La lettre juridique n°551 du 12 décembre 2013 : Public général

[Questions à...] Quarante ans après sa création, quel bilan tirer de l'action du SAF ? - Questions à Marianne Lagrue, présidente de la section parisienne du Syndicat des avocats de France

Lecture: 7 min

N9420BT3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Quarante ans après sa création, quel bilan tirer de l'action du SAF ? - Questions à Marianne Lagrue, présidente de la section parisienne du Syndicat des avocats de France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/11824482-questionsaquaranteansapressacreationquelbilantirerdelactiondusafquestionsabmarianne
Copier

par Yann Le Foll, Rédacteur en chef

le 12 Décembre 2013

Baisse du montant de l'aide juridictionnelle, réformes incessantes de la justice des étrangers, grève des avocats intervenant devant la Cour nationale du droit d'asile, projet de réforme pénale, les points d'achoppement entre les syndicats d'avocats et les Gouvernements qui se succèdent ne manquent pas, particulièrement pour une organisation qui comme le Syndicat des avocats de France (SAF) a pour ambition depuis sa création en 1974 la défense des plus modestes et la lutte contre toutes les discriminations, qu'elles touchent les citoyens français ou les ressortissants étrangers. Pour faire le point sur ces quarante années d'existence, Lexbase Hebdo - édition profession a rencontré Marianne Lagrue, présidente de la section parisienne du SAF et membre du Conseil national des barreaux (CNB). Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le SAF ? Quels sont son origine, ses objectifs, ses orientations ?

Marianne Lagrue : Comment présenter le Syndicat des Avocats de France autrement que par le rappel de son acte fondateur en 1974 ?

Ses statuts fixent son objet :
- la défense intransigeante de l'indépendance des barreaux et de leurs membres ;
- la lutte pour l'extension des droits et prérogatives de la défense ;
- l'action pour la défense des intérêts matériels et moraux des avocats en vue de leur assurer les conditions économiques d'existence et de plein exercice ;
- la recherche et l'action dans le monde judiciaire et dans la société en vue de promouvoir une justice plus démocratique, proche des citoyens et garante des droits et libertés publiques et individuelles ;
- l'action pour la défense des droits de la défense et des libertés dans le monde.

Ces objectifs ont pris tout leur sens parce qu'ils sont étroitement liés entre eux. Surtout, le justiciable mis au coeur de la réflexion justifie la lutte pour l'extension du champ des libertés, comme la défense des intérêts professionnels des avocats. Il a besoin, pour la défense de ses droits, d'une profession d'avocat indépendante dans ses conditions juridiques et économiques d'exercice. Seule cette approche doit préserver le SAF du corporatisme dans l'expression de ses revendications professionnelles.

Le SAF est donc totalement investi dans la profession d'avocat, participant à la vie des Ordres au sein des barreaux, à l'action du CNB, institution fédératrice de la profession pour la définition des principes déontologiques, à la mise en oeuvre d'une formation professionnelle de qualité, à la promotion de l'accès au droit. Il s'engage pour le respect de la déontologie, un accès des jeunes avocats à la profession, un véritable statut du collaborateur, la transparence de l'honoraire.

Par ses commissions nationales, ses colloques annuels et en liaison avec les acteurs de la société, notamment le monde syndical et associatif, il travaille, tenant compte des évolutions politiques et sociales, à la défense des droits et des libertés.

Lexbase : Quels sont vos objectifs à la tête de la section de Paris du SAF ?

Marianne Lagrue : L'objectif de la section du "SAF Paris" est, tout d'abord, de rassembler les avocats, souvent isolés, qui partagent pourtant nos principes : engagement au titre de l'aide juridictionnelle, défense des droits de l'Homme, attachement au principe d'indépendance... Il est ensuite d'informer les confrères, en particulier sur les actions menées par les institutions représentatives des avocats, telles le CNB, sur les modifications du règlement intérieur national, pour leur permettre de se mettre en conformité avec les règles déontologiques.

Le "SAF Paris" a également pour mission de former les confrères sur les nouveautés législatives et réglementaires, professionnelles ou non, par exemple sur les nouveaux régimes des gardes à vue avec Alain Mikowski (membre du CNB et président de la commission "Libertés et droits de l'Homme" du CNB de 2009 à 2011) ou sur les spécialisations avec Sylvain Roumier (membre du CNB et participant à la Commission "Formation" de 2006 à 2008, puis de 2009 à 2011). Il travaille aussi avec les commissions de l'Ordre, comme le font déjà les confrères en droit du travail sous l'impulsion et la direction de Paul Bouaziz, co-président de la commission ouverte de droit social à Paris, créateur des Cahiers sociaux du barreau de Paris et du colloque de droit social (1).

Le "SAF Paris" a enfin pour mission de saisir le Bâtonnier lorsque les avocats ont des difficultés (confrères poursuivis dans l'exercice de leur profession), parfois d'accompagner les confrères collaborateurs devant les instances ordinales à leur demande et de mener des actions lorsque la profession, ou l'accès à la justice, comme c'est le cas en ce moment avec les projets de baisse de l'aide juridictionnelle, sont en péril.

Nombreux sont nos confrères à la section de Paris qui ont fait évoluer le droit en toutes matière : Pierre Bouaziz, en participant aux travaux de la commission des clauses abusives, Odile Dhavernas, pour le droit de mourir dans la dignité, Henri Leclerc, avec la réforme du droit pénal, et Caroline Mécary, sur le Pacs et le droit des homosexuels.

Lexbase : Que vous inspire le projet de baisse du barème de l'aide juridictionnelle pour les avocats ?

