Lecture: 12 min
N2584BUA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université
le 12 Juin 2014
Dans cette affaire, le requérant a été institué légataire universel d'un contribuable décédé qui lui avait vendu divers biens immobiliers. Le prix de vente a été payé pour moitié au moyen d'une rente viagère et le solde converti en une obligation de soins. De 2003 à la date de son décès, le défunt a remis au requérant plusieurs chèques.
L'administration a notifié au contribuable deux propositions de rectifications. L'une visait à requalifier, sur le fondement de l'abus de droit (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU), la vente en une donation déguisée. L'autre avait pour objet de réintégrer dans l'actif successoral une certaine somme, concernant les chèques faits par le défunt, au titre de la procédure de rectification contradictoire.
Le procédé utilisé n'est en rien original. Il a été jugé, par exemple, que la vente de nue-propriété d'une maison pour un prix converti en rente viagère et bail à nourriture suivie du versement par le vendeur aux acquéreurs d'une somme presque équivalente, à charge pour eux d'assurer au vendeur l'hébergement, la nourriture et les soins est constitutif d'une donation déguisée (Cass. com., 6 mars 1990, n° 88-19.759 N° Lexbase : A4116AHW, Droit fiscal, 1990, comm. 1196). De la même façon, une dame très âgée qui vend à son neveu son habitation principale deux mois avant son décès, laquelle est convertie en rente viagère, est qualifié de donation déguisée dès lors que ses revenus et ses liquidités la mettaient durablement à l'abri du besoin (Cass. com., 21 octobre 2008, n° 07-19.345, F-D N° Lexbase : A9440EAU, RJF, 2009, 2, comm. 171).
Dans un courrier, le conseil du contribuable faisait valoir que les chèques remis par le défunt ont permis d'améliorer, à sa demande, la maison de ce dernier. Il soutenait également que le contribuable était à la recherche des factures justifiant des dépenses et demandait à ce que l'administration lui communique "les comptes bancaires" à partir desquels l'administration a calculé "le montant total des sommes remises" au requérant. Cette demande nous semble singulièrement manquer de précisions. Il aurait été très certainement utile de demander, d'une part, "un relevé des comptes bancaires" et, d'autre part, de solliciter de façon très explicite "une prolongation du délai de réponse de 30 (ou 40) jours afin que le contribuable ait le temps de procéder aux recherches nécessaires". Il aurait été peu probable que l'administration ne fasse pas droit à une requête formulée ainsi.
La Cour de cassation a jugé qu'il résulte de l'article L. 64, précité, que l'administration peut restituer son véritable caractère à une opération, laquelle peut résulter d'une pluralité d'actes dont aucun pris isolément n'est soumis à l'impôt, mais dont l'ensemble des composantes, étroitement liées, aboutit au résultat recherché par les parties, c'est-à-dire éluder l'impôt (Cass. com., 10 juin 1997, n° 95-13.799 N° Lexbase : A1817ACB, Droit fiscal, 1997, comm. 983). En outre, l'administration est admise à rétablir la nature exacte des actes soumis à l'imposition par tous moyens de preuve, y compris les présomptions, dès lors que celles-ci sont suffisamment graves, précises et concordantes pour établir la fraude (Cass. com., 14 mai 1985, n° 83-15.047 N° Lexbase : A4349AAC, Bull. civ. IV, n° 153).
En l'espèce, la Cour relève que, si l'administration a l'obligation de communiquer, à la demande contribuable, les documents qui fondent la rectification et dont, n'en étant ni l'auteur, ni le destinataire, il n'en a pas connaissance. Toutefois, cette obligation, qui ne peut être que postérieure à la proposition de rectification, n'est pas soumise au délai de 30 jours qui s'impose au contribuable au regard de l'article R. 57-1 du LPF (N° Lexbase : L5573G48).
La Cour constate que le requérant n'a formulé aucune demande de prorogation du délai de 30 jours et que la demande de communication des comptes figurant dans le courrier susvisé ne pouvait pas être comprise comme une demande de prorogation de ce délai.
