La lettre juridique n°598 du 22 janvier 2015 : Avocats

[Jurisprudence] Menaces de mort à un avocat par personne interposée ou comment, à trop menacer, on se retrouve condamné...

Réf. : Cass. crim., 10 décembre 2014, n° 14-81.313, F-P+B (N° Lexbase : A5888M79)

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par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris

le 17 Mars 2015

Que penser de cet arrêt du 10 décembre 2014 qui vient d'être rendu par la Cour de cassation, dans une affaire édifiante de menaces de mort adressées à une avocate ? Sa singularité provient de ce que les menaces étaient contenues dans un courrier reçu par plusieurs confrères et portées ainsi à la connaissance de l'intéressée. La Chambre criminelle considère que le délit de menace de commettre un crime contre une personne est établi, lorsque son auteur ne pouvait ignorer que la menace formulée parviendrait à la connaissance de la ou des personnes visées. C'est sur ce point que la qualité d'avocat, présentée par les membres de notre aréopage va être déterminante. Quels étaient les faits ?

D'un côté, un juriste irascible, doublé d'un incorrigible procédurier, et de l'autre une avocate clermontoise déterminée et manifestement efficace puisqu'elle s'oppose avec succès au serial plaideur qui en veut à l'ensemble de son voisinage et multiplie les procès...perdus ; jusqu'à ce que ce voisin belliqueux, candidat malheureux à l'école du barreau, estime que l'avocate est responsable de tous ses maux et croit déceler son empreinte derrière chacun de ses déboires.

Alors que plus aucun conseil local ne veut s'occuper de son affaire, il va multiplier les courriers à l'adresse d'avocats du barreau lyonnais qu'il espère pouvoir séduire avec une bien curieuse missive.

Aux termes de ce courrier, envoyé en août 2012 à plus d'une vingtaine d'avocats, il se prétend incompris et surtout persécuté de ne plus pouvoir trouver de défenseur à Clermont-Ferrand, à cause des agissements de celle qu'il affuble du délicat sobriquet d'"avocate pourrie". Mais malheureusement, ce courrier contient, bien plus que d'inqualifiables insultes, de véritables menaces de mort. En effet, la lettre commence par les mots : "vous avez le pouvoir d'éviter un drame et de faire triompher la justice. Cela ne dépend que de votre bonne volonté". Et de se poursuivre par les ravages de l'auto-justice dans les rues jusqu'à la phrase qui sera retenue par la prévention, à savoir qu'en l'absence de courage et de bonne volonté d'un avocat, l'intime conviction qui grandissait alors dans son esprit était que "la seule façon d'obtenir justice contre cette avocate pourrie sera de me procurer une arme et de lui ôter la vie".

Même s'il était conscient du caractère excessif de ses propos, il ne savait "quoi faire d'autre" et que c'est "pourquoi afin d'éviter un tel drame, nous vous adressons le présent courrier" ! La menace était plus qu'explicite. C'est ce qui a donc conduit un des destinataires de la lettre à avertir aussitôt son Bâtonnier et, de là, l'avocate menacée qui s'est naturellement plainte. C'est donc dans ces conditions que le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand devait condamner le 21 mars 2013 le prévenu à trois mois d'emprisonnement avec sursis et 18 mois de mise à l'épreuve.

A noter également que le prévenu avait, vainement, tenté préalablement de faire dessaisir le tribunal clermontois, en évoquant, dans une requête en suspicion légitime, qu'il aurait été "poussé au crime par les gens de justice de Clermont-Ferrand", réitérant ainsi la menace potentielle !

La cour d'appel de Riom ayant confirmé le jugement dans un arrêt du 5 février 2014, un pourvoi est donc formé contre cette décision. La motivation du prévenu était d'une double nature, faisant reproche dans son recours de :

- l'absence d'élément matériel, puisque la lettre incriminée n'aurait contenu en réalité aucune menace de mort, n'ayant finalement fait qu'exprimer "en termes virulent, une simple opinion dénuée de toute indication pratique qui laisserait supposer que son auteur pourrait envisager la mise à exécution de son projet" ;

- l'absence d'élément intentionnel qui n'aurait pas été caractérisé, une telle intention nécessitant "notamment le constat que l'agent savait que ses propos tenus par écrit mais adressés à des tiers allaient être rapportés à la victime par ledit tiers" et alors que la correspondance litigieuse était couverte par le secret professionnel.

La Chambre criminelle dans son arrêt du 10 décembre 2014 estime cependant que la cour d'appel a parfaitement justifié sa décision "dès lors que le délit de menace de commettre un crime contre une personne est établi, lorsque son auteur ne pouvait ignorer que la menace formulée parviendrait à la connaissance de la ou des personnes visées".

Le pourvoi est donc rejeté.

Quelle analyse ?

