Réf. : Ass. plén., 9 janvier 2015, n° 13-80.967, P+B+R+I (N° Lexbase : A0767M9B)
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N5537BUM
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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 17 Mars 2015
Résumé
Il résulte des articles L. 7321-1 (N° Lexbase : L3462H94) et L. 7322-1 (N° Lexbase : L3471H9G) du Code du travail, issus d'une codification à droit constant, que les gérants non-salariés de succursales de maisons d'alimentation de détail peuvent se prévaloir de l'ensemble des dispositions légales relatives aux institutions représentatives du personnel, sous réserve des aménagements expressément prévus par les dispositions particulières les concernant. |
Observations
I - Les aléas de la recodification
Le temps de la clarté. Salarié ou travailleur indépendant. Tel est, dans notre système juridique, l'unique option offerte à l'intermédiaire de commerce, faute pour le législateur de rester sourd aux récurrentes sollicitations en faveur de la création d'un régime juridique propre à ce qu'il est convenu de nommer la "para-subordination".
On ne saurait, pour autant, dire que ce même législateur est resté indifférent à l'égard de ces travailleurs situés à mi-chemin du salariat et de l'indépendance. Bien au contraire, il a eu très tôt conscience du fait que ces derniers, sans être liés par un lien de subordination juridique à l'égard de leur cocontractant, étaient néanmoins dans une situation de dépendance économique qui exigeait que leur soit appliqué un statut protecteur. Mais alors que celui-ci aurait pu être bâti de toutes pièces, c'est en quelque sorte le choix de la facilité qui a été fait.
Se refusant à forcer la qualification que les parties ont donnée à leur relation contractuelle (1), le législateur a néanmoins choisi d'appliquer à ces intermédiaires de commerce en situation de dépendance économique à l'égard d'autrui les règles du Code du travail, dès lors que sont réunies certaines conditions relatives à la nature ou au déroulement de leur activité. On admettra que le procédé est pour le moins original, "puisqu'il consiste à étendre l'application d'un droit conçu pour des salariés à des professionnels qui n'ont pas cette qualité [quand ils ne sont pas commerçants] et qui ne l'acquièrent pas pour autant" (2).
Parmi ces intermédiaires de commerce "para-subordonnés" figure le "gérant non-salarié des succursales de maisons d'alimentation de détail" (3), auquel le législateur a étendu l'application du droit du travail dès la loi n° 329 du 3 juillet 1944. Ces dispositions ont ensuite été codifiées, en 1973. Ouvrant un chapitre II du titre VIII du Livre VII du Code du travail, l'article L. 782-1 (N° Lexbase : L6862AC7) disposait ainsi, en son alinéa 2, que "les dispositions du chapitre Ier du présent titre sont applicables aux personnes mentionnées à l'alinéa précédent sous réserve des dispositions du présent chapitre". Ce chapitre Ier, relatif aux "catégories particulières de travailleurs" comportait un article L. 781-1 (N° Lexbase : L6860AC3) qui précisait, dans son alinéa 1er, que "les dispositions du présent code qui visent les apprentis, ouvriers, employés, travailleurs sont applicables aux catégories de travailleurs particuliers ci-après".
La lecture combinée de ces textes conduisait donc à appliquer l'ensemble Code du travail aux gérants non-salariés (4), en tenant seulement compte des quelques réserves figurant dans le chapitre les concernant. Ces dernières concernaient principalement l'applicabilité aux gérants non-salariés de la règlementation des conditions de travail, les accords collectifs et la compétence juridictionnelle pour les litiges entre les gérants non-salariés et les propriétaires de succursales.
Ainsi, et pour ne retenir que cet exemple qui nous intéresse particulièrement ici, la Cour de cassation avait décidé, dans un arrêt rendu le 8 décembre 2009, "qu'il résulte des dispositions combinées des alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L1356A94), de l'article 1er de la Convention n° 135 de l'OIT relative à la protection des représentants des travailleurs et de l'article L. 782-7 (N° Lexbase : L6868ACD, recodifié en L. 7322-1 du Code du travail N° Lexbase : L3471H9G), que le gérant non-salarié, investi d'un mandat représentatif [...] doit être en mesure d'exprimer et de défendre librement les revendications de la collectivité des gérants qu'il représente et doit bénéficier, à ce titre, du régime protecteur prévu aux articles L. 2411-3 (N° Lexbase : L0148H9D) et L. 2411-8 (N° Lexbase : L0153H9K) du Code du travail". La Cour de cassation avait, en conséquence, décidé que la rupture du contrat d'un gérant non-salarié devait être déclarée nulle, dès lors qu'elle n'avait pas été autorisée par l'inspecteur du travail (5).