Il est observé que l'administration a adressé au contribuable deux propositions de rectifications. L'une relève de la procédure de rectification contradictoire, l'autre de la procédure de répression des abus de droit. En réponse aux observations du contribuable, l'administration a pris la précaution de préciser que le contribuable pouvait saisir la commission départementale de conciliation ou le comité de l'abus de droit fiscal dont le rapport annuel, qui est publié, nous livre une assez bonne indication des montages mis en oeuvre et des impôts fraudés. Le choix qui semble être offert au contribuable, saisir l'une ou l'autre des commissions, peut être de nature à engendrer des confusions, même si au verso de ces courriers administratifs figurent les textes concernant ces deux commissions. La Chambre commerciale de la Cour de cassation tire pour conséquence que le contribuable pouvait assez facilement comprendre quelle case il devait cocher sur l'imprimé dont il était destinataire pour saisir le comité compétent. Devant l'incertitude qui pouvait habiter le contribuable, celui-ci aurait pu, à titre conservatoire, saisir les deux commissions. Mais la Cour aurait pu aussi sanctionner l'administration, qui n'a pas pris la peine de préciser laquelle des commissions était compétente. Cette solution aurait eu une vertu pédagogique, pour l'avenir, à destination de l'administration.
Voilà un arrêt qui illustre le principe selon lequel l'examen de situation fiscale personnelle (ESFP) n'est emprunt d'aucun formalisme, au sens où il n'a juridiquement aucun caractère contraignant, ce qui ne lui interdit pas d'être une technique de contrôle intrusive (notre ouvrage, Procédures fiscales, Montchrestien, collection : Domat, 2013, pp. 345 et suivantes).
Un contribuable a fait l'objet d'un ESFP à l'issue duquel plusieurs sommes enregistrées sur ses comptes bancaires ont été taxées d'office en qualité de revenus d'origine indéterminée, ou imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Cette situation résulte de la combinaison des articles L. 16 (N° Lexbase : L0114IW7) et L. 69 (N° Lexbase : L8559AEQ) du LPF. Le premier permet à l'administration de demander au contribuable l'origine et la nature des sommes portées aux crédits de ses comptes bancaires, le second de les taxer d'office ou de les rattacher à un revenu catégoriel, au cas particulier les revenus de capitaux mobiliers, dès lors qu'elle considère que les réponses apportées par le contribuable ne sont pas probantes ou que les montants peuvent être rattachés à un revenu catégoriel.
Conformément aux dispositions du 3ème alinéa de l'article L. 16, l'administration peut demander des justifications à un contribuable lorsque, préalablement à l'envoi de toute demande, elle a réuni des éléments permettant d'établir que celui-ci peut avoir disposé de revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés. L'article L. 16 ouvre à l'administration une simple faculté de demander au contribuable des éclaircissements ou des justifications, sans lui imposer l'obligation d'y recourir avant de mettre en oeuvre la procédure contradictoire de rectification (CE 8° et 9° s-s-r., 5 octobre 1977, n° 3016 N° Lexbase : A3796B7Q, Droit fiscal, 1977, comm. 1731). L'administration a la possibilité d'adresser plusieurs demandes successives (CE, 2 octobre 1985, n° 41977, RJF, 1984, 10, comm. 1406), ou d'user de cette procédure après avoir utilisé plusieurs demandes d'information (CE 8° et 7° s-s-r., 29 mars 1985, n° 35475, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2826AMM, RJF, 1985, 6, comm.830).
L'article L. 69 énonce que "sous réserve des dispositions particulières [...], sont taxés d'office à l'impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications prévues à l'article L. 16".
Dans l'affaire qui nous occupe, le juge constate que l'administration a adressé un avis d'examen de situation fiscale personnelle dans lequel il était demandé au contribuable de produire ses relevés des comptes financiers, ainsi que ceux des membres de son foyer fiscal. Le contribuable ne s'est pas exécuté dans le délai de 60 jours (LPF, art. L. 12 N° Lexbase : L6793HWI). Dans ces conditions, l'administration a exercé son droit de communication (LPF, art. L. 83 N° Lexbase : L7615HER) en demandant à la banque de lui transmettre les relevés de comptes. Les documents ont été adressés à l'administration trois mois et quatorze jours après la demande, délai qui s'ajoute à la durée maximale de 12 mois (LPF, art. L. 12) à compter de la notification de l'avis de vérification dont dispose l'administration pour procéder à l'ESFP.
