Réf. : Cass. com., 5 novembre 2013, n° 12-14.645, F-P+B (N° Lexbase : A2204KPC)
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par Frédérique Julienne, Maître de conférences HDR, Université Montesquieu Bordeaux IV, membre de l'IRDAP
le 12 Décembre 2013
Dans une décision rendue le 8 novembre 2011, la cour d'appel de Rennes s'est prononcée en faveur de la recevabilité de l'action directe exercée par les sous-traitants et a condamné le maître de l'ouvrage au paiement de dommages et intérêts (CA Rennes, 8 novembre 2011, n° 09/07376 N° Lexbase : A3213H3E). Le pourvoi en cassation, soulevé par le maître de l'ouvrage, repose sur un moyen divisé en deux branches. D'une part, la réunion des conditions de recevabilité de l'action directe est contestée et, d'autre part, la question de l'application de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 à une hypothèse de sous-traitance industrielle est soulevée. Les juges de la Cour de cassation rejettent le pouvoir car ils estiment que la cour d'appel a retenu, à juste titre, que le maître d'ouvrage a, de manière non équivoque, accepté le sous-traitant en cette qualité et agréé ses conditions de paiement. Il apparaît, en effet, que la société en liquidation a procédé à un paiement pour le compte du maître de l'ouvrage qui avait donné son accord pour une facture émise par le sous-traitant auquel ce courrier faisait lui-même référence. Cette donnée fait ainsi ressortir qu'il ne s'agissait pas d'un paiement ponctuel pour le compte de la société en liquidation. En outre, les juges affirment que "l'application de l'article 14-1, alinéa 2, par renvoi de l'alinéa 3 au contrat de sous-traitance industrielle n'est nullement subordonnée à l'existence d'un marché de travaux de bâtiment ou de travaux publics".
Cette décision mérite d'être remarquée car elle présente un double intérêt. Tout d'abord, elle permet de clarifier la portée de l'extension de la loi de 1975 à la sous-traitance industrielle opérée par une loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT) (I). Ensuite, elle offre l'occasion de faire le point sur la caractérisation des conditions de mise en oeuvre de l'action directe ouverte aux sous-traitants et plus particulièrement, sur celles de l'acceptation et de l'agrément devant être donné par le maître de l'ouvrage (II).
I - Précision de la qualification de la sous-traitance industrielle
L'apport majeur de l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 novembre 2013 porte sur l'interprétation de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, modifiée par la loi du 26 juillet 2005 (1), qui présente une rédaction maladroite. Il permet, plus précisément, de clarifier l'articulation entre la phrase d'accroche du dispositif, qui fait référence d'une manière générale aux contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics et le dernier alinéa qui étend la mise en oeuvre de l'article aux contrats de sous-traitance industrielle.
L'enjeu consistait à déterminer si la sous-traitance industrielle ainsi visée devait, oui ou non, exclusivement concerner des contrats principaux de travaux de bâtiment et de travaux public, à savoir des travaux de génie civil consistant, par exemple, en l'élaboration d'infrastructures urbaines ou de transport. Les implications attachées à ce problème d'interprétation ne sont pas négligeables au regard de la délimitation du champ d'application des obligations du maître de l'ouvrage fixées par la loi de 1975 posant des règles générales en matière de contrat de sous-traitance. En l'espèce, en effet, le contrat principal relatif à la construction d'un navire ne concernait en rien des travaux de bâtiment ou de travaux publics. Pour la première fois, à notre connaissance, les juges tranchent cette difficulté en abordant le dernier alinéa de manière autonome par rapport à la phrase introductive de l'article. Ce dernier a donc vocation à régir l'ensemble des opérations de sous-traitance portant sur des contrats industriels sans restriction. Les juges ne suivent pas alors l'analyse défendue dans l'argumentaire du second moyen du pourvoi en cassation qui, au contraire, considérait que la sous-traitance industrielle ne devait s'entendre qu'au regard de la phrase d'accroche.
Cette lecture extensive du champ d'application de l'article 14-1 semble être la plus pertinente au vu de la cohérence d'ensemble du dispositif. Une interprétation contraire aurait, en effet, vider le dernier alinéa de tout intérêt puisque le seul critère opérationnel délimitant le champ d'application de la loi de 1975 aurait été la réalisation de travaux publics ou de bâtiments. Seule l'analyse retenue en l'espèce par les juges de la Chambre commerciale de la Cour de cassation permet une véritable extension du domaine d'intervention de la loi et justifie l'utilité du dernier alinéa. Au-delà du problème de la sauvegarde de la cohérence du texte, la portée extensive de la loi de 1975 retenue par l'arrêt étudié apparaît opportune au vu de ses conséquences sur la protection des sous-traitants concernant le paiement direct. Notons que la portée protectrice du dispositif est assurée même dans le cadre d'une relation de sous-traitance présentant un élément d'extranéité puisque la loi de 1975 est une loi de police (2). En dehors de cette précision relative au domaine d'application de la loi du 31 décembre 1975, l'arrêt étudié apporte, de manière plus classique, des indications sur la caractérisation des conditions de l'action directe dont bénéficient les sous-traitants.
