La lettre juridique n°574 du 12 juin 2014 : Licenciement

[Jurisprudence] Licenciement du salarié malade en cas de nécessité de pourvoir à son remplacement définitif

Réf. : Cass. soc., 28 mai 2014, n° 13-12.476, F-D (N° Lexbase : A6129MPP)

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de Bordeaux

le 12 Juin 2014

Lorsque le contrat de travail d'un salarié est suspendu en raison d'une maladie ou d'un accident d'origine non professionnelle, il est fait interdiction à l'employeur de licencier le salarié en raison de son état de santé, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail. Cette règle de principe ne s'oppose toutefois pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise, dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées de l'intéressé. Mais, pour que le licenciement soit valable, il faut encore pouvoir démontrer que ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder au remplacement définitif du salarié. La Cour de cassation faisant preuve d'une rigueur de bon aloi en la matière, les arrêts admettant un tel licenciement sont suffisamment rares pour que la décision rendue le 28 mai 2014, qui est précisément en ce sens, retienne l'attention.
Résumé

La nécessité de pourvoir au remplacement définitif du salarié absent pour maladie est établie dès lors qu'il ressort de la fiche de fonction produite que le poste de responsable de production est un rôle pivot, interface du personnel de production et de la hiérarchie, de même que des clients ; que la salariée, en tant que cadre dirigeant, devait optimiser la production, recruter et former des agents, métier nouveau et non reconnu, et qu'il existe une pénurie de candidates pour le métier d'infirmière diplômée d'Etat ayant une expérience en bloc opératoire. Il apparaît, en outre, que l'employeur avait dû remplacer la salariée malade dès novembre 2006 et qu'une remplaçante avait été recrutée, selon contrat à durée déterminée d'un mois, renouvelé à trois reprises, mais ne venant pas de la région PACA, avec un statut précaire, logée à l'hôtel par l'employeur, lequel n'avait pas trouvé de remplaçante temporaire dans la région et que l'employeur avait, en mars 2007, conclu un contrat à durée indéterminée à la demande de celle-ci, compte tenu du risque de voir cette salariée ne pas poursuivre sa mission.

Commentaire

I - Le licenciement du salarié absent pour maladie

La protection du salarié contre le licenciement. Lorsqu'un salarié est en arrêt maladie son contrat de travail est suspendu, que cette maladie trouve son origine dans le travail ou non. En revanche, la protection du salarié contre le licenciement durant cette période est assurée de manière différente par la loi, selon que la maladie ou l'accident a, ou n'a pas, une origine professionnelle.

Pendant la période de suspension résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, il est fait interdiction à l'employeur de rompre le contrat de travail du salarié, sauf en cas de faute grave de sa part ou d'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie (C. trav., art. L. 1226-9 N° Lexbase : L1024H9S). En matière de maladie ou d'accident non professionnel, le Code du travail ne comporte aucun texte spécifique venant encadrer le droit de rupture unilatérale de l'employeur. Il convient, cependant, de ne pas oublier qu'en application de l'article L. 1132-1 (N° Lexbase : L5203IZQ) de ce même code, aucune personne ne peut être licenciée en raison de son état de santé, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail. Sous cette importante réserve, l'employeur peut donc licencier le salarié malade, dès lors qu'il est en mesure de faire état d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

La Cour de cassation admet, en outre, et de longue date, que le salarié, victime d'un accident ou d'une maladie d'origine non professionnelle, peut être licencié dès lors que son absence vient à se prolonger. Mais un tel licenciement n'est admis qu'à de strictes conditions.

Le licenciement pour absence prolongée. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation que, si l'article L. 1132-1 du Code du travail, qui fait interdiction de licencier un salarié, notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, "ne s'oppose pas à son licenciement motivé non par l'état de santé du salarié mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées de l'intéressé, celui-ci ne peut toutefois être licencié que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif" (1).

En cas de contestation de la validité de son licenciement par le salarié, l'employeur se doit donc d'établir deux choses. Tout d'abord, il doit rapporter la preuve que l'absence du salarié, soit parce qu'elle se prolonge, soit parce qu'elle se répète, vient perturber le bon fonctionnement de l'entreprise (2). L'employeur doit, ensuite, démontrer qu'il s'est trouvé dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif du salarié.