Préalablement à l'utilisation de l'article L. 16 précité, et avant l'envoi de la proposition de rectification, le contribuable a bénéficié de trois entretiens oraux avec les fonctionnaires de l'administration fiscale. Il n'est pas contesté que, lors du dernier entretien, il a pu faire valoir des observations sur l'ensemble des relevés bancaires. Il n'est pas contesté non plus que le contribuable a reçu une demande d'éclaircissements relatifs aux mouvements bancaires et une mise en demeure (LPF, art. L. 16 A N° Lexbase : L8513AEZ) l'invitant à prendre connaissance des motifs pour lesquels le vérificateur estimait insuffisantes les justifications qu'il fournissait. Souvenons-nous à cet égard que la procédure est irrégulière lorsque le vérificateur s'abstient d'indiquer au contribuable les compléments de réponse qu'il souhaite, alors même que la mise en demeure concerne certains crédits pour lesquels aucune réponse n'avait été apportée à la suite de la demande de justification (CAA Marseille, 3ème ch., 20 décembre 2010, n° 08MA00221, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7215GNK, RJF, 2011, comm. 677).
Le débat doit être engagé au cours de la procédure et avant l'envoi d'une proposition de rectification. L'administration supporte la charge de la preuve, il lui appartient de démontrer qu'elle a recherché le dialogue notamment en faisant état de propositions d'entretiens qu'elle peut justifier par des convocations expédiées par lettres recommandées avec accusé de réception. Au cas particulier, il semble difficile de soutenir qu'il n'y a pas eu de débat oral et contradictoire. Il semblerait que les conditions d'un tel débat aient été réunies.
Concernant le bien fondé des impositions, le contribuable soutient que les sommes taxées d'office n'ont en fait que transité sur ses comptes. Mais, il n'en apporte pas la preuve. Concernant les rectifications portant sur les crédits inscrits sur les comptes courants d'associé du contribuable dans les sociétés dont il était soit dirigeant, soit associé, ou les deux à la fois, ou sur des sommes en provenance de ces sociétés inscrites sur son compte personnel, on peut considérer qu'il a eu nécessairement connaissance de la nature de ces crédits et de leur origine. Il lui appartient d'en justifier le caractère non imposable ainsi qu'il le soutient.
Cette affaire illustre la redoutable tenaille qu'est la combinaison des articles L. 16 et L. 69 du LPF, qui oblige le contribuable à justifier l'origine et la nature des sommes portées aux crédits de ses comptes financiers, faute de quoi il peut être taxé d'office.
Il peut arriver qu'un contribuable possède un ou plusieurs comptes bancaires retraçant des opérations privées et professionnelles. L'article L. 86, I, de la loi n° 92-1476 du 31 décembre 1992, codifié sous l'article L. 47 B du LPF (N° Lexbase : L8260AEN), fixe les conditions d'examen de ces comptes. Au cours d'un examen de situation fiscale personnelle (ESFP), l'administration peut examiner les opérations figurant sur les comptes financiers. Elle peut, à bon droit, demander des éclaircissements ou des justifications au contribuable et l'interroger sur la nature des opérations et l'origine des sommes enregistrées sur un compte mixte. Elle peut demander, oralement ou par écrit, des pièces justificatives.
Le Conseil d'Etat, dans un arrêt d'assemblée plénière du 31 mai 1992, a jugé que la seule circonstance qu'un vérificateur, examinant les relevés des comptes bancaires personnels du contribuable à l'occasion d'un ESFP, ait constaté qu'il retraçait à la fois des opérations personnelles et professionnelles, ne suffit pas à établir que l'agent de l'administration, en procédant à cet examen, aurait commencé une vérification de comptabilité avant la date prévue sur l'avis adressé au contribuable environ un mois après celui correspondant à l'ESFP (CE plén., 31 mai 1992, n° 83800, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0968AIP, concl. Gaermynck, BDCF, 1992, 1, pp. 52 - 58).
