La lettre juridique n°574 du 12 juin 2014 : Éditorial

Haro sur les "cadenas d'amour" : de l'occupation illégale du domaine public à une convention d'occupation précaire ?

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Haro sur les "cadenas d'amour" : de l'occupation illégale du domaine public à une convention d'occupation précaire ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/17340777-harosurlescadenasdamourdeloccupationillegaledudomainepublicauneconventiondoccupationp
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 12 Juin 2014


Cette semaine encore, le pont des Arts souffrait des "cadenas d'amour", ces petits cadenas gravés des noms ou initiales des tourtereaux scellant leur passion sur les parapets des ponts, notamment parisiens, et jetant la clé de l'éventuelle évasion de leurs sentiments amoureux dans les flots de la Seine. Un parapet s'est affaissé sur plus de deux mètres, cédant sous le poids, plus physique qu'allégorique, de ces "lovelocks" par milliers.

"Sous le pont Mirabeau coule la Seine / Et nos amours / Faut-il qu'il m'en souvienne / La joie venait toujours après la peine // Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure"...

L'allégorie va bon train depuis 2008, du moins à Paris -la Ville éternelle ayant essuyé les premiers plâtres de cette construction "cadenassière" dans les années 90'-. Essentiellement touristique, on n'oserait toutefois la contenir à un seul phénomène de mode. Il est moins risqué, certes, de sceller son amour sur le parapet du pont des Arts, la passerelle Simone de Beauvoir ou d'autres symboles de l'union entre deux rives esseulées, que devant Monsieur le maire ou Monsieur le juge (pour les partenaires civils de solidarité). Encore que la pratique incriminée, responsable de l'insécurité des promeneurs, constitue une occupation illégale du domaine public, outre l'atteinte esthétique aux monuments parisiens décriée désormais par les associations de riverains quelque peu chagrins... Sans doute de ces mal-aimés noyant leur spleen, seuls sur la rive gauche, sans voir l'espoir sur la rive droite...

"L'amour s'en va comme cette eau courante / L'amour s'en va / Comme la vie est lente / Et comme l'Espérance est violente"...

On sait le domaine public inaliénable et imprescriptible... Ce qui, nécessairement, a de quoi attirer les badauds ! Pensez donc : cadenasser son amour sur un bien juridiquement immuable -seulement sur le plan juridique, le pont en question s'étant justement effondré en 1979 sous les coups de boutoirs... d'une barge-, quel symbole ! Quelle métonymie ! Bien évidemment, à défaut de convention d'occupation, nécessairement, précaire, les "cadenas d'amour" n'ont pas droit de cité... un comble dans la ville des amoureux. Mais, imagine-t-on le trésorier payeur général, tel le poinçonneur des lilas, contrôler que chaque couple d'amoureux ait pris le soin de payer, d'avance, la redevance annuelle afférente à l'occupation de son petit cadenas ? L'absurde commanderait, de plus, qu'il conserve la clé de ladite serrure, puisque le couple devra, un jour, desceller son amour ainsi exposé. Mais...

"Passent les jours et passent les semaines / Ni temps passé / Ni les amours reviennent / Sous le pont Mirabeau coule la Seine"...

Conserver la clé du cadenas symbolique, voilà la solution au problème ! Bien que, dès lors, les tourtereaux ne verraient plus trop l'intérêt de sceller leur amour désormais précaire lui aussi. Même la mairie de Paris, prompte à recevoir l'impôt affiché aux frontons des parcmètres, ne pourrait véritablement se résoudre à condamner les amoureux à abandonner l'espoir d'une passion éternelle. Pour que le voeu soit exaucé, la clé se doit d'être jetée à la Seine.

"Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure" clame, en coeur, chaque "cadenas d'amour", à la suite d'Apollinaire sur son Pont Mirabeau...

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