Rappelons à titre liminaire que l'article 222-17 du Code pénal (N° Lexbase : L2153AMP) incrimine la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes dont la tentative est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende lorsqu'elle est, soit réitérée, soit matérialisée par un écrit, une image ou tout autre objet. La peine est portée à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende, s'il s'agit d'une menace de mort, comme en l'occurrence.

Mais s'agissant de menaces ou d'actes d'intimidation commis envers des personnes exerçant une fonction publique, un article spécifique du Code pénal punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les biens, proférée à l'encontre... d'un avocat..., dans l'exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l'auteur, la peine étant portée à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, lorsqu'il s'agit d'une menace de mort.

Ces articles 222-17 et 433-3 (N° Lexbase : L2153AMP) du Code pénal fondaient donc la prévention de l'indélicat auteur des menaces très directes formulées à l'encontre de l'avocate, dont la qualité lui était bien connue, et qui avaient été matérialisés par un écrit, en l'espèce la véritable lettre ouverte adressée aux 24 avocats lyonnais les enjoignant à tout faire pour éviter le "drame" qui allait s'en suivre à défaut.

Les décisions rendues par les juges du fond analysent classiquement l'élément matériel. Si elles évoquent le caractère reconnu, par le prévenu lui-même, excessif de ses propos et le fait que les menaces n'aient pas été envoyées directement à l'avocate menacée, il y avait bel et bien non seulement une lettre, mais aussi une réelle crainte que le prévenu, qui apparaissait pour le moins perturbé, ne passe à l'action.

Ceci était corroboré par les termes de la requête en suspicion légitime qui évoquait l'intime conviction qu'avait le prévenu et selon laquelle "le but ultime des gens de justice de Clermont-Ferrand est, en multipliant à son encontre les mensonges et les injustices de le pousser à la révolte, à l'auto-justice et au crime" ! L'imminence de la menace était de surcroit caractérisée par le véritable chantage que faisait peser l'auteur des menaces sur les avocats auxquels il s'adressait pour leur demander leur concours : pas de défense, pas d'autre solution que de s'armer et de faire justice lui-même.

Cela constituait donc une menace de mort explicite, et non une simple opinion dénuée de toute indication pratique.

Reste l'élément moral et l'intentionnalité des menaces. La cour d'appel avait rappelé qu'il n'était pas nécessaire que la menace de mort soit directement adressée à son destinataire lorsqu'elle est annoncée à un tiers. La menace est punissable si son auteur pouvait penser qu'elle serait transmise par cet intermédiaire à son destinataire final. Et le prévenu de souligner qu'au grand jamais il n'aurait pu supposer que les termes de son courrier ne parviennent aux oreilles de l'avocate clermontoise ! Bien évidemment selon lui, puisque sa lettre adressée à des avocats était, selon lui, irrémédiablement soumise au secret professionnel.

C'est là aussi tout l'intérêt de l'arrêt du 10 décembre 2014, mais aussi ses limites : se plaçant sur le terrain de la confidentialité attachée aux correspondances entre un client et son avocat, le prévenu tentait par là même de justifier qu'en aucune manière il n'avait pu envisager que ses menaces parviendraient à la personne visée.

Tel n'est pourtant pas le raisonnement de la Chambre criminelle qui approuve la cour d'appel de Riom d'avoir considéré qu'il ne pouvait être ignoré par son auteur que la menace formulée parviendrait à la connaissance de l'avocate. Sur quel fondement ? Manifestement sur les circonstances propres au litige, à savoir la personnalité particulière de l'auteur des menaces, de sa connaissance avérée du droit, ainsi que de la pluralité de destinataires du courrier qui augmentait fort sensiblement la probabilité qu'un des avocats en question n'en divulgue le contenu. Et ce d'autant plus que notre juriste mécontent avait fâcheusement oublié les dispositions cumulées des articles 226-14 (N° Lexbase : L8743HWQ) et 434-1 (N° Lexbase : L1744AMK) du Code pénal permettant de délier les avocats de leur obligation au secret professionnel.

En effet, au visa de l'article 4 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA) si l'avocat ne doit commettre, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel, ce n'est que notamment sous réserve des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, et donc de l'article 434-1 du Code pénal qui dispose que le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Il ne s'agit certes que d'une faculté pour l'avocat de divulguer ou non une telle information de menace, mais en ayant largement communiqué une véritable lettre-type à de nombreux destinataires, le caractère confidentiel de cette dernière s'en trouvait dénaturé. L'auteur ne pouvait ignorer en conséquence que ses menaces se trouveraient inéluctablement dévoilées.

N'aurait-il envoyé qu'un unique courrier que la solution aurait peut-être été toute autre, on peut raisonnablement le penser.

En tout état de cause, on ne saurait trop conseiller que d'éviter ces débordements épistolaires, à l'égard des avocats bien entendu, mais aussi de quiconque, tant la rigueur de la loi trouvera à s'appliquer même pour ce type de menaces.

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