En l'espèce, le contribuable a fait l'objet d'un ESFP. A cette occasion, l'administration qui a procédé à l'examen de son compte bancaire personnel à découvert que le contribuable y encaissait les recettes d'une société dont il était le gérant, et avait payé à partir de ce même compte des factures établies au nom de la société. Le contribuable faisait valoir une confusion de patrimoines, privé et professionnel, afin de ne pas être taxé d'office sur les lignes de comptes dont les sommes proviennent de sa société, en tant que revenus distribués.
Pour sa défense le contribuable fait valoir que l'intégralité des crédits bancaires et les dépôts d'espèces injustifiés figurant au crédit des comptes bancaires ont été enregistrés en recettes. Il a produit les extraits du livre-journal de la société le justifiant. Il a produit également des factures à son nom mais qui ont été enregistrées en dépenses dans le même livre. Les pages du document comptable ne sont pas certifiées conforme mais, elles portent le cachet de la société suivi d'une signature et le cachet d'une société camerounaise d'audit et d'expertise sise à Douala. Enfin le document porte le cachet du centre principal des impôts de la direction des impôts de la République du Cameroun. Est-ce suffisant? Si ces divers cachets attestent de l'existence d'un livre-journal ils ne signifient en rien qu'ils ont une valeur probante.
Le Code commerce s'est attaché à régler la forme extérieure de la comptabilité, présumant que si celle-ci est respectée, les écritures sont sincères et régulières. Cette présomption simple de sincérité peut évidemment être remise en cause. Les obligations comptables s'apprécient strictement. Les pièces justificatives constituent la base de la comptabilité; les bilans et comptes ne sont que le résultat des transcriptions successives des éléments relevés sur ces documents initiaux. Tout commerçant doit tenir obligatoirement un livre-journal et un livre d'inventaire cotés et paraphés, un grand - livre. L'absence de grand-livre ou de livre-journal est un motif permettant à l'administration d'écarter la comptabilité (CE 9° et 8° s-s-r., 23 février 1983, n° 32718 et 32757, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1933AMK, RJF, 1983, 4, comm. 497). Toutefois, l'absence de livres obligatoires, si elle peut justifier le rejet de la comptabilité ne conduit pas nécessairement à la remise en cause des recettes déclarées, si elle est compensée par la présence de documents qui en tiennent lieu (CE 9° et 8° s-s-r., 19 octobre 1992, n° 77414, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7813ARS, RJF, 1992, 12, comm. 1708).
Le Conseil d'Etat, jusqu'à présent, faisait montre d'une certaine rigueur. Il a été jugé que ne peut tenir lieu de comptabilité régulière une comptabilité comportant un grand - livre tenu sur des feuilles volantes et un livre-journal non servi au jour le jour (CE 7° et 9° s-s-r., 28 janvier 1983, n° 25163, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9444ALD, RJF, 1983, 3, comm. 378), mais aussi une comptabilité dans laquelle les recettes sont comptabilisées globalement en fin de journée ne peut avoir de valeur probante que si cette opération est assortie de pièces justificatives (CAA Bordeaux, 3ème ch., 30 mai 1995, n° 94BX00535, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7769BEH, Droit fiscal, 1996, 9, comm.265). Est irrégulière, et par conséquent dépourvue de valeur probante, une comptabilité dont les livres ont de nombreuses ratures et surcharges (CE, 20 juin 1984, n° 30463 N° Lexbase : A4474ALB, RJF, 1984, 8-9, comm. 968).
Finalement, il peut sembler tout à fait discutable que le Conseil d'Etat accepte l'argumentation du contribuable consistant à produire différentes factures et documents comptables dépourvus de valeur probante et non certifiés conformes. La solution retenue est d'autant plus surprenante au vu de la rigueur à laquelle s'emploient les juges du Palais-Royal dans l'examen des preuves comptables. Cet arrêt restera-t-il isolé?
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:442584