Réf. : Cass. civ. 3, 23 octobre 2013, n° 12-24.919, FS-P+B (N° Lexbase : A4585KN7)
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par Estelle Chevalier, Avocat au barreau de Toulouse, Cabinet Depuy et Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse I Capitole (EA 1919 IEJUC)
le 05 Décembre 2013
La Cour de cassation, au visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), répondit par la négative considérant que la faute résultant de la violation d'une règle d'urbanisme pouvait s'établir par tous moyens. Les signataires sont frappés par la simplicité de la solution alors que l'espèce semblait beaucoup plus complexe. En réalité, les juges du fond, sans jamais l'avouer, ont tenté de transposer -en raison de l'existence d'un certificat de conformité- une disposition bien connue lorsque les travaux sont conformes au permis de construire : l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3525HZL). Ce dernier neutralise l'action en responsabilité civile pour faute lorsque l'illégalité du permis de construire n'a pas été déclarée préalablement par le juge administratif (I). Or, la Cour de cassation, à bon droit, libère l'action en responsabilité civile pour faute de l'emprise de l'article L. 480-13 du code précité considérant implicitement que le certificat de conformité ne fait pas disparaître la non-conformité réelle des travaux au permis de construire (II).
I - La neutralisation apparente d'une action en responsabilité pour faute : le jeu de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme
Si la cour d'appel est censurée par la Cour de cassation, c'est sans doute parce qu'elle rejette toute action en responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (B) en appliquant inopportunément l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme en raison de l'existence d'un certificat de conformité (A).
A - Le certificat de conformité ou l'apparente conformité des travaux au permis de construire
La présente espèce nous conduit à s'interroger sur la valeur du certificat de conformité, disparu au profit de l'attestation de non-contestation de la conformité des travaux à la suite de l'ordonnance du 8 décembre 2005 (3) et son décret d'application du 5 janvier 2007 (4).
Le certificat de conformité (5) est délivré par l'autorité administrative compétente (6) si les services instructeurs jugent les travaux conformes au permis de construire, étant précisé que le contrôle des travaux est limité à "l'implantation des constructions, leur destination, leur nature, leur aspect extérieur, leurs dimensions et l'aménagement de leurs abords" (7).
La jurisprudence civile semble donner une valeur importante au certificat de conformité. Ainsi par exemple, la Cour de cassation a-t-elle pu préciser que la cour d'appel de Basse-Terre n'avait pas excédé ses pouvoirs "en constatant la conformité de la construction litigieuse au permis de construire et aux règles d'urbanisme, et ce, au vu du certificat de conformité délivré" (8). Cette solution sera reprise en 2005 par la troisième chambre civile qui viendra préciser que la cour d'appel ne pouvait condamner à la démolition de la partie de la construction non conforme aux plans du permis de construire et à des dommages et intérêts, "alors qu'elle avait constaté que les permis de construire n'avaient pas été annulés et qu'un certificat de conformité des travaux avec ces permis avait été délivré" (9). Décision d'autant plus remarquable, qu'elle a été rendue au visa de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III impliquant la séparation des ordres juridictionnels administratifs et judiciaires. Si cet arrêt n'a pas manqué de surprendre la doctrine (10), il n'en demeure pas moins que cette position a été confirmée par la première chambre civile le 4 mai 2011 (11).
Dans l'espèce qu'il nous est donné à commenter, les juges du fond se sont bornés à constater que, conformément à l'arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2011 précité, la décision administrative que constitue le certificat de conformité prévaut sur tout autre mode de preuve (un rapport d'expertise établissait pourtant les non-conformités !), et que, par suite, sa délivrance et le fait qu'il n'ait pas été contesté justifie qu'aucune violation des règles d'urbanisme ne saurait être reprochée au voisin du requérant. Il résulte de tout ce qui précède qu'en présence d'un certificat de conformité, aucune responsabilité civile ne peut être retenue pour violation de la règlementation d'urbanisme, le juge judiciaire étant tenu par ce certificat qu'il ne peut remettre en cause.
