La lettre juridique n°592 du 27 novembre 2014 : Éditorial

Pratique religieuse de l'enfant en résidence alternée : du syncrétisme d'essence judiciaire au nom de la laïcité ou de l'intérêt de l'enfant ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Novembre 2014


En son sommet, la justice est équité. "L'équitable [explique Aristote], tout en étant juste, n'est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale". "Ex aequo et bono", le juge écarte les règles légales lorsqu'il estime que leur application stricte aurait des conséquences inégalitaires ou déraisonnables. Dit plus directement : "La justice, c'est l'égalité" commandait Alain. Encore, "l'équitable [professait le grec], c'est le juste, pris indépendamment de la loi écrite" : la loi des Hommes, certes ; mais la loi divine également, à lire un arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, le 16 octobre 2014.

Ici, le juge se prononce sur les difficultés de mise en oeuvre de la pratique religieuse d'un enfant en résidence alternée, alors que les parents appartiennent à des confessions différentes. Pour trancher ce conflit ramené juridiquement à l'exercice de l'autorité parentale, la cour recherche quelle était la pratique religieuse passée des parents à l'égard de leur enfant, afin de maintenir une stabilité nécessaire à son bon développement. Mais, les parents ne démontraient pas les choix d'éducation qu'ils avaient réalisés du temps de la vie commune et ne faisaient pas même état de la pratique religieuse qu'ils faisaient suivre à leur enfant. Ainsi et compte tenu de la résidence alternée mise en oeuvre, le juge décide que l'enfant célébrerait les fêtes religieuses de l'une ou l'autre religion, avec le parent chez lequel il serait hébergé dans le cadre de l'alternance et qu'il en serait de même s'agissant du régime alimentaire.

La demande du père tendant à ce qu'il soit enjoint à la mère de respecter sa religion et de veiller à ce que l'enfant ne mange pas de viande non cashère, et qui sollicitait, par ailleurs, de pouvoir passer plusieurs fêtes religieuses avec son enfant est rejetée. Les juges d'appel relèvent que les parents étant de confessions différentes, il serait dommageable pour ce jeune enfant qui avait ainsi la possibilité de bénéficier de deux cultures religieuses, ce qui constituait un enrichissement spirituel certain, que cette différence religieuse devienne une source de discorde supplémentaire. Ce faisant, parés des attributs de la puissance de l'hermine, ils ordonnent le syncrétisme confessionnel, cultuel et familial pour le bien-être de l'enfant.

"Le jardinier peut décider de ce qui convient aux carottes, mais nul ne peut choisir le bien des autres à leur place" (dans Le Diable et le bon Dieu) ; mais Sartre oubliait volontairement la magistrature qui, seule, est habilité par la souveraineté populaire à savoir ce qui est bien pour l'autre, et singulièrement, pour l'enfant. Faisant une application des plus strictes de la laïcité, ordonnant le respect de la pratique de toutes les religions, et plus particulièrement celles du Livre, le juge, loin d'encourager le renoncement à tout exercice religieux lorsqu'il est conflictuel ou disparate au sein des foyers alternés de l'enfant, fait sien, d'abord, Diderot, puis Marx.

Le premier, dans Jacques le fataliste et son maître, écrivait : "Elle disait plaisamment de la religion et des lois, que c'était une paire de béquilles qu'il ne fallait pas ôter à ceux qui avaient les jambes faibles". La cour versaillaise dit-elle autre chose, lorsqu'elle décide que ce jeune enfant avait ainsi la possibilité de bénéficier de deux cultures religieuses, ce qui constituait un enrichissement spirituel certain ? Tout retrait de l'exercice religieux apparaît dès lors comme le retrait d'une force pour combler la faiblesse inhérente de l'enfant. Durkheim ne disait-il pas que la religion n'est pas un système d'idées mais justement de forces -il est vrai pas dans la même acceptation du terme- ?

