La lettre juridique n°594 du 11 décembre 2014 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Retour sur la transaction rédigée en termes généraux

Réf. : Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 13-18.984, FS-P+B (N° Lexbase : A9316MZ3)

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 20 Décembre 2014

La transaction constitue l'outil de sécurisation par excellence, compte tenu de l'autorité dont elle est revêtue entre les parties. Dans un arrêt en date du 5 novembre 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que la transaction qui comporte une clause de renonciation du salarié à tout recours doit produire effet (I) et s'oppose à toute contestation ultérieure du salarié (II).
Résumé

Un salarié ne peut pas prétendre au paiement de sommes à titre de dommages et intérêts pour perte de salaires et d'une indemnité compensatrice de préavis dès lors qu'il a conclu une transaction aux termes de laquelle il a déclaré n'avoir plus rien à réclamer à l'employeur à "quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit, tant en raison de l'exécution que de la rupture du contrat de travail".

Commentaire

I - Une transaction comportant une clause excluant de manière générale toute action du salarié

Contexte. La transaction se définit comme "le contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître". Si la transaction a autorité de la chose jugée entre les parties, celle-ci se limite à l'objet même de l'accord (1), et tout ce qui n'a pas été prévu peut être discuté devant le juge. Pour aider le juge à déterminer la portée effective de la transaction, le Code civil donne deux indications, l'une qui consiste à interpréter l'intention des parties qui s'est traduite dans l'accord par des "expressions spéciales", l'autre qui conduit à tirer des termes mêmes de l'accord les "suites" nécessaires à celui-ci (2).

Si la transaction constitue un instrument de règlement des litiges très efficace, et particulièrement prisé des employeurs qui souhaitent "sécuriser" le règlement des différends qui peuvent les opposer à leurs salariés au moment de la rupture du contrat de travail, il apparaît qu'au-delà des solutions adoptées pour toutes les transactions par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui a consacré, en 1997, une très large portée aux transactions rédigées en des termes généraux excluant toute contestation future, pour quelque cause que ce soit (3), la Chambre sociale de la Cour de cassation a eu tendance, depuis cette date, à restreindre la portée de la transaction en interprétant de manière restrictive la notion de "suite nécessaire de ce qui est exprimé" dans l'acte (4).

Cette tendance à restreindre la portée de la transaction concerne surtout les créances qui naissent postérieurement à la conclusion de l'accord ; pour les créances antérieures ou directement liées à la rupture du contrat, qui naissent par hypothèse avant la conclusion de l'accord transactionnel puisque celui-ci ne peut intervenir avant la notification du licenciement, le juge demeure strict et fait produire effet à l'acte, sans état d'âme, comme le montre cette affaire.

Les faits. Un salarié, licencié pour faute grave, avait conclu avec son employeur la transaction suivante :

"Monsieur X a été engagé le 2 novembre 1995, en qualité d'analyste programmateur.

L'intéressé a fait l'objet d'absences qui sont restées injustifiées malgré la demande de justificatif de la Direction en date du 3 septembre 2007, la non-réponse de l'intéressé a contraint la Direction à notifier à Monsieur X le 17 septembre 2007, sa décision de mettre un terme à sa collaboration à effet le même jour.

Au cours des entretiens qui ont suivi, Monsieur X a fait valoir d'une part que le motif indiqué ne justifiait pas son licenciement, dans la mesure où sa compétence d'analyste programmateur n'avait jamais fait l'objet de reproches et d'autre part, que cette mesure lui causait un préjudice psychologique et moral certain compte tenu de sa situation personnelle et du manque de crédibilité qui pourrait être porté sur son professionnalisme par de futurs employeurs.

Il estimait subir un préjudice dont il appréciait la valeur à 18 mois de rémunération.

Pour sa part, la Direction de l'établissement estimait d'une part que la mesure de licenciement résultait de l'attitude de l'intéressé face à son absence restée sans justificatif malgré la demande qui lui avait été faite. De ce fait, il lui appartenait en sa qualité d'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du service.

En cet état, désireuses de concilier leurs points de vue, les parties se sont rapprochées et au terme de concessions réciproques, agissant en pleine connaissance après un délai de réflexion qu'elles estiment suffisant, elles se sont mises d'accord pour mettre un terme au différend qui les oppose de la façon suivante.

