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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 17 Mars 2015
Le conte, maintes fois éculé, du Petit Chaperon rouge, justement, est fort à propos en ces temps troublés, pour peu qu'on lui accorde les vertus pédagogiques de la Psychanalyse des contes de fées chère à Bruno Bettelheim. Le sous-titre du chapitre que lui consacre l'auteur de La forteresse vide est des plus annonciateurs de sa théorie : surmonter les ambivalences.
Alors, imaginez donc que l'on introduise les technologies de la géolocalisation dans ce conte basé sur l'angoisse et la renaissance : une de ces technologies permettant de déterminer la localisation d'un objet ou d'une personne avec une certaine précision, parce qu'elle s'appuie, généralement, sur le système GPS ou sur les interfaces de communication d'un téléphone mobile.
A n'en pas douter, aujourd'hui, le Petit Chaperon rouge, coiffé d'une cape semblable à celle de la Liberté guidant le Peuple de Delacroix, aurait, toute juvénile qu'elle fût, un portable en poche, pour, dira-t-on par pudeur d'esprit, prévenir sa mère en cas de pépin. Et, naturellement, le loup prédateur ne manquerait pas d'être accroché à son smartphone, pour mieux organiser son forfait. La galette, le lait et le petit pot de beurre en poche, sortie de sa maison, l'héroïne trouverait un chemin bien tracé dont sa mère lui aurait dit de ne pas s'écarter. Attirée par le principe de plaisir, celui pour un monde où, dixit le loup "toutes ces jolies fleurs dans les sous-bois, comment se fait-il [qu'elle] ne les regarde même pas", le Petit Chaperon rouge entrerait, alors, en conflit avec le principe de réalité instruit par sa mère ("Sois bien sage en chemin [...] Et puis, dis bien bonjour en entrant et ne regarde pas dans tous les coins !".
Notre héroïne, musant en chemin, encouragée ainsi par un loup sans loi, qui, lui, courrait ventre à terre vers la maison de la mère-grand, on suppute, dès lors, que sa mère traçant le chemin de sa fille, grâce à une application quelconque de son téléphone mobile, aurait pu, fissa, remettre la jeune fille, toute liberté en tête, sur le chemin de la réalité. Mais, au lieu de cela, on connaît la suite, le loup entra par ruse dans le home sweet home de l'archétype de la vieille dame fière de sa sécurité, mais pourtant contrainte à l'alitement du fait, on ne souvient plus trop, de son âge ou d'une quelconque cécité. L'animal, par duperie, dévora la grand-mère, pour mieux prendre sa place et ménager ses effets, en attendant que le Petit Chaperon rouge, naïve, innocente, libre comme l'air, n'atteignit, elle aussi, la maison tant convoitée. Elle entra, après que la bobinette eut chu, pour s'étonner, n'ayant pas reconnu le loup, que sa vieille mère nourricière ait désormais de grands yeux, de grandes oreilles, de grandes mains, un grand nez et une grande bouche ! Bref, les cinq sens ayant tous été dévoyés par le prédateur, la jeune fille, bien que confiante de prime abord, n'en fut pas moins surprise de ne pas reconnaître son aïeule. Mais, à force de faire un pas vers le loup, la voici dévorée, à son tour.
Il est alors heureux, chez Perrault, que l'homme certes dangereux séducteur, meurtrier de la grand-mère et de la petite fille, sous l'apparence du loup, fusse également la figure paternelle, forte, responsable qui sauva l'enfant, sous les traits du chasseur. Ce dernier, éventrant le loup, fait ainsi renaître la jeune fille et la mère-grand pour qu'elles accèdent à un plan supérieur d'existence. L'enfant saisit intuitivement que ce qui "meurt" vraiment chez l'héroïne, c'est la petite fille qui s'est laissée tenter par le loup, sa candeur, et non elle-même, précise Bettelheim. Lorsqu'elle bondit hors du ventre de l'animal, c'est une personne tout à fait différente qui revient à la vie. Le Petit Chaperon rouge a perdu son innocence enfantine en rencontrant les dangers qui existent en elle et dans le monde, et elle l'a échangée contre une sagesse que seul peut posséder celui qui "est né deux fois".