Il est important de souligner que cette décision, rendue postérieurement à la recodification, avait néanmoins trait à des faits qui s'étaient déroulés sous l'empire des textes antérieurs à cette dernière.
L'obscurité née de la recodification. On se souvient que par une loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 (N° Lexbase : L4734GUU), le Parlement avait habilité le Gouvernement à recodifier le Code du travail par voie d'ordonnance. Les délais prévus par ce texte s'étant avérés insuffisants, une seconde habilitation était intervenue avec la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 (N° Lexbase : L9268HTG). Aux termes de l'article 57 de ce texte, "dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X), le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à l'adaptation des dispositions législatives du Code du travail à droit constant, afin d'y inclure les dispositions de nature législative qui n'ont pas été codifiées, d'améliorer le plan du code et de remédier, le cas échéant, aux erreurs ou insuffisances de codification".
Consécutivement au profond travail de recodification entreprise dans les limites ainsi fixées, les textes relatifs aux gérants de succursales ont été largement modifiés. A s'en tenir aux seules dispositions qui nous intéressent ici, le chapitre II (Gérants non-salariés des succursales de commerce de détail alimentaire) du Titre II (Gérants de succursales) du livre III de la partie VII du Code du travail s'ouvre sur un article L. 7322-1 (N° Lexbase : L3471H9G) qui dispose, dans son alinéa 1er, que " les dispositions du chapitre Ier sont applicables aux gérants non-salariés définis à l'article L. 7322-2 (N° Lexbase : L3473H9I), sous réserve des dispositions du présent chapitre". Ouvrant, quant à lui, le chapitre Ier, l'article L. 7321-1 (N° Lexbase : L3462H94) dispose que "les dispositions du présent code sont applicables aux gérants de succursales, dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre". C'est précisément de ce texte qu'est venue la difficulté à laquelle l'arrêt d'Assemblée plénière sous examen met définitivement un terme.
II - La ferme position de la Cour de cassation
La résistance des juges du fond. Etait en cause, en l'espèce, la société Distribution Casino France, qui comporte une branche "proximité" regroupant 2 250 magasins "petits Casino", répartis dans cinq directions régionales constituant autant d'établissements. Ces magasins sont exploités par des gérants non-salariés de succursales de maisons d'alimentation de détail, dont le statut était défini par les articles L. 781-1, L. 782-1 à L. 782-7 du Code du travail, devenus les articles L. 7321-1 et L. 7322-1 et suivants du même Code et, par un accord collectif national du 18 juillet 1963. En octobre 2004, la société Distribution Casino France a entrepris un redécoupage géographique des directions régionales du réseau, entraînant le transfert d'une région à l'autre de certains élus aux comités d'établissement, dénommés "comités de gérants", et la perte consécutive du mandat de certains délégués.
Le 9 novembre 2004, la société Distribution Casino France a rompu, sans autorisation administrative, le contrat de gérance de M. X, gérant non-salarié d'un "petit Casino" à Toulon, qui avait été désigné par la fédération des services CFDT, le 25 juin 2002, en qualité de délégué syndical de l'établissement "petit Casino" de la direction régionale sud-est.
A la suite de ces faits, le procureur de la République a fait citer, devant le tribunal correctionnel, M. Z, directeur des relations sociales de la société, des chefs d'entrave à l'exercice du droit syndical et de rupture sans autorisation du contrat d'un délégué syndical. Les juges du premier degré ont relaxé le prévenu du premier chef de prévention, l'ont condamné du second et ont prononcé sur les intérêts civils. Le ministère public et les parties ont relevé appel de cette décision. Par arrêt du 2 juillet 2010, la cour d'appel de Lyon a relaxé le prévenu des deux infractions poursuivies et rejeté les demandes des parties civiles.
