Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, pour le développement économique des outre-mer, art. 16-I-D et 16-III (N° Lexbase : L2921IEW).
(8) Il est à noter que la réforme mise en oeuvre dans le cadre de l'article 21 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014, n'a pas modifié les seuils au-delà desquels un agrément est nécessaire, mais les montants s'apprécient par programme et non plus par programme et par exercice.
(9) CGI, art. 156 I 1° bis (N° Lexbase : L3993I3B).
(10) Le secteur de l'énergie photovoltaïque serait particulièrement touché.
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