II - Caractérisation des conditions de l'action directe du sous-traitant
En affirmant que le maître d'ouvrage avait bien, de manière non équivoque, accepté le sous-traitant et agrée ses conditions de paiement, la décision étudiée soulève la question de la caractérisation des conditions de l'action directe reconnue au bénéfice des sous-traitants, telles qu'elles ont été fixées par la loi du 31 décembre 1975. Cette action directe a vocation à ne bénéficier qu'au sous-traitant, le maître de l'ouvrage ne pouvant s'en prévaloir en cas de recours, par exemple, pour mauvaise exécution des prestations. Le mécanisme de l'action directe est encadré par un certains nombres de contraintes (3). Plus précisément, le sous-traitant doit avoir fait l'objet d'une présentation de la part du titulaire du marché au moment de la conclusion du marché ou en cours d'exécution de celui-ci. Par ailleurs, et c'est cette condition qui est en jeu en l'espèce, le sous-traitant doit faire l'objet d'une acceptation de la part du maître de l'ouvrage ainsi que d'un agrément de ses conditions de paiement.
La jurisprudence apprécie de manière rigoureuse cette double condition puisqu'il est exigé qu'il y ait une décision autonome relative à l'acceptation du maître de l'ouvrage d'une part, et à l'agrément des conditions de paiement, d'autre part (4). Ces décisions peuvent, toutefois, être globalisées dans un acte unique. Les modalités de l'acceptation sont, en revanche, plus souples puisqu'il n'est pas nécessairement requis que la volonté soit expresse. Rappelons que celle-ci est susceptible de prendre deux formes : la notification du marché et l'acte spécial. Dans ces deux hypothèses, la décision rendue par le maître d'ouvrage doit être donnée dans un acte signé par l'ensemble des acteurs, à savoir le maitre d'ouvrage, l'entreprise principale et le sous-traitant. Mais les difficultés se concentrent sur la caractérisation de la volonté tacite également admise, comme l'illustre l'arrêt étudié. Ce constat dépasse le simple cadre des contrats de sous-traitance et s'impose quel que soit le contrat en jeu puisque la volonté tacite peut être entachée d'équivoque.
La démarche consiste à rechercher des éléments objectifs tirés du comportement du maître de l'ouvrage démontrant son intention non équivoque d'accepter le sous-traitant et de donner son agrément sur les conditions de paiement. L'exploitation de ces éléments de fait suppose une appréciation in concreto opérée par les juges du fond. En l'espèce, les juges ont déduit cette volonté non équivoque d'un échange de courrier contenant un ordre de paiement. Il semble difficile d'identifier des lignes directrices concernant les éléments objectifs pouvant être exploités pour fonder une volonté tacite non équivoque. Sur ce point, un rapprochement peut être opéré avec une décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 13 septembre 2005 dans laquelle, au contraire, l'absence de caractérisation de la volonté tacite est retenue alors que plusieurs échanges de courriers comprenaient le nom du sous-traitant et ses exigences de paiement. Les juges avaient retenu que "la simple connaissance par le maître de l'ouvrage de l'existence du sous-traitant ne suffit pas à caractériser son acceptation, ni l'agrément des conditions de paiement du sous-traité sans rechercher si le maître d''oeuvre avait reçu du maître de l'ouvrage un mandat à cet effet" (5). La confrontation de ces deux décisions révèle que l'ordre de paiement, donné dans l'affaire étudiée, apparaît être un élément déterminant.
Ajoutons que l'acceptation et l'agrément, pour être valables, doivent répondre à un certain nombre d'exigences. Ainsi, une déclaration préalable du sous-traitant doit avoir été faite auprès du maître d'ouvrage qui doit être en mesure d'apprécier les capacités professionnelles et financières du sous-traitant. De plus, l'entreprise principale doit apporter la preuve qu'un nantissement ou une cession ne fait pas obstacle à l'acceptation et à l'agrément du sous-traitant.
En privilégiant une lecture extensive de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 et en retenant la caractérisation de la volonté tacite du maître de l'ouvrage d'accepter le sous-traitant et d'agréer ses conditions de paiement, la décision étudiée s'inscrit ainsi dans un mouvement favorable à une application facilitée de l'action directe.
(1) Loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, art. 14-1, dans sa version issue de la loi du 26 juillet 2005 : "Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics :
- le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ;
- si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution.
Les dispositions ci-dessus concernant le maître de l'ouvrage ne s'appliquent pas à la personne physique construisant un logement pour l'occuper elle-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint.
Les dispositions du deuxième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle lorsque le maître de l'ouvrage connaît son existence, nonobstant l'absence du sous-traitant sur le chantier. Les dispositions du troisième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle".
(2) Cass. mixte, 30 novembre 2007, n° 06-14.006, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9891DZD), JCP éd. G, 2008, I, 10000, note L. d'Avout ; D., 2008, p. 5, obs. X. Delpech ; JCP éd. E, 2008, 1201, note P. Berlioz.
(3) H. Pielberg, JurisClasseur Administratif, Fasc. 651, Sous traitance ; W. Dross, JurisClasseur, Civil Code, Contrats et obligations - effets des conventions à l'égard des tiers, action directe.
(4) Voir, par ex., CE Contentieux, 13 juin 1986, n° 56350 (N° Lexbase : A5023AMY), AJDA, 1986, p. 50, note B. Sablier et J.-E. Caro.
(5) Cass. civ. 3, 13 septembre 2005, n° 01-17.221, F-P+B (N° Lexbase : A4393DKW).
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