La société accepte de verser à Monsieur X à titre d'indemnité transactionnelle, forfaitaire et définitive la somme nette de 35000 euros constitutive de dommages intérêts en réparation du préjudice autre que la perte de salaire que l'intéressé prétend subir du fait de la rupture de son contrat de travail.

Monsieur X accepte cette somme dans les mêmes conditions moyennant le versement de cette somme effectué au jour de la signature de ce présent protocole et le versement des salaires et indemnités de congés payés intervenue avec le règlement de solde de tout compte à la rupture de son contrat de travail le 17 septembre 2007, Monsieur X déclare n'avoir plus rien à réclamer à la société ainsi qu'au groupe à quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit, tant en raison de l'exécution que de la rupture de son contrat de travail, de même qu'en ce qui concerne la qualification que le juge de l'impôt pourrait donner à ces avantages.

Monsieur X se désiste de toute instance et de toute action".

Le salarié avait ultérieurement saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes de dommages et intérêts pour perte de salaires, du préavis et de droits à la retraite. Il avait obtenu gain de cause en première instance devant le conseil de prud'hommes qui avait considéré que le licenciement reposait en réalité sur un motif économique, mais avait été débouté en appel (5).

Il n'aura pas plus de chances devant la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette son pourvoi, après avoir relevé "qu'aux termes de la transaction le salarié a déclaré n'avoir plus rien à réclamer à l'employeur à quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit', tant en raison de l'exécution que de la rupture du contrat de travail", le salarié ne pouvant donc plus prétendre au paiement de sommes à titre de dommages et intérêts pour perte de salaires et d'une indemnité compensatrice de préavis.

II - Une transaction écartant justement toute contestation ultérieurement du salarié

Une solution justifiée. La solution nous semble totalement justifiée, tant au regard de l'action en paiement des salaires, qu'au regard du régime de la transaction.

La solution s'impose au regard des termes mêmes de la transaction. Celle-ci comportait, il est vrai, une formule assez sibylline selon laquelle la somme allouée de 35 000 euros correspondait à des "dommages intérêts en réparation du préjudice autre que la perte de salaire que l'intéressé prétend subir du fait de la rupture de son contrat de travail". Pour le salarié, cette formule excluait du champ de la transaction ce chef de préjudice, dont il pouvait donc réclamer réparation devant le juge.

Mais cette interprétation de la transaction était inexacte au regard du principe de l'interprétation globale qui doit prévaloir pour les actes juridiques, et qui résulte de l'article 1161 du Code civil (N° Lexbase : L1263ABE). Cette transaction, comme toutes les transactions d'ailleurs, contenait en effet une formule d'exclusion générale de toute autre réclamation qui démontrait que l'acte n'entendait pas réparer ce prétendu chef de préjudice, auquel le salarié renonçait donc puisque, par ailleurs, il s'engageait à ne plus rien réclamer. La formule ne signifiait donc pas que l'acte réservait l'action du salarié, mais au contraire qu'il y renonçait, ce qui était important pour apprécier les concessions réciproques des parties et le point d'équilibre entre le montant des sommes allouées et les prétentions de départ des parties (6). La cour d'appel avait donc bien analysé l'intention des parties telle qu'elle résultait de la rédaction de l'accord transactionnel dans son ensemble (7). En outre, le salarié ne prétendait pas que cette question n'avait pas été abordée par les parties, ou qu'elle devrait être exclue de son champ en raison des conditions de naissance de la créance concernée, postérieure à la rupture (8), mais bien au contraire qu'elle en avait été expressément exclue (9).

Une demande ciblée. Par ailleurs, et cela avait été relevé par la cour d'appel, le salarié n'avait pas remis en cause la validité de la transaction, mais discutait uniquement sa portée. C'est d'ailleurs sur ce point que s'opposent la transaction et le reçu pour solde de tout compte, qui présente également un effet libératoire pour l'employeur, mais doublement atténué : non seulement cet effet est subordonné à la réalisation d'une condition suspensive négative (que le salarié n'ait pas dénoncé le reçu dans un délai de six mois), mais de surcroit, il ne joue que pour les sommes versées qui y sont mentionnées, ce qui exclut toute possibilité d'exclusion générale (10).