Marianne Lagrue : C'est une atteinte grave au service public de la justice, en ce qu'il va empêcher un grand nombre de justiciables d'y avoir accès. Lorsque les avocats défendent au titre de l'aide juridictionnelle, ils consentent un sacrifice financier. Le nouveau projet a pour effet d'alourdir ce sacrifice. Cela aura pour effet d'éloigner les confrères encore davantage du système de l'aide juridictionnelle.

Le SAF défend depuis son origine, vis-à-vis du public, une pratique d'honoraires protectrice des intérêts des usagers du droit. Les adhérents du SAF s'engagent, vis-à-vis de leurs clients, à faire connaître dès que possible le coût prévisible de leurs interventions, à le faire dans la transparence, et chaque fois que possible, dans le cadre d'une convention d'honoraires.

Prévisibilité, transparence, publicité, modération, possibilité de recours ordinal ou juridictionnel doivent être connues de nos clients. Les adhérents du SAF s'engagent à faire connaître à leurs clients les possibilités offertes par le système de l'aide juridictionnelle chaque fois que la situation des clients leur permet d'y avoir accès.

Or, le projet de loi de finances pour 2014 présenté en Conseil des ministres prévoit une diminution du budget de l'aide à l'accès au droit de 10 %, soit 32 millions d'euros. Alors que le protocole qui devait être signé en 2000 prévoyait une véritable rétribution correspondant à la réalité de la prestation fournie, l'indemnisation actuelle des avocats au titre de l'aide juridictionnelle n'a pas augmenté depuis 2007 et subit aujourd'hui une baisse inacceptable. En mettant en péril l'équilibre économique des cabinets d'avocats, elle les placera dans l'impossibilité matérielle de continuer à défendre les justiciables les plus démunis.

Dans le même esprit, le SAF s'est mobilisé contre le décret n° 2013-525 du 20 juin 2013, relatif aux rétributions des missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats devant la Cour nationale du droit d'asile et les juridictions administratives en matière de contentieux des étrangers (N° Lexbase : L1812IXE), publié le 20 juin 2013.

Ce décret a fait passer l'indemnisation de l'avocat :
- de 8 à 16 UV pour l'intervention devant la Cour nationale du droit d'asile ;
- de 6 à 8 UV pour l'intervention en urgence dans le contentieux des obligations de quitter le territoire français lorsque l'étranger est placé en rétention ;
- et de 20 à 16 UV pour l'intervention devant le tribunal administratif en formation collégiale dans les contentieux des obligations de quitter le territoire français sans placement en rétention.

En passant de 20 à 16 UV, la rétribution de l'avocat en droit des étrangers devant la juridiction administrative, hors urgence, bascule ainsi d'insuffisante à purement inique.

Lexbase : Vous avez récemment déclaré que le droit des étrangers pouvait aller à l'encontre des droits de l'Homme. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?

Marianne Lagrue : Depuis des années et sans reprendre l'historique des lois et règlements aménageant le droit des étrangers, ce dernier devient de moins en moins lisible, de moins en moins prévisible en raison des modifications à la chaîne qui affectent ce droit. La connaissance de la loi est l'une des premières garanties d'une justice loyale. Force est de constater que les étrangers ne bénéficient pas du respect de ce principe, en raison de l'amoncellement et de la complexité des textes.

Autre garantie dont ne bénéficient pas les étrangers à égalité avec les justiciables français : la transparence de la justice. Selon l'adage ("not only must Justice be done, it must also be seen to be done"), la justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit aussi être vue en train d'être rendue. Cela suppose des tribunaux au coeur de la cité. Là encore, les audiences pour étrangers non seulement sont délocalisées, mais sont créées de toutes pièces, construites de toutes briques et barbelés au sein même des lieux d'enfermement (centre de rétention ou zone d'attente à Roissy, à Toulouse...). Parallèlement et en toute logique, la durée de l'enfermement (centre de rétention ou zone d'attente), ne cesse de s'allonger.

Les ressortissants étrangers, en terme de procédure administrative, ne sont pas traités comme les citoyens français : les délais de recours sont très brefs, parfois non suspensifs, et n'interdisent donc pas leur éloignement en cours même de procédure. En terme de procédure civile, les règles spécifiques dites de "purges de nullité" sur les actes de saisine du tribunal ou sur le fond même de l'affaire sont appliquées différemment lorsqu'il s'agit du droit des étrangers (Cass. civ. 1, 25 septembre 2013, n° 12-23.065, F-D N° Lexbase : A9572KL4). En terme de procédure pénale, la retenue en matière de contrôle d'identité est de seize heures et non pas de quatre heures comme pour les nationaux.

A l'occasion de la loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, remettant (déjà !) en cause le droit du sol pour le droit du sang (même si la partie relative à la nationalité n'est pas passée cette année là), Gérard Boulanger, alors président du SAF, écrivait que "la remise en cause des étrangers prélude en général à la remise en cause des libertés des Français [...]". Circulait déjà à l'époque une pétition intitulée "Pour la sécurité du séjour, le droit de vivre en famille, l'égalité de traitement devant la loi et le respect de la dignité des immigrés" (2), dont le SAF était évidemment signataire.


(1) Le prochain colloque, qui se déroulera le 7 décembre 2013 à l'Université de Paris-Dauphine de 8h30 à 18h30, aura pour thème "Prouver le fait qui fait le droit" et rendra hommage à Tiennot Grumbach, fondateur du SAF et qui vient de disparaître.
(2) Le Monde du 11 juillet 1986.

newsid:439420