Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2014, n° 367428, deux arrêts, mentionnés aux tables du recueil Lebon, n° 367428 (N° Lexbase : A0835M9S) et n° 363161, 363162 (N° Lexbase : A0830M9M)
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par Caroline Lantero, Maître de Conférences en droit public, EA4232, Avocate associée, JudisConseil, codirectrice scientifique de l'Encyclopédie "Droit des étrangers"
le 17 Mars 2015
I - La protection subsidiaire est autonome des conditions de séjour dans le pays d'accueil
Dans l'arrêt n° 367428 du 30 décembre 2014, une ressortissante malienne, qui avait rejoint son époux titulaire d'un titre de séjour régulier en France et qui avait donné naissance en 2010 à une fille, avait sollicité pour cette dernière la reconnaissance du statut de réfugié ou, à défaut, l'octroi de la protection subsidiaire, aux motifs que sa fille appartenait au groupe social des fillettes exposées, dans leur pays d'origine, à des mutilations sexuelles (4). Par un arrêt du 28 novembre 2012, la CNDA avait refusé la reconnaissance du statut de réfugié à la fillette au motif erroné qu'elle n'était pas en mesure de manifester sa volonté de se soustraire aux mutilations. Cette solution, adoptée en méconnaissance d'une jurisprudence que le Conseil d'Etat n'avait toutefois pas encore consacrée (5), a été censurée par l'arrêt rapporté (6). Il est presque certain que la jeune fille se verra reconnaître le statut de réfugié à l'issue du renvoi de l'affaire à la CNDA (7). La portée particulière de l'arrêt du Conseil d'Etat est ailleurs, dans les précisions apportées quant à l'octroi de la protection subsidiaire, également refusé par la CNDA.
Après avoir refusé de reconnaître le statut de réfugié à la jeune fille, la CNDA lui avait également refusé le bénéfice de la protection subsidiaire au motif que son père, titulaire d'une carte de résident, et qui n'entendait pas retourner dans son pays d'origine, encore moins avec sa fille, lui apportait de ce fait une "protection suffisante". Ce faisant, la CNDA inventait de toute pièce une alternative à la protection qui ne figure dans aucun texte, tout en se basant sur des éléments purement intentionnels prêtés au père. Le Conseil d'Etat, qui aurait pu se contenter de censurer le raisonnement de la Cour sur la seule question du statut de réfugié et opéré le renvoi, a décidé de rappeler les principes applicables à la protection subsidiaire. La leçon est patente.
Le bénéfice de la protection subsidiaire prévu à l'article L. 712-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est "accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié [...] et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves", au nombre desquelles figure "la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants".
En premier lieu, il ne fait objectivement aucun doute que les mutilations sexuelles infligées aux fillettes et aux femmes relèvent des traitements inhumains et dégradants. Il s'agit même d'une intolérable barbarie et d'une persécution grave (8). Ce point ne pose donc aucune difficulté.
En deuxième lieu, la protection subsidiaire comporte, à l'instar du statut de réfugié, des clauses d'exclusions dont il n'est même pas question ici (9). Ce point ne pose pas davantage de difficulté.
En troisième et dernier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 713-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5916G4U), la protection ne peut être refusée que si la personne peut avoir accès à "une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine". De son pays d'origine. Il n'est question ni de la protection que produit de facto la présence dans le pays d'accueil, ni de protection parentale.
En estimant que la fillette était protégée en France par le statut pérenne de son père, la Cour a semble-t-il doublement mésinterprété les dispositions de l'article L. 713-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, imaginant par conséquent un nouvel obstacle au bénéfice de la protection. Le Conseil d'Etat lui en fait le cinglant reproche et l'arrêt confirme la vocation pédagogique de cette double censure pour erreur de droit. En effet, l'article L. 713-3 est opposable à toutes les demandes de protections, subsidiaires comme conventionnelles. La Haute juridiction s'assure donc que la CNDA ne méconnaîtra plus à l'avenir "les droits spécifiques procurés tant par le statut de réfugié que par la protection subsidiaire par rapport aux titres ordinaires de séjour".
