La lettre juridique n°598 du 22 janvier 2015 : Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité médicale (septembre - décembre 2014) (première partie)

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N5525BU8

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 17 Mars 2015

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver, cette semaine, le panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, traitant de l'actualité de septembre à décembre 2014, rendue par les juridictions administratives et judiciaires. La première partie de ce panorama, publiée cette semaine, est consacrée aux différents cas susceptibles d'engager la responsabilité médicale, une seconde partie, publiée dans Lexbase Hebdo n° 598 du 29 janvier 2015 - édition privée, traitera exclusivement de l'indemnisation par l'ONIAM au titre de la responsabilité et des recours dont dispose l'institution. 1. Responsabilité médicale

1.1. Faute médicale

1.1.1. Dignité du patient
  • Un médecin qui, en dépit des observations faites auparavant par le patient, a permis la présence d'un tiers lors d'un examen intime sans que le patient ait pu s'y opposer, manque à son devoir d'information du patient et à l'obligation de respecter sa dignité (CE, 4° et 5° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 361534, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8590MW3 ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0314ER3) (1)

Cadre juridique. Le respect de la dignité du patient constitue l'une des obligations déontologiques pesant sur les médecins, comme le rappelle l'article L.1110-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4555DLB), et comme l'illustre cette affaire.

L'affaire. Une patiente avait été contrainte de supporter la présence d'un technicien lors d'une coloscopie, et ce alors qu'elle avait clairement indiqué au médecin qu'elle ne le souhaitait pas. Ce médecin avait faussement justifié cette présence par une prétendue contrainte technique, qui s'était révélée inexistante en l'espèce. Pour avoir menti à la patiente et l'avoir contrainte à supporter cette présence, le médecin a été logiquement sanctionné par l'Ordre, ce que confirme le Conseil d'Etat.

1.1.2. Information du patient

  • Doit être indemnisée la patiente lorsque le médecin à manqué à son obligation d'information concernant le risque de se retrouver en fauteuil roulant après l'opération, dès lors qu'avant l'intervention, si l'intéressée souffrait, elle était cependant autonome, pouvait se déplacer, marcher et vaquer à ses occupations, l'évolution vers l'usage d'un fauteuil roulant constituant un simple risque dont l'échéance était incertaine, le manquement du médecin ayant fait perdre au patient une chance de la refuser, fût-ce momentanément (Cass. civ. 1, 29 octobre 2014, n° 13-12.236, inédit N° Lexbase : A4960MZQ ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E6150ETX)

Cadre juridique. L'article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5232IEI) dispose que : "toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé" et que : "cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus".

Lorsque l'information requise n'a pas été délivrée, à tout le moins lorsque le médecin ou l'établissement ne parviennent pas à prouver qu'elle l'a été, trois scénarios peuvent être envisagés : soit il apparaît avec certitude que le patient aurait refusé l'acte s'il avait été informé (2), et la réparation du préjudice qui résulte de la réalisation du risque en question sera alors intégrale ; soit il apparaît que même informé il aurait accepté l'acte, et dans ce cas, il ne pourra obtenir réparation que d'un éventuel préjudice d'impréparation (3) ; soit, en l'absence de certitude, il est acquis qu'il n'a pas été mis en mesure de décider en toute connaissance de cause s'il devait accepter au refuser l'acte, et il faudra faire application de la théorie de la perte de chance, ce que confirme cette nouvelle décision.

Les faits. Une patiente avait présenté une paraplégie à la suite d'une opération de la colonne vertébrale subie en 2002, et avait recherché la responsabilité de l'hôpital. Celui-ci avait été condamné pour lui avoir fait perdre 90 % de chances de ne pas subir la paralysie dont elle est atteinte.