Si tout est bien qui finit bien, chez Perrault comme chez les frères Grimm d'ailleurs, c'est parce que le chasseur passait par là... Le hasard semble y être pour beaucoup dans l'arrangement des choses... Mais ici, le loup tentateur, bien que déguisé pour mieux se fondre, n'est pas protéiforme : l'animal et sa duperie sont tout de même reconnaissables entre cent. Reste que, si le chasseur avait eu à sa disposition un système de géolocalisation, car il savait que le loup rodait dans les parages, averti par les bûcherons incognito de la forêt, il aurait vite repéré le prédateur pour le stopper à temps dans son entreprise destructrice. Mais alors, sans accomplir une renaissance intérieure, comment le Petit Chaperon rouge aurait-il troqué sa cape rouge, qui symbolise les émotions violentes, contre un pardessus bleu, symbole de l'Union et de la Concorde ? Voilà donc toute l'ambivalence de cette histoire comme de l'usage des nouvelles technologies intrusives de la vie privée. Mais peut-on compter éternellement sur la Providence, pour que le chasseur sauve, à chaque fois, la jeune fille légitimement tentée par la Liberté ?
On sait la loi du 28 mars 2014, relative à la géolocalisation, conforme aux droits et garanties protégés par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l'Homme. On la sait désormais, par trois arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendus le 6 janvier 2015, conforme aux exigences de prévisibilité et d'accessibilité de la loi lorsqu'elle est effectuée sous le contrôle d'un juge. Ainsi, la mesure de géolocalisation en temps réel, décidée par le procureur de la République dans le cadre d'un trafic de stupéfiants, limitée dans le temps et nécessitée par l'enquête, notamment afin de mettre un terme au trafic et d'en interpeller les auteurs, répond aux exigences légales. Le principe de proportionnalité de l'ingérence dans la vie privée commande que l'importance du but poursuivi justifie l'atteinte à la vie privée sur une période de temps très limitée de quelques jours, que constitue la géolocalisation sous le contrôle du procureur de la République, sans autorisation par le juge des libertés et de la détention. Enfin, dès lors que la géolocalisation a été exécutée sur le fondement de l'article 81 du Code de procédure pénale, lequel répond aux exigences de prévisibilité et d'accessibilité de la loi imposées par la Cour européenne des droits de l'Homme et qu'elle a été effectuée sous le contrôle du juge et pour un temps limité, les juges, ajoutant par ailleurs que cette ingérence dans la vie privée des personnes était nécessaire pour faire cesser les faits reprochés et proportionnée, s'agissant d'une association de malfaiteurs en vue de commettre de multiples vols par effraction, parfois avec violences, aucune violation des dispositions liées à la géolocalisation ne saurait être retenue. Tout ceci fut ainsi dit... le jour d'avant...
"Le Petit Chaperon rouge est universellement aimé parce que, tout en étant vertueuse, elle est exposée à la tentation ; et parce que son sort nous apprend qu'en faisant confiance aux bonnes intentions du premier venu, chose qui est fort agréable, on risque en réalité de tomber tout droit dans un piège. Si nous n'avions pas en nous mêmes quelque chose qui aime le grand méchant loup, il aurait moins de pouvoir sur nous. Il est donc important d'apprendre ce qui nous le rend si séduisant. Si séduisante soit la naïveté, il est dangereux de rester naïf toute sa vie", conclut Bettelheim. Et, pour jouir encore d'un peu de cette naïveté, s'exposer à la tentation de l'autre, sans tomber dans le piège, les nouvelles technologies, certes intrusives de la vie privée, mais sous contrôle du juge des libertés et de la détention sont un compromis acceptable, propose la Haute juridiction.
Comme on le sait, le bon conte de fées a plusieurs niveaux de signification. Seul l'enfant peut découvrir la signification qui peut lui apporter quelque chose sur le moment... Question de maturité et d'adhésion au principe de réalité.
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