Nous ne pouvons que nous interroger sur la possibilité de transposer le raisonnement des juges du fond à une espèce soumise aux nouvelles dispositions de la déclaration d'achèvement et de conformité des travaux. En effet, si la conformité des travaux est désormais examinée au regard de l'autorisation d'urbanisme sans autre précision (12) et doit donc être comprise plus largement que le contrôle effectué dans le cadre du régime du certificat de conformité, il est à noter qu'un doute subsiste quant à la valeur des attestations de non contestation de la conformité qui, selon les cours administratives d'appel sont ou non des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (13).
Cette valeur reconnue au certificat de conformité, contestable, semble découler de l'application de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme et d'une lecture étonnante de ses dispositions.
B - La lecture combinée mais erronée du certificat de conformité et des dispositions de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme
L'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme, sous l'empire de son ancienne rédaction (14), empêchait l'immixtion du juge judiciaire dans un des domaines réservés du juge administratif, celui de l'appréciation de la légalité des actes administratifs et, sous certaines réserves tenant à la clarté de l'acte, celui de l'interprétation des actes administratifs individuels (15). Ainsi, en application de ces dispositions, en cas de conformité des travaux au permis de construire, la condamnation du propriétaire par le juge judiciaire pour violation de la règlementation d'urbanisme ne peut intervenir que dans deux hypothèses : la première correspondant aux cas d'annulation du permis de construire par le juge de l'excès de pouvoir, la seconde tenant à la déclaration de l'illégalité du permis de construire par un magistrat de l'ordre administratif saisi, en ce cas, par le biais d'une question préjudicielle.
En l'espèce, les juges du fond excluent toute action en responsabilité délictuelle pour faute en se fondant implicitement -volontairement ou non- sur les dispositions de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme. En effet, bien que les travaux réalisés ne soient pas conformes au permis de construire pour le juge judiciaire, le certificat de conformité empêche toute reconnaissance de faute et toute appréciation des travaux. Les conclusions d'experts judiciaires sont ainsi écartées au profit d'un simple acte administratif se bornant à constater la conformité des travaux au permis de construire. Au-delà d'un simple rapprochement terminologique, l'article L. 480-13 venant sanctionner la méconnaissance de la règle d'urbanisme des constructions édifiées "conformément" au permis de construire, il nous semble que cette lecture combinée avec le certificat de conformité résulte d'une interprétation contestable réalisée par les juges du fond, le texte n'imposant aucunement, pour que la construction puisse être regardée ou non comme conforme, l'obtention d'un certificat de conformité.
Plus encore, par cette lecture "abusive", il semble aux signataires que le raisonnement de la cour d'appel impliquerait que le requérant sollicite une question préjudicielle pour déterminer la légalité du permis de construire, légalité qui n'est pourtant pas mise en cause puisque ce sont les travaux qui ne sont ni conformes au permis de construire, ni conformes à la règlementation d'urbanisme ! Dans la mesure où les arrêts de la Cour de cassation de 2005 et 2011 se fondent sur les textes impliquant la séparation des ordres juridictionnels et où l'arrêt de 2005 rappelle que le permis de construire n'a pas été annulé, cela confirmerait bien qu'une question préjudicielle devrait être posée, alors même que seule la réalisation de travaux est contestée par les requérants.
La valeur conférée au certificat de conformité est donc liée au fait que, dans les espèces précitées, les dispositions de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme ont été appliquées. Il est toutefois important de rappeler que le juge judiciaire n'est pas compétent pour apprécier la légalité du certificat de conformité, ce que rappellent d'ailleurs fort justement les juges du fond et fonde peut-être l'appréciation, à notre sens maladroite, qui a été faite de cet acte administratif venant parasiter l'application de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme.
II - La libération réelle d'une action autonome en responsabilité pour faute : la mise hors-jeu de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme
La Cour de cassation, pour dire que la faute du propriétaire de l'ouvrage litigieux résultait de la violation d'une règle d'urbanisme, devait préalablement exclure l'application implicite de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme (A). Dès lors que l'exclusion était réalisée, il était alors aisé d'établir la faute dans la mesure où la construction ne respectait ni le permis de construire, ni le plan d'occupation des sols (B).