Pour la Cour de cassation, le remplacement définitif s'entend nécessairement de l'embauche d'un autre salarié (3), au moyen d'un contrat à durée indéterminée, qui plus est, d'une durée équivalente à celle prévue dans le contrat de travail du salarié remplacé (4). Par suite, tant que le juge aura la conviction que le remplacement pouvait être assuré par la conclusion d'un contrat à durée déterminée ou le recours au travail temporaire, la validité du licenciement sera écartée. A cela, il faut encore ajouter que le remplacement définitif doit être opéré par l'entreprise qui a procédé au licenciement, et non pas par une autre société du groupe (5).

II - Les conditions de validité du licenciement

L'affaire. En l'espèce, une salariée avait été, le 2 octobre 2004, engagée par une société en qualité de responsable de production, groupe 7, niveau B de la Convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique. La salariée, en arrêt maladie à compter du 2 octobre 2006, avait été licenciée le 26 mars 2007, pour absence prolongée, entraînant la désorganisation de l'entreprise et rendant nécessaire son remplacement.

La salariée reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et de l'avoir débouté de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail. A l'appui de son pourvoi, la salariée soutenait, notamment, que nul salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé et que son licenciement n'est légitime que si son absence prolongée ou répétée, consécutive à sa maladie, a entraîné des perturbations dans le fonctionnement normal de l'entreprise. En l'espèce, la salariée avait souligné, dans ses écritures, que l'employeur n'apportait aucune preuve de cette nature et la cour d'appel, pour retenir qu'elle était apportée, se bornait à constater, après la description du poste et des compétences qu'il requérait, que la salariée avait été rapidement remplacée. En se déterminant ainsi, par des motifs dispensant l'employeur de toute preuve objective, susceptible d'être l'objet d'un débat contradictoire et n'excluant pas que le licenciement fût illégalement intervenu en raison du seul état de santé de la salariée, la cour a violé l'article L. 1132-1 du Code du travail, ensemble l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG).

La Cour de cassation rejette le pourvoi au terme d'un long motif qui mérite, cependant, d'être reproduit in extenso. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "attendu que l'arrêt retient, d'abord, qu'il ressort de la fiche de fonction produite que le poste de responsable de production est un rôle pivot, interface du personnel de production et de la hiérarchie, de même que des clients, que la salariée, en tant que cadre dirigeant, devait optimiser la production, recruter et former des agents, métier nouveau et non reconnu, qu'il existe une pénurie de candidates pour le métier d'infirmière diplômée d'Etat ayant une expérience en bloc opératoire, ensuite, que l'employeur a dû remplacer Mme T. dès novembre 2006, enfin, qu'une remplaçante avait été recrutée selon contrat à durée déterminée d'un mois, renouvelé à trois reprises, mais ne venant pas de la région PACA, avec un statut précaire, logée à l'hôtel par l'employeur, lequel n'avait pas trouvé de remplaçante temporaire dans la région et que l'employeur avait, en mars 2007, conclu un contrat de travail à durée indéterminée à la demande de celle-ci, compte tenu du risque de voir cette salariée ne pas poursuivre sa mission ; que la cour d'appel, abstraction faite d'une déduction inopérante et d'une erreur de plume en se référant seulement à des candidates de la région, a légalement justifié sa décision".

Les éléments de justification. On constate, à la lecture du motif de principe, que la Cour de cassation, reprenant les constatations des juges d'appel, s'attache, d'abord, aux fonctions qu'occupait la salariée absente. En relevant que cette dernière avait un "rôle pivot" au sein de l'entreprise et qu'elle devait, en tant que cadre dirigeant, "optimiser la production, recruter et former des agents, métier nouveau et non reconnu", la Cour de cassation signifie, par là-même, la perturbation que l'absence de la salariée était de nature à entraîner pour le bon fonctionnement de l'entreprise. A cela, il faut encore ajouter le fait, également relevé, que l'employeur avait dû remplacer la salariée dès novembre 2006, alors que, rappelons-le, elle s'était trouvée en arrêt maladie à compter du 2 octobre. De notre point de vue, cet élément confirme la perturbation causée par l'absence, étant observé qu'un employeur qui tarde à remplacer le salarié absent perd de sa crédibilité au moment de convaincre le juge de la perturbation inhérente à l'absence (6). Cela n'est, au demeurant, pas antinomique, avec l'exigence, rappelée précédemment, que la perturbation doit découler de l'absence prolongée du salarié absent. Si perturbation il y a, alors même que le salarié n'est absent que depuis peu de temps, celle-ci ne peut que se confirmer en cas de prolongation de l'absence.