L'arrêt est confirmé, la cour d'appel ayant valablement relevé "qu'avant l'intervention, si l'intéressée souffrait, elle était cependant autonome, qu'elle pouvait se déplacer, marcher et vaquer à ses occupations, l'évolution vers l'usage d'un fauteuil roulant constituant un simple risque dont l'échéance était incertaine", ce qui permettait de considérer "que le manquement du médecin à son obligation d'information quant aux risques encourus lors de l'intervention avait fait perdre [...] une chance de la refuser, fût-ce momentanément", et dans des proportions appréciées souverainement.

1.1.3. Traitement

1.1.3.1. Faute

  • Commet une faute le gynécologue obstétricien qui, alors que la dystocie était apparue lors de la traction de l'épaule, n'a pas procédé, à ce stade de ses opérations, à une épisiotomie, ni à aucune des manoeuvres préconisées en pareil cas (Cass. civ. 1, 13 novembre 2014, n° 13-22.702, F-D N° Lexbase : A2999M3H ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0399EX3)

Intérêt. Cette décision fournit une nouvelle illustration de la mise en cause de la responsabilité civile d'un gynécologue-obstétricien en raison de fautes commises lors de l'accouchement, une mauvaise appréciation des circonstances l'ayant conduit à ne pas procéder à une épisiotomie, ni d'ailleurs à aucune des manoeuvres qui se seraient avérées nécessaires, occasionnant à l'enfant une paralysie du plexus brachial (4).

1.1.3.2. Réparation

1.1.3.2.1. Identification de la personne responsable

  • L'article D. 712-49 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8030DKM) dans sa rédaction alors en vigueur, devenu l'article D. 6124-101 (N° Lexbase : L6001HBU) du même code, attribuant la prise en charge des patients admis dans une salle de surveillance post-interventionnelle à un ou plusieurs agents paramédicaux spécialement formés, à charge pour eux de prévenir, en cas de besoin, le médecin anesthésiste-réanimateur, lequel doit pouvoir intervenir sans délai pour réaliser les actes relevant de sa compétence, il convient de considérer que le lien de préposition résultant du contrat de travail conclu entre la clinique et l'infirmière n'avait pas été transféré au médecin anesthésiste (Cass. civ. 1, 10 décembre 2014, n° 13-21.607, F-P+B N° Lexbase : A5953M7M ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0151ERZ)

Cadre applicable. La pluralité d'intervenants lors d'opérations rend l'identification des responsables singulièrement complexes.

Il est admis depuis longtemps, et la solution n'a pas été remise en cause par la loi "Kouchner" du 4 mars 2002, que le personnel soignant salarié engage, en cette qualité, la responsabilité de l'établissement qui l'emploie, ce dernier ayant conclu avec le patient le contrat de soins ou, pour se situer dans le contexte de la réforme du droit de la responsabilité médicale, étant désormais désigné par la loi comme responsable en cas de dommage causé à la victime dans le cadre de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH). Lorsqu'interviennent un ou plusieurs professionnels exerçant au sein de l'établissement à titre libéral, chaque praticien répondra des conséquences dommageables de sa propre activité. Mais qu'en est-il lorsque ce dommage résulte non pas d'un geste réalisé personnellement par ce praticien, mais d'un fait, positif comme négatif, du personnel soignant qui l'assiste ?

Avant 2002, la jurisprudence avait admis que l'autorité sur le personnel pouvait se diviser, et donc que leur employeur, l'établissement, pouvait ne pas toujours répondre des fautes lorsqu'au moment où elles ont été commises, il était placé sous l'autorité effective du chirurgien, ou de l'anesthésiste (5). Il a même été admis qu'une clinique puisse être reconnue responsable indirectement de dommages causés par des professionnels libéraux exerçant en son sein, dès lors que cette faute a été rendue possible par une mauvaise organisation des services (6).

C'est à une hypothèse de transfert de responsabilité que se trouvait ici confrontée la Cour de cassation, qui, tout en considérant l'établissement employeur comme responsable des fautes commises par son personnel, n'en admet pas moins, au moins sur le principe, la possibilité d'un transfert d'autorité.