Pour le second, dont la méfiance à l'égard de la religion n'est plus à démontrer, accompagné de Bergson et de Nietzsche, "C'est l'Homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'Homme" ; si bien que le juge s'exécute en équité et réalise le syncrétisme asynchrone religieux le plus parfait : chez papa, la religion du père ; chez maman, celle de la mère... de toute manière, tout cela est affaire culturelle, bien plus que cultuelle ; affaire de spiritualité, bien plus que de foi !

L'expérience judiciaire n'est pas anodine. Certes, l'on connaît le syncrétisme, comme la fusion de différents cultes ou de doctrines religieuses. L'on sait bien que Mitra n'est pas une déesse romaine, mais que son ascendance phrygienne ne l'empêchait pas d'être vénérée sur le Capitole ; comme on sait que Noël a des origines bien plus païennes qu'il n'y paraît. Le paganisme des Saturnales n'empêche pas l'adoration des mages dans tous les foyers chrétiens et autres... Plus avéré et, évident encore, bien que condamné par les jésuites, le syncrétisme amérindien, alliant les cultes précolombiens à la découverte du christianisme, fut l'indubitable accélérateur de l'évangélisation sud-américaine. Et, cette fusion cultuelle, confessionnelle, n'est pas propre à la religion chrétienne. La cohabitation du bouddhisme et du shintoïsme au Japon, depuis le VIII siècle, illustre parfaitement cette tolérance, cette acceptation, puis ce mélange religieux. Mais, tous ces syncrétismes, aussi difficiles à réaliser pour la paix des Hommes et des consciences qu'ils puissent avoir été, n'entraînaient pas d'ubiquité religieuse. L'Homme pratiquait de conserve l'ensemble des composantes, mêmes disparates, de son étrange foi. Mais, faire sabbat le samedi, et aller l'église le dimanche n'est pas un syncrétisme pacificateur. Cela évoque plus volontiers, le sort des "conversos" espagnols du XVème siècle, cachant aux yeux de l'Inquisition de Torquemada, la réalité de leur foi pour embrasser le christianisme obligatoire le dimanche matin... Rien de vrai là dedans. Et, la confusion forcée entraîne, au-delà de la richesse spirituelle (ou théologique du moins), sinon le désarroi, du moins, au final, l'inverse du but recherché : l'exclusion religieuse.

Choisir une foi, c'est exclure les autres. La religion est "un système de croyances solidaires et de pratiques relatives aux choses sacrées [...] qui unissent en une même communauté morale, appelée Eglise, ceux qui y adhèrent" enseigne Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse. On comprendra que l'heure n'est plus au mélange des genres et des fois. En quête d'identité, sans parler de revendications identitaires, les religions, même les trois monothéismes, sont peu amènes envers le multi-confessionnalisme. Or, le but de la pratique religieuse de l'enfant, quelle qu'elle soit, est bien d'affirmer son appartenance à une Eglise, à une communauté morale. Il en va ainsi avec bien plus de complexité que d'une appétence spirituelle ou culturelle.

Pour étayer la réflexion, nous soulignerons cet arrêt de la Cour de cassation rendu le 19 novembre 2014, aux termes duquel il est prescrit que s'il est possible d'obtenir l'inscription de la mention du reniement de son baptême en regard de son nom sur le registre des baptêmes, il en est autrement en cas de demande d'effacement de la mention du baptême. En clair, le reniement est possible ; l'effacement non, en l'absence d'atteinte au droit au respect de la vie privée. La Haute juridiction relève, à la suite de la cour d'appel, que, dès le jour de son administration et en dépit de son reniement, le baptême constituait un fait dont la réalité historique ne pouvait être contestée (sic). Le syncrétisme religieux d'essence judiciaire, confinant plus au multi-confessionnalisme sans doute, est alors sinon original, du moins à surveiller, justement dans l'intérêt de l'enfant. Mais, "puisque je ne suis pas capable de choisir, je prends le choix d'autrui" (Montaigne) : tel est le sort de ces enfants n'ayant pas l'âge de choisir eux-mêmes de ne pas croire, de croire ou quoi croire. Mais, c'est là le propre de la reproduction confessionnelle que, manifestement, le juge n'entend pas, lui seul, enrayer, dans l'esprit le plus pur de la laïcité.

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