Sur pourvoir des parties civiles, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé cette décision et renvoyé la procédure devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée (6).
Pour rejeter les demandes de dommages-intérêts des parties civiles, fondées sur le préjudice qui leur aurait été causé du fait de la rupture du contrat de M. X, gérant non-salarié de succursale de commerce alimentaire, sans autorisation administrative, la cour d'appel retient que s'il se déduisait clairement des dispositions de l'article L. 781-1 de l'ancien Code du travail, applicable à la date des faits, que les dispositions pénales du Code du travail concernant l'exercice du droit syndical étaient applicables aux relations entre les propriétaires de succursales de commerce alimentaire et les gérants non-salariés de celles-ci, l'article L. 2431-1, alinéa 1er, du Code du travail, qui a remplacé l'article L. 481-2 ancien et sanctionne la rupture sans autorisation administrative du contrat d'un délégué syndical, ne trouve plus à s'appliquer aux gérants susvisés du fait de la rédaction des articles L. 7321-1 et L. 7322-1 du Code du travail qui ne renvoient pas aux dispositions pénales sus-énoncées.
La décision des juges d'appel est censurée par l'Assemblée plénière au visa des articles L. 2431-1 (N° Lexbase : L0229H9D), L. 2411-1 (N° Lexbase : L3666IUC), L. 2411-2 (N° Lexbase : L0147H9C), L. 7321-1 (N° Lexbase : L3462H94) et L. 7322-1 (N° Lexbase : L3471H9G) du Code du travail, ensemble les articles 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) et 3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9886IQ9). Ainsi que l'affirme la Cour de cassation, "il résulte des textes susvisés du Code du travail, issus d'une codification à droit constant, que les gérants non-salariés de succursales de maisons d'alimentation de détail peuvent se prévaloir de l'ensemble des dispositions légales relatives aux institutions représentatives du personnel, sous réserve des aménagements expressément prévus par les dispositions particulières les concernant". En conséquence, "en statuant ainsi, alors que les faits, objet de la poursuite entraient dans les prévisions de l'article L. 481-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6551ACM devenu l'article L. 2431-1, alinéa 1er, du même code N° Lexbase : L0229H9D), et étaient susceptibles de constituer une faute civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
Une solution pleinement justifiée. Avant d'analyser la solution retenue par la Cour de cassation, il importe de revenir sur la décision des juges du fond qui méritent d'être explicitée. On peut s'étonner que ces derniers aient fait application des textes issus de la recodification alors que les faits de l'espèce étaient antérieurs à celle-ci. L'explication réside dans le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce. Plus précisément, et ainsi que l'indique M. Maron dans son rapport (7), "même s'il n'est pas explicitement revendiqué par le mémoire en défense, ce principe est au coeur du raisonnement suivi par l'arrêt attaqué, et c'est bien de lui qu'il conviendrait de faire application si nous suivions le défendeur en ses prétentions puisque, pour rejeter le pourvoi, il faut non seulement considérer que la nouvelle codification a dépénalisé les comportements reprochés au défendeur au pourvoi, mais aussi que les nouveaux textes doivent rétroactivement recevoir application".
S'agissant de la motivation de l'arrêt d'appel, on la comprend mieux en lisant le moyen annexé à l'arrêt. Les juges du fond avaient relevé que l'article L. 7322-1, dans sa rédaction issue de l'ordonnance 2007-329 du 12 mars 2007 disposait que "les dispositions du présent code sont applicables aux gérants non-salariés définis à l'article L. 7322-2, sous réserve des dispositions du présent chapitre". La loi 2008-67 du 21 janvier 2008 (N° Lexbase : L7792H3Y), dite de ratification, a modifié l'article L. 7322-1 en ce que, dans le premier alinéa, les mots "présent code" ont été remplacés par la référence "chapitre 1er". Or, l'article L. 7321-1 indique que "les dispositions du présent code sont applicables aux gérants de succursales, dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre". Par suite, selon les juges d'appel, "il apparaît que le législateur, par la mention dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre', notion qui sur le plan sémantique n'est pas extensible aux dispositions du Code du travail autres que celles du titre deuxième, et, par l'ensemble des modifications ci-dessus, n'a pas maintenu l'application des dispositions pénales réprimant l'entrave et la rupture sans autorisation à la situation des délégués syndicaux des gérants non-salariés ; qu'il se déduit de ces éléments, et des principes généraux d'interprétation de la loi pénale et d'applicabilité dans le temps de celle-ci, que l'élément légal des deux infractions poursuivies fait défaut, et qu'en conséquence, aucune faute ne peut être retenue sur le plan civil, dans les termes desdites qualifications pénales, contre M. Z".