L'affaire. Une enfant âgée de 3 ans a été victime en 2002, au décours d'une intervention d'adénoïdectomie, d'un laryngospasme postopératoire ayant provoqué un arrêt cardio-respiratoire, à l'origine d'importantes séquelles cérébrales.

La discussion portait notamment sur la détermination de la personne (anesthésiste libéral, ou clinique) responsable du comportement fautif de l'infirmière qui avait commis une faute dans la surveillance de la victime dans la phase de réveil.

Pour la cour d'appel, suivie en cela par la Cour de cassation, les dispositions réglementaires applicables (7) attribuent cette surveillance aux agents paramédicaux, à charge pour eux de prévenir, en cas de besoin, l'anesthésiste. Dans ces conditions, le personnel en cause était bien placé sous l'autorité de leur employeur, la clinique, et non de l'anesthésiste qui n'avait pas été ici prévenu.

1.1.3.2.2. Perte de chance

  • Le retard pris dans la prise en charge d'un syndrome postopératoire ne peut être réparé qu'au titre de la perte d'une chance de n'avoir conservé aucune séquelle ou des séquelles moindres de l'opération (Cass. civ. 1, 1er octobre 2014, n° 13-23.581, F-D N° Lexbase : A7964MXA ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0110ERI)

Commentaire. Lorsqu'un dommage survient et qu'une mauvaise surveillance, un mauvais diagnostic ou une réponse tardive viennent l'aggraver, il n'est pas possible d'imputer au fautif l'entière responsabilité du dommage final qui résulte pour partie de l'accident initial, et pour partie de la faute qui l'a aggravé. C'est donc logiquement l'application de la théorie de la perte de chance qui permettra de répartir la charge indemnitaire entre l'ONIAM, si les conditions fixées par l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH), sont réunies, et le fautif qui a aggravé, par sa faute, la situation (8).

L'intérêt de la décision. Une patiente avait été opérée d'une hernie discale et avait malheureusement été victime du "syndrome de la queue de cheval", ce qui avait nécessité une nouvelle intervention dont elle avait conservé d'importantes séquelles, ce qui l'avait conduite à rechercher la responsabilité civile du chirurgien. Il s'agissait ici de contester le retard pris dans le diagnostic de ce syndrome, et donc dans l'opération pour tenter de le réduire.

Le syndrome de la queue de cheval constitue malheureusement un risque prévisible associé à ce type d'intervention et dont le patient doit être complètement informé avant l'acte (9). Il n'est donc pas possible de considérer que son apparition constituerait un aléa thérapeutique dont l'ONIAM devrait réparation. Il est en revanche possible de considérer que, le caractère tardif du diagnostic constitue une faute (10), imputable au médecin, qui a aggravé les séquelles, ce qui conduit nécessairement à faire application de la technique de la perte de chance (11).

Pour avoir condamné in solidum l'établissement et le praticien à réparer l'intégralité du préjudice résultant de ce syndrome, la cour d'appel est logiquement censurée.

1.2. Infections nosocomiales

  • L'établissement de santé, condamné à réparer les conséquences dommageables d'une infection nosocomiale, dispose d'un recours subrogatoire à l'encontre du praticien qui a opéré le patient, peu important les liens contractuels entre eux ou l'absence de faute médicale (Cass. civ. 1, 1er octobre 2014, n° 13-24.891, F-D N° Lexbase : A7997MXH ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0550ERS)

Cadre applicable. Pour les infections nosocomiales contractées lors d'actes médicaux réalisés en cliniques avant le 5 septembre 2001, date d'entrée d'effet des articles L. 1142-1 et suivants du Code de la santé publique, il convient de faire application de la double obligation de sécurité de résultat qui pèse sur les professionnels libéraux et les établissements, depuis 1999 (12).