(1) C. civ., art. 2049 (N° Lexbase : L2294ABL).
(2) C. civ., art. 2249 (N° Lexbase : L7173IAW).
(3) Ass. plén., 4 juillet 1997, n° 93-43375 (N° Lexbase : A0745CAT) : Bull. civ. n° 10 ; BICC du 1er novembre 1997, concl. Monnet.
(4) Notre étude Les effets de la transaction, dans La transaction dans toutes ses dimensions, D., coll. Thèmes et commentaires, 2006, p. 87 s.
(5) En appel : CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 24 mars 2012, n° S 10/06899 (N° Lexbase : A0046IMN).
(6) Sur cette vérification par le juge, voir Cass. soc., 19 février 2014, n° 12-28.543, F-D (N° Lexbase : A7639MEN) : l'existence de concessions réciproques, qui conditionne la validité d'une transaction, doit s'apprécier en fonction des prétentions des parties au moment de la signature de l'acte. Si le juge, pour déterminer si ces concessions sont réelles peut restituer aux faits, tels qu'ils ont été énoncés par l'employeur dans la lettre de licenciement, leur véritable qualification, il ne peut, sans heurter l'autorité de chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette transaction avait pour objet de clore en se livrant à l'examen des éléments de fait et de preuve (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9934ESQ).
(7) Egalement, Cass. soc., 20 novembre 2013, n° 12-23.117, F-D (N° Lexbase : A0404KQZ) : la Cour de cassation a rejeté les demandes formulées par un salarié, soumis à un contrat de travail de droit ivoirien, tendant en la condamnation de son employeur au paiement notamment d'une somme à titre de restitution de cotisations sur retraite, alors qu'il avait conclu une transaction avec son employeur lors de la rupture de son contrat de travail. En effet, il s'évinçait de la procédure ivoirienne que l'ensemble du litige, après jonction, avait été inclus dans les prévisions des parties lors de la transaction et notamment les prétentions du salarié portant sur la restitution de retenues de cotisations, de sorte que la cour d'appel, qui avait procédé à la recherche prétendument omise, avait estimé que la transaction portait également sur ces retenues (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9955ESI).
(8) Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-41.554, FP-P+B (N° Lexbase : A4524EPA) : la transaction comportait une clause d'exclusion générale comparable, et pourtant la Cour de cassation affirme que "sauf stipulation expresse contraire, les droits éventuels que le salarié peut tenir du bénéfice des options sur titre ne sont pas affectés par la transaction destinée à régler les conséquences du licenciement".
(9) Pour une discussion sur le périmètre voulu de la transaction, voir Cass. soc., 27 février 2013, n° 11-22.856, F-D (N° Lexbase : A8786I8W) : la transaction, qui est revêtue de l'autorité de chose jugée en ce qu'elle évalue le préjudice consécutif au licenciement, ne permet plus au salarié d'invoquer un préjudice fondé sur la clause du plan de souscription d'actions dont il avait nécessairement connaissance lors de la conclusion de la transaction .
(10) Dernièrement Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-24.985, FS-P+B (N° Lexbase : A7339KSM) ; voir les obs. de S. Tournaux, Solde de tout compte : caractère obligatoire et libératoire, Lexbase Hebdo n° 554 du 16 janvier 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N0213BUG) : l'employeur a l'obligation de faire l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail. Le reçu pour solde de tout compte n'a d'effet libératoire que pour les seules sommes qui y sont mentionnées, peu important le fait qu'il soit, par ailleurs, rédigé en des termes généraux.

Décision

Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 13-18.984, FS-P+B (N° Lexbase : A9316MZ3).

Rejet (CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 24 mai 2012, n° S 10/06899 N° Lexbase : A0046IMN).

Textes concernés : C. civ., art.1134 (N° Lexbase : L1234ABC), 2048 (N° Lexbase : L2293ABK) et 2049 (N° Lexbase : L2294ABL).

Mots clef : transaction ; portée.

Lien base : (N° Lexbase : E9955ESI).

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