Cette lecture est donc écartée par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation. Le message délivrée par celle-ci est on ne peut plus clair : avant, comme après la recodification, les gérants non-salariés bénéficient de l'ensemble des dispositions légales relatives aux institutions représentatives du personnel et, plus généralement, de l'ensemble du Code du travail, sous réserve, comme antérieurement, des aménagements expressément prévus par les dispositions particulières les concernant.
La solution est explicitement, et exclusivement, fondée sur le fait que les textes nouveaux sont issus d'une codification à droit constant. Ce faisant, la décision peut être rangée dans la série, déjà longue, des arrêts de la Cour de cassation qui s'en sont tenus à la règle selon laquelle "la recodification du Code du travail, est, sauf dispositions expresses contraires, intervenue à droit constant" (8). Elle ne constitue dès lors pas, loin s'en faut, une surprise (9). A dire vrai, c'est la lecture des textes opérés par les juges du fond qui surprend. Sans doute celle-ci pouvait s'autoriser du principe de la légalité pénale. Mais, de proche en proche, elle revenait à mettre en question l'application d'une part importante du Code du travail aux gérants non-salariés de succursales.
(1) Sans pour autant interdire au juge de requalifier cette relation contractuelle en contrat de travail, dès lors qu'est établie l'existence d'un lien de subordination juridique.
(2) J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du droit du travail, D., 4ème éd., 2008, p. 26.
(3) Avec la recodification, il faut désormais le nommer "gérant non-salarié des succursales de commerce de détail alimentaire". Nous nous en tiendrons, par la suite, à la nomination de "gérant non-salarié.
(4) Ce que la Chambre sociale de la Cour de cassation n'avait pas manqué de faire.
(5) Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-42.089, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4528EPE), Bull. civ. V, n° 277 ; nos obs., Les gérants non-salariés de succursales traités comme des salariés !, Lexbase Hebdo n° 377 du 7 janvier 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9365BMS).
(6) On aura deviné qu'il s'agit-là du volet pénal de l'affaire finalement tranchée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans l'arrêt précité du 8 décembre 2009 (Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-42.089, FP-P+B+R, préc.).
(7) Disponible sur le site internet de la Cour de cassation.
(8) V., par ex., Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-60.484, F-P+B (N° Lexbase : A6583EGW), Bull. civ. V, n° 115 ; Cass. soc., 27 janvier 2010, n° 08-44.376, FS+P+B (N° Lexbase : A7680EQI), Bull. civ. V, n° 22 ; Cass. soc., 13 mars 2012, n° 10-21.785, FS-P+B (N° Lexbase : A8858IES), Bull. civ. V, n° 99.
(9) D'autant plus que, comme le relève M. Maron dans son rapport, elle avait été en quelque sorte énoncée, sous forme d'obiter dictum, par la Chambre sociale, dans sa décision précitée du 8 décembre 2009 (Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-42.089, FP-P+B+R, préc.).
Décision
Ass. plén., 9 janvier 2015, n° 13-80.967, P+B+R+I (N° Lexbase : A0767M9B). Cassation partielle (CA Lyon, 21 novembre 2012). Textes visés : C. trav., art. L. 2431-1 (N° Lexbase : L0229H9D), L. 2411-1 (N° Lexbase : L3666IUC), L. 2411-2 (N° Lexbase : L0147H9C), L. 7321-1 (N° Lexbase : L3462H94) et L. 7322-1 (N° Lexbase : L3471H9G) ; C. civ., art. 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) ; C. proc. pén., art. 3 (N° Lexbase : L9886IQ9). Mots-clefs : gérants non-salariés de succursales ; recodification, application de l'ensemble des dispositions légales relatives aux institutions représentatives du personnel. Lien base : (N° Lexbase : E8371EST). |
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