A - L'exclusion préalable de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme
Si la cour d'appel d'Aix-en-Provence refusa d'engager la responsabilité civile, fondée sur l'article 1382 du Code civil, du propriétaire de l'ouvrage litigieux, c'est sans doute parce qu'elle a ignoré la lettre, au profit de l'esprit, de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure à la loi de 2006 portant engagement national pour le logement (16).
L'esprit de l'article L. 480-13 ancien du Code de l'urbanisme était parfaitement clair : il s'agissait de subordonner le bénéfice de l'action civile (démolition et/ou dommages et intérêts) à l'appréciation, par le juge administratif, de l'illégalité du permis de construire. En d'autres termes, cette disposition satisfaisait à l'esprit révolutionnaire tendant à assurer le respect de la séparation des pouvoirs entre l'ordre judiciaire et l'ordre administratif. Toutefois, aussi noble l'inspiration soit-elle, il n'en demeure pas moins que la lettre de l'article L. 480-13 ancien du code précité était aussi limpide.
Cette disposition législative ne prévoyait-t-elle pas le recours au juge administratif qu'à la condition préalable qu'"une construction [...] [ait] été édifiée conformément à un permis de construire [...]" ? La réponse ne souffre d'aucune ambiguïté : assurément oui ! Or de toute évidence, la construction litigieuse n'est ni conforme au permis de construire, ni au plan d'occupation des sols, de sorte que la Cour de cassation, à juste titre, écarte -sans même le dire- le jeu de l'ancien article L. 480-13 du Code de l'urbanisme. Au surplus, il faut bien dire que toutes les décisions administratives ne permettent pas de faire fi de la réalité des faits.
En effet, la délivrance d'un certificat de conformité des travaux au permis de construire n'autorise pas pour autant de faire prévaloir une réalité juridique mais chimérique -celle du titre- sur la réalité factuelle mais véridique -celle d'une construction non-conforme au permis de construire-. Autrement dit, la non-conformité de la construction au permis de construire demeure quand bien même un certificat de conformité attesterait du contraire. Faut-il le contester ? Les signataires en doutent dans la mesure où l'ancien article L. 480-13 du Code de l'urbanisme se moque de l'existence ou non dudit certificat quand bien même il s'agirait d'une décision administrative. Ce qui compte, c'est la réalité des faits : soit la construction est conforme au permis de construire, auquel cas l'article L. 480-13 ancien du code précité s'applique ; soit la construction n'est pas conforme à ladite disposition, auquel cas il y a lieu d'en refuser son invocation. D'ailleurs, à cet égard, le nouvel article L. 480-13 du Code de l'urbanisme n'a aucunement changé puisque d'une part, sa mise en oeuvre requiert encore la conformité de la construction au permis de construire et, d'autre part, parce qu'il ne fait aucunement référence au certificat de conformité dont on sait aujourd'hui qu'il a disparu au profit de la délivrance -non automatique- d'une attestation certifiant que la conformité des travaux au permis de construire n'a pas été contestée (17). En outre, est-il utile d'ajouter que la solution de la cour d'appel revenait à admettre qu'un certificat de conformité -alors que les travaux ne sont pas conformes au permis de construire- prime sur le plan d'occupation des sols ? Cela n'était pas très sérieux...
En définitive, l'esprit d'une disposition ne vaut qu'à la condition que le respect de sa lettre ne fasse pas défaut. Or, parce que la construction n'est pas conforme au permis de construire, parce que la délivrance d'un certificat de conformité n'y change rien, le jeu de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme est impossible offrant alors la possibilité au tiers de former une action autonome en responsabilité délictuelle pour faute.
B - L'admission corrélative d'une action autonome en responsabilité pour faute
Dès lors que l'ancien article L. 480-13 du Code de l'urbanisme est inapplicable en l'espèce, il est fort logique que le voisin du propriétaire de la construction litigieuse puisse demander la réparation du préjudice subi -constitué ici par la perte de vue- sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Toutefois, cette action n'aboutira que si le voisin rapporte notamment la preuve d'une faute qui, pour la Cour de cassation, résulte de la violation d'une règle d'urbanisme.