La Cour de cassation relève, ensuite, que l'employeur avait pourvu au remplacement de la salariée absente en concluant un contrat à durée déterminée d'un mois, renouvelé à trois reprises. Un tel élément semble écarter la nécessité d'un remplacement définitif car, ainsi que nous l'avons rappelé, celui-ci s'entend nécessairement de l'embauche d'un salarié en contrat à durée indéterminée. C'était, d'ailleurs, un argument soulevé par la salariée licenciée dans son pourvoi, qui avançait, à partir des mêmes constatations, que son remplacement temporaire était donc possible.

Cela n'a pas convaincu la Cour de cassation qui, il est vrai, ne s'en tient pas au constat précité. Elle relève en effet, en sus, que la remplaçante, ne venant pas de la région PACA, avait un statut précaire et était logée à l'hôtel par l'employeur. Ces éléments ne font toutefois sens qu'avec ceux qui suivent, à savoir que l'employeur n'avait pas trouvé de remplaçante temporaire dans la région et avait, en mars 2007, conclu un contrat de travail à durée indéterminée à la demande de la salariée remplaçante, compte tenu du risque de voir cette salariée ne pas poursuivre sa mission. Ce faisant, est démontrée la nécessité de conclure un contrat à durée indéterminée et, partant, la nécessité de pourvoir au remplacement définitif de la salariée absente, au sens où l'entend la Cour de cassation.

On pourrait s'étonner de ce que l'employeur ne cherche de remplaçant que dans la région où il est établi. Il faut cependant comprendre que, s'agissant d'un remplacement temporaire en contrat à durée déterminée, ne se bousculent pas les candidats venant d'autres régions. Mais il pourrait alors être avancé que cela reste surprenant en période de fort chômage. Il convient cependant de ne pas oublier que, ainsi qu'il est, là encore, relevé dans le motif de l'arrêt, il "existe une pénurie de candidates pour le métier d'infirmière diplômée d'Etat ayant une expérience en bloc opératoire".

Au final, il apparaît que les éléments relevés par la Cour de cassation s'emboîtent parfaitement pour conduire au constat qu'il était nécessaire de pourvoir au remplacement définitif de la salariée dont l'absence perturbait le bon fonctionnement de l'entreprise, alors même que, dans un premier temps, une solution provisoire avait pu être trouvée au moyen du recours au contrat à durée déterminée. Ceci démontre, au demeurant, que l'employeur ne s'était résolu à recourir au contrat à durée indéterminée et à licencier la salariée, que parce qu'il ne pouvait plus faire autrement.


(1) Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-40.110, publié (N° Lexbase : A9275ASC) : Bull. civ. V, n° 84 ; Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 02-44.586, F-D (N° Lexbase : A5713DDX).
(2) La seule perturbation du service ne suffit pas : Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 08-43.486, F-D (N° Lexbase : A3516EPW).
(3) La Cour de cassation juge, ainsi, qu'il n'y a pas de remplacement définitif, lorsque les tâches confiées au salarié absent ont été intégralement reprises par le salarié d'une entreprise prestataire de services : Ass. plén., 22 avril 2011, n° 09-43.334, P+B+R+I (N° Lexbase : A1067HP9) : Bull. Ass. plén., n° 3.
(4) Cass. soc., 6 février 2008, n° 06-44.389, FS-P+B (N° Lexbase : A7265D4T) : Bull. civ. V, n° 32. La Cour de cassation vise, dans cette décision, le remplacement définitif "dans l'emploi".
(5) Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-26.502, FS-P+B (N° Lexbase : A4355IBW) : Bull. civ. V, n° 21.
(6) Cela n'est toutefois pas insurmontable car, dans un premier temps, l'employeur peut confier les tâches assumées par le salarié absent à ses collègues de travail.

Décision

Cass. soc., 28 mai 2014, n° 13-12.476, F-D (N° Lexbase : A6129MPP).

Rejet (CA Aix-en-Provence, 13 décembre 2012, n° 11/06877 N° Lexbase : A3606IZL).

Texte concerné : C. trav., art. L. 1132-1 (N° Lexbase : L5203IZQ).

Mots clefs : maladie non professionnelle ; absence prolongée ; licenciement ; perturbation du bon fonctionnement de l'entreprise ; nécessité de pourvoir au remplacement définitif.

Lien base : (N° Lexbase : E3246ETE).

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