La lettre juridique n°551 du 12 décembre 2013 : Éditorial

8 ans plus tard : revoilà notre cher "plombier polonais"

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Lundi 9 décembre 2013, les ministres européens du Travail se rencontraient à Bruxelles pour une remise à plat de la Directive du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services. La France faisait figure de "tête de proue" dans ce dossier, dans une Union européenne qui compte près de 1,5 million de travailleurs détachés. 350 000 d'entre eux travailleraient ainsi en France, dont 18 500 français ! Il faut dire que l'égide de la Directive a de quoi séduire : si les conditions de salaire (le Smic notamment) et de travail (hygiène et sécurité) du pays d'accueil doivent être respectées, les rémunérations versées suivent le régime social du pays de rattachement des salariés en cause ; d'où la crainte d'un dumping social de plus en plus féroce au sein de l'Union même, le détachement d'un salarié en France pouvant permettre à celui qui y a recours d'économiser entre 15 et 30 % de la masse salariale employée. Et, il est des secteurs d'activité qui en sont plus friands que d'autres : le secteur du bâtiment recouvre à lui seul 42 % des salariés détachés en France. Il faut dire que la construction immobilière se prête bien à ce type d'emploi, puisque la condition majeure du travail détaché est son caractère temporaire ; et, bien évidemment, les travaux achevés, l'ouvrier européen détaché est prié de repartir dans son pays de rattachement.

Si l'angélisme de la Directive, conforté toutefois par un rapport de la Commission européenne, du 18 novembre 2008, concluant à l'absence d'impact négatif de son application sur la création ou le maintien de l'emploi local, pouvait séduire en pleine reprise de la croissance (1996), il n'en allait pas de même en plein doute européen, au moment du refus de l'adoption du Traité constitutionnel (2005), et d'autant moins en pleine crise et repli protectionniste. Pour autant, il y a eu fort à faire pour remanier cette Directive, symbole d'un des principes cardinaux de la construction européenne : la libre circulation des travailleurs. En effet, les anciens pays de l'Est, nouvellement intégrés à l'Union européenne, ont vu naturellement d'un mauvais oeil le regard suspicieux jeté par la France et ses compères. Et, l'économie britannique favorable à la libre circulation, en général, aura également enrayé les discussions. Mais avec le ralliement surprise de la Pologne, premier contributeur européen de salariés détachés, la France a obtenu l'inespérable : une coopération internationale pour le démantèlement des filières de dumping social ; un renforcement des contrôles des inspections nationales du travail... Et, l'inscription d'une responsabilité solidaire entre maîtres d'ouvrage et sous-traitants au tableau de la prochaine révision de la Directive du 16 décembre 1996.

On ne pourra pas dire que la France sera prise au dépourvu : hasard du calendrier (ou non), cette responsabilité solidaire vient justement d'être introduite par le biais d'un arrêt de la cour d'appel de Chambéry qui a condamné, pour la première fois, le 7 novembre 2013, un maître d'ouvrage à 210 000 euros d'amende, pour "complicité de travail illégal", pour avoir laissé l'un de ses sous-traitants employer des salariés européens détachés, dans des conditions irrégulières au regard des normes françaises. Le maître d'ouvrage avait "l'obligation de procéder aux vérifications prévues par le Code du travail et d'assurer le contrôle effectif des personnes travaillant pour son compte".

Si, en 2001, la RSE ou la responsabilité sociale (voire sociétale) des entreprises n'était encore qu'un "concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire", aux termes du Livre vert de la Commission européenne, cet engagement social trouve désormais un écho judiciaire dont il est difficile d'apprécier toutes les résonances.

Concrètement, un maître d'ouvrage est désormais tenu responsable des conditions dans lesquelles sont effectués les travaux sous-traités. Il lui appartient de connaître et de remédier, le cas échéant, aux conditions de travail illégales dans lesquelles officient ses sous-traitants. Dans l'affaire jugée par la cour d'appel de Chambéry, finalement, que les salariés en cause aient été détachés ou non, peu importait. C'est sur le terrain tant des conditions d'hygiène et de sécurité que sur celui du travail illicite et dissimulé qu'il semble que la condamnation ait porté. Pour autant, d'une part, il est certain que le non-respect des conditions d'hygiène et de sécurité de droit français trouve un terreau favorable lorsque les salariés en cause sont des étrangers détachés temporairement, sans représentation sociale, ni collective ; d'autre part, le détachement de salariés au sein de l'Union n'est pas non plus sans obligation : le non-respect des minimums salariaux, par exemple, dans le cadre d'un dumping social forcené, pourrait conduire à une pareille condamnation.

En 2005, la France avait parue divisée face au projet de Directive "Bolkestein", portant sur l'ouverture réciproque des marchés de services sans harmonisation préalable. A la veille du référendum sur l'adoption du Traité constitutionnel européen, cette proposition avait alimenté la frilosité populaire et donné naissance au mythe du "plombier polonais". Et, le Premier secrétaire du parti socialiste de l'époque, aujourd'hui Président de la République, de comparer cette peur, ce rejet du salarié détaché à de la xénophobie.

Autre temps, autre dogme, l'heure ne serait plus à la clémence sociale, mais au rendement fiscal. La construction européenne semble bien être le cadet des soucis gouvernementaux, et l'harmonisation sociale à 25, une martingale qui n'aura pas fait long feu. Et, pour sortir de l'impasse, la solution pourrait bien venir du corps judiciaire, face l'inertie politique : en responsabilisant les personnes ayant massivement recours à des salariés détachés, directement ou par voie de sous-traitance, le juge les oblige, sans doute, à revoir l'économie générale des montages les plus agressifs, orchestrés pour réduire les coûts de production. Partant, c'est bien la responsabilité accrue du maître d'ouvrage qui pourrait freiner l'usage de ces artifices juridiques, sans rapport aucun avec les réels besoins de main-d'oeuvre ou de qualification des salariés ainsi détachés. Mais, on revient toujours à la même question lorsqu'il s'agit de RSE : est-on prêt à payer plus cher ? Hier, le même produit ; demain, le même service ?

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