A ce titre, il convient d'indiquer que la faute du propriétaire de la construction litigieuse n'est pas tant caractérisée par la violation du permis de construire, mais davantage par la violation du plan d'occupation des sols. En effet, le permis de construire n'est pas en soi une norme (18), mais une autorisation -celle de construire- qui doit respecter les règles d'urbanisme dont notamment celles prévues par le plan d'occupation des sols. Aussi, et bien qu'il soit rappelé que la construction édifiée n'est ni conforme au permis de construire, ni au plan d'occupation des sols, il suffit, pour la Cour de cassation, que l'ouvrage viole une règle d'urbanisme -ici le plan d'occupation des sols- pour que le propriétaire de l'ouvrage ait commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil. Or, en la matière, la faute est somme toute classique, puisqu'il s'agit de la violation d'une norme de comportement préexistante : la règle d'urbanisme. Enfin, la précision apportée par les juges du Quai de l'Horloge quant à la preuve de la faute est toute aussi banale dans la mesure où cette dernière -fait juridique- se prouve naturellement par tous moyens.
Au-delà de la question de la caractérisation de la faute, il convient d'observer que l'action en responsabilité civile fondée sur l'article 1382 du Code civil, dont on sait désormais qu'elle est autonome faute d'avoir une construction conforme au permis de construire, ne poursuivait comme objectif que l'allocation de dommages et intérêts. Pourtant, rien n'interdit de penser qu'une réparation en nature aurait pu être demandée afin d'obtenir la démolition de l'ouvrage litigieux. Ainsi, on se rapprocherait de l'ancienne rédaction de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme qui, contrairement à sa rédaction actuelle, ne distinguait pas entre la démolition et l'allocation de dommages et intérêts. En d'autres termes, sous l'empire de l'ancienne loi, que la construction soit conforme ou non au permis de construire, il était possible -sous réserve du recours à la question préjudicielle de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme- de demander, à l'encontre du propriétaire, tant la démolition de l'ouvrage que des dommages et intérêts. Aujourd'hui les choses sont sensiblement différentes.
En effet, l'actuel article L. 480-13 du code précité distingue entre l'action en démolition ne pouvant être dirigée que contre le propriétaire de la construction et l'action en dommages et intérêts ne pouvant être engagée qu'à l'encontre du constructeur. Or, en consultant l'article 1792-1 du Code civil (N° Lexbase : L1921ABR), le constructeur n'est pas forcément le propriétaire de l'ouvrage. Par conséquent, la lettre de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme est la suivante : un tiers ne peut intenter, contre le propriétaire de l'ouvrage conforme au permis de construire, l'action en responsabilité civile prévue par l'article L. 480-13 du code précité. En revanche, il est raisonnable de penser qu'il puisse bénéficier de l'action autonome en responsabilité civile pour faute -sans déclaration préalable d'illégalité du permis de construire- invocable lorsque l'ouvrage n'est pas conforme au permis de construire (19). En d'autres termes, que l'ouvrage soit conforme ou non au permis de construire, il apparaît possible, si une faute est caractérisée par la violation d'une règle d'urbanisme, de solliciter des dommages et intérêts (20) sur le fondement de l'article 1382 du Code civil à la seule condition que l'action soit dirigée contre le propriétaire de l'ouvrage litigieux !
En définitive, l'action en dommages et intérêts fondée sur l'article 1382 du Code civil, à la condition qu'elle soit dirigée contre le propriétaire de l'ouvrage en cause, est possible que la construction soit conforme ou non au permis de construire. Pourtant tout n'est pas réglé car, quelle que soit la situation, il n'en demeure pas moins que cette responsabilité repose sur la démonstration d'une faute constituée par la violation d'une règle d'urbanisme. Or, il n'est pas certain que le propriétaire de l'ouvrage soit systématiquement l'auteur de la faute puisqu'il arrive qu'il n'ait jamais été constructeur de l'ouvrage litigieux...
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