L'un et l'autre sont tenus in solidum, et celui des deux qui aura indemnisé la victime disposera d'un recours contre l'autre, dans les conditions du droit commun. En l'absence de faute prouvée, le partage se réalisera par parts égales (13) ; si l'un de deux a seul commis une faute, il supportera alors l'intégralité de la charge indemnitaire ; si les deux ont commis des fautes la répartition se fera à proportion de la gravité des fautes respectives.

L'affaire. La cour d'appel avait ici retenu la responsabilité in solidum mais refusé à l'établissement le droit de recourir contre le médecin, sous prétexte que la preuve d'une faute commise par ce dernier n'était pas rapportée. La cassation s'imposait, car dans cette hypothèse un recours pour moitié doit être admis, comme l'avait déjà affirmé la Haute juridiction en 2013 (14).

1.3. Produits de santé

1.3.1. Défaut

  • Le juge peut, notamment, au regard de l'expertise et de l'existence de la documentation disponible en 2003, estimer que la rectocolite hémorragique n'était pas considérée à l'époque, par la communauté médicale, comme un risque inhérent à la prise de Procuta Gé, et en déduire que le laboratoire n'avait commis aucune faute en ne faisant pas état, dans la notice de ce médicament, de la possibilité de survenance de cette pathologie (Cass. civ. 1, 18 juin 2014, n° 13-15.786, FS-D N° Lexbase : A5964MRC ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0410ERM)

Cadre juridique. Une obligation d'information pèse sur les fabricants de médicaments qui doivent indiquer, via les notices, aux consommateurs les risques associés à la prise des produits (15). Cette obligation, dont le non-respect peut conduire à qualifier le produit de défectueux (16), n'est pas différente de celle qui pèse sur le médecin, ce qui permet d'ailleurs d'exporter, par analogie, les solutions admises classiquement pour les seconds, aux premiers.

On sait ainsi que la faute d'information doit, comme les autres fautes médicales, s'apprécier au regard des données acquises de la science (17), et ce depuis l'arrêt Mercier (18). Pour déterminer si un praticien a commis un manquement fautif à son obligation d'information, le juge devra donc devra donc, à l'aide de l'expertise mais également de la littérature médicale pertinente, reconstruire l'état de ces connaissances au moment litigieux et déterminer s'il a été ou non coupablement négligent en s'abstenant d'informer son patient sur l'existence d'un risque, au regard de ce qu'il était normal de connaître à l'époque, et compte du degré de spécialisation du praticien. Les mêmes principes ont logiquement été retenus pour l'information que doit le producteur concernant les risques inhérents à ses produits (19), ce que confirme cette nouvelle décision.

L'affaire. Il s'agissait ici d'une patiente soignée pour une forme sévère d'acné à qui son dermatologue avait prescrit en 2003 un médicament dénommé Procuta Gé. Quinze mois plus tard, elle avait présenté les signes d'une hépatite et des troubles intestinaux, puis une rectocolite hémorragique (RCH), nécessitant une colo-proctectomie totale. L'intéressée a alors recherché la responsabilité du laboratoire et mis en cause également l'ONIAM.

Le manquement à l'obligation d'information était invoqué au titre de la preuve du caractère défectueux du produit. La cour d'appel a considéré, avec l'aval de la Cour de cassation, qu'aucun défaut ne pouvait être retenu dans la mesure où "la RCH n'était pas considérée à l'époque, par la communauté médicale, comme un risque inhérent à la prise de Procuta Gé".