II - La protection subsidiaire est autonome du titre de séjour qui en découle
Dans l'arrêt lu le 30 décembre 2014, n° 363161 et 363162, le Conseil d'Etat corrige une autre erreur de la CNDA dans l'appréciation des droits procurés par la protection subsidiaire. Un couple de ressortissants somaliens avait obtenu à Malte en janvier 2009 le bénéfice de la protection subsidiaire, assorti d'un titre de séjour d'un an renouvelable, renouvelé en janvier 2010 en application de l'article 24 de la directive "Qualification" de 2004 alors en vigueur. En raison des difficultés d'existence qu'ils ont connues à Malte, ils ont rejoint la France où ils se sont adressés à l'Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) qui a regardé leurs demandes comme une demande de transfert de protection et a rejetées celles-ci par décision du 25 mars 2011. Saisie, la CNDA a estimé que la protection accordée par Malte était opposable aux autres Etats membres de l'Union Européenne mais qu'elle avait cessé de produire ses effets en absence de renouvellement de titre après janvier 2011. La Cour a annulé la décision de l'OFPRA au motif qu'il aurait dû se considérer comme saisi d'une demande d'asile. La Cour a ensuite refusé de reconnaître le statut de réfugié, mais a considéré que les requérants étaient éligibles à la protection subsidiaire. Le Conseil d'Etat censure le raisonnement.
Il invite en premier lieu à distinguer le statut protecteur du titre de séjour. A l'instar du statut de réfugié que l'on reconnaît mais qu'on n'accorde pas, le bénéfice de la protection subsidiaire a un caractère recognitif et non attributif. Aux termes des dispositions de l'article 2 de la Directive "Qualification", lorsque la personne répond à la définition du réfugié, ou lorsqu'elle remplit les conditions pour être une personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, la protection est reconnue. Le statut protecteur n'est évidemment pas constitué par la délivrance d'un titre de séjour, mais par "la reconnaissance, par un Etat membre, d'un ressortissant d'un pays tiers ou d'un apatride en tant que personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire" (10). La délivrance consécutive d'un titre de séjour, prévue beaucoup plus loin dans la Directive (11), n'est qu'une modalité pratique qui découle du statut protecteur.
Dès lors, les avaries relatives au titre de séjour, son renouvellement ou son absence ou refus de renouvellement sont sans incidence sur le statut protecteur, qui résulte d'un acte déclaratif. Etre sans titre ne veut pas dire être sans statut. Le Conseil d'Etat en fait la démonstration en rappelant le régime juridique de la perte du statut de protection, qui recouvre deux situations bien précises. Première situation, le statut peut cesser lorsque les circonstances ont changé et que le besoin de protection n'est plus avéré (12). Deuxième situation, la personne peut être exclue de la protection lorsqu'elle en est indigne (13). La Directive précise ensuite que lorsque l'une de ces deux situations surgit après une première reconnaissance, il appartient aux Etats de retirer ou de révoquer le statut selon que la situation du bénéficiaire relève d'une clause de cessation ou d'une clause d'exclusion (14). Point de renoncement au statut protecteur donc, du seul fait de n'avoir pas sollicité le renouvellement du titre de séjour. Point de cessation du statut non plus, du seul fait de l'absence de titre de séjour régulier.
La décision portant reconnaissance d'une personne au bénéfice de la protection subsidiaire est "un acte déclaratif qui produit ses effets tant qu'il n'est pas établi que le bénéficiaire n'en remplit pas ou a cessé d'en remplir les conditions", conclut le Conseil d'Etat, "la circonstance que l'intéressé n'a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour est sans incidence sur son droit à bénéficier des effets liés à la protection qui lui a été accordée".
Dans cette démarche parfaitement téléologique qui ne peut qu'emporter la conviction, le Conseil d'Etat met peut-être en exergue une maladresse de rédaction de la Directive puisqu'à l'article 19, est évoquée la possibilité pour les Etats membres de ne "pas renouveler" le statut lorsqu'une situation de cessation ou d'exclusion émerge (15). Or, il résulte clairement des dispositions de la Directive analysée par la Haute juridiction administrative dans l'arrêt rapporté que le statut existe, ou n'existe pas, ou n'existe plus, mais qu'il n'est pas sujet à renouvellement. En revanche, les Etats peuvent refuser de renouveler le titre de séjour attaché à la protection subsidiaire si celle-ci est amenée à être retirée ou révoquée. C'est d'ailleurs ce qu'il faut comprendre des dispositions de l'article L. 712-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5913G4R), aux termes desquelles "le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé pour une période d'un an renouvelable". Cette rédaction de la loi française semble opérer une fusion entre le statut protecteur et le titre de séjour ce qui, au terme de l'analyse du Conseil d'Etat dans l'arrêt rapporté, semble être en contradiction avec les dispositions de la Directive "Qualification". Toutefois, la suite de ces dispositions en question redevient conforme à la lettre de la Directive : "le renouvellement peut être refusé à chaque échéance lorsque les circonstances ayant justifié l'octroi de la protection ont cessé d'exister ou ont connu un changement suffisamment profond pour que celle-ci ne soit plus requise".
Dans les suites pratiques de l'arrêt rapporté, le couple de ressortissants somaliens ne doit pas être regardé comme sollicitant le bénéfice de la protection subsidiaire, puisqu'ils l'ont déjà, mais comme sollicitant un titre de séjour sur le fondement de leur statut protecteur.
(1) Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (N° Lexbase : L7972GTG).
(2) Aux termes de la Directive.
(3) Aux termes du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
(4) Cette formule se substitue à celle de l'excision. Voir Organisation mondiale de la santé, Eliminer les mutilations sexuelles féminines, Déclaration inter-institutions, Genève, 2008, 51 p.
(5) CE, Ass., 21 décembre 2012, deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 332491 (N° Lexbase : A1333IZE) et n° 332492 (N° Lexbase : A1334IZG), AJDA, 2013, p. 476, note F. Julien-Laferrière, AJDA, 2013, p. 465, comm. X. Domino et A. Bretonneau, RFDA, 2013, 565. concl. E. Crepey.
(6) Sur la définition du groupe social dans la définition du réfugié au sens de la Convention de Genève, lire nos obs., La notion de groupe social au sens de la Convention de Genève dans la jurisprudence française, AJDA, Dossier spécial, 2 décembre 2013, pp. 2364-2370.
(7) X. Domino, A. Bretonneau, Peut-on naître réfugiée ?, AJDA, 2013, p. 465.
(8) Lire les conclusions de M.-E. Crepey sur les arrêts CE, Ass., 21 décembre 2012, précités, RFDA, 2013, 565.
(9) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 712-2 : "La protection subsidiaire n'est pas accordée à une personne s'il existe des raisons sérieuses de penser : a) Qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ; b) Qu'elle a commis un crime grave de droit commun ; c) Qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ; d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat".
(10) Article 2 de la Directive "Qualification".
(11) Article 24 de la Directive "Qualification".
(12) Article 16 de la Directive "Qualification".
(13) Article 17 de la Directive "Qualification" : "Un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride est exclu des personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire s'il existe des motifs sérieux de considérer: a) qu'il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes; b) qu'il a commis un crime grave de droit commun; c) qu'il s'est rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies tels qu'ils sont énoncés dans le préambule et aux articles 1 et 2 de la charte des Nations unies; d) qu'il représente une menace pour la société ou la sécurité de l'État membre dans lequel il se trouve. 2. Le paragraphe 1 s'applique aux personnes qui sont les instigatrices des crimes ou des actes visés par ledit paragraphe, ou qui y participent de quelque autre manière".
(14) Article 19 de la Directive "Qualification".
(15) La rédaction est la même dans la refonte, désormais applicable, de la Directive "Qualification" : Directive 2011/95/UE du Parlement Européen et du Conseil du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (N° Lexbase : L8922IRU).
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