1.3.2. Recours entre producteurs

  • Le producteur du produit fini et celui de la partie composante sont solidairement responsables à l'égard de la victime ; dans leurs rapports, la détermination de leur contribution respective à la dette ne relève pas du champ d'application de la Directive du 25 juillet 1985 et, notamment, des dispositions de l'article 1386-11 du Code civil, qui transpose en droit interne l'article 7 de la même Directive. La contribution de chaque producteur se réalise alors par parts égales (Cass. civ. 1, 26 novembre 2014, n° 13-18.819, FS-P+B N° Lexbase : A5331M49 ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0410ERM)

Contexte. L'article 1386-8 du Code civil (N° Lexbase : L1501AB9) dispose que "en cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables", mais ne dit rien de la répartition entre eux de la charge indemnitaire dans le cadre des recours. La réponse se trouve toutefois dans la Directive du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT), singulièrement dans son article 5, aux termes duquel "si, en application de la présente Directive, plusieurs personnes sont responsables du même dommage, leur responsabilité est solidaire, sans préjudice des dispositions du droit national relatives au droit de recours".

Dans ces conditions, le recours échappe au régime spécial et s'exerce dans les conditions du droit commun, ce que confirme logiquement la Cour de cassation dans cette décision.

L'affaire. Une patiente avait subi l'implantation d'une prothèse de hanche réalisée par la société Wright Medical France, dont la tête en céramique, fabriquée par la société Ceramtec, s'était brisée ; elle a alors assigné les deux sociétés en responsabilité en raison du défaut du produit.

La cour d'appel avait fait droit aux demandes de la victimes et condamné le fabricant de la tête en céramique défectueuse à garantir intégralement le fabriquant de la prothèse, et écarté au stade du recours les dispositions de l'article 1386-11 du Code civil (N° Lexbase : L1504ABC) relatives à l'exonération du producteur. Sur ce point, le pourvoi est rejeté.

Elle avait, en revanche, admis le recours pour le tout en se fondant uniquement sur le fait que "la cause exclusive du dommage est la rupture inexpliquée de la tête fémorale en céramique de la prothèse". Or, selon la première chambre civile de la Cour de cassation, "la contribution à la dette, en l'absence de faute, se répartit à parts égales entre les coobligés".

Une cassation discutable. La solution retenue nous semble critiquable, même si elle est conforme à la jurisprudence habituelle. Le principe selon lequel la dette se répartit par parts égales entre coobligés tenus sans faute s'explique, en effet, par l'impossibilité dans laquelle on se trouve d'imputer particulièrement à l'un d'entre eux le dommage, ce qui correspond à une hypothèse de coaction. Mais, lorsque l'obligation in solidum répond non pas à une exigence logique (l'indivisibilité de la cause) mais pratique (favoriser l'indemnisation de la victime), alors il semblerait logique de considérer qu'au stade du recours c'est d'abord celui à qui le dommage peut-être imputé qui doit supporter le poids de la réparation.

La situation dans cette affaire peut d'ailleurs être rapprochée de celle d'un patient victime d'une infection nosocomiale à l'occasion de l'une des nombreuses opérations subis dans un laps de temps déterminé, au sein de plusieurs établissements. Dans cette hypothèse où il semble particulièrement difficile de déterminer au sein duquel il a été effectivement contaminé, la Cour de cassation a reconnu la responsabilité in solidum de tous les établissements (20), celui qui a dû indemniser la victime pouvant ensuite recourir contre les autres et déterminer, à ce stade, lors de quelle opération le patient a été effectivement contaminé. S'il y parvient, alors il nous semble que c'est à ce seul établissement qu'il appartient de supporter la charge indemnitaire, sans qu'il y ait lieu d'appliquer ici le partage par parts égales. Le même raisonnement nous semble devoir prévaloir dans la mise en cause des deux laboratoires ayant commercialisé le "Distilbène" et solidairement responsables à l'égard des victimes (21).

Certes, le producteur du tout était également responsable de ce défaut, mais du fait d'autrui en raison de l'incorporation de ce composant dans le sien. Forcer l'application du recours par parts égales dans ce cas nous semble donc éminemment discutable, alors qu'il semblerait plus juste de lui permettre de recourir pour le tout contre le fabricant de la partie intégrée défectueuse.


(1) D., 2014, p. 2053, note E. Martinez et F. Vialla.
(2) La certitude provient soit de la preuve que la patient avait indiqué qu'il refuserait l'acte s'il était exposé à ce type de risque, soit dans des circonstances comparables qu'il avait déjà refusé ce type d'acte.
(3) Dernièrement, Cass. civ. 1, 27 novembre 2013, n° 12-27.961, F-D (N° Lexbase : A4622KQA), nos obs. Panorama de responsabilité civile médicale (novembre 2013 - février 2014), Lexbase Hebdo n° 564 du 27 mars 2014 - édition privée (N° Lexbase : N1409BUQ).
(4) Pour d'autres exemples dans les mêmes circonstances, voir Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n° 87-11.875, F-P+B (N° Lexbase : A8879AA4), et dernièrement, Cass. civ. 1, 13 mai 2014, n° 13-14.298, F-D (N° Lexbase : A5690MLC), et nos obs. Panorama de responsabilité civile médicale (mars 2014 - août 2014) (première partie), Lexbase Hebdo n° 583 du 18 septembre 2014 - édition privée (N° Lexbase : N3658BUZ).
(5) Ainsi, Cass. civ. 1, 13 mars 2001, n° 99-16.093, FS-P (N° Lexbase : A3948ARN), Gaz. Pal., 2002, n° 111, p. 11, obs. D. Gency-Tandonnet : "s'il est exact qu'en vertu de l'indépendance professionnelle dont il bénéficie dans l'exercice de son art, un médecin répond des fautes commises au préjudice des patients par les personnes qui l'assistent lors d'un acte médical d'investigation ou de soins, alors même que ces personnes seraient les préposées de l'établissement de santé où il exerce".
(6) Cass. civ. 1, 18 juin 2014, n° 13-16.266, F-D (N° Lexbase : A5810MRM).
(7) C. santé. pub., art. D. 712-49 (N° Lexbase : L8030DKM), devenu art. D. 6124-101 (N° Lexbase : L6001HBU).
(8) Dernièrement, dans des conditions comparables : CE, 5° s-s-r, 21 octobre 2013, n° 339144, inédit (N° Lexbase : A4414KNS), et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (juillet à novembre 2013), Lexbase Hebdo n° 549 du 28 novembre 2013 - édition privée (N° Lexbase : N9560BTA).
(9) Pour une discussion sur la preuve de cette information : Cass. civ. 1, 12 juin 2012, n° 11-18.928, F-P+B+I (N° Lexbase : A8815INS), et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale : la faute médicale (juin à septembre 2012), Lexbase Hebdo n° 503 du 25 octobre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N4127BTZ) ; Resp. civ. et assur., 2012, comm. 246, note S. Hocquet-Berg ; Contr. Conc. Cons., 2012, n° 10, p. 11, note L. Leveneur ; RGDM, 2012, p. 539, note J. Saison -Demars et M. Girer ; RLDC, 2012 n° 96, p. 20, note J.-P. Bugnicourt.
(10) Cass. civ. 1, 20 octobre 1992, n° 91-11.912, inédit au bulletin, Rejet (N° Lexbase : A7475CX7). Un diagnostic précoce interdit de retenir une faute médicale : Cass. civ. 1, 8 juillet 1994, n° 92-12.587, F-D (N° Lexbase : A7955CPC).
(11) Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-17.631, F-D (N° Lexbase : A0777KCR) : application de la théorie de la perte de chance d'avoir pu éviter les séquelles.
(12) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, n° 97-21.903, F-P+B (N° Lexbase : A7452AHH).
(13) Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n ° 12-14.219, F-P+B+I (N° Lexbase : A9959KBH), et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (mars à juillet 2013) (première partie), Lexbase Hebdo n° 536 du 18 juillet 2013 - édition privée (N° Lexbase : N8110BTK). Dernièrement, Cass. civ. 1, 13 novembre 2014, n° 13-25 .709, F-D (N° Lexbase : A2992M39) (ont été condamnés le gardien d'une plaque d'égout, à l'origine de l'accident, et la clinique en raison de l'infection nosocomiale contractée lors de l'opération qui s'en est suivie).
(14) Cass. civ. 1, 10 avril 2013, préc..
(15) S'agissant de la notice de l'Isoméride : Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 02-16.648, FS-P+B (N° Lexbase : A6042DMQ), Resp. civ. et assur., 2006, comm. 90, et les obs., de A.-L. Blouet Patin, De la notice d'un vaccin anti-hépatite B, Lexbase Hebdo n° 201 du 9 février 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N4240AKA), Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID), et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juillet 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 359 - édition privée, chron. Ch. Radé (N° Lexbase : N0028BLM) ; Gaz. Pal., 13 août 2009 n° 225, p. 9, avis A. Legoux ; Contr. Conc. et Cons., n° 11, novembre 2009, comm. 262, L. Leveneur. De la notice du Dermalive : Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 08 12.632, n° 08 14.197 et n° 08 20.706, FS-D (N° Lexbase : A4171EIC), et nos obs., Panorama de responsabilité médicale (avril à juillet 2009) (troisième partie), Lexbase Hebdo n° 363 du 17 septembre 2009 - édition privée (N° Lexbase : N9249BL7). Nos obs., De la notice de l'antibiotique Bactrim forte : Cass. civ. 1, 6 octobre 2011, n° 10-21.709, F-D (N° Lexbase : A6138HYY), Lexbase Hebdo n° 463 du 24 novembre 2011 - édition privée (N° Lexbase : N8879BSN).
(16) On parlera alors de défaut extrinsèque, par opposition au défaut intrinsèque qui résulte non pas de conditions particulières d'utilisation du produit, ou de particularités du patient, mais qui constitue un caractère propre au produit dans des conditions normales d'utilisation.
(17) S'agissant de la faute dans le diagnostic ; dernièrement : Cass. civ. 1, 30 avril 2014, n° 13-14.288, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6878MKX), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (mars 2014 - août 2014) (première partie), Lexbase Hebdo n° 583 du 18 septembre 2014 - édition privée. S'agissant de la faute dans la prescription : Cass. civ. 1, 23 janvier 2014, n° 12-22.123, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9856KZ3), et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (novembre 2013 - février 2014), Lexbase Hebdo n° 564 du 27 mars 2014 - édition privée (N° Lexbase : N1409BUQ) ; RCA, 2014, comm. 115, note S. Hocquet-Berg.
(18) Dernièrement, Cass. civ. 1, 26 septembre 2012, n° 11-22.384, F-D (N° Lexbase : A6084ITI), et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale : la faute médicale (juin à septembre 2012), et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (15 juin - 30 octobre 2010), Lexbase Hebdo n°503 du 25 octobre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N4127BTZ).
(19) Cass. civ. 1, 19 mars 2009, n° 08-10.143, F-D (N° Lexbase : A0849EE8), La lettre juridique n° 346 du 16 avril 2009 ([LXB=N0185BK3)].
(20) Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-67.011, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1110E3I), et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (15 juin - 30 octobre 2010), Lexbase Hebdo n° 415 du 4 novembre 2010 - édition privée, (N° Lexbase : N4537BQ4) ; Médecine et droit 2012, n° 113, p. 29, note C. Corgas-Bernard ; JCP éd. G., 2010, p. 870, note O. Gout.
(21) Cass. civ. 1, 28 janvier 2010, n ° 08-18.837, F-P+B (N° Lexbase : A7626EQI), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (septembre à décembre 2009) (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 382 du 11 février 2010 - édition privée (N° Lexbase : N1649BNE). On sait toutefois que la probabilité que l'un d'entre eux puisse déterminer quel médicament la patiente avait consommé, est nulle, puisque par hypothèse cette